Prieur de la Chartreuse de Londres il fut le premier à s'opposer aux actes anti-catholiques d'Henri VIII.
Martyrisé à Tyburn il est le premier des martyrs de la réforme anglaise.
Canonisé par Paul VI en 1970
Les premières victimes de cette persécution sanglante furent des religieux chartreux. Le récit de leurs souffrances et de
leur martyre nous a été conservé par un chartreux de Londres, Maurice Chauncy, témoin oculaire. C'est son récit que l'on va lire :
Vers cette même époque (en 1533) il arriva le fait étonnant que voici : le vénérable Père Prieur de la Chartreuse de Londres,
dont nous parlerons plus loin, était visiteur de la province d'Angleterre, et il faisait la visite du monastère du Mont de Grâce,au nord du royaume, pas bien loin d'York. La longueur du voyage
l'avait obligé à enlever ses vêtements pour les faire laver ; or tandis que les serviteurs les étendaient en même temps que ceux d'un autre visiteur pour les faire sécher, de grands corbeaux
noirs volèrent sur ceux de notre père qu'ils arrachèrent des perches auxquelles on les avait suspendus et les déchiquetèrent ; sans nul doute cela présageait et marquait comment il serait déchiré
lui-même par les noirs ministres du démon.
Ces prodiges et bien d'autres encore furent bien propres à nous remplir de crainte et à nous faire voir l'imminence de quelque
grande tribulation. Ces malheurs du reste nous avaient déjà été annoncés bien des années auparavant par ceux de nos pères que nous regardions comme des saints. Mais toujours, comme les enfants
d'Israël, nous pensions que ces visions n'arriveraient que bien plus tard et que c'étaient des prophéties à longue échéance. Pourtant quand nous vîmes ces choses se succéder ainsi une à une,
nous commençâmes à craindre qu'elles ne se réalisassent de notre vivant et nous implorâmes le Seigneur très clément de nous être propice et de tout faire tourner à notre avantage.
Ces faits s'étant ainsi passés, et les ordres sévères d'un roi cruel étant exécutés par des serviteurs encore plus cruels, notre
tour d'épreuve arriva. Les commissaires royaux, pour accomplir l'édit de leur maître, vinrent en effet à notre maison, nommée la maison de la Salutation de la Bienheureuse Vierge Marie, de
l'ordre des Chartreux, non loin de Londres. Et tout d'abord ils mandèrent secrètement Jean Houghton, notre vénérable Père
et prieur de la maison, lui demandant, à lui et à tous ceux qui étaient soumis à son autorité, de reconnaître la légitimité de la répudiation de la première épouse et celle en même temps du
second mariage. A ces mots, il répondit que ni lui ni les siens ne se mêlaient des affaires du roi, et qu'ils n'avaient pas à s'occuper de la personne que le roi voulait répudier, pas plus que de
celle qu'il voulait prendre pour femme.
Mécontents de cette réponse, ils exigèrent que franchement et sans retard, le couvent convoqué, tous affirmassent par serment que
le premier mariage était illicite, légitime le second. Mais lui répondait qu'il ne comprenait pas comment un premier
mariage célébré selon les rites de l'Église et qui avait duré tant d'années pouvait être annulé. Cette réponse les mit en fureur et ils ordonnèrent de l'enfermer immédiatement dans la Tour de
Londres en même temps que le père Humfroid Middlemore, alors procureur de la maison et qui, questionné à son tour, avait fait la même réponse.
Ils y furent détenus un mois durant. Entre temps, quelques hommes honnêtes et dévoués leur persuadèrent que ce n'était pas une
question de foi qu'il fallait défendre jusqu'à la mort. Ces conseils les décidèrent à accepter ce qu'exigeaient les envoyés du roi. Élargis aussitôt, ils revinrent chez nous où nous les reçûmes
avec grande joie. Toutefois comme, après le retour de notre père, il y eut une consultation entre conventuels au sujet de cette question, avant que les commissaires reparussent, et comme on ne
savait à quel parti s'arrêter, le pieux Père nous dit : "Vénérables pères et frères, acquiesçons, je vous en prie, cette fois, aux envoyés royaux, et sans offenser Dieu, ce que j'espère,
vivons un peu ensemble, car ce n'est pas la fin. Tout cela ne finira point ainsi. La nuit même où le procureur notre frère et moi nous avons été élargis, il m'a été révélé pendant mon sommeil que
la prochaine fois je ne m'en tirerais pas à si bon compte, car dans peu de jours je serai derechef conduit en prison et j'y finirai mes jours. On nous proposera quelque chose au sujet de laquelle
il ne pourra y avoir ni hésitation ni ambiguïté.'
Sur ces entrefaites, les mêmes commissaires vinrent de la part du roi pour exiger le même serment de la part de tous les
conventuels et conduire en prison ceux qui le refuseraient : deux fois ils partirent sans avoir rien obtenu, car d'une commune voix nous nous refusâmes à leur donner satisfaction, leurs menaces
n'ayant sur nous aucun effet. Une troisième fois ils se présentèrent accompagnés des gouverneurs de la ville et leurs satellites. Considérant alors que nous ne pouvions plus échapper, nous nous
décidâmes à suivre les conseils dévoués et salutaires de notre prieur Jean Houghton, et nous prêtâmes tous le serment exigé par le roi, le 25e jour de mai 1534, la 4e année du priorat de notre
Père.
Nous pensions alors que notre obéissance aux ordres du roi nous avait rendu notre liberté et que dorénavant nous pourrions vivre
tranquilles. Mais nous éprouvâmes la vérité de cette parole du prophète : "Ne vous fiez pas aux princes, en eux il n'y pas de sécurité". En effet, vers la fin de la même année 1534, il
fut décidé par le roi et ses conseillers, dans un acte célèbre du Parlement, que dorénavant, le Saint-Père ne voulant pas consentir au divorce et approuver le second mariage, tous les sujets ne
devaient plus reconnaître l'autorité papale ou toute autre étrangère au royaume, mais tenir le roi lui-même pour chef de l'Eglise d'Angleterre, tant au spirituel qu'au temporel, et s'y engager
par serment ; ceux qui le refuseraient seraient poursuivis pour crime de lèse-majesté. Cette ordonnance ayant été publiée dans tout le royaume, notre vénérable Père Prieur Jean Houghton réunit le
couvent et lui fit part du nouveau décret. — A cette nouvelle nous fûmes tous consternés, d'abondantes larmes coulèrent de nos yeux et d'une commune voix : "Mourons tous dans la simplicité
de notre coeur ; le ciel et la terre rendront témoignage que nous périssons injustement". Notre Père nous répondit avec tristesse : "Oui, qu'il en soit ainsi, que la même mort rende à la vie
ceux qu'une même vie a réservés pour la mort, afin que je puisse paraître devant Dieu entouré de mon troupeau. Ne croyons pas cependant qu'ils nous feront à tous un si grand bien et à eux-mêmes
un si grand mal ; je crois plutôt qu'ils feront d'abord mourir les officiers, les plus âgés et moi-même, laissant libres les plus jeunes. Néanmoins qu'en tout s'accomplisse la volonté divine ;
mais pour ne pas être pris à l'improviste par le Seigneur quand il viendra frapper à la porte, préparons-nous comme si nous devions mourir sur l'heure. Les coups que l'on attend sont moins
sensibles."
Alors il donne à tous la permission de se choisir un confesseur parmi nous afin de lui faire une confession générale et recevoir
l'indulgence plénière de notre ordre. Puis, "comme nous péchons tous en bien des points et que nous nous devons tous quelque chose ; que, d'autre part, ni la vie, ni la mort, ni rien au
monde n'a de valeur sans la charité, nous nous réconcilierons publiquement, ensuite nous célébrerons le messe du Saint-Esprit pour obtenir la grâce que son bon plaisir s'accomplisse en
nous."
Le jour de la réconciliation venu, notre Père Prieur nous fit un sermon très touchant sur la charité, la patience et la confiance
inébranlable dans le Seigneur qui n'abandonne jamais ceux qui espèrent en lui, et il conclut en ces termes : "Il nous vaut mieux d'être couverts ici-bas de confusion et de subir une peine
passagère pour nos péchés, que de l'être dans l'autre monde en face de Dieu, des anges et des saints, et d'être réservés pour les châtiments éternels". Il ajouta : "Pères et frères très
chers, ce que je vais faire, faites-le à votre tour". A ces mots, il se lève, s'approche du plus ancien assis à ses côtés et, s'agenouillant devant lui, il lui demande humblement pardon de tous
les torts qu'il pouvait lui avoir faits en paroles ou en actions. La même prière lui fut adressée par l'ancien. Le Père Prieur répéta la même démarche pour chacun jusqu'au dernier frère convers
et versant d'abondantes larmes. Tout le monde l'imita et chacun se demandait pardon et remise. Quelle tristesse ! Que de larmes en ce moment ! Vraiment dans Rama on entendit une voix, beaucoup de
cris de lamentations. A partir de ce jour, il suffisait de regarder notre saint Père Prieur pour lire sur son visage, qui jusque-là ne s'était jamais laissé altérer par les événements, quel grand
chagrin, quelle immense douleur, avaient atteint le fond de son âme. Le changement de son visage et de son teint déclarait la souffrance intime de son coeur ; toute sa personne était comme
enveloppée de tristesse, et les soubresauts de son corps trahissaient malgré lui ses chagrins intérieurs.
Le jour venu où l'on devait célébrer la messe conventuelle du Saint-Esprit, notre Père Prieur lui-même se prépara très
dévotement à offrir le saint sacrifice pendant lequel le Dieu très clément daigna visiter ses serviteurs. — En effet, à peine l'élévation était finie que tout le monde entendit comme un léger
bruissement pareil à celui que produit un vent très doux ; il résonnait un peu plus fort à l'extérieur, mais bien davantage dans notre intérieur ; les oreilles de notre coeur le percevaient plus
distinctement que celles de notre corps. A cette touche divine, le Père Prieur lui-même se sentit tellement rempli de douceur céleste qu'il fondit en larmes et que pendant de longs instants il
lui fut impossible de continuer la messe. Et cet effet de la clémence divine fut ressenti de tous, même des frères convers qui se tenaient dans différents endroits de l'église. Dès la réunion qui
suivit, une discussion pleine de piété et d'humilité s'engagea entre le Père et les enfants, le premier attribuant cette grâce à la dévotion de ses fils et ceux-ci à la sainteté de leur Père, qui
vraiment était un saint doué de toutes les grâces, de toutes les vertus. Combien instante fut, à partir de ce jour, la prière de notre communauté afin que Dieu daignât arranger toutes choses pour
sa gloire et le salut de nos âmes, je n'essaierai pas même de le dire.
Sur ces entrefaites, arriva chez nous le vénérable P. Robert Lawrence, Prieur de la Chartreuse de Bellavallis (Bellevallée),
profès de notre monastère, religieux accompli et de grande piété ; deux jours après arriva également chez nous, conduit par les affaires de sa maison, le vénérable P. Augustin Webster, profès du
couvent de Shène et Prieur du monastère de la Visitation de la bienheureuse Vierge Marie près d'Anxiolme. C'était un homme de vertus vigoureuses. Quand ils apprirent nos angoisses et les périls
auxquels nous étions exposés, de concert avec notre Père Prieur Jean Houghton, ils résolurent d'aller ensemble trouver le vicaire du Royaume Thomas Cromwell pour calmer par son entremise la
colère du roi très allumée contre nous parce qu'il avait appris que nous ne voulions pas nous soumettre à son décret, et aussi pour tenter de s'affranchir, eux et leurs subordonnés, de ce décret.
L'ayant abordé, ils lui exposèrent bien humblement leurs désirs et leurs supplications. Mais celui-ci, fort indigné, refusa d'y condescendre, leur ordonna de rentrer chez nous pour revenir le
trouver le lendemain ; en attendant, ils se consulteraient sur la réponse qu'ils pourraient lui donner au sujet de cette affaire. De retour le lendemain, comme ils en avaient reçu l'ordre, ils
réitérèrent leur demande, lui exposant simplement leur intention. Comme un lion rugissant, il les accabla de reproches et d'injures, les traita de traîtres, de rebelles, et les fit enfermer dans
la Tour de Londres, où il les fit détenir la semaine entière.
La semaine écoulée, il vint lui-même à la tour, accompagné de beaucoup de nobles du conseil royal et de quelques docteurs. Il fit
appeler nos Pères et leur demanda si oui ou non ils voulaient se soumettre à l'édit du Parlement et du roi, à savoir s'ils voulaient renier l'autorité du pape et affirmer qu'il avait par fraude
et violence usurpé la primauté de l'Église, reconnaître et affirmer que le roi était le chef suprême de l'Église d'Angleterre tant au spirituel qu'au temporel. Nos Pères répondirent qu'ils
feraient sans hésitation aucune tout ce à quoi étaient tenus de vrais chrétiens et sujets à l'égard de leur prince et qu'ils obéiraient en tout ce que permettrait la loi divine. "Point de
restriction, répondit-il, je veux que pleinement et sincèrement, de cœur comme de bouche, et sous serment vous affirmiez et observiez avec fermeté ce qu'on exige de vous."
Nos bienheureux Pères répondirent : " C'est tout le contraire qui a toujours été enseigné par notre mère la sainte Église. —
L'Église, dit-il, c'est le dernier de mes soucis. Voulez-vous, oui ou non, faire ce que je vous dis ?" Ils répondirent : "Nous craignons trop Dieu pour oser abandonner l'Église catholique,
nous révolter ou aller ouvertement à l'encontre de ses décrets ; car saint Augustin a dit : Je ne croirais même pas à l'Évangile du Christ si la sainte et orthodoxe Église ne me l'avait
enseigné comme elle l'enseigne. — Que saint Augustin, expliqua-t-il, pense comme il voudra. Vous, vous penserez comme moi ou bien il vous arrivera malheur." Comme ils gardèrent le silence,
on les fit reconduire en prison. Au jour fixé, les gardiens de la Tour, les officiers, les ministres de la Tour et une nombreuse escorte de satellites les annoncèrent à la cour de Westminster et
les présentèrent à la barre ; on leur avait adjoint un vénérable religieux du couvent de Sion, de l'ordre de Sainte-Brigitte, le père Réginald, homme de grand savoir et de non moindre sainteté,
et un autre prêtre séculier, curé de l'église paroissiale de Thisteworth. Tous les deux étaient détenus dans la même prison pour le même motif ; avec une grande constance ils avaient refusé
d'obéir aux ordres du roi. C'est ce qui les avait fait appeler tous les deux en ce lieu où se trouvaient réunis beaucoup de grands seigneurs du royaume. Requis un par un de s'expliquer sur la
question, tous refusèrent d'obéir, disant qu'à aucun prix ils ne voulaient déroger en quoi que ce fût à la loi de Dieu, aux coutumes de la sainte Eglise ni abandonner les lois de leurs
ancêtres.
Immédiatement on choisit douze hommes, conformément à l'usage national, qui, sous la foi du serment, devaient dire si ces cinq
accusés qui refusaient de se soumettre et d'obéir aux ordres du roi et du Parlement devaient ou non être mis à mort. En face d'un ordre si nouveau, difficile et inouï, ils remirent leur sentence
au lendemain; et les saints personnages furent alors reconduits en prison.
Tout le jour les juges agitèrent cette question, et leur conclusion fut que les pères n'avaient pas enfreint de loi et qu'ils
étaient innocents à tous les points de vue. Mais Thomas Cromwell soupçonna que ces douze juges avaient de la délicatesse de conscience, et sur le soir de cette première journée, apprenant qu'ils
n'avaient pas encore rendu leur sentence, il leur fit demander le motif d'un si long retard et ce qu'ils pensaient faire de la cause qu'on leur avait confiée. Ils exposèrent qu'ils n'avaient pas
osé condamner comme malfaiteurs des hommes si pieux et qu'ils ne les avaient trouvés coupables en rien. Cette réponse le mit en fureur et il leur fit dire immédiatement : "Si vous ne les
trouvez pas coupables, vous subirez vous-mêmes le châtiment des transgresseurs". Ils persistèrent dans leur décision. A cette nouvelle, il vint à eux comme un furieux et proféra de si violentes
menaces qu'il les força à condamner ces saints pour crime de lèse-majesté. Le lendemain, on les ramena de la prison à la cour de Westminster, et en leur présence les douze jurés firent connaître
leur sentence, disant que ces cinq religieux étaient coupables du crime de lèse-majesté. Leur sentence sur ce fait ayant été prononcée suivant la coutume anglaise, les juges qui présidaient à la
connaissance des affaires et à l'application de la loi condamnèrent ces saints personnages à la peine de mort pour crime de lèse-majesté.
L'arrêt une fois rendu, on les ramena en prison, mais en faisant porter devant eux le signe des condamnés à mort. Ils restèrent
encore cinq jours. Ni la parole ni la plume ne peuvent traduire ce que ces saints personnages eurent à endurer d'avanies de la part des persécuteurs de leurs âmes. Comme ils restaient
inébranlables en face de leurs ennemis, on donna l'ordre de les conduire au supplice. Voici comment il eut lieu.
Tirés de prison, on les coucha, chacun vêtu de l'habit de son ordre, sur des claies d'osier. Ils y étaient attachés étendus sur le
dos, et des chevaux les traînèrent à travers la ville de Londres jusqu'au lieu où l'on exécutait les scélérats, à Tyburn, à 3 milles anglais de la Tour de Londres. Ils étaient attachés deux
par deux sur les claies, le cinquième excepté qui était seul. Qui pourrait dire les douleurs, les tortures qu'eurent à endurer ces très saints hommes pendant un aussi long trajet, étendus ainsi
sur une claie fort dure et qui, s'élevant à peine d'un travers de doigt au-dessus du sol, maintenait leurs corps étendus, les traînait tantôt sur des lieux pleins de cailloux et tantôt dans des
endroits pleins d'eau et de boue. Ils arrivèrent enfin au lieu désigné. Tout d'abord on détacha de la claie notre saint Père Prieur de la Chartreuse de Londres et visiteur de la province
anglaise, Jean Houghton. Comme de coutume, le bourreau se jeta immédiatement à genoux devant lui, le suppliant de lui pardonner la mort qu'il allait lui donner. Ô bon Jésus l quel est le
coeur de pierre qui n'aurait pas été attendri, s'il avait pu le voir à cette heure ! Quelle affabilité dans sa parole, quelle bonté dans son étreinte, quelle piété et quelle ferveur dans sa
prière pour le bourreau et les témoins de son supplice ! Cela fait, il reçut l'ordre de monter sur le chariot placé sous la potence où il allait être pendu. Il le fit avec une très grande
douceur. Alors un des conseillers du roi, qui était là présent entouré d'une foule immense, lui demanda s'il voulait obéir à l'ordre du roi et au décret du Parlement ; il lui serait fait
grâce à cette condition. Le fidèle martyr du Christ répondit : "J'en prends à témoin le Dieu tout-puissant et vous supplie vous tous de témoigner pour moi au terrible jour du jugement,
qu'ici sur le point de mourir je déclare publiquement que ce n'est ni par obstination ni par malice, ni par esprit de révolte que je refuse d'obtempérer à la volonté de votre roi, mais seulement
par crainte de Dieu et pour ne pas offenser sa divine majesté. Parce que les ordonnances que notre mère la sainte Eglise a établies, enseigne, garde et a toujours gardées sont en opposition avec
celles de votre roi et de son Parlement, je suis donc obligé en conscience et je suis prêt à souffrir cette mort et tous les tourments qu'on pourrait m'infliger plutôt que de renier les
enseignements de l'Eglise."
Après ces mots, il demanda au bourreau de lui laisser terminer la prière qu'il avait commencée, qui était : "En vous,
Seigneur, j'ai mis mon espérance, etc., jusqu'au verset : Seigneur, je remets mon âme entre vos mains.". Sa prière finie, sur un signal donné on enleva le char de dessous ses pieds et il se
trouva ainsi pendu.
Presque aussitôt un des assistants coupa la corde pendant qu'il vivait encore et, tombant à terre, il commença à reprendre son
souffle. Aussitôt il fut traîné un peu à l'écart, dépouillé de ses vêtements et écartelé tout nu. Alors le bourreau se jeta sur lui et tout d'abord il lui coupa les parties naturelles, puis lui
ouvrit le ventre, enleva ses entrailles qu'il jeta dans un brasier allumé, tandis que le bienheureux ne cessait de prier. Enfin pendant qu'on lui enlevait le coeur, il conservait une douceur et
une patience surhumaines qui excitaient chez tous les témoins la plus grande admiration ; enfin sur le point de rendre le dernier soupir, il dit d'une voix très douce : "Très miséricordieux
Seigneur Jésus, prenez pitié de moi à cette heure". Et pendant que le bourreau lui arrachait le coeur, il lui dit, comme l'ont rapporté les ministres et d'autres personnes dignes de foi présentes
au supplice : "Ô bon Jésus, que veux-tu faire de mon coeur ?" Et le bourreau lui-même, qui voulait le montrer aux seigneurs conseillers, ne put le tenir dans ses mains tant les palpitations
en étaient fortes. C'est après ces supplices et ces dernières paroles qu'il rendit le dernier soupir ; immédiatement on lui coupa la tête et on divisa son corps en quatre.
Ainsi ce saint homme fidèle jusqu'à la mort alla au Seigneur le 4 mai 1535, vers la 48e année de son âge et la 5e de son priorat,
semblable au bon pasteur qui ne donne pas seulement sa vie pour ses brebis en leur prêchant d'exemple, mais encore en mourant pour la justice et la foi de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de notre
mère la sainte Église.
Ainsi mourut ce saint religieux. Le même jour et dans le même lieu périrent cruellement de la même manière les quatre saints
personnages dont nous avons déjà prononcé le nom ; à savoir les chartreux Robert Lawrence et Augustin Webster, le R. P. Réginald, Brigittain, et un prêtre séculier. Mais le P. Brigittain, homme
d'une doctrine et grande sainteté, debout sur le char et presque la corde au cou, sans peur, sans la moindre faiblesse, harangua éloquemment le peuple. Les membres de ces défunts furent mis en
pièces, jetés dans des chaudières et légèrement bouillis afin de les rendre plus horribles à voir, enfin suspendus dans divers endroits de la ville. On suspendit à la porte de notre Chartreuse de
Londres un bras de notre saint P. Jean Houghton. Il y resta suspendu jusqu'à notre expulsion.
Deux semaines après cette expulsion, comme deux des nôtres passaient par cette porte, le bras tomba par hasard. Ils regardèrent
cela comme un présage, l'emportèrent avec soi et le cachèrent. Malheureusement le lieu n'était pas tellement secret que, grâce à la négligence de certains, cela ne permît aux suppôts du diable de
le trouver plus tard, de le couper en morceaux et de les jeter on ne sait où. Les documents publics et les registres de Westminster et notre pieux Père J. Houghton lui-même témoignent que telle
fut la cause unique de leur supplice, car après que la sentence de mort fut portée contre eux, il écrivit lui-même de sa propre main dans son carnet toutes les questions et les réponses qu'ils y
avaient faites. Cette relation fut remise au P. Withelme Exméro, alors procureur de notre maison, par l'entremise d'un de ses geôliers qu'il avait converti pendant sa détention. Le procureur
lui-même me confia ensuite ce carnet. Plus tard, je l'ai remis à un noble Florentin, Pierre de Berdes, qui me promit de le faire tenir à notre Saint-Père le Pape avec un fragment de la chemise
dans laquelle notre bienheureux Père avait été supplicié.
Trois semaines durant, après la mort des saints dont nous avons raconté les détails et donné la raison, bon nombre d'hommes de
basse extraction allèrent trouver Thomas Cromwell et lui demandèrent l'autorisation de maltraiter les chartreux. Il ne pouvait y avoir de refus, au contraire ; ils vinrent donc en hâte jusqu'à
notre maison ; ils nous enlevèrent trois vénérables Pères qui en étaient restés comme les têtes : c'étaient le P. Humfroid Middlemore alors notre vicaire et précédemment notre procureur; puis
Guillaume Exmew, religieux aussi pieux qu'instruit, surtout dans les langues grecque et latine enfin le P. Sébastien Newdigate, d'une naissance illustre et qui avait été élevé à la cour avant son
entrée dans l'Ordre. Ils étaient tous les trois profès de la Chartreuse de Londres ; jeunes d'âge, il est vrai, mais d'une austérité et sainteté de vie peu communes. Ils furent enfermés, par ces
hommes sans entrailles, dans une prison fétide, la Marshalsey, et là, les fers au cou et aux jambes attachés à des colonnes, ils étaient forcés de se tenir constamment debout. C'est dans cette
position, dans ce cruel martyre, qu'ils restèrent deux semaines durant sans un moment de répit, pas même pour satisfaire à leurs besoins naturels. Au bout de ces quinze jours ils comparurent
devant les conseillers du roi, qui les interrogèrent l'un après l'autre sur le même article qui avait occasionné la mort de notre Père et de ses compagnons. Ils répondirent avec constance que
rien au monde ne les ferait transgresser les lois ou les coutumes de notre sainte mère l'Église. On les envoya à la Tour de Londres, où ils passèrent quelque temps.
Ensuite ils furent conduits au tribunal de Westminster, dont nous avons déjà parlé, et là on leur demanda de nouveau si, oui ou
non, ils voulaient obéir à l'édit royal. Mais ils refusèrent et ils donnèrent aux juges les raisons de leur refus ; ils invoquèrent devant eux des témoignages empruntés aux saintes Écritures qui
prouvaient péremptoirement que le roi n'avait, d'autorité divine, aucune primatie dans l'Église, puisque le seul Roi et Pontife Jésus-Christ avait délégué cette autorité à Pierre seul et à ses
successeurs les pontifes romains. Ils parlèrent ainsi avec intrépidité et, comme ils persistèrent dans ces sentiments, ils furent condamnés à la même peine que notre père Prieur et ses
compagnons. Elle fut exécutée avec beaucoup de cruauté ; c'est en la subissant qu'ils rendirent leurs âmes précieuses à Dieu, le 19 juin 1535.
Ils le glorifièrent ainsi dans leurs corps en les livrant avec générosité et patience à de si affreux supplices pour le Christ et
l'unité de son épouse notre sainte mère l'Église. — Je dis cela parce que bon nombre prétendent que notre bienheureux Père et les autres religieux que j'ai nommés avaient conspiré la mort du roi
et que, par conséquent, leur mort n'avait été qu'une vengeance légitime. Or cela est absolument faux ; car comme je l'ai déjà dit, non seulement l'accusation et les actes publics affirment le
contraire ; mais encore nous-mêmes, restes de ce couvent et qui vivons encore, nous le savons pertinemment, et même nos ennemis en sont juges. En effet, le sicaire lui-même Thomas Cromwell,
exécuteur de ces œuvres, a proclamé publiquement que leur mort n'avait point d'autre cause, et c'est celle qu'il nous a proposée dans les mêmes termes et sous la même forme toutes les fois qu'il
est venu nous voir et qu'il a essayé de nous arracher.
Après la mort de nos Pères, deux ans environ s'écoulèrent sans que nul de nous fût appréhendé ou incarcéré ; mais ce temps ne se
passa point sans de pénibles tribulations.
LES MARTYRS, TOME VII
Commemoration of Carthusian Martyrs, Chapel Court, Charterhouse
Images from the 475th Anniversary of the Martyrdom of St John Houghton, the
Prior of the London Charterhouse - 4 May 2010