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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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SALVE REGINA

15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 12:30

Judas s'est perdu aux côtés de Jésus-Christ, et au milieu des apôtres ; il n'y a donc plus d'état dans le monde qui soit assuré, il n'y a donc plus de lieu où l'on soit à couvert du péril ; on peut donc se damner jusque dans les plus saintes professions.

BOURDALOUE

 

 

Il n'est pas surprenant que l'attentat commis contre la personne de Jésus-Christ ait été la cause de la réprobation de Judas : car, selon que saint Chrysostome l'a très judicieusement remarqué, un homme perdu, un homme réprouvé de Dieu, est quelque chose de bien moins qu'un Dieu trahi et un Dieu vendu. Mais ce qu'il y a de plus étrange et de plus effrayant pour nous, c'est qu'un apôtre de Jésus-Christ se soit porté jusqu'à cette perfidie, et que, par une telle perfidie, il soit tombé dans l'affreux état d'une damnation éternelle. Voilà ce que nous pouvons regarder comme un abîme des jugements de Dieu. Ces deux termes d'apôtre et de réprouvé joints ensemble, et néanmoins si opposés, sont capables de jeter la terreur dans tous les esprits. Car qu'est-ce qu'un apôtre ? Un élu de Dieu, un ministre de Jésus-Christ, un dépositaire de ses secrets, un dispensateur de ses mystères, un prédicateur de son Evangile, un prince de son Eglise, un pasteur de son troupeau, un homme rempli des plus riches dons de la grâce. Et qu'est-ce qu'un réprouvé ? L'abomination de Dieu, l'objet de la colère et de la vengeance de Dieu, une victime de l'enfer, un vase d'ignominie, selon l'expression de saint Paul, un homme frappé de la malédiction du ciel, et livré à sa plus rigoureuse justice. Or qui peut voir sans effroi tout cela réuni dans un même sujet ? La réprobation d'un homme, quel qu'il soit et en quelque état que je me le figure, est sans doute bien terrible ; celle d'un juste qui, de l'état de grâce où il était élevé, tombe dans l'état de perdition, est encore beaucoup plus affreuse : que sera-ce de la réprobation d'un disciple du Sauveur, qui de l'éminence du trône apostolique, si je puis parler de la sorte, est précipité dans un feu qui ne s'éteindra jamais, et condamné à un opprobre que rien jamais ne pourra effacer !

 

C'est là toutefois, mes Frères, que s'est terminée la trahison de Judas. Elle en a fait d'abord un apostat ; son apostasie l'a conduit au désespoir ; son désespoir lui a inspiré la pensée d'attenter lui-même à sa propre vie ; et cette mort pleine d'horreur, en mettant le comble à son crime, a mis le comble à la damnation de son âme, et doit être suivie d'une éternité de supplices. Encore une fois, n'est-ce pas là qu'il faut s'écrier avec le maître des Gentils : O altitudo (Rom., XI, 33.) ! Ô profondeur impénétrable ! et jamais cette parole fut-elle mieux appliquée et vérifiée plus à la lettre ? car une profondeur suppose une élévation : or, que concevons-nous, dans l'ordre du salut et de la grâce, de plus relevé que l'apostolat ? et par conséquent, que pouvons-nous concevoir de plus profond et de plus bas que la chute et la réprobation d'un apôtre ? O altitudo ! Ô profondeur ! mais de quoi ? non pas des richesses de la miséricorde et de la bonté de Dieu, mais des trésors de la justice et de la colère de Dieu : O altiludo divitiarum ! Car Dieu a des trésors de colère comme des trésors de bonté, et les uns et les autres sont également des trésors de sagesse et de science, Sapientiœ et scientiœ Dei, parce que Dieu n'est pas moins sage ni moins éclairé en réprouvant, qu'il l'est en prédestinant. Il a voulu nous découvrir ses trésors de colère dans la personne de Judas, pour nous apprendre à les craindre et à nous en garantir. Voyons donc encore plus en détail les circonstances de la réprobation de ce malheureux.

 

Après avoir traité avec les princes des prêtres, il renonce à Jésus-Christ et à sa compagnie ; d'où vient qu'il est appelé par saint Ambroise le chef des apostats, Apostalarum caput, et que, selon le cardinal Pierre Damien, tout ce qu'il y a de chrétiens qui perdent la foi et qui apostasient, sont comme les descendants et la postérité de Judas : Judœ execranda progenies.

 

Et ne fallait-il pas en effet qu'il portât dès lors le caractère des réprouvés, puisqu'au moment qu'il communia de la main du Fils de Dieu, il fut possédé du démon, qui entra dans lui ? et c'est ce que saint Jean nous déclare expressément : Et post buccellam introivit in eum Satanas (Joan., XIII, 27). Or qu'était-ce, mes Frères, demande saint Cyrille d'Alexandrie, qu'un homme qui venait tout à la fois de recevoir dans son cœur Satan et Jésus-Christ ? Satan, pour l'y faire régner ; et Jésus-Christ, pour l'y faire mourir ; Satan, à qui il donnait dans lui-même un empire absolu ; et Jésus-Christ, qu'il y crucifiait : Satan, qu'il exaltait au-dessus de Jésus-Christ ; et Jésus-Christ, qu'il lui présentait comme une victime et qu'il lui sacrifiait! N'était-ce pas là le sceau de la réprobation ? n'en était-ce pas le dernier terme ?

 

Mais cette réprobation, après tout, ne fut pas l'effet nécessaire ni du sacrilège de Judas, ni de son apostasie, ni de sa trahison. Car, après avoir abandonné Jésus-Christ, après avoir trahi Jésus-Christ, après l'avoir livré au pouvoir des Pharisiens, il y avait une ressource pour lui dans la miséricorde de Dieu ; et s'il eût bien ménagé les grâces qui lui restaient, il pouvait encore rentrer dans la voie de la justification, et par là même dans la voie du ciel. Que ne fit point le Fils de Dieu pour l'y rappeler ? Comment lui parla ce Dieu Sauveur, et quels retours ne lui donna-t-il pas occasion de faire sur lui-même ? Mais le cœur de cet apostat et de ce traître s'était fermé pour jamais aux grâces divines ; et de là son désespoir. Non pas qu'il ne reconnaisse son crime : au contraire, c'est parce qu'il le reconnaît, parce qu'il le déteste, mais par une fausse pénitence, qu'il se désespère. Il le reconnaît, mais il ne le reconnaît qu'à demi. Il le reconnaît comme une production de sa malice, mais il ne le reconnaît pas comme un sujet capable encore d'exciter la bonté de Dieu. Le voilà touché de repentir : Pœnitentia ductus (Matth., XXVII, 3.) ; mais repentir, disent les Pères, qui outrage Dieu, bien loin de l'apaiser ; pourquoi ? parce qu'il procède d'un faux jugement, que Dieu est moins miséricordieux qu'il n'est juste ; et parce que ce jugement, faux et erroné, au lieu d'attendrir le pécheur pour Dieu, et de le toucher d'un saint amour, ne lui inspire que de l'aversion et de la haine.

 

L'eussiez-vous jamais cru, mes chers auditeurs, que le démon, qui est l'auteur du péché, pût être l'auteur de la pénitence, et que la pénitence, qui doit réconcilier l'homme avec Dieu, ne dût servir qu'à l'en éloigner ? Voilà néanmoins le mystère qui s'est accompli dans Judas. Sa pénitence a été l'ouvrage du démon : c'est le démon qui la lui a suggérée, le démon qui lui en a donné les règles, le démon qui la lui a fait exécuter. Car tout y a été de son esprit. Ce fut une pénitence sincère, puisque Judas se repentit véritablement de son péché ; ce fut une pénitence vive et affectueuse, puisqu'il conçut une sensible douleur de son péché ; ce fut même une pénitence beaucoup plus efficace que ne le sont communément les nôtres, puisqu'il alla trouver les princes des prêtres, qu'il leur témoigna l'innocence de Jésus-Christ, et qu'il leur rendit l'injuste salaire qu'il avait reçu : Pœnitentia ductus, retulit triginta argenteos (Matth., XXVII, 3.) ; mais avec toutes ces qualités, ce fut une pénitence de démon : comment cela ? parce qu'elle ne fut pas animée de l'espérance chrétienne. Il y a près de six mille ans que tous les démons, dans l'enfer, font une pareille pénitence : ils reconnaissent toujours leur péché, et le reconnaîtront toujours; mais sans nul amour pour Dieu, ni nul sentiment de confiance en Dieu. Le grand artifice de l'esprit de ténèbres est de nous inspirer cette pénitence défectueuse, et de nous porter à faire par volonté ce qu'il fait par une sorte de nécessité.

 

Ainsi Judas proteste qu'il est pécheur, il s'en déclare publiquement : J'ai péché, dit-il, j'ai vendu le sang du juste : Peccavi, tradens sanguinem justum (Ibid.). Mais ce n'est point assez, répond saint Bernard, de confesser que tu es pécheur ; il faut confesser que Dieu est bon, et joindre cette confession de la miséricorde de ton Dieu à la confession de ton crime, parce que c'est dans ces deux confessions que consiste le retour à la grâce. Judas fait l'un, mais il laisse l'autre ; et de là il se repent, mais il ne se convertit pas. Il jette dans le temple les trente deniers dont a on payé sa trahison ; mais il n'a pas recours au trésor inépuisable de l'infinie bonté de Dieu qu'il a trahi ; il jette le prix pour lequel il a vendu son Maître, et il ne connaît pas le prix dont son Maître l'a racheté : Pretium reddit quo vendiderat Dominum, non agnoscit pretium quo redemptus est a Domino (ces paroles sont de saint Augustin). Enfin, confus et interdit, n'espérant rien de la part de Dieu, il se tourne contre soi-même, et, dans l'horreur qu'il conçoit de lui-même, il devient lui-même son propre bourreau. Les pharisiens et les scribes l'avaient renvoyé, et lui avaient dit en le renvoyant qu'ils ne se mêlaient point de ce qui le regardait et qu'ils n'y prenaient aucun intérêt : Que nous importe ? c'est à vous de voir ce que vous avez à faire : Quid ad nos ? tu videris (Matth., XXVII, 4.). Il y pourvoit en effet, mais de la manière que lui dicte son aveugle fureur. Il se croit indigne de vivre, il se condamne à la mort : mais à quelle mort ? à la plus infâme. De la même main dont il a reçu le prix du sang : Pretium sanguinis (Ibid. 6.), il forme le nœud qui doit finir le cours de ses années et lui ravir le jour. Il meurt, et, expirant par un nouveau crime, il laisse sa mémoire en exécration à tous les siècles : Et suspensus crepuit medius (Act., I, 18.).

 

Tel fut le sort de cet apôtre, déchu de son apostolat et dépouillé de toutes les grâces qui y étaient attachées. Or là-dessus, mes Frères, que de réflexions à faire, que de conclusions à tirer, que de résolutions à prendre ? Appliquons-nous bien à cet exemple, pour le considérer et l'étudier. C'est l'exemple d'un réprouvé ; mais l'exemple d'un réprouvé peut être pour nous une leçon aussi salutaire que les exemples des saints ; et la vue des damnés peut nous servir à connaître les voies de notre prédestination. Judas s'est perdu aux côtés de Jésus-Christ, et au milieu des apôtres ; il n'y a donc plus d'état dans le monde qui soit assuré, il n'y a donc plus de lieu où l'on soit à couvert du péril ; on peut donc se damner jusque dans les plus saintes professions ; on ne peut donc plus compter sur rien. Et en effet, sur quoi compterais-je ? est-ce sur les grâces de Dieu ? Judas en a eu de plus abondantes que moi. Est-ce sur l'usage des sacrements ? Judas a vécu et conversé avec l'auteur même des sacrements ; il a mangé à la table de Jésus-Christ, et il y a eu la même part que les autres disciples. Est-ce sur ma pénitence ? Judas en a fait une infructueuse, et puis-je me promettre que la mienne aura plus de mérite et plus de pouvoir auprès de Dieu ? Sur quoi donc, encore une fois, ferai-je fond ? Ah ! Seigneur, mon plus solide appui sera la crainte de vos jugements ; car voilà par où vous voulez que le juste se soutienne aussi bien que le pécheur, et c'est en cela que votre grâce est admirable, d'avoir fait de la crainte, dont le propre est d'ébranler, l'affermissement de toutes les vertus. Il n'appartenait qu'à vous, ô mon Dieu, de lui donner une qualité si rare et si excellente. Dans l'ordre naturel, la crainte affaiblit ; mais dans l'ordre du salut, elle fortifie : et c'est par cette raison, remarque saint Ambroise, que le Fils de Dieu a souffert Judas, et qu'il l’a admis au nombre de, ses disciples. Car ce choix n'a pas été sans un dessein particulier de sa Providence : Eligitur Judas, non per imprudentiam, sed per providentiam. Dieu a voulu que sa chute nous fût une preuve sensible de cette grande vérité, que nous devons opérer notre salut avec tremblement : Cum metu et tremore (Philip., II, 12.). Le premier ange nous avait déjà servi sur cela d'exemple, en se pervertissant dans le ciel ; mais son exemple, dit saint Bernard, n'était pas assez sensible pour nous. Le premier homme nous en avait donné un témoignage plus touchant en se perdant lui-même, et toute sa postérité avec lui, dans le paradis terrestre ; mais c'était un témoignage trop éloigné de nous : il en fallait un qui nous fût plus présent, et qui nous fit voir que dans le christianisme même où la grâce abonde, et dans les sociétés du christianisme les plus régulières et les plus parfaites, il y a toujours des dangers et des écueils à éviter. Or c'est de quoi nous avons la plus évidente conviction dans la personne de Judas ; et si nous présumons encore des miséricordes de notre Dieu, si nous oublions ses jugements redoutables, pour nous entretenir dans une vaine confiance, si nous négligeons l'affaire du salut, et que nous nous en reposions sur la providence du Seigneur, qui ne manque point aux hommes en cette vie, n'est-ce pas un aveuglement criminel, et une témérité sans excuse ?

 

Mais devons-nous tellement craindre, que nous bannissions de notre cœur toute espérance ? A Dieu ne plaise, Chrétiens ! Craignons, mais d'une crainte filiale : or cette crainte des enfants, bien loin d'exclure l'espérance, la demande au contraire, et la suppose comme une compagne inséparable. Judas a désespéré, et c'est son désespoir qui a consommé sa condamnation ; d'où il s'ensuit qu'il n'y a donc point de désordre, point d'habitude si invétérée, où il soit permis de se défier de la bonté divine, et de n'en plus attendre de grâce. Quand je serais aussi coupable et même plus coupable que Judas, tant que je suis sur la terre, je suis toujours dans la voie ; et tant que je suis dans la voie, Dieu veut que je le regarde comme ma fin, et que j'y aspire. Mais comment pourrais-je aspirer à ce que je n'espère plus ? David était devenu adultère ; David à son adultère avait ajouté l'homicide ; David avait scandalisé tout son peuple ; David avait abusé de tous les dons de Dieu : mais entra-t-il pour cela dans le moindre sentiment de désespoir ? Que dis-je ? plus il se reconnut criminel, plus il ranima son espérance, plus il la redoubla. Avant son péché, il appelait Dieu son Seigneur, son souverain, son roi ; mais depuis son péché, il usa d'un nom plus engageant et plus tendre, et commença de l'appeler sa miséricorde : Deus meus, misericordia mea (Psal., LVIII, 11.). Car, selon la pensée de saint Augustin, étant pécheur devant Dieu, il ne trouva point de tenue plus propre pour exprimer ce que Dieu lui était et lui voulait être : Non invenit quid appellaret Dominum, nisi misericordiam suam. D'où ce saint docteur conclut en s'écriant : O nomen sub quo nemini desperandum ! Ô le grand nom, mes Frères ! nom qui condamne toutes les défiances des hommes, et qui nous apprend que personne, qui que nous soyons, ne peut, sans faire outrage à Dieu, se croire hors d'état de retourner à lui, et d'en obtenir une pleine rémission.

 

Pécheurs qui m'écoutez, comprenez ce que je dis, et ne l'oubliez jamais : ce qui a damné Judas, ce n'est point proprement la trahison qu'il avait commise, mais le désespoir où il s'abandonna après sa trahison ; car sans ce désespoir, tout traître qu'il était, il pouvait néanmoins encore se sauver. S'il eût espéré, sa trahison eût pu servir à sa justification, en servant à exciter sa pénitence et sa contrition. Son malheur est de s'être persuadé qu'il n'y avait plus de pardon pour lui ; et voilà ce qui perd tous les jours les grands pécheurs du monde.

 

Les pécheurs ordinaires se perdent par un excès de confiance, mais les libertins et les impies déclarés se perdent par un défaut de confiance. Les uns périssent parce qu'ils espèrent trop, et les autres parce qu'ils n'espèrent point du tout. Car voici la plus dangereuse illusion de l'esprit séducteur, qui ne cherche qu'à nous attirer dans le précipice par quelque voie que ce puisse être. Avant le péché, il nous donne de la confiance, et il nous l'ôte après le péché ; c'est-à-dire qu'il nous donne de la confiance quand elle nous peut être préjudiciable, et qu'il nous l'ôte quand elle nous est salutaire et nécessaire. De même, avant le péché, il nous ôte la crainte des jugements de Dieu ; mais il nous la rend après le péché, et nous la rend au double. De sorte, si je puis le dire, qu'il nous fait comme une espèce de restitution, en nous rendant après le péché ce qu'il nous avait ôté avant le péché. Mais, je me trompe : il ne nous rend point ce qu'il nous ôte, et il ne nous ôte point ce qu'il nous donne ; car il nous rend après le péché une fausse crainte, au lieu de la crainte véritable et religieuse qu'il nous a ôtée avant le péché, et ne nous ayant donné qu'une confiance présomptueuse avant le péché, il nous ôte après le péché la vraie confiance qui pourrait nous retirer de notre égarement, et nous ramener à Dieu.

 

Ah ! pécheurs, encore une fois, qu'il est important que vous conceviez bien ceci, et que vous y fassiez une sérieuse attention ! Si vous saviez espérer en Dieu, tout pécheurs que vous êtes, j'oserais vous répondre de votre salut ; car si vous saviez espérer, vous espéreriez chrétiennement; c'est-à-dire que, malgré la multitude et la gravité de vos offenses, vous espéreriez assez pour vous toucher, assez pour vous inspirer un saint désir de rentrer en grâce avec Dieu, assez pour vous en faire prendre la résolution et l'unique moyen, qui est la pénitence ; assez pour vous soutenir, pour vous consoler, pour vous encourager dans votre retour ; mais non point assez pour vous endurcir dans vos désordres, et pour vous confirmer dans vos habitudes vicieuses : c'est-à-dire que, ne perdant jamais l'idée de la miséricorde divine, et qu'au milieu des dérèglements de votre vie, rappelant le souvenir de cette bonté souveraine qui s'intéresse encore pour vous, qui vous ouvre son sein, qui vous tend les bras, qui vous invite, et qui vous promet une prompte et entière abolition dès que vous voudrez revenir, et que vous le voudrez bien, vous vous sentiriez émus jusque dans le fond de l'âme, pénétrés, attendris, piqués de reconnaissance envers le meilleur de tous les maîtres, confus de vos ingratitudes et indignés contre vous-mêmes, déterminés à tout, pour profiter de la grâce qui vous est offerte, et pour achever l'ouvrage de votre conversion.

 

Plaise au ciel que ce soit là le fruit des saintes vérités que je viens de vous annoncer ! plaise au ciel que tout ce qu'il y a de pécheurs dans cet auditoire, prosternés devant Dieu et humiliés au pied de cet autel, commencent dès aujourd'hui à mettre en œuvre cette espérance si avantageuse et si efficace que je leur prêche ! Allons, mes Frères, et ne différons plus ; le Seigneur nous attend, et il est prêt à nous recevoir. Nous sommes chargés de crimes, et c'est justement ce que nous devons d'abord confesser en sa présence : Peccavi, tradens sanguinem justum ; Oui, Seigneur, j'ai péché, et le perfide qui vous a vendu a-t-il plus péché que moi ? J'ai déshonoré votre nom, j'ai violé votre loi, j'ai abusé de vos grâces, j'ai négligé vos sacrements, et combien de fois peut-être les ai-je profanés ? J'ai sacrifié mon âme à mes passions, cette âme que vous aviez rachetée de votre sang : Tradens sanguinem justum. Je ne viens donc point m'excuser, mon Dieu ; je viens plutôt m'accuser comme Judas ; mais du reste dans un autre sentiment que Judas. Peccavi : J'ai, péché contre vous, mais je ne cesserai point pour cela d'espérer en vous. J'ai péché; mais comme votre miséricorde est au-dessus de vos jugements, elle est au-dessus de tous mes péchés, et au-dessus de tous les péchés du monde. J'ai péché ; mais plus j'ai péché, plus ma douleur augmente ; et plus mon repentir est vif, plus vous êtes disposé à me pardonner.

 

Dans cette confiance je vous réclamerai, et vous m'écouterez ; je vous adresserai mes vœux, et vous les agréerez ; je travaillerai à vous satisfaire, je vous vengerai de moi-même, et vous me préserverez de vos vengeances pour me recevoir parmi vos élus, et me faire part de votre gloire.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA TRAHISON DE JUDAS

 

Le baiser de Judas, Holbein le Jeune

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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 12:30

... mais, Chrétiens, n'y a-t-il eu qu'un Judas où la passion ait produit de si damnables effets ? et combien voyons-nous encore dans le christianisme d'hommes passionnés vendre Jésus-Christ, le trahir, le sacrifier à leurs aveugles convoitises ?

BOURDALOUE

 

 

Adhuc eo loquente, unus de duodecim venit, et cum eo turba multa, missi a principibus sacerdotum. Qui autem tradiderat enm, dedit illis signum, dicens : Quemcumque osculatus fuero, ipse est, tenete eum.

Le Sauveur du monde n'avait pas encore achevé de parler, que Judas, l'un des douze apôtres, arriva, et avec lui une troupe d'hommes armés, qui étaient envoyés par les princes des prêtres. Or, le disciple qui le trahissait leur avait donné ce signal, et leur avait dit : Celui que je baiserai, est celui que vous cherchez ; saisissez-le. (Saint Matthieu, chap. XXVI, 47, 48.)

 

Que puis-je, Chrétiens, ajouter à ces paroles ? et pour vous faire concevoir une juste horreur de la trahison de Judas, quelle autre image vous en tracerais-je, et en quels caractères plus marqués pourrais-je vous la représenter ? C'est un disciple de Jésus-Christ, et c'est même un des disciples favoris, puisque c'est un des douze apôtres : Unus de duodecim. Il paraît à la tête d'une troupe armée : contre qui ? contre son Maître ; et envoyé par qui ? par les ennemis de son Maître : Et cum eo turba multa, missi a principibus sacerdotum. C'est lui-même qui le trahit, cet adorable Maître, et lui-même qui l'a vendu : Qui autem tradiderat eum. Enfin le signal qu'il leur donne pour le connaître et pour le prendre, c'est un baiser : Quemcumque osculatus fuero, ipse est, tenete eum. Voilà sans doute, entre les souffrances de Jésus-Christ dans sa passion, ce qui lui dut être le plus sensible ; et c'est de quoi je viens aujourd'hui vous entretenir. Je ne prétends point m'arrêter à une longue et inutile déclamation contre l'attentai de cette âme lâche et sans foi. Une simple vue en découvre d'abord toute l'énormité. Mais, afin d'en tirer des leçons qui nous soient profitables, nous devons considérer dans le crime de Judas surtout deux choses, savoir, ce qui en a été le principe, et ce qui en a été le comble. Or le principe de son crime, ce fut une passion mal réglée, vous le verrez dans la première partie ; et le comble de son crime, ce fut un aveugle désespoir. Je vous le montrerai dans la seconde partie. De là nous apprendrons en premier lieu de quelle conséquence il est de ne souffrir dans notre cœur nulle passion qui le puisse corrompre ; et en second lieu, qu'à quelques excès néanmoins que la passion nous ait conduits, il n’y a jamais sujet de perdre espérance, et de se croire absolument abandonné de Dieu. Deux points que je vous prie de bien remarquer et qui vont partager cet entretien.

