"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Saint Père François
1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II
Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II
Béatification du Père Popieluszko
à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ
Varsovie 2010
Basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde
Divine
La miséricorde de Dieu
est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus
absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de
l’amour.
Père Marie-Joseph Le
Guillou
Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.
Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)
Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en
Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus
feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de
Montmartre
Notre Dame de Grâce
Cathédrale Notre Dame de Paris
Ordinations du
samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris
la vidéo sur
KTO
Magnificat
Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de
Paris
NOTRE DAME DES VICTOIRES
Notre-Dame des
Victoires
... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !
SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ
BENOÎT XVI à CHYPRE
Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010
Benoît XVI en Terre Sainte
Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem
Yahad-In Unum
Vicariat hébréhophone en Israël
Mgr Fouad Twal
Vierge de Vladimir
L'on s'excuse du soin des pauvres, et l'on n'a pas, dit-on, le loisir d'y vaquer. On ne l'a pas, j'en conviens ; mais pourquoi ne l'a-t-on pas ? Parce qu'on ne veut pas l'avoir ; parce qu'on se surcharge volontairement d'occupations inutiles ; parce qu'on dérobe aux pauvres le temps qu'on leur doit, pour le prodiguer ailleurs où on ne le doit pas, et pour en faire un usage criminel, dès qu'il leur est si préjudiciable.
BOURDALOUE
Semen est verbum Dei.
Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap. VIII, 11.)
Cependant, aux deux caractères que je vous ai tracés, ajoutons-en un troisième.
Il y eut encore du grain qui tomba au milieu des épines. Ne cherchons point d'autre explication que celle même du Sauveur du monde : ces épines, ce sont les passions du siècle ; passions aveugles et turbulentes, qui troublent une âme, qui l'agitent de telle sorte, qu'elles étouffent toute la divine semence, et qu'elles émoussent tous les traits de la parole de Dieu. Or, selon la pensée de Jésus-Christ, ces passions se réduisent surtout à trois espèces ; l'inquiétude des soins temporels, la cupidité ou le désir empressé d'amasser les biens de la terre, et l'attachement aux plaisirs de la vie : trois obstacles qui énervent toute la force de la parole de Dieu ; trois sortes d'épines qui éteignent la charité dans les cœurs. C'est ce que l'expérience nous fait voir sensiblement ; c'est ce que vous avez reconnu vous-mêmes en mille occasions, ou ce qu'il ne tenait qu'à vous de reconnaître.
Car comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec un esprit tout rempli des affaires du monde, dont on est uniquement occupé, et dont on se plaint même d'être accablé ; on les apporte toutes avec soi, et l'on s'en laisse tellement obséder, qu'on est incapable d'aucune autre réflexion. Nous parlons pour l'intérêt des pauvres, nous exposons leurs pressantes nécessités, nous élevons la voix, nous conjurons, nous exhortons ; mais s'attache-t-on à nous suivre ? Au lieu de prendre avec nous des mesures pour les pauvres, on en prend intérieurement avec soi-même : et pour qui ? pour soi-même. Dans un silence profond, il paraît qu'on s'applique à nos instructions : mais l'esprit est bien loin de nous ; il s'entretient d'un projet qu'on a formé, d'une entreprise où l'on s'est engagé, d'un ménage qu'on a à conduire, de toutes les choses humaines qui touchent personnellement, et sur quoi l'on doit veiller. Encore si l'on se bornait à ses affaires propres, qui sont de l'ordre de Dieu ; mais, par je ne sais quelle démangeaison de se mêler de tout, on s'ingère en mille intérêts et en mille intrigues qui regardent celui-ci ou celle-là, sans que de soi-même on ait rien à y voir, ni rien à y prétendre. Encore si l'on s'en tenait aux devoirs de son état ; mais, par une envie démesurée de décider, de dominer, de se rendre important et nécessaire, on se livre à tout ce qui se présente, souvent même à ce qui ne se présente pas, et où l'on n'est point appelé. Après cela, l'on s'excuse du soin des pauvres, et l'on n'a pas, dit-on, le loisir d'y vaquer. On ne l'a pas, j'en conviens ; mais pourquoi ne l'a-t-on pas ? Parce qu'on ne veut pas l'avoir ; parce qu'on se surcharge volontairement d'occupations inutiles ; parce qu'on dérobe aux pauvres le temps qu'on leur doit, pour le prodiguer ailleurs où on ne le doit pas, et pour en faire un usage criminel, dès qu'il leur est si préjudiciable. Voilà ce qu'on n'a jamais bien compris et ce que jamais on ne comprendra, tant qu'on ne nous écoutera point d'un sens plus rassis, et avec plus de tranquillité.
