Car paraître converti et ne l'être pas, c'est imposture et hypocrisie ; et ne le paraître pas, ou plutôt craindre de le paraître,
c'est faiblesse et respect humain. Il faut donc l'être et le paraître : Surrexit et apparuit.
BOURDALOUE
Traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter justificationem nostram.
Il a été livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. (Aux Romains, chap. IV, 25.)
C'est sur ce témoignage de saint Paul que s'est fondé saint Bernard quand il a dit que la résurrection du Fils de Dieu, qui est
proprement le mystère de sa gloire, avait été au même temps la consommation de sa charité envers les hommes. Il n'en faut point d'autre preuve que les paroles de mon texte, puisqu'elles nous font
connaître que c'est pour notre intérêt, pour notre salut, pour notre justification, que ce Sauveur adorable est entré en possession de sa vie glorieuse, et qu'il est ressuscité : Et
resurrexit propter justificationem nostram.
A en juger selon nos vues, on croirait d'abord que les choses devaient être au moins partagées ; et que Jésus-Christ ayant achevé sur
la croix l'ouvrage de notre rédemption, il ne devait plus penser qu'à sa propre grandeur, c'est-à-dire qu'étant mort pour nous, il devait ne ressusciter que pour lui-même. Mais non, Chrétiens,
son amour pour nous n'a pu consentir à ce partage. C'est un Dieu, dit saint Bernard, mais un Dieu sauveur, qui veut nous appartenir entièrement, et dont la gloire et la béatitude ont dû par
conséquent se rapporter à nous, aussi bien que ses humiliations et ses souffrances : Totus in usus nostros expensus. Tandis que ses humiliations nous ont été utiles et nécessaires, il
s'est humilié et anéanti ; tandis que pour nous racheter il a fallu qu'il souffrît, il s'est livré aux tourments et à la mort. Du moment que l'ordre de Dieu exige que son humanité soit glorifiée,
il veut que nous profitions de sa gloire même ; car s'il ressuscite, poursuit le même saint Bernard, c'est pour établir notre foi, pour affermir notre espérance, pour ranimer notre charité ;
c'est pour ressusciter lui-même en nous, et pour nous rendre capables de ressusciter spirituellement avec lui : en un mot, comme il est mort pour nos péchés, il ressuscite pour notre
justification : Et resurrexit propter justifcationem nostram.
Voilà le mystère que nous célébrons, et dont l'Eglise universelle fait aujourd'hui le sujet de sa joie : mystère auguste et
vénérable, sur lequel roule non seulement toute la religion chrétienne, parce qu'il est le fondement de notre foi, mais toute la piété chrétienne, parce qu'il doit être la règle de nos mœurs.
C'est ce que j'entreprends de vous montrer, après que nous aurons imploré le secours de la Mère de Dieu, et que nous l'aurons félicitée de la résurrection de son Fils. Regina
cœli.
Pour entrer d'abord dans mon sujet, je présuppose ici, Chrétiens, ce que la foi nous enseigne, et ce que nous devons regarder comme
un point essentiel de notre religion ; savoir, que Jésus-Christ en mourant nous a parfaitement justifiés, et que, pour nous remettre en grâce avec Dieu, rien n'a manqué au mérite de sa mort.
Mais, outre ce mérite, il nous fallait, dit saint Chrysostome, un exemplaire et un modèle sur qui nous puissions nous former et que nous eussions sans cesse devant les yeux, pour travailler
nous-mêmes à l'accomplissement de ce grand ouvrage de notre justification, ou, si vous voulez, de notre conversion, à laquelle, selon l'ordre de Dieu, nous devons coopérer ; et c'est à quoi le
Sauveur du monde a divinement pourvu par sa résurrection glorieuse.
Vous le savez, Chrétiens, et vous ne pouvez l'ignorer, puisque c'est un article de la foi même que vous professez : le péché du
premier homme fut une présomption téméraire qui le porta jusqu'à s'élever au-dessus de lui-même , jusqu'à vouloir se mesurer avec Dieu, être éclairé comme Dieu, ressembler à Dieu : Eritis
sicut dii (Genes., III,). Mais vous savez aussi la sage conduite que Dieu a tenue à l'égard de l'homme, lorsque, par un secret bien surprenant de sa providence, il lui a ordonné pour remède
ce qui semblait avoir été la cause de son mal, et qu'il l'a obligé à se sanctifier par ce qui l'avait rendu criminel : je veux dire, lorsque ce Dieu de gloire, s'incarnant et s'humanisant, s'est
mis lui-même dans des états où non seulement il est permis à l'homme de vouloir ressembler à son Dieu, mais eu son plus grand désordre est de ne le vouloir pas, et en effet de ne lui ressembler
pas. Or, quel état surtout l'Ecriture nous marque-t-elle où le Fils de Dieu ait prétendu que nous dussions lui être semblables, et où ce ne fût plus un crime, mais un mérite et un devoir de nous
conformer à lui ? l'état de sa Résurrection.
Car c'est pour cela, dit expressément le grand Apôtre, qu'il est ressuscité d'entre les morts, afin que, sanctifiés par son exemple,
nous prenions une nouvelle vie : Ut quomodo Christus surrexit a murtuis ; ita et nos in novitate vitœ ambulemus (Rom., VI, 4.). Au reste, mes Frères, ajoute saint Chrysostome, ces
paroles ne sont pas une simple instruction de l'Apôtre, mais un oracle du Saint-Esprit, qui nous relève et qui nous fait comprendre le dessein de Dieu : d'où il s'ensuit que non seulement la
résurrection du Sauveur a eu d'elle-même toutes les qualités requises pour nous servir de modèle dans notre conversion, mais que Dieu a prétendu nous la proposer comme un modèle, et que c'est
particulièrement dans cette vue qu'il a voulu que Jésus-Christ ressuscitât : Ut quomodo Christus surrexit, ita et nos ambulemus.
Ce qui faisait dire à Tertullien que les pécheurs convertis et réconciliés par la grâce sont des abrégés et comme des copies de la
résurrection de Jésus-Christ : Appendices resurrectionis. Car c'est ainsi qu'il les appelait : pourquoi ? parce que tout pécheur qui se convertit et qui change de vie doit exprimer en
soi-même par une parfaite imitation les caractères et les traits qui conviennent à l'humilité de Jésus-Christ dans l'état de sa résurrection. Voici donc quels ont été ces caractères, et, par la
comparaison que nous en allons faire, reconnaissons aujourd'hui ce que nous devons être devant Dieu : Surrexit Dominus vere, et apparuit Simoni (Luc, XXIV, 34.) : Le Seigneur est
vraiment ressuscité, disaient deux disciples du Sauveur parlant de leur Maître, et il s'est fait voir à Pierre. Voilà les deux règles que nous devons suivre, et en quoi consiste cette conformité
qu'il doit y avoir entre Jésus-Christ et nous. Il est vraiment ressuscité, pour nous donner l'idée d'une conversion véritable ; et il a paru ressuscité, pour nous donner l'idée d'une conversion
exemplaire. Il est vraiment ressuscité, afin que nous nous convertissions véritablement et solidement, c'est la première partie : et il a paru ressuscité, afin que, si nous sommes convertis, nous
le paraissions, pour la gloire de notre Dieu, librement et généreusement, c'est la seconde partie.
L'un sans l'autre, dit saint Augustin, est défectueux ; car paraître converti et ne l'être pas, c'est imposture et hypocrisie ; et ne
le paraître pas, ou plutôt craindre de le paraître, c'est faiblesse et respect humain. Il faut donc l'être et le paraître : Surrexit et apparuit. L'être en esprit et en vérité, par une
conversion de mœurs qui se soutienne devant Dieu : Surrexit vere. Le paraître avec une sainte liberté, en sorte que cette conversion soit encore, selon l'Evangile, comme une lumière qui
luise devant les hommes : Et apparuit Simoni. Serai-je assez heureux, Chrétiens, pour vous bien persuader ces deux importantes obligations ? elles feront tout le partage de ce discours :
commençons.
BOURDALOUE
SERMON POUR LA FÊTE DE PÂQUES SUR LA
RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST
Résurrection,
Dieric Bouts le Vieux