 

Rien de plus dangereux, Chrétiens, ni rien qui traîne après soi de plus funestes conséquences, qu'aune passion mal gouvernée, et à qui peu à peu nous laissons prendre l'ascendant sur nous. C’est un serpent qui se nourrit dans notre sein, mais qui n'en sort ensuite qu'en le déchirant, c’est une étincelle de feu qui s’entretient sous la cendre, mais qui peut causer un incendie général. C'est ce lion domestique et familier dont parle l'Ecriture, qui, venant à croître, porte la désolation partout, et dévore tout ce qu'il rencontre. Vérité dont le perfide Judas sera dans tous les âges un exemple déplorable. Il a trahi le Sauveur du monde, en le livrant à ses ennemis : voila de tous les crimes le plus abominable. Mais quel en a été le principe ? Si l'évangéliste ne nous l’avait marqué en termes exprès, nous ne pourrions nous le persuader, et nous aurions formé sur cela mille conjectures, sans jamais découvrir la cause d'une si détestable entreprise. Car en voyant un disciple se tourner contre son Maître, et travailler à le perdre, nous aurions cru qu'il l'était déterminé à cet attentat par quelqu'un de ces violents transports qui aveuglent l'esprit et troublent les sens ; par un emportement de colère, par une ardeur de vengeance, dans le ressentiment vif et tout récent d'une offense reçue. Supposé même toute l'énormité du fait, du moins aurions-nous jugé qu'il y eût quelque chose en cela de plus qu'humain, et que Judas, en s'abandonnant à cette perfidie, était possédé du démon qui agissait en lui, et dont il n'était que l'instrument et le ministre. Mais non, Chrétiens, ce n'a rien été de tout cela. Judas a trahi le Fils de Dieu sans emportement, sans ressentiment, sans vengeance, sans haine et sans aversion de sa personne. Car quel sujet en eût-il pu avoir ? Pendant les trois années de son apostolat, de quelles grâces ne l'avait pas comblé ce Dieu Sauveur, et qu'était-il arrivé qui dût l'aigrir contre lui, et l'engager à une si noire trahison ? Comment donc oublia-t-il tant de bienfaits, et sacrifia-t-il si indignement son bienfaiteur ? Encore une fois, mes Frères, l'eussiez-vous jamais pensé, si le Saint-Esprit ne vous l'avait pas fait entendre ? Une avare convoitise, l'esprit d'intérêt, la passion d'avoir, voilà ce qui corrompit le cœur de ce traître, et ce qui le précipita dans le plus profond abîme de l'iniquité. Reprenons la chose d'un peu plus haut ; et expliquons-nous.

 

Il avait été présent lorsque Marie-Madeleine vint répandre sur les pieds de Jésus-Christ un parfum de très grand prix. Il en avait conçu de la peine, et s'en était hautement déclaré. Son avarice lui avait fait traiter de profusion et condamner une action si sainte : Ut quid perditio hœc (Matth., XXVI, 8.) ? Pour justifier son sentiment, il l'avait coloré d'une apparence de piété et de charité : Hé quoi ! ne pouvait-on pas vendre cette liqueur ? on en eût retiré une somme considérable, et cette somme eût servi au soulagement des pauvres : Potuit enim istud venunrandi multo, et dari pauperibus (Ibid. 9.). Rien de plus spécieux que ce prétexte ; mais ce n'était qu'un prétexte ; et si vous voulez savoir la vraie raison qui le touchait, le texte sacré va vous rapprendre. Car, dit saint Jean, il n'avait guère en vue les misères des pauvres ; et, en parlant d'eux, ce n'était pas pour eux qu'il parlait. Mais il amassait et il thésaurisait ; mais ayant soin de recueillir les aumônes faites à Jésus-Christ, il les gardait et se les appropriait : Non quia de egenis pertinebat ad eum, sed quia fur erat et loculos habens (Joan., XII, 6.) De là que fait-il ? et quelle résolution, et quelle affreuse extrémité ! Judas se voit frustré de son espérance ; ce gain qui lui fût revenu de ce baume précieux qu'avait apporté Madeleine, ce gain sordide qu'il se proposait, lui échappe des mains. Il veut s'en dédommager ; et parce qu'il en trouve l'occasion prompte et commode, en vendant son Maître même , ce parricide ne l'étonne point. Il en a bientôt formé le dessein, il se met bientôt en état de l'exécuter : le voilà dans le conseil des princes des prêtres ; du sacré collège des apôtres qu'il a quitté, le voilà dans la synagogue des Pharisiens, avec qui il vient délibérer et négocier. Que me donnerez-vous, et je vous réponds de ce Jésus que vous cherchez : je vous l'amènerai : Quid vultis mihi dare, et ego eum vobis tradam (Matth., XXVI, 15.). Ah ! disciple ingrat, que promettez-vous ? que dites-vous ? ou plutôt, mes chers auditeurs, que dis-je moi-même ? et comment pourrais-je fléchir un cœur que la cupidité domine ? Cette âme intéressée n'écoute que ce qui la peut satisfaire. On convient de part et d'autre : trente deniers sont offerts et sont acceptés : tout est conclu. Judas prend des mesures ; il agit, il livre Jésus, et ne s'estime pas moins heureux de pouvoir, aux dépens de cet adorable Sauveur, contenter l'insatiable désir qui le dévore, que les Pharisiens de pouvoir, à si peu de frais, contenter leur animosité et leur envie.

 

Voilà, Chrétiens, tout le fond de son crime, en voilà l'origine. C'a été un déicide, parce que c'était un voleur : Fur erat ; et c'était un voleur, parce qu'il était avare. De son avarice sont venus tous ses larcins, et ses larcins ont enfin abouti jusqu'à mettre la vie et le sang d'un Dieu au prix des esclaves : car le prix des esclaves était de trente deniers. Faut-il s'étonner qu'étant avare, il soit devenu traître ? Non, certes, puisqu'il est comme essentiel à l'avare de n'avoir point de foi. Faut-il s'étonner qu'étant avare, il ait violé lâchement tous les devoirs de la reconnaissance et de l'amitié ? Il n'y a rien en cela que de très naturel, puisque l'amitié et l'avarice sont incompatibles : car le caractère de l'une est de se communiquer et de vouloir du bien à autrui ; au lieu que le caractère de l'autre est de se renfermer toute dans elle-même, et de ne vouloir que son propre bien. Faut-il s'étonner qu'étant avare, il ait renoncé son Maître ? Je n'en suis point surpris, répond saint Chrysostome, puisque, selon l'oracle de la vérité éternelle, on ne peut servir deux maîtres, et que tout avare est asservi à son avarice. Faut-il même s'étonner qu'étant avare, il ait vendu jusqu'à son Dieu ? Je n'ai pas non plus de peine à le comprendre, poursuit saint Chrysostome, puisque l'avare ne veut point d'autre Dieu que son avarice, ou que son argent. Or il n'est pas difficile de concevoir qu'on vende le Dieu véritable pour un Dieu prétendu, quand ce Dieu prétendu est le seul qu'on reconnaît, et à qui l'on est dévoué. Tout cela, Chrétiens, ce sont des réflexions solides ; mais sans nous arrêter à ce point particulier, ni davantage insister sur la passion de l'intérêt, concluons de l'exemple de Judas trois choses qui regardent toute passion en général ; et apprenons, premièrement, combien il est pernicieux de fomenter une passion dans notre cœur, et de s'y assujettir, puisqu'elle peut nous conduire aux plus grands désordres ; secondement, de quelle importance il est de l'attaquer de bonne heure et de l'étouffer dès sa naissance, puisque lorsqu'elle s'est une fois établie et fortifiée, il faut une espèce de miracle pour la détruire et la surmonter ; en troisième lieu, combien il est nécessaire de n'en épargner aucune, quelle qu'elle soit, et de les réprimer toutes, puisqu'une seule suffit pour nous pervertir et pour nous perdre. Trois maximes d'une conséquence extrême dans le règlement de notre vie. Plaise au ciel que je puisse bien les imprimer dans vos cœurs, et que vous sachiez dans la pratique en profiter !

 

Car j'en appelle d'abord à vous-même, mon cher auditeur, et je vous demande ce que peut la passion, ou, pour mieux dire, ce qu'elle ne peut point, quand elle s'est emparée d'un cœur ? Quelles entreprises et quels desseins criminels ne lui inspire-t-elle pas ? Elle a fait de Judas un apostat et un homicide : que ne fera-t-elle point de moi ? Je n'ai qu'à rappeler ma conduite passée, et qu'à voir où m'a mené en mille rencontres une passion qui m'entraînait. N'est-ce pas là le principe de tous les dérèglements de ma vie ? Si j'avais été guéri de cette passion, je n'aurais pas fait cent démarches dont je n'ai que trop lieu maintenant de me repentir ; je ne me serais jamais engagé en telles et telles habitudes ; je ne serais jamais allé jusqu'à ces excès ; ma raison s'y serait opposée, ma volonté en eût eu horreur : mais la passion m'a tout persuadé, et m'a fait franchir toutes les barrières qui pouvaient me retenir. Aussi quand Dieu a voulu punir les hommes sur la terre, et les plus grands hommes, il n'y a point employé de plus terrible châtiment que de les livrer à leurs passions : Tradidit illos Deus in desideria cordis eorum (Rom., I, 24.). C'étaient des impies, dit saint Paul, parlant des philosophes païens ; et c'est pour cela que Dieu les a abandonnés au gré de leurs désirs. Il ne les a pas livrés aux afflictions et aux adversités temporelles ; au contraire, il les a comblés d'honneurs et de prospérités. Il ne les a pas livrés aux démons, ministres de sa justice, et les exécuteurs de ses vengeances : à qui donc ? à eux-mêmes et à leurs passions déréglées : pourquoi ? parce qu'une passion, répond saint Chrysostome, est pire qu'un démon, et que Dieu se tient plus vengé par ce démon intérieur et naturel, que par tous les démons de l'enfer. Et en effet, poursuit l'Apôtre, de quelles passions ont-ils été esclaves ? des plus brutales et des plus honteuses : Tradidit illos in passiones ignominiœ (Rom., I, 26.).

 

Or, ce que Dieu a fait au regard de ces infidèles par de si sales passions, il l'a fait au regard de Judas par la passion de l'intérêt ; et c'est ce qu'il fait encore tous les jours à notre égard par tant de passions différentes qui nous tyrannisent. Hé bien ! dit Dieu dans l'ardeur de sa colère, vis donc, et agis comme tu le voudras ; suis le torrent qui t'emporte, et lâche impunément la bride à tes appétits les plus injustes et les plus désordonnés. Je t'avais jusques à présent arrêté par la force de ma grâce ; mais je te laisse désormais la carrière ouverte. Puisque tu veux être un pécheur, sois-le tout à fait ; et puisque tu veux obéir à ta passion, qu'elle te maîtrise, et qu'elle te plonge dans tout ce qu'elle a de plus vicieux et de plus odieux. Car voilà, Chrétiens, le vrai sens de cette terrible parole du Docteur des nations : Tradidit illos in passiones ; et voilà ce que le Sauveur fit entendre à Judas, lorsque, après avoir tenté toutes les voies pour le ramener à son devoir, il lui permit enfin, ou sembla lui permettre d'exécuter son exécrable projet : Quod facis, fac citius (Joan., XIII, 27.) ; Achève, perfide , achève ce que tu as médité et commencé. Depuis ce moment, ressentit-il la moindre peine au fond de son âme ? hésita-t-il à se rendre auprès des pontifes conjurés contre le Fils de Dieu ? disputa-t-il quelque temps sur la convention qu'ils firent avec lui, et vendit-il au moins chèrement la sacrée personne de Jésus-Christ ? Montra-t-il quelque répugnance à conduire lui-même les soldats dans le jardin, et fut-il ému de la présence du Maître le plus aimable, de l'accueil qu'il en reçut, et de ce reproche si tendre : Amice (Matt., XXVI, 50.) ; Mon ami : Juda, osculo Filium hominis tradis (Luc, XXII, 48.) ? Quoi ! Judas, vous me trahissez, et c'est par un baiser ? Ah ! la passion soutient tout cela, dévore tout cela, l'endurcit sur tout cela. Vous en êtes effrayés : mais, Chrétiens, n'y a-t-il eu qu'un Judas où la passion ait produit de si damnables effets ? et combien voyons-nous encore dans le christianisme d'hommes passionnés vendre Jésus-Christ, le trahir, le sacrifier à leurs aveugles convoitises ? Supposez les crimes les plus énormes et les plus monstrueux attentats : l'homme en devient capable dès que la passion le gouverne. Supposez l'homme le plus vertueux et le plus attaché à ses devoirs : dès que la passion commencera à le solliciter, et qu'il lui prêtera l'oreille, il est en danger, et dans le danger prochain d'une ruine entière de sa conscience et de son âme. La raison en est que le caractère de la passion est de n'avoir point de bornes. Car les bornes que Dieu nous a prescrites ne peuvent nous être appliquées que par deux règles, qui sont la raison et la foi. Or le propre de la passion est de prévenir la raison et la foi, et que, les prévenant, elle prend l'avantage sur l'une et sur l'autre, et rend inutiles toutes leurs lumières.

 

Quel remède, mes chers auditeurs ? Celui même que je vous ai marqué dans la seconde maxime, et que je trouve si bien exprimé dans ces belles paroles de l'Ecriture : Beatus qui tenebit et allidet parvulos tuos ad petram (Psal., CXXXVI, 9.) ; Bienheureux celui qui écrasera tes petits contre la pierre ! Expressions figurées : et voici, selon saint Augustin, ce qu'elles nous représentent. Ces petits, remarque ce saint docteur, sont les passions de l'homme qui commencent à naître, et qui n'ont pas encore pris leur accroissement. Or, c'est alors que nous devons les écraser, les briser, les mortifier, parce qu'elles sont faibles, et qu'il est par conséquent beaucoup plus aisé de les vaincre et de s'en défaire. Mais si nous leur permettons de s'établir et de se fortifier, si nous les laissons se former en habitudes, dans peu nous n'en serons plus maîtres, et jusques au dernier soupir de notre vie, elles nous tiendront sous le joug, et nous feront éprouver leur malheureuse et cruelle domination : Beatus qui tenebit et allidet parvulos tuos ad petram !

 

Ce que je dis, au reste, mes Frères, regarde toutes les passions, sans en excepter aucune : pourquoi ? parce qu'il n'en faut qu'une pour faire en nous d'étranges ravages, et qu'une seule peut nous égarer dans la voie du salut, et nous damner ; parce qu'il n'en faut qu'une pour susciter toutes les autres, autant qu'elles peuvent lui être utiles et servir à ses fins ; parce que celle dont nous nous défions peut-être le moins, est justement celle dont nous avons le plus à craindre, et qui souvent a des suites plus funestes. Troisième et dernière maxime, non moins incontestable que les deux premières. Judas n'était ni ambitieux, ni impudique, ni sensuel, ni emporté : l'Evangile ne lui attribue aucun de ces vices ; mais il était intéressé, et ce fut assez pour l'engager dans l'intrigue la plus criminelle et la plus sacrilège conspiration. C'est donc fort mal raisonner que de dire : Je n'ai qu'une passion, et Dieu m'a fait la grâce d'être, du reste, peu sujet aux passions ordinaires qui règnent dans le monde : c'est comme si je disais : Je n'ai qu'une maladie mortelle, et que, me croyant en sûreté, je n'usasse contre cette maladie de nulle précaution. Mais dès que c'est une maladie mortelle, pourrait-on me répondre, cela ne suffit-il pas, et ne devez-vous pas prendre tous les soins nécessaires pour en arrêter le cours ? Car dans le fond, qu'importe que ce soit de plusieurs maladies compliquées ensemble, ou d'une seule, que vous mouriez, si vous venez en effet à mourir ? Disons de même, Chrétiens, par rapport à la passion : c'est une maladie de l’âme, et une maladie qui peut nous donner la mort ; en faut-il davantage, et qu'importe que d'autres l'accompagnent, ou qu'elle agisse seule ? qu'importe que ce soit celle-ci ou celle-là, si nous périssons par celle-ci aussi bien que par celle-là ; et s'il y a dans chacune séparément un poison assez malin et assez contagieux pour éteindre dans nous tous les principes de la vie ?

 

Quelle prière faut-il donc faire plus souvent et plus ardemment à Dieu que celle du Prophète royal ? Ne tradas bestiis animas confitentes tibi (Psal., LXXIII, 19.) ; Ah ! Seigneur, je le reconnais devant vous, et je le confesse ; j'ai mérité mille fois, en me révoltant contre vous, de ressentir la révolte de mes passions contre moi-même. Ce sont des bêtes féroces qui m'agitent, qui me tourmentent, et il est bien juste qu'une âme qui n'a pas voulu obéir à votre loi, ne soit pas elle-même obéie par ses propres convoitises. Mais après tout, mon Dieu, si vous avez à me châtier, que ce ne soit pas en me livrant à leurs désirs insensés : Ne tradas. Que j'aie de leur part des combats à soutenir; que j'aie, pour leur résister, des efforts à faire, et de grands efforts; que je sois obligé, pour ne pas succomber à leurs attaques, de vivre dans une attention continuelle sur moi-même et dans un renoncement perpétuel à moi-même, c'est une peine qui m'est due ; et tant que j'en serai là et que vous voudrez m'éprouver par là, je ne penserai qu'à me soumettre, et qu'à bénir votre souveraine justice.

 

Mais, Seigneur, si jamais vous allez plus avant, et que dans cette guerre intime vous m'abandonniez à ces ennemis de mon salut, que sera-ce de moi ? Tout autre châtiment, mon Dieu, je l'accepte de votre main : vous en avez de toutes les sortes ; et quel que soit celui que vous choisirez, je m'y soumets : mais ce fatal abandonnement à mes passions, c'est, si je l'ose dire, Seigneur, à quoi je ne puis consentir ; c'est sur quoi je ne cesserai point d'implorer votre miséricorde, et de vous adresser mes vœux : Ne tradas bestiis animas confitentes tibi.

 

Ce ne seront point, Chrétiens, des vœux stériles et sans fruit, pourvu qu'ils soient sincères. Dieu les écoutera : prenons confiance, et gardons-nous de l'autre malheur de Judas. La source de son crime, ce fut la passion ; mais le comble et la consommation de son crime, ce fut son désespoir, comme vous le verrez dans la seconde partie.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA TRAHISON DE JUDAS

 

Le baiser de Judas, Holbein le Jeune

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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 09:38
Beauregard, aristocrate du cinéma français, fasciné par le parcours de son réalisateur, lui permet d'adapter un récit que Schoendoerffer avait écrit en 1963 en pensant déjà à son adaptation cinématographique, La 317e section.
 
Le tournage est pénible pour l'équipe, lâchée dans la jungle. "J'ai imposé à tout le monde la vie militaire, dira le cinéaste, un film sur la guerre ne peut pas se faire dans le confort. Tous les matins nous nous levions à cinq heures et nous partions en expédition à travers la jungle. Nous étions ravitaillés par avion toutes les semaines. La pellicule était expédiée à Paris dans les mêmes conditions. De là-bas, on nous répondait télégraphiquement 'bon' ou 'pas bon'."
 
Cela donnera un des plus grands films de guerre de l'histoire du cinéma. Une œuvre qui n'aura pas d'équivalent, et surtout pas dans le cinéma hollywoodien. La 317e section met en scène une section de l'armée française durant la guerre d'Indochine.
 
Celle-ci, composée d'un jeune officier, d'un sous-officier aguerri et de supplétifs locaux, est stationnée à la frontière du Laos. Elle a reçu l'ordre de se replier à 150 km au Sud. Pendant ce temps, la bataille fait rage à Dien Bien-Phu et le Vietminh encercle les protagonistes. Le repli devient ainsi une longue marche au cours de laquelle les hommes, et en particulier le lieutenant et l'adjudant, apprendront à se connaitre. Sans doute n'avait on jamais filmé la guerre à une hauteur aussi humaine, sans emphase, sans aucune considération sur les raisons du conflit et les idéologies qui lui donneraient un sens, adoptant un point de vue définitivement ancré au cœur de la troupe, face à un ennemi devenu invisible.
 
En restant au plus près des êtres qu'il filme, Schoendoerffer atteint à une grandeur inattendue. L'épopée métaphysique surgit derrière la sécheresse du style et l'indifférence du monde dont il témoigne. Jacques Perrin (le lieutenant Torrens) et Bruno Crémer (l'adjudant Wilsdorff) tiennent les rôles de leur vie.
 

 
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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 12:30

Tel est néanmoins, mes chers auditeurs, le pitoyable aveuglement où tombent une infinité de chrétiens. Ils disent cent fois le jour à Dieu: Fiat voluntas tua : Seigneur, que votre volonté soit faite ; ils le disent, et se font un mérite de l'avoir dit, tellement que, à les en croire, ce sont autant d'actes de soumission et de résignation. Cependant que font-ils de tout ce que Dieu veut, et de tout ce qu'il leur a prescrit dans leur état ?

BOURDALOUE

 

 

Soumission dans le sentiment, pour vouloir tout ce que Dieu veut, et soumission encore dans l'action, pour faire tout ce que Dieu veut : c'est ce que j'ai maintenant à vous expliquer.

 

Il y a, disent les théologiens, deux sortes de vertus : les unes, selon le langage de l'école, vertus affectives ; et les autres, vertus effectives ; c'est-à-dire qu'il y a des vertus qui sont toutes renfermées dans le cœur, et qui ne consistent qu'en de simples complaisances, dans le désir, l'affection, le sentiment ; et qu'il y a des vertus qui se produisent au dehors par des effets, et dont le mérite est d'exécuter, d'accomplir, de pratiquer. La conformité chrétienne et la soumission aux volontés de Dieu comprend l'une et l'autre espèce : non seulement elle nous fait aimer et accepter ce que Dieu veut ; mais,dans la pratique, elle nous fait agir conséquemment à ce que Dieu veut, et selon qu'il le veut. Voyons-le dans la conduite de notre divin Maître, et tirons de son exemple cette nouvelle instruction.

 

Il était marqué dans les décrets de la sagesse divine que cet Homme-Dieu serait livré à la mort. L'ange venait encore de lui annoncer là-dessus l'ordre du ciel : c'était un commandement exprès, et par l'effort le plus généreux il s'y était résigné, il y avait consenti. Mais dans l'extrême défaillance où il se trouvait, épuisé de forces, et ayant presque déjà perdu tout son sang, était-il en état de se présenter si tôt à cette cruelle passion dont il avait ressenti si vivement les approches ? La seule idée qu'il en avait conçue l'avait consterné, l'avait accablé, l'avait jeté dans un trouble et réduit dans une faiblesse où il se connaissait à peine lui-même. Il avait été plus d'une fois obligé d'avoir recours à ses apôtres pour le soutenir ; il les avait avertis de veiller, de se tenir prêts et sur leurs gardes, de ne le point abandonner: Sustinete hic, et vigilate mecum (Matth., XXVI, 38.) ! ; comme s'il se fût défié de sa résolution, dit saint Chrysostome, et qu'il eût cru avoir besoin de leur présence. Y avait-il donc lieu d'attendre qu'il osât entrer dans un combat où il semblait si mal disposé ; qu'il osât se mettre lui-même entre les mains de ses ennemis ; que bien loin de prendre la fuite au bruit des soldats qui le cherchaient, il allât le premier à eux et qu'il les prévînt : tout cela, par un saint empressement de satisfaire à ce que son Père demandait de lui, et de se conformer à ses desseins sur lui ? Non, Chrétiens, à en juger selon les vues humaines, on ne pouvait guère l'espérer ; mais c'est là même aussi que nous devons reconnaître et que nous ne pouvons assez admirer l'efficace toute-puissante d'une résignation parfaite, et secondée de la grâce. Il n'y a rien à quoi elle ne nous porte ; rien, dis-je, de si pénible qu'elle ne nous fasse entreprendre, rien de si rebutant qu'elle ne nous fasse embrasser, rien de si ennuyeux et de si fatigant où elle ne nous fasse persévérer, jusqu'à ce que l'ordre de Dieu, que sa volonté ait tout l'accomplissement qui dépend de nous, et que nous lui pouvons donner. En voici la preuve ; et pour nous en convaincre, ayons toujours les yeux attachés sur Jésus-Christ, notre exemple et notre guide.

 

Quel prodige en effet, et quel changement merveilleux ! quelle intrépidité dans cet homme auparavant si timide, à ce qu'il paraissait, et saisi de si mortelles alarmes ? quelle constance et quelle fermeté dans cet homme auparavant tout abattu, tout interdit, et prêt à succomber sous le poids de sa douleur ! quelle promptitude et quelle activité dans cet homme auparavant tout appesanti selon les sens, tout atténué, étendu par terre, et sur le point de rendre l'âme ! Qu'est-il arrivé, et qui pu faire de la sorte comme un autre homme ? Voici le mystère, chrétiens auditeurs, et l'une des plus salutaires instructions pour nous. C'est toujours le même Homme-Dieu, et ce l'a toujours été ; toujours pénétré des mêmes sentiments de soumission à la volonté de Dieu ; mais cette soumission demeurait renfermée dans le cœur, parce que ce n'était pas encore le temps de la prouver par les œuvres, et d'agir. Elle a été rudement attaquée, fortement combattue, violemmenl agitée, et presque déconcertée ; mais dans le fond elle ne fut jamais altérée, ni jamais elle ne s'est démentie. De là l'heure est-elle venue où il faut enfin accomplir le commandement de Dieu : c'est alors que cette soumission se montre dans tout son éclat, et qu'elle déploie toute sa vertu. A ce moment toutes les frayeurs de Jésus-Christ se dissipent, toutes ses inquiétudes se calment, toutes ses répugnances s'évanouissent ; rien ne l'étonne, rien ne l'arrête. A ce moment toutes les puissances de son âme se réveillent et se fortifient. Suivons-le, voyons-le marcher vers ses apôtres, écoutons-le parler.

 

Il ne leur dit plus : Ne vous endormez pas, observez exactement toutes choses, et ne me quittez point, comme s'il eût voulu qu'ils fussent toujours attentifs à sa défense; mais : Dormez maintenant, leur dit-il, et reposez : Dormite jam et requiescite (Matth., XXV, 45.) ; voulant ainsi, selon la pensée de saint Chrysostome, leur donner à connaître qu'il ne comptait point sur eux, qu'il n'y avait point pour lui à reculer, que son parti était pris, que son jour était marqué, que c'était celui-là, et qu'il ne cherchait point à l'éviter : Ecce appropinquavit hora (Ibid.). Il ne leur témoigne plus ni tristesse, ni crainte, ni irrésolution ; mais, dans le feu et l'ardeur qui le transporte, il hausse la voix, il les presse, il les excite. Allons, reprend-il d'un ton vif et assuré, levez-vous et avançons : Surgite , eamus (Ibid. 46.) : pourquoi ? c'est que le perfide qui me doit trahir n'est pas loin, et que je ne veux pas qu'il ait l'avantage d'avoir été plus prompt à me trouver, que je ne l'aurais été à m'offrir moi-même. C'est que la troupe qu'il conduit va bientôt paraître, et qu'il ne convient pas qu'ils fussent plus déterminés à se saisir de ma personne, que je ne l'aurais été moi-même a la leur abandonner : Surgite, eamus; ecce appropinquavit qui me tradet (Ibid.). Il ne se retire plus a l'écart, ni dans le lieu du jardin le plus solitaire, comme s'il eût eu peur d'être découvert et aperçu de ses ennemis ; mais il va au-devant d'eux, mais il les aborde, il les interroge, il leur demande quel dessein les amène, et contre qui ils sont envoyés : Quem quœritis (Joan., XVIII, 4.) ? S’ils lui répondent que leur commission regarde Jésus de Nazareth, et qu'ils viennent à lui, il ne se dissimule point, il ne se déduise point : C'est moi. me voilà : Ego sum (Ibid. 5). Si la majesté de son visage, si sa parole toute divine leur imprime d'abord du respect, et leur donne même une telle épouvante qu'ils en sont tous renversés, il leur permet de se relever, il leur parle une seconde fois : De quoi s'agit-il ? je vous ai dit que je suis ce Jésus que vous cherchez ; faites tout ce qui vous est ordonné: Dixi vobis, quia ego sum (Ibid.). S'il se met de la sorte en leur pouvoir, il leur défend de rien entreprendre contre ses apôtres, et de les arrêter avec lui, parce qu'ils ne lui sont point nécessaires, et qu'il ne les considère point comme des appuis. Pour moi, vous me traiterez de la manière qu'il vous plaira, puisque c'est à moi que vous en voulez ; mais pour ces disciples, laissez-les aller : Si ergo me quœritis, sinite hos abire (Joan., XVIII, 8.). Enfin quand, par un excès de zèle pour son maître, Pierre tire l'épée et frappe un des gens du pontife, on dirait, selon la belle expression de Tertullien, que du même coup la soumission de Jésus-Christ et sa patience est blessée : Patientia Domini in Malcho vulnerata est. Il condamne l'impétuosité de cet apôtre trop ardent, il lui retient le bras, et dans le moment même il fait un miracle pour guérir la blessure que Malchus avait reçue. Car il ne peut souffrir qu'on forme le moindre empêchement à ce que son Père désire de lui, et à l'ouvrage dont il est chargé. Il ne pense plus qu'à cela, il ne soupire plus qu'après cela, il ne s'occupe plus que de cela. Dès qu'il y envisage la volonté de son Père, il ne lui faut point d'autre motif, d'autre intérêt, d'autre soutien : et c'est lui-même qui s'en déclare le plus hautement et le plus expressément dans cet admirable passage de l'évangile de saint Jean : Ut cognoscat mundus quia diligo Patrem, et sicut mandatum dedit mihi Pater, sic facio; surgite, eamus (Ibid., XIV, 31) ; Ne balançons point, et ne différons point. Je sais ce qui m'est réservé, et à quoi je suis appelé ; mais il n'y a rien de si rigoureux que je ne veuille subir, point de supplice si cruel que je ne sois résolu d'endurer ; afin que le monde sache que j'aime mon Père, afin de faire voir au monde combien les ordres de mon Père me sont vénérables et me sont chers; afin d'instruire le monde, et de lui apprendre comment il doit respecter les volontés de mon Père, et s'y conformer dans toutes ses démarches : Ut cognoscat mundus quia diligo Patrem, et sicut mandatum dedit mihi Pater, sic facio.

 

Or, mes Frères, ce monde que le Fils de Dieu a voulu instruire aux dépens de sa propre vie, c'est nous-mêmes. Il y a, comme vous l'avez pu déjà comprendre, il y a des volontés de Dieu qui n'exigent de nous autre chose que le gré du cœur, qu'une acceptation volontaire et libre, que la patience à recevoir et à supporter. Mais il y en a qui tendent à l'action, qui nous imposent certains exercices, certains devoirs, et qui nous obligent à les remplir : volontés de pratique, volontés dont il est présentement question : et là-dessus voici ce que nous enseigne l'excellent modèle que je viens de vous proposer ; car dès qu'une fois elles nous sont connues, ces divines volontés, et que nous sentons le mouvement de la grâce qui nous presse de les exécuter et de les suivre, malheur à quiconque délibère et demeure dans une oisiveté lente et paresseuse ! En vain d'ailleurs nous flattons-nous d'une prétendue résolution d'être fidèles à Dieu ; du moment que cette résolution est sans effet, c'est une résolution chimérique et une erreur qui nous trompe. Dans l'ordre de la grâce, vouloir et faire n'est qu'une même chose, puisque si la grâce, dit saint Augustin, n'est donnée de Dieu que pour vouloir, le vouloir n'est donné par la grâce que pour faire. Si donc ce vouloir dont nous nous prévalons n'opère rien, ce n'est plus qu'un vouloir imaginaire ; et l'on ne peut mieux nous comparer qu'à ces idoles dont parle Moïse, qui ont des pieds, mais qui ne marchent jamais ; qui ont des bras, mais qui n'agissent jamais ; qui ont une bouche, et qui jamais ne prononcent une parole.

 

Tel est néanmoins, mes chers auditeurs, le pitoyable aveuglement où tombent une infinité de chrétiens. Ils disent cent fois le jour à Dieu : Fiat voluntas tua : Seigneur, que votre volonté soit faite ; ils le disent, et se font un mérite de l'avoir dit : tellement que, à les en croire, ce sont autant d'actes de soumission et de résignation. Cependant que font-ils de tout ce que Dieu veut, et de tout ce qu'il leur a prescrit dans leur état ? à quoi se montrent ils assidus et réguliers ? combien d'obligations indispensables négligent-ils ? et de celles même qu'ils accomplissent peut-être en partie, que ne retranchent-ils point, et que n'oublient-ils point ? Or se dire soumis à Dieu, et toutefois ne se conduire presque en rien selon les vues de Dieu ; témoigner à Dieu qu'on est résigné à tout ce qui lui plaît, et ne pratiquer presque rien de ce qui lui plaît, et que nous savons lui devoir plaire ; demander chaque jour à Dieu que tout se fasse dans le ciel et sur la terre, dans nous et hors de nous, conformément à sa volonté, et s'écarter sans cesse de cette volonté divine, et ne garder presque rien des règles que nous a tracées cette volonté divine, et vivre dans une omission fréquente, ordinaire, presque universelle de ce que nous inspire cette volonté divine, n'est-ce pas se jouer de Dieu même, et vouloir faire un fantôme d'une des plus solides et des plus saintes vertus du christianisme ?

 

Rendons-nous justice, chrétiens auditeurs, et jugeons-nous de bonne foi nous-mêmes. Nous professons une religion dont les maximes, les conseils, les préceptes, toutes les observances sont à notre égard des déclarations formelles et précises de la volonté de Dieu. Nous sommes dans des conditions, dans des ordres, dans des sociétés où Dieu nous a appelés, où Dieu nous a marqué nos voies, où Dieu nous a distribué nos fonctions et nos emplois. En mille occasions particulières et en mille conjonctures nous nous sentons intérieurement touchés, sollicités, pressés de Dieu, qui nous fait connaître ce qui lui agréerait, ce qui l'honorerait, ce qui nous sanctifierait, ce qui coopérerait aux vues de miséricorde et de salut qu'il a conçues en notre faveur. Si nous l'écoutons, si nous entrons dans la route qu'il nous ouvre, et où il nous attire par sa grâce ; si nous nous acquittons chrétiennement et constamment du ministère dont il nous a chargés, et que nous nous adonnions sans relâche à tout ce qui est de notre profession ; si nous accordons nos mœurs et tout le plan de notre vie avec son Evangile, avec notre foi, avec le culte qui lui est dû, et que, jusqu'au dernier soupir, nous nous attachions à le servir comme il mérite de l'être, et comme il veut l'être : alors prenons confiance ; nous pouvons avec quelque certitude nous répondre que nous lui sommes unis d'esprit et de volonté. Sans cela, nous avons beau nous humilier devant ses autels, nous avons beau le reconnaître pour le souverain arbitre et le maître de toutes choses, nous avons beau là-dessus, à certains moments, nous épancher dans les protestations les plus animées et les plus spécieuses : ce n'est qu'un pur langage, ce ne sont que de simples complaisances, qui, séparées des œuvres qu'elles devraient produire, ne peuvent être réputées devant Dieu, ni comptées pour une véritable soumission.

 

Vous me direz que cette soumission en pratique et en œuvres demande bien de la contrainte et de la gêne ; qu'il y a des exercices très laborieux et très fatigants ; qu'il y a des temps où ils sont supportables, et qu'il y en a d'autres où ils ne le sont plus ; qu'on n'est pas toujours en disposition de se faire violence, et d'agir de la même manière, avec la même promptitude et le même zèle, dans la même étendue et la même exactitude. Ah ! Chrétiens, en parlant de la sorte et voulant vous prévaloir de telles excuses, pensez-vous au Maître à qui vous appartenez comme ses créatures, et dont vous relevez nécessairement et essentiellement ? comprenez-vous sa grandeur et ses droits ? n'est-il pas toujours votre Dieu ? ne l'est-il pas partout et dans tous les lieux ? ne l'est-il pas en toutes rencontres, et en quelque situation, ou intérieure ou extérieure que vous puissiez vous trouver ? La volonté de ce premier Etre n'est-elle pas une volonté supérieure? et par quel renversement faudra-t-il que cette volonté suprême, cette première volonté, dépende de nos faiblesses et de nos lâchetés, dépende de nos humeurs et de nos caprices, dépende de nos légèretés et de nos inconstances ? Quoi donc ! ce Dieu si puissant et si digne d'être servi et obéi ne verra ses ordres suivis que lorsqu'ils nous plairont, que lorsqu'ils nous seront aisés et faciles, que lorsqu'ils ne nous exerceront point, qu'ils ne nous captiveront point, qu'ils ne nous mortifieront point ! il se conformera à nos changements et à nos variations ? il attendra le temps favorable où notre ferveur se rallumera, et où nous serons touchés d'un attrait tout nouveau ; comme si c'était à lui de s'accommoder à nous, et non pas à nous de nous accommoder à lui et à toutes ses ordonnances ? Non, Seigneur, il n'en doit pas être ainsi, et ce serait non seulement un désordre, mais une indignité. Car pourquoi vous serais-je soumis plutôt aujourd'hui que demain, plutôt dans une occasion que dans un autre, plutôt sur tel sujet que sur tel autre ? N'êtes-vous pas toujours pour moi le même Dieu, et ne suis-je pas toujours à votre égard dans la même dépendance ? Votre volonté est volonté éternelle, et je suis l'instabilité même; mais il faut que mon instabilité soit fixée par votre éternité, et qu'en tout ce qui sera de votre bon plaisir, ma volonté soit immuable par vertu, comme la vôtre est immuable par nature. Le même empire impose toujours la même obligation, et le même maître m'engage toujours à la même obéissance.

 

Sur cela, Chrétiens , qu'avons-nous à faire ? C'est de rentrer en nous-mêmes, et de nous examiner sérieusement nous-mêmes ; c'est de voir en quoi particulièrement nous sommes plus lâches a pratiquer la volonté de Dieu, et plus libres à nous affranchir des règles et des devoirs qu'il nous a prescrits. Est-ce dans les exercices de piété, dans la prière, dans la pénitence, dans l'usage des sacrements et dans les divins mystères ? est-ce dans les soins temporels, dans les fonctions d'une charge, dans l'administration d'un bien, dans la conduite d'un ménage, dans l'éducation des enfants ? De même, quels sont les accidents de la vie, les événements, les disgrâces, où nous sommes plus sujets à nous troubler et à murmurer ? Sont-ce les maladies dont Dieu nous afflige ? sont-ce les injustices que nous font les hommes, et les persécutions qu'ils nous suscitent ? Sont-ce les pertes qui nous arrivent dans un commerce et dans les affaires que nous entreprenons ? sont-ce les mépris qu'on nous témoigne, et les humiliations où nous sommes exposés ? sont-ce les travaux dont on nous charge, et les fatigues dont on nous accable, ou dont nous nous croyons accablés ? Reconnaissons-le en la présence de Dieu ; car il ne tient qu'à nous de le découvrir, et nous savons assez ce qui altère plus communément notre cœur, et ce qui nous fait plus de peine. Ne nous contentons pas de le savoir, mais prémunissons-nous contre cela même ; et toutes les fois que la chose en effet se présente, et qu'il faut mettre la main à l'œuvre, qu'il faut baisser la tête et porter le fardeau, qu'il faut se renoncer soi-même et s'assujettir, qu'il faut se réprimer ou faire effort, imaginons-nous que nous nous trouvons à la place des trois disciples, et que Jésus-Christ, marchant devant nous comme notre conducteur, nous dit : Surgite, eamus : ecce appropinquavit hora : Hâtez-vous, âmes chrétiennes, et ne tardez pas un moment. Voilà l'heure où votre Dieu vous appelle, et où vous devez me suivre. C'est dans cette occasion, dans cette action, que vous avez à montrer votre amour, votre attachement, votre obéissance, et à en donner un témoignage certain. Gardez-vous de vous comporter ici avec négligence, et avec un esprit chagrin et chancelant. Gardez-vous de faire un pas en arrière, ou de vous tenir dans un lâche assoupissement et dans un repos oisif : Surgite, eamus. Souvenez-vous de la grandeur du Maître qui veut cela de vous, et qui vous l'enjoint. Souvenez-vous de la gloire qu'il en attend, et de la récompense que vous en recevrez. Souvenez-vous que vous l'aurez pour témoin, pour spectateur, pour juge. Souvenez-vous que c'est de là peut-être qu'il a fait dépendre votre sanctification, votre salut, votre prédestination éternelle. Souvenez-vous qu'il y a peut-être attaché les dons les plus précieux de sa grâce, et que peut-être, manquant là-dessus de soumission, vous vous priverez de ses plus insignes faveurs et de ses plus abondantes bénédictions : Surgite , eamus. Figurons-nous , dis-je, mes Frères, que c'est le Sauveur même qui nous presse de la sorte, et qui nous sollicite. S'il nous reste un degré de foi, y a-t-il rien à quoi ces motifs ne soient capables de nous déterminer ? Plus résignés alors que jamais et plus résolus à toutes les volontés de notre Dieu, nous nous écrierons comme saint Paul : Domine, quid me vis facere (Act.,IX, 6.) ?

 

Expliquez-vous, Seigneur, et me déclarez, ou me faites annoncer de votre part, ce que vous désirez de moi : quoi que ce soit, j'y consens ; je vous tends les bras, et mon cœur est prêt. Pour nous confirmer dans cette disposition, nous en reviendrons au sentiment du Fils de Dieu ; et quelque victoire qu'il y ait à remporter, ou sur nous-mêmes, ou sur le monde, nous dirons : Ut cognoscat mundus quia diligo Patrem ; et sicut maudatum dedit mihi Pater, sic facio.

 

Ah ! Seigneur, le monde n'a guère connu jusqu'à présent si je vous aimais, et je ne l'ai guère connu moi-même : mais il est temps enfin de l'en convaincre pour son édification, et de m'en convaincre moi-même pour ma consolation. Car jamais je ne donnerai au monde, ni moi-même je n'aurai jamais de preuve plus convaincante, que je vous aime sincèrement, efficacement, pleinement, que lorsque je me trouverai, et dans le sentiment et dans la pratique, comme transformé en vous par une inviolable et entière conformité de volonté. Ce ne sera pas en vain ; et jamais aussi n'aurai-je de meilleur titre pour aspirer à votre gloire, et pour être reçu dans votre royaume.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA PRIÈRE DE JÉSUS-CHRIST DANS LE JARDIN

 

Garden of Gethsemane

Le Christ dans le Jardin de Gethsémani, Masaccio

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12 mars 2012 1 12 /03 /mars /2012 12:30

Trop longtemps, mon Dieu, et trop souvent j'ai moi-même écouté les faux prétextes d'un esprit aigri, d'un esprit animé, d'un esprit rebelle, et j'en ai suivi les mouvements.

BOURDALOUE

 

 

Et progressus pusillum, procidit in faciem suam, orans et dicens : Pater mi, si possibile est, transeat a me calix iste : verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu.

S'étant avancé un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, s'il est possible, faites que ce calice passe, et qu'il ne soit point pour moi : cependant que votre volonté s'accomplisse, et non la mienne. (Saint Matt., chap. XXVI, 39.)

 

Voilà, Chrétiens, le premier mystère et comme l'entrée de tous les mystères de la passion du Fils de Dieu, que nous devons méditer pendant le cours de ce carême. C'est la grande dévotion des âmes fidèles, surtout en ce saint temps, de considérer les souffrances de leur Sauveur ; et c'est de cette méditation que les saints ont retiré des fruits si merveilleux de grâce et de sainteté. Pour moi, mes Frères, disait saint Bernard, depuis le jour de ma conversion, mon soin le plus ordinaire et le plus fréquent a été de cueillir, comme l'Epouse, ce bouquet de myrrhe, composé de toutes les amertumes et de toutes les douleurs de Jésus-Christ, mon souverain Seigneur. Je l'ai mis dans mon sein, et je l'ai appliqué à toutes mes plaies : Hunc mihi fasciculum colligere et intra viscera mea collocare curavi, collectum ex amaritudinibus Domini mei. Car comment pourrais-je oublier les miséricordes d'un Dieu souffrant, ajoutait ce saint docteur, puisque ce sont elles qui m'ont donné la vie ? et quel intérêt n'ai-je pas à les tenir profondément gravées dans mon souvenir, puisque c'est là que je trouve la vraie sagesse, que je trouve la plénitude de la science, que je trouve des trésors de salut, que je trouve enfin un fonds inépuisable de mérites ? In his sapientiam, in his plenitudinem scientiœ, in his divitias salutis, in his copiam meritorum.

 

De là, mes Frères, continuait encore le même Père, parlant à ses religieux, de là vient que je les ai si souvent dans la bouche, comme vous le savez ; et que je les ai encore plus dans le cœur, comme Dieu le sait : car c'est là toute ma philosophie, c'est à la seule connaissance de Jésus qu'elle se réduit, et de Jésus crucifié : Hœc philosophia mea, scire Jesum, et hune crucifixum. Tels étaient les sentiments de saint Bernard : faisons-en les nôtres, mes chers auditeurs ; et puisque c'est pour cela que nous sommes ici assemblés, commençons dès aujourd'hui à étudier cette science sublime et suréminente de la charité de notre Dieu et de sa douloureuse passion. Ce que nous présente d'abord l'Evangile, c'est Jésus-Christ priant dans le jardin, et acceptant avec une pleine soumission le calice que son Père lui a destiné et préparé : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. Arrêtons-nous là, et pour notre édification apprenons nous-mêmes comment nous devons en tout nous conformer aux ordres de Dieu, et nous résigner à ses adorables volontés.

 

Soumission d'une nécessité indispensable ; soumission que tout chrétien doit conserver jusqu'à la mort, et sans laquelle il n'y a point de salut, puisque le salut devient impossible à quiconque refuse d'obéir à Dieu, et ne veut pas dépendre de Dieu ; mais soumission qui, de toutes les vertus, est peut-être la moins connue dans le christianisme et la moins pratiquée. Elle renferme deux choses qui vont partager cet entretien, savoir le sentiment et l'action ; le sentiment dans le cœur, et l'action dans la pratique : le sentiment dans le cœur, pour vouloir tout ce que Dieu veut, et l'action dans la pratique, pour exécuter ensuite et pour faire tout ce que Dieu veut : deux devoirs que nous enseigne par son exemple le divin Maître qui s'est anéanti pour nous, et rendu obéissant jusques a la mort. Donnez, s'il vous plaît, à l'une et à l'autre une favorable attention.

 

Pour comprendre ce que c'est qu'une résignation parfaite aux ordres de Dieu, et que cette soumission du cœur qui consiste dans le sentiment, nous n'avons, Chrétiens, qu'à contempler le Fils de Dieu prosterné en la présence de son Père, et lui adressant l'humble prière que les évangélistes ont pris soin de rapporter. C'est là que ce Dieu Sauveur nous donne la plus haute idée d'une sainte conformité aux arrêts du ciel et à toutes les dispositions de la divine Providence; c'est là qu'il nous fait connaître toute l'étendue qu'elle doit avoir, et à quel degré de dépendance elle nous doit réduire; tellement qu'il n'y ait ni circonstances si rigoureuses, ni répugnances si vives et si naturelles, ni temps, ni conjonctures, où notre volonté ne soit soumise, et où nous ne réprimions toutes ses révoltes. Remarquez ceci, mes chers auditeurs ; car voilà, j'ose le dire, un des points les plus importants de la morale chrétienne, et un des plus salutaires enseignements.

 

Que fait donc notre adorable Maître, retiré dans le jardin de Gethsémani, et se disposant à consommer, par une mort également ignominieuse et violente, le grand ouvrage de notre rédemption ? Il prie, non pas pour une fois, mais jusques à trois fois ; non pas pour quelques moments, mais pendant trois heures entières. Et dans tout le cours de cette oraison si souvent réitérée et si longtemps prolongée, que demande-t-il ? Une seule chose et rien de plus ; une chose qu'il préfère à toutes les autres ; une chose pour laquelle il est descendu sur la terre ; une chose qu'il a cherchée dans toute sa vie mortelle, et qu'il ne cessera point de chercher jusques à son dernier soupir : c'est, ô mon Dieu, Père tout-puissant, Père souverainement sage, souverainement juste, souverainement saint, que votre volonté soit faite, et non la sienne : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. Prenez garde, chrétiens: il se soumet, ce Fils unique de Dieu, au bon plaisir de son Père ; il s'y soumet dans le dernier accablement de l'affliction, et lorsqu'il semble qu'un déluge de maux ait inondé son âme ; il s'y soumet dans un temps où ce Père même, qu'il veut glorifier par sa soumission, s'est retiré sensiblement de lui, et paraît l'avoir abandonné ; il s'y soumet, sans trouver nulle consolation auprès des créatures ; et il s'y soumet enfin de telle sorte, qu'il agrée tout, sans exception et sans réserve. Je reprends et je m'explique, pour vous faire encore mieux connaître tout le mérite d'une résignation si généreuse et si héroïque.

 

Il se soumet au bon plaisir de son Père : car le bon plaisir de son Père était qu'il souffrît, qu'il mourût, et que, par ses souffrances et sa mort, il procurât le salut de l'homme. Or voilà ce qu'il accepte, malgré la nature qui s'y oppose, et malgré tous les sentiments contraires qu'elle lui inspire. En vain se révolte-t-elle ; en vain, par la violence de ses révoltes, lui fait-elle dire : Transeat a me calix iste ! Que ce calice passe, et que je ne sois point réduit à le boire ! La grâce, par un effort supérieur, prévaut et l'emporte : le retour est prompt, et, sans égard à la parole que les sens lui ont en quelque sorte arrachée, il en revient bientôt au point capital qu'il s'est tracé comme la grande règle de sa vie, et qui est de ne vouloir que ce que le ciel a résolu, et que ce qu'il a déterminé dans ses immuables décrets : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu.

 

Il se soumet ; et en quelles conjonctures ? Ah ! chrétiens, en pouvons-nous imaginer de plus tristes et de plus désolantes ? c'est dans un soulèvement général de toutes ses passions contre lui-même ; c'est au milieu des plus rudes combats que lui livrent tour à tour, tantôt la douleur la plus mortelle : Cœpit contristari (Matth., XXVI, 37.) ; tantôt l'ennui le plus profond : Cœpit tœdere (Marc, XIV, 33.) ; tantôt la crainte et les plus vives frayeurs : Cœpit pavere (Ibid.) ; c'est au plus fort de son agonie, et dans une telle défaillance que le sang coule de tous les membres de son corps, et que la terre en est arrosée : Factus est sudor ejus sicut guttœ sanguinis decurrentis in terram (Luc, XXII, 44.) ; c'est, à ce qu'il semble, dans un délaissement total, et de la part du ciel et de la part des hommes. Il s'adresse à son Père, et son Père ne lui répond rien ; les trois apôtres qui l'ont accompagné s'endorment, et le laissent seul dans la plus sombre nuit et la plus affreuse solitude. De là donc il se soumet sans recevoir nulle consolation, surtout nulle consolation humaine. S'il persiste dans la prière, ce n'est pas en vue d'y trouver un soulagement à sa peine, mais dans le dessein d'y prendre de nouvelles forces pour la supporter. Aussi l'ange que le ciel lui envoie ne lui rend-il point d'autre office que de le soutenir et de l'encourager : Apparuit autem angelus de cœlo, confortans eum (Ibid. 43.) ; Observez cette parole, dit saint Augustin : l'Evangéliste ne nous fait pas entendre que l'ange le consola, mais seulement qu'il le fortifia : Confortans eum. Enfin, il se soumet : et à quoi ? A tout : c'est-à-dire non seulement à la chose, mais à toutes les circonstances qui y doivent être jointes ; non seulement à la substance de ce que Dieu veut, mais à la manière dont il le veut ; non seulement à la croix, mais à tous les opprobres et à toutes les ignominies particulières de la croix. D'où vient qu'il ne se contente pas de dire, Que ce que vous voulez se fasse ; mais il ajoute : Qu'il se fasse, et qu'il en soit comme vous le voulez : Non sicut ego volo, sed sicut tu.

 

Voilà, mes chers auditeurs, le vrai modèle de la soumission chrétienne ; voilà en quoi consiste cette conformité de cœur et de sentiment qui nous tient toujours unis à Dieu, quoi qu'il ordonne de nous, et en quelque situation qu'il lui plaise de nous mettre. Etre soumis dans l'adversité comme dans la prospérité, dans le trouble de la passion comme dans la paix ; être soumis quand Dieu nous traite en apparence dans toute la rigueur de sa justice, qu'il ne prend nul soin de nous, ou plutôt qu'il en use avec nous comme s'il n'en prenait nul soin, et qu'il nous eût absolument oubliés ! être soumis sans recourir au monde, à une famille, à des proches, à des amis qui pourraient nous être de quelque soutien, et apporter quelque remède au mal qui nous presse ; sans rien même attendre de la grâce, je dis rien de sensible, qui puisse nous adoucir l'amertume du calice que Dieu nous présente ; sans avoir d'autre ressource, ni d'autre asile , que l'autel et que l'oratoire, non pas pour y demander à être déchargé, mais à être secondé et conforté, et du reste pour y témoigner une fidélité inébranlable et une pleine résignation ; être soumis avec une détermination entière à tout ce que Dieu voudra, comme il le voudra, et dans l'ordre qu'il le voudra ; c'est là, encore une fois, ce que j'appelle une véritable conformité d'esprit et de volonté avec l'esprit et la volonté de Dieu. De tous ces points qu'il en manque un seul, je n'ai plus cette soumission que mon Sauveur m'a enseignée par son exemple, et je ne satisfais pas au devoir de la religion que je professe, ou je n'y satisfais qu'à demi.

 

Car, pour en venir au détail, de me conformer au bon plaisir de Dieu quand rien ne me mortifie, quand rien ne contredit mes inclinations, quand je me vois dans un état commode par lui-même, et qu'il ne m'arrive rien de désagréable et de fâcheux, est-ce là une vertu de chrétien, et serait-ce même une vertu de philosophe et de païen ? Il est vrai néanmoins que je dois, en cet état comme en tout autre, me soumettre au gré de Dieu ; mais en même temps ma soumission me doit être bien suspecte ; j'ai bien lieu de m'en défier, et je dois dire à Dieu : Seigneur, je veux maintenant ce que vous voulez ; mais après tout parce que vous ne voulez que ce qui me plaît, je n'ose presque compter sur une résignation si douce et si aisée : car c'est plutôt vous qui vous conformez à moi, que moi qui me conforme à vous ; et selon que les choses succèdent, c'est vous qui faites ma volonté, plutôt que je ne fais la vôtre. C'est trop, mon Dieu, c'est trop me ménager et trop m'épargner : mais afin de me connaître, afin de voir si je suis en effet dans la disposition d'un cœur solidement et chrétiennement soumis, éprouvez-moi, frappez-moi, affligez-moi : Proba me, Domine, et tenta me (Psal., XXV, 2.). Faites-moi passer par le creuset et par le feu de la tribulation : Ure renes meos et cor meum (Ibid.) : c'est ainsi que je pourrai savoir si ce n'est point par un effet de mon amour-propre que j'accepte ce que vous m'envoyez, et que je m'y résigne ; si ce n'est point parce qu'il m'est utile, selon le monde, parce qu'il m'est honorable et agréable. Sans cette épreuve de l'affliction et de la souffrance, je n'oserais vous répondre de mon cœur, ni en être garant : Proba me, Domine, et tenta me.

 

De même, Chrétiens, si je ne me trouve docile et souple sous la main de Dieu que lorsque mes passions sont dans le calme, que lorsque je ne sens en moi nulle agitation, que lorsqu'il ne s’élève dans mon âme nul mouvement qui me porte au murmure et à la résistance, quel sacrifice fais-je à Dieu ; et ma patience peut-elle être à ses yeux d'un grand prix ? Je n'ai nul ennemi à vaincre, je n'ai nulle victoire à remporter, je n'ai presque qu'à suivre le sentiment naturel qui me conduit. Il ne m'est pas difficile alors de m'écrier dans la ferveur de la méditation : Que votre volonté s'accomplisse, ô mon Dieu ! Fiat voluntas tua (Matth., XXVI, 42.) ! Mais quand je suis dans l'ardeur d'une passion violente, qui s'est emparée de mon esprit ; quand toutes les puissances de mon âme sont dans le désordre et dans la confusion ; quand la raison elle-même paraît choquée, et que toutes mes réflexions, que toutes mes connaissances ne servent qu'à m'aigrir davantage et à m'animer: au milieu de cette tempête et de ces soulèvements involontaires, m’arracher en quelque sorte à moi-même, me renoncer moi-même, pour rendre hommage à la providence de Dieu, et pour lui dire : Non sicut ego volo, sed sicut tu ; Il n'importe, Seigneur ; n'ayez point d'égard à ce que je souhaiterais, ni à ce qui me semblerait même plus raisonnable, plus juste, plus saint ; vous l'avez autrement réglé, cela me suffit : demeurer ferme dans cette disposition, et ne m'en pas départir un moment, c'est ce qui me distingue devant lui et ce qui m'élève auprès de lui : pourquoi ? parce que c'est ce qui l'honore , parce que c'est ce qui le fait triompher dans moi de tout moi-même, en le faisant triompher de tout ce qu'il y a de plus vif et de plus intime dans mes inclinations et dans mes désirs. Heureux qu'il m'en coûtât une agonie pareille à celle de mon Sauveur ! heureux que, tout couvert comme lui de mon sang, je pusse mille fois redire après lui, et par proportion comme lui : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu !

 

Mais si Dieu, dans l'orage dont nous sommes assaillis, s'éloigne de nous, ou pour parler plus juste, si Dieu se comporte envers nous comme s'il s'était éloigné de nous: car voilà quelquefois comment il traite une âme affligée, la livrant en apparence à elle-même, ne lui donnant ni vues, ni lumières, ni goût : tout la rebute, tout contribue à lui faire sentir le poids de sa peine. En quel abattement elle tombe ! Cœpit contristari ; quel ennui la saisit et la désole ! Cœpit tœdere ; quelles sombres réflexions l'inquiètent et la tourmentent ! Cœpit pavere. Sa foi vient au secours, et lui dicte intérieurement d'aller à Dieu : elle y va ; mais elle le cherche et ne le trouve point. Elle frappe à la porte ; mais il semble que le ciel est fermé pour elle, il semble qu'il n'y a point de Dieu qui l'écoute : du moins c'est ce que les ennemis de son salut lui reprochent, c'est ce que la nature et les sens ne cessent point de lui suggérer : Dum dicitur mihi quotidie : Ubi est Deus tuus (Psal., XXI, 4.) ? Peut-être se rencontre-t-il un ministre du Seigneur qui, comme l'ange envoyé d'en haut, la relève, la rassure, la ranime : Apparuit ei angelus confortans ; mais c'est seulement un appui pour ne pas succomber, et non point un adoucissement qui lui rende la paix, et qui fasse couler sur elle quelques gouttes de l'onction divine. Or dans cette sécheresse et dans cet accablement, puis-je être bien résigné aux ordres de Dieu ? Oui, je le puis, et je le dois. Car quand on me dit qu'il faut être soumis au bon plaisir de Dieu, il ne s'agit pas du temps de la consolation spirituelle, lorsque Dieu me remplit des douceurs de son esprit et de l'abondance de ses grâces.

 

On sait assez que rien ne nous est pénible en cet état, et que nous disons avec la même confiance que David : Ego dixi in abundantia mea : Non movebor in œternum (Psal., XXI, 4.). Combien de fois dans une communion où Dieu se faisait sentir à moi, dans les saintes ardeurs d'une prière où je m'entretenais avec Dieu, dans un ravissement de mon cœur que Dieu touchait, que Dieu embrasait, que Dieu transportait, lui ai-je protesté que je n'aurais éternellement d'autre volonté que la sienne ! Et fallait-il beaucoup prendre sur moi pour lui parler de la sorte ? que dis-je ! et était-ce moi qui parlais alors, ou n'était-ce pas l'Esprit de Dieu qui parlait en moi et pour moi ? En quoi donc je puis bien marquer ma soumission, mais une soumission ferme et constante, mais une soumission solide et de quelque valeur dans l'estime de Dieu, c'est lorsque toutes les lumières qui m'éclairaient viennent à s'éteindre ; c'est lorsque toute la ferveur qui m'excitait et qui m'emportait vient à se refroidir ; c'est lorsque toutes ces larmes qu'une certaine tendresse de cœur et de dévotion me faisait répandre sont venues à sécher, et que toutes ces douceurs secrètes qui m'attiraient et qui m'attachaient se sont tournées en aridités et en dégoûts. Car voilà l'écueil où les âmes qui paraissent le mieux affermies ne sont que trop sujettes à échouer : c'est là qu'elles commencent à se démentir : Avertisti faciem tuam, et factus sum conturbatus (Ibid. 8.). Mais c'est en ce temps d'épreuve que je dois m'armer de toute la force chrétienne, et faire à Dieu une sainte violence pour m'approcher de lui, malgré ses rébus apparents : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. Vous me délaissez, mon Dieu, mais je ne vous délaisserai point. Vous me délaissez en me privant de cette présence sensible dont vous favorisez vos élus ; mais je ne vous délaisserai point en perdant cette union inviolable et essentielle que vos élus ont avec vous, et qu'ils doivent toujours conserver. Au contraire, plus je me verrai abandonné de vous, ou plus je croirai l'être, plus je m'abandonnerai à vous ; et avec les simples vues de la foi qui me restent, je vous dirai tout ce que je vous disais en ces jours de bénédiction et de paix, où vous daigniez vous communiquer à moi et me gratifier de vos plus doux entretiens et de vos plus consolantes visites : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu.

 

De là, sans chercher les vaines consolations du monde, et sans avoir recours à des parents, à des amis qui pourraient la dissiper, et en quelque manière la dédommager de ce qu'elle ne trouve point auprès de Dieu, une âme soumise ne veut que Dieu ; et de quelques épines que la voie où elle marche soit semée, il lui suffit de savoir que c'est la voie de Dieu, et qu'elle y est par la volonté de Dieu. Cette seule pensée lui inspire un courage qui la dispose à tout, et qui lui fait accepter tout. Je dis tout, sans restriction et sans choix. Car à quoi je ne puis trop prendre garde, c'est que ce ne serait point encore assez, et même que ce ne serait rien pour moi de me soumettre, si ma soumission n'était universelle, et si je prétendais me résigner à une chose et non à l'autre. Dès que l'une et l'autre se trouvent également marquées du sceau de la volonté de Dieu, l'une et l'autre, sous cet aspect, ne doivent être également sacrées, puisque la volonté de Dieu est, dans l'une comme dans l'autre également respectable et adorable. Quel calice le Fils de Dieu consent-il à boire ? Celui que son Père lui présente, celui que son Père lui a choisi, celui que son Père lui envoie par le ministère de l'ange, et non pas celui qu'il s'est préparé, ni qu'il a choisi lui-même : Calicem quem dedit mihi Pater (Joan., XVIII, 11.). Si j'avais moi-même à me prescrire mes peines, mes disgrâces, mes mortifications, mes humiliations ; si je pouvais, à mon gré, et selon mon goût, prendre l'une et laisser l'autre, autant qu'il y aurait de mon goût et de mon gré, autant y aurait-il de ma volonté, j'entends ma propre volonté. Or, ce qui s'appelle ma propre volonté ne peut compatir avec la volonté de Dieu, ou plutôt avec une sincère et véritable soumission à la volonté de Dieu : pourquoi ? parce que l'essence de cette soumission est que toute propre volonté soit anéantie dans moi, et comme absorbée dans la volonté de Dieu.

 

Ainsi je dois reconnaître l'illusion de ce langage si commun dans le christianisme, et que tiennent tant d'âmes pieuses du reste, et régulières dans leur conduite. On dit : Je veux bien souffrir, puisque Dieu l'ordonne ; mais je voudrais que ce ne fût point ceci ou cela. On dit : Que Dieu m'afflige d'une infirmité, d'une maladie, je la porterai sans me plaindre : mais je ne puis vivre dans l'abaissement où je suis, ni digérer les outrages que je reçois et les traitements indignes qu'on me fait. On dit : Que Dieu me frappe dans mes biens ; je les lui offre tous, et il en est le maître : mais que ma réputation soit attaquée, mais que cet homme l'emporte sur moi, et que mes droits soient si injustement blessés ; mais que le repos de ma vie soit sans cesse troublé par les chagrins, par les humeurs, par les contradictions perpétuelles de cet esprit bizarre et inquiet, c'est ce qui ne me paraît pas soutenable. Voilà comment on s'explique, et le sentiment où l'on s'entretient : mais c'est en cela même qu'on s'égare et qu'on perd toute soumission parce qu'on n'en a qu'une imparfaite et bornée. Car ce calice qu'on rejette, c'est justement celui que Dieu nous a destiné par sa providence, et par conséquent celui qui nous doit sanctifier, celui qui doit être la matière de notre obéissance, et qui en doit faire le mérite : Calicem quem dedit mihi Pater. Tout autre nous serait inutile, parce qu'il ne nous viendrait pas de la main de Dieu, et que ce n'est point par celui-là qu'il lui a plu d'éprouver notre soumission, ni à celui-là qu'il a voulu attacher notre salut et notre perfection. D'où il s'ensuit que si je veux être soumis à Dieu, je ne dois rien excepter : rien, dis-je, non seulement par rapport aux choses, mais même par rapport aux moindres circonstances des choses. Et, en effet, remarque saint Thomas, ce que Dieu veut, hors des conjonctures où il veut, et sans les circonstances avec lesquelles il le veut, n'est plus, à le bien prendre, ce qu'il veut. Dire donc : De la part d'un autre, je supporterais cette parole, ce mépris, ce refus ; mais de la part de telle personne, c'est ce que je ne saurais dissimuler ni tolérer ; dire : En d'autres rencontres et dans un autre temps, je me tairais ; mais maintenant, il faut que je me contente et que j'éclate : penser de la sorte, et être ainsi disposé, n'est-ce pas vouloir faire la loi à Dieu ? Celte circonstance du lieu, du temps, de l'occasion, de la personne, est-elle moins dépendante de lui et de sa suprême volonté, que tout le reste ?

 

Ah ! Seigneur, que la nature est ingénieuse pour défendre ses intérêts ! et que le cœur de l'homme, jaloux de sa liberté et impatient sous le joug, devient adroit à s'autoriser contre vous et à justifier ses révoltes ! Trop longtemps, mon Dieu, et trop souvent j'ai moi-même écouté les faux prétextes d'un esprit aigri, d'un esprit animé, d'un esprit rebelle, et j'en ai suivi les mouvements : mais il faut enfin qu'il plie ; et, après un exemple comme le vôtre, il ne lui est plus permis d'avoir d'autre sentiment que celui d'une humble et d'une aveugle soumission. Soumission dans les plus fâcheux revers et dans les plus tristes accidents ; soumission dans les calamités, dans les besoins, dans les traverses, dans toutes les misères de la vie ; soumission malgré les répugnances, malgré les soulèvements de cœur, malgré tout le bruit et tous les retours des passions les plus vives et les plus ardentes ; soumission au milieu des plus profondes ténèbres, au milieu des découragements, des désolations, des langueurs, et sans nulle goutte de cette rosée céleste que vous faites couler, Seigneur, à certains moments et sur certaines âmes ; soumission toute pure et toute surnaturelle, où ne se mêle rien d'humain, rien de tout ce que le monde me peut offrir pour me soulager ou pour me distraire ; soumission générale et complète, qui embrasse tous les événements, quels qu'ils soient ou qu'ils puissent être, et dans chaque événement jusques aux plus légères particularités. Car telle est, mon Dieu, la soumission que je vous dois, et dont je ne puis me départir sans oublier ce que vous êtes et ce que je suis. Elle a pour moi bien des difficultés, et j'y trouve dans moi bien des obstacles. Tout ce qu'il y a de charnel dans mon cœur y forme de continuelles oppositions, et cette guerre intestine m'expose à de rudes assauts. Mais avec votre grâce, Seigneur, la raison et la religion réprimeront la chair ; ou si elles ne peuvent lui imposer silence, au milieu de ses cris, et sans prêter l'oreille à ses murmures, je ne cesserai point de répéter cette parole que je vous ai déjà bien des fois adressée, et dont je comprends aujourd'hui le sens mieux que jamais : Verumtamen non sicut ego volo , sed sicut tu.

 

Quand je ne chercherais que le repos de mon âme, c'est dans cette disposition que je le trouverai; et sans cette disposition, je ne puis l'avoir ; car vous êtes, Seigneur, le centre de mon repos ; et, par conséquent, il n'y a de repos à espérer pour moi qu'autant que je serai uni à vous. Le supplice des damnés dans l'enfer est d'avoir une volonté contraire à la vôtre, et par là même, de vouloir éternellement ce qui jamais ne sera, et de ne vouloir jamais ce qui sera pendant toute l'éternité. Le bonheur des prédestinés dans le ciel est de n'avoir qu'une même volonté avec vous. Ils vous voient, ils vous aiment, ils vous possèdent ; mais cette vision, cet amour, cette possession ne les rendent bienheureux que parce que ce sont les principes de cette admirable et ineffable conformité qu'ils ont avec vous. De sorte que si quelqu'un de ces bienheureux n'était pas content de l'état où vous l'avez mis, et qu'il désirât un autre degré de gloire que celui qu'il a reçu, il ne serait plus bienheureux.

 

Or il ne tient qu'à moi d'entrer dès à présent, par une soumission chrétienne, en participation de ce bonheur, et d'acquérir par choix et par mérite cet avantage dont les bienheureux jouissent par récompense et par nécessité.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA PRIÈRE DE JÉSUS-CHRIST DANS LE JARDIN

 

Christ in the Garden of Gethsemane

Le Christ dans le Jardin de Gethsémani, Masaccio

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 21:05

 

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 05:00

Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le Temple les marchands de boeufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs boeufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : "Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic."


Ses disciples se rappelèrent cette parole de l'Écriture : L'amour de ta maison fera mon tourment.


Les Juifs l'interpellèrent : " Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? "
Jésus leur répondit : " Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. "
Les Juifs lui répliquèrent : " Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours tu le relèverais ! "


Mais le Temple dont il parlait, c'était son corps.

 

Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l'Écriture et à la parole que Jésus avait dite.

 

Pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en lui, à la vue des signes qu'il accomplissait. Mais Jésus n'avait pas confiance en eux, parce qu'il les connaissait tous et n'avait besoin d'aucun témoignage sur l'homme : il connaissait par lui-même ce qu'il y a dans l'homme.

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 

Jésus chassant les marchands du Temple, Valentin de Boulogne

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