Car comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec un cœur possédé de l'amour des biens périssables, et l'on y apporte une insatiable convoitise ; ce ne sont que désirs ardents et sans régie, que vues secrètes de gagner, d'accumuler, de s'enrichir. De là, on n'entend guère volontiers parler de l'aumône, et l'on n'est guère disposé à seconder les bonnes intentions du prédicateur sur cette matière. Si des personnes zélées, sages et fidèles, après avoir parcouru dans un quartier tout ce qu'il y a de pauvres maisons, disons mieux, de pauvres cabanes et de tristes réduits où l'indigence demeure cachée, rapportent exactement ce qu'elles ont vu, et témoignent sur cela leurs sentiments, on se figure qu'elles exagèrent, et l'on se met en garde contre leurs sollicitations ; on voudrait pouvoir s'absenter de toutes ces conférences, et telle y assiste par respect humain, et parce qu'elle y est invitée, qui souhaiterait d'avoir des prétextes pour n'y paraître jamais : pourquoi ? C'est qu'elle n'aime pas à donner, et qu'elle ne peut néanmoins honnêtement s'en défendre ; c'est qu'elle regrette tout ce qui sort de ses mains, et qu'elle serait charmée de l'y retenir et d'en grossir ses épargnes ; c'est qu'elle regarde ce qu'on lui demande comme une contribution onéreuse, comme un impôt, comme une taxe ; c'est que, prenant ici place parmi les autres, elle a beaucoup moins en vue d'y répandre les dons de sa charité, que de garder certaines bienséances, et de sauver du reste tout ce que l'honneur lui permettra de ménager.
Enfin, comment vient-on à ces assemblées de charité, et qu'y apporte-t-on ? On y vient avec une âme toute sensuelle, et l'on y apporte toutes les dispositions d'une mondanité voluptueuse : je ne dis pas voluptueuse jusqu'aux excès grossiers ; mais voluptueuse dans l'attachement aux aises et aux commodités de la vie, aux plaisirs du siècle et à ses divertissements, mais voluptueuse dans la recherche de ce qui peut causer de la joie, de ce qui peut faire passer le temps sans ennui et avec agrément ; mais voluptueuse dans la bonne chère, dans les visites, dans les conversations, dans les promenades. Accoutumé à n'avoir dans l'esprit que des idées qui réjouissent, à n'entendre que des entretiens qui plaisent, on se dégoûte d'abord de ces discours, où il n'est question que de pauvreté, que d'adversités, que de souffrances : ce sont des sujets trop sérieux, ce sont des images qui attristent ; on en craint les impressions, et l'on ne cherche qu'à les effacer promptement de son souvenir.
Or sur tout cela voici trois avis que je vous prie de n'oublier jamais. Sont-ce les soins temporels qui vous inquiètent et qui vous détournent ? Je prétends qu'il n'y en a point de plus indispensables pour vous, que celui de satisfaire à l'un des commandements de Dieu les plus formels et les plus exprès, qui est de fournir à Jésus-Christ même dans ses frères, dans ses membres, dans son corps mystique, ce qui lui manque. D'où je tire, et vous devez tirer avec moi cette première règle, que si le soin des pauvres ne peut compatir avec les autres soins, il faut qu'une femme chrétienne retranche des autres soins tout ce qu'il y a d'excessif, tout ce qu'il y a de moins nécessaire et de moins utile, tout ce qu'il y a d'étranger à sa condition et d'accessoire, afin de ne pas abandonner le soin des pauvres. Prenez cette mesure, et, selon ce principe, arrangez toutes les occupations de votre vie, vous trouverez pour les pauvres tout le temps qui leur convient. Sont-ce les biens de la terre et des vues d'intérêt qui vous resserrent à l'égard des pauvres ? Là-dessus je vous dis deux choses, fondées l'une et l'autre sur la parole du Saint-Esprit : premièrement, qu'il y a dans le ciel des trésors infinis et mille fois plus précieux promis aux âmes secourables, comme leur récompense éternelle ; et qu'en ce sens, donner aux pauvres, c'est acquérir, c'est s'assurer un profit immense et un fonds inépuisable de richesses : secondement, que rien, même par rapport aux affaires présentes et à leur succès, n'attire plus de bénédiction que l'aumône ; et que souvent Dieu, dès ce monde, rend au double ce qu'il a reçu par le ministère des pauvres. Sont-ce les plaisirs du siècle qui vous touchent et qui vous attachent ? Hé ! est-il pour des âmes bien nées un plaisir plus doux que de consoler des affligés, que d'essuyer leurs larmes, que de leur rendre le calme, la paix, la santé, la vie ; que d'être, après Dieu, leur espérance, leur refuge, leur bonheur ?
Servez ici de témoins, vous qui l'avez goûté ce plaisir si pur, ce plaisir si digne d'un cœur chrétien ; dites-nous ce que vous avez senti, lorsque, entrant dans de pauvres retraites, et y paraissant l'aumône à la main, vous avez vu la sérénité se répandre sur tous les visages ; que vous avez vu pères, mères, enfants, rassemblés autour de vous, vous accueillir comme des anges envoyés du ciel ; que vous avez vu des malades reprendre leurs forces, et revoir le jour qu'ils semblaient avoir déjà perdu. En arrêtant le cours de tant de pleurs qu'arrachaient la tristesse et les douleurs les plus amères, avez-vous pu retenir les vôtres, qu'une onction toute sainte et toute divine faisait couler ? C'est à vous à nous l'apprendre ; et qui ne vous en croira pas n'a, pour se convaincre, qu'à se mettre en état d'en faire la même épreuve que vous.
BOURDALOUE
DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES
La loi chrétienne est parfaite, mais d'une perfection qui, bien loin de causer du trouble, règle tout, corrige tout, maintient tout dans l'ordre ; elle est parfaite, mais de ce genre de perfection dont parle saint Ambroise, qui inspire une humilité sans bassesse, une générosité sans orgueil, une modestie sans contrainte, une liberté sans épanchement, retenant comme dans un juste équilibre tous les mouvements et toutes les affections de l'âme ; enfin elle est parfaite, mais toujours dans l'étendue de ces deux termes, discrétion et vérité.
BOURDALOUE
Adhuc eo loquente, ecce nubes lucida obumbravit eos. Et ecce vox de nube, dicens : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene
complacui. Ipsum audite.
Tandis qu'il parlait encore, une nuée lumineuse les enveloppa, et il sortit une voix de cette nuée, qui fit entendre ces paroles :
C'est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Ecoutez-le. (Saint Matthieu, chap. XVII, 5.)
Voici l'accomplissement de ce grand mystère qu'annonçait l'Apôtre aux Hébreux, lorsqu'il leur disait que Dieu ayant autrefois parlé à nos pères en plusieurs manières différentes par ses prophètes, il nous a enfin parlé dans ces derniers temps par son Fils même : Multifarium, multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis, novissime locutus est nobis in Filio (Hebr., 1, 1.). C'est dans la transfiguration de Jésus-Christ, qui fait aujourd'hui le sujet de notre évangile, que cette parole de saint Paul s'est pleinement et sensiblement vérifiée. Dieu avait donné aux hommes, sur la montagne de Sinaï, une loi dont Moïse était le ministre, l'interprète, et même, selon l'expression de l'Ecriture, le législateur. Dans la suite des temps, il avait suscité des prophètes pour expliquer aux hommes cette loi, pour leur en faire connaître les préceptes, pour leur en reprocher la transgression, pour les y soumettre, et pour les engager, soit par des menaces, soit par des promesses, à l'accomplir. Mais, du reste, ni Moïse, ni les prophètes ne furent que les précurseurs de l'Homme-Dieu ; et la loi qu'ils publiaient ne fut qu'une disposition à la sainte et nouvelle loi que Jésus-Christ devait apporter au monde. C'est pour cela qu'il paraît entre Moïse et Elie, l'un législateur, l'autre prophète, et qu'il y paraît tout éclatant de lumière ; c'est, dis-je, pour nous apprendre que toutes les ombres de l'ancienne loi étant dissipées, que toutes les prophéties ayant reçu un parfait éclaircissement, il n'y a plus désormais que lui qui mérite d'être écouté, ni qui nous doive servir de maître. Ecoutons-le donc en effet, Chrétiens, ce nouveau législateur, et obéissons à cette voix céleste qui nous dit : Ipsum audite. Pour vous inspirer ce sentiment si juste et si nécessaire, je veux vous entretenir de la loi chrétienne ; et pour traiter dignement un si grand sujet, j'ai besoin des grâces du Saint-Esprit, et je les demande. Ave, Maria.
Quand saint Paul dit qu'il a plu à Dieu de sauver les hommes par la folie de l'Evangile : Placuit Deo per stultitiam prœdicationis salvos facere credentes (1 Cor., I, 21.), il ne faut pas se figurer que la loi chrétienne ait rien pour cela de contraire à la véritable sagesse et à la raison. Car, selon la remarque de saint Jérôme, le même Apôtre, après avoir parlé de la sorte, déclare néanmoins que son ministère est de prêcher la sagesse aux spirituels et aux parfaits : Sapientiam loquimur inter perfectos (1 Cor., II, 6.). Puisque je tiens aujourd'hui la même place que le Docteur des nations, tout indigne que j'en puis être, et puisque je vous prêche la même loi qu'il prêchait aux Gentils, j'ai droit, Chrétiens, de vous dire comme lui, et je vous le dis dès l'entrée de ce discours, que la loi évangélique, dont je viens vous parler, est de toutes les lois la plus raisonnable et la plus sage ; c'est ma première proposition. Je ne m'en tiens pas là ; mais pour vous y attacher encore plus fortement, j'ajoute que cette loi si sage est au même temps de toutes les lois la plus aimable et la plus douce ; c'est ma seconde proposition. Deux rapports sous lesquels nous devons considérer la loi de Jésus-Christ : rapport à l'esprit, rapport au cœur. Par rapport à l'esprit, elle n'a rien qui ne soit digne de notre estime ; par rapport au cœur, elle n'a rien qui ne soit digne de notre amour. C'est ainsi que je prétends combattre deux faux principes dont les ennemis de la religion chrétienne se sont servis de tout temps pour nous la rendre également méprisable et odieuse : méprisable, en nous persuadant qu'elle choque le bon sens et les règles de la vraie prudence ; odieuse, en nous la représentant comme une loi trop dure et sans onction. Or, à ces deux erreurs, j'oppose deux caractères de la loi évangélique : caractère de raison et caractère de douceur. Loi souverainement raisonnable ; vous le verrez dans le premier point. Loi souverainement aimable ; je vous le montrerai dans le second point : deux vérités importantes, qui vont faire le sujet de votre attention.
A prendre les choses en elles-mêmes, et dans les termes de ce devoir légitime qui assujettit la créature au Créateur, il ne nous appartient pas de contrôler, ni même d'examiner la loi que Jésus-Christ nous a apportée du ciel, et qu'il est venu publier au monde. Car puisque les souverains de la terre ont le pouvoir de faire des lois, sans être obligés à dire pourquoi; puisque leur volonté et leur bon plaisir suffit pour autoriser les ordres qu'ils portent, sans que leurs sujets en puissent demander d'autre raison, il est bien juste que nous accordions au moins le même privilège, et que nous rendions le même hommage à celui qui non seulement est notre législateur et notre maître, mais notre Sauveur et notre Dieu. Ce qui nous regarde donc, c'est de nous soumettre à sa loi, et non point de la soumettre à notre censure ; c'est d'observer sa loi avec une fidélité parfaite, et non point d'en faire la discussion par une curiosité présomptueuse.
Cependant, Chrétiens, il se trouve que jamais loi dans le monde n'a été plus critiquée, et, par une suite nécessaire, plus combattue, ni plus condamnée que la loi de Jésus-Christ ; et l'on peut dire d'elle ce que le Saint-Esprit dans l'Ecclésiaste a dit du monde en général, que Dieu, par un dessein particulier, a voulu, ce semble, l'abandonner aux disputes et aux contestations des hommes : Tradidit mundum disputationi eorum (Eccle., III, 11. ). Car cette loi, toute sainte et toute vénérable qu'elle est, a été, si j'ose m'exprimer de la sorte, depuis son institution, le problème de tous les siècles. Les païens, et même dans le christianisme les libertins, suivant les lumières de la prudence charnelle, l'ont réprouvée comme trop sublime et trop au-dessus de l'humanité, c'est-à-dire comme affectant une perfection outrée, et bien au-delà des bornes que prescrit la droite raison. Et plusieurs, au contraire, parmi les hérétiques, préoccupés de leurs sens, l'ont attaquée comme trop naturelle et trop humaine, c'est-à-dire comme laissant encore à l'homme trop de liberté, et ne portant pas assez loin l'obligation étroite et rigoureuse des préceptes qu'elle établit. Les premiers l'ont accusée d'indiscrétion, et les seconds de relâchement. Les uns, au rapport de saint Augustin, se sont plaints qu'elle engageait à un détachement des choses du monde chimérique et insensé : Visi sunt iis christiani res humanas stulte et supra quam oportet deserere : et les autres, téméraires et prétendus réformateurs, lui ont reproché que sur cela même elle usait de trop d'indulgence, et qu'elle exigeait encore trop peu. Savez-vous, Chrétiens, ce que je voudrais d'abord inférer de là ? Sans pénétrer plus avant, ma conclusion serait que la loi chrétienne est donc une loi juste, une loi raisonnable, une loi conforme à la règle universelle de l'esprit de Dieu : pourquoi ? parce qu'elle tient le milieu entre ces deux extrémités. Car comme le caractère de l'esprit de l'homme est de se laisser toujours emporter à l'une ou à l'autre, et que le caractère de l'esprit de Dieu , selon la maxime de saint Grégoire, pape, consiste dans une sage modération, il est d'une conséquence presque infaillible qu'une loi que les hommes ont osé tout à la fois condamner et d'excès et de défaut, est justement celle où se trouve ce tempérament de sagesse et de raison, qui en fait, selon la pensée du Prophète royal, une loi sans tache : Lex Domini immaculata (Psalm., XVIII, 8.).
Et certes, ajoute saint Augustin (cette remarque est importante), si la loi de Jésus-Christ avait été parfaitement au gré des païens, dès-là elle aurait cessé, pour ainsi dire, d'être raisonnable ; et si les libertins l'approuvaient, dès là elle nous devrait être suspecte, puisqu'elle aurait plu, et qu'elle plairait encore à des hommes vicieux et corrompus. Pour être ce qu'elle doit être, pour être une loi irréprochable, il faut nécessairement qu'elle ne soit pas de leur goût ; et l'excès même qu'ils lui ont imputé est sa justification. Je dis à proportion de même des hérésiarques prévenus d'un faux zèle et enflés d'un vain orgueil ; ils ont voulu la resserrer, cette loi déjà si étroite ; ils ont entrepris de réformer, comme parle Vincent de Lérins, ce qui devait les réformer eux-mêmes ; et il a fallu que la loi chrétienne, pour ne pas aller à une sévérité sans mesure, et pour demeurer dans les limites de ce culte raisonnable qui fait son essentielle différence, et par où saint Paul la distingue, ne se rapportât pas à leurs idées, et qu'ils y trouvassent des défauts, afin qu'il fût vrai qu'elle n'en a aucun.
S'il s'agissait seulement ici de faire une simple apologie des devoirs du christianisme, je pourrais m'en tenir là ; et sans rien dire de plus, je croirais avoir suffisamment rempli mon dessein ; mais je vais plus loin, et, autant qu'il m'est possible, il faut, Chrétiens, vous mettre en état de rendre désormais sans contradiction, sans résistance, une obéissance entière à ce divin Maître, que Dieu nous ordonne d'écouter : Hic est Filius meus dilectus : ipsum audite. Il faut vous affectionner à sa loi, vous y attacher, et pour cela vous en donner toute la connaissance nécessaire. Attention, s'il vous plaît. J'avoue donc que la loi de Jésus-Christ est une loi sainte et parfaite ; mais je soutiens au même temps que dans sa perfection elle n'a rien d'outré, comme l'esprit du monde se le persuade. J'avoue que c'est une loi modérée, et comme telle, proportionnée à la faiblesse des hommes ; mais je prétends que dans sa modération elle n'a rien de lâche, comme l'esprit de l'hérésie se l'est figuré. Or, ces deux vérités bien conçues m'engagent efficacement à la pratiquer, cette loi ; détruisent tous les préjugés que le libertinage ou l'amour-propre pourraient former dans mon esprit contre cette loi ; me déterminent à vivre en chrétien, parce que rien ne me paraît plus raisonnable ni plus droit que la conduite de cette loi. Quel avantage et pour vous et pour moi, si nous étions bien remplis de ces sentiments !
Non, mes Frères, dit saint Chrysostome traitant le même sujet, la loi de Jésus-Christ dans sa perfection n'a rien qui doive blesser la prudence humaine la plus délicate ; et la rejeter comme une loi outrée, c'est lui faire injure et ne la pas connaître. Soit que nous ayons égard aux obligations générales qu'elle impose à tous les états ; soit que nous considérions les règles particulières qu'elle trace à chaque condition, partout elle porte avec soi, si je puis user de ce terme, le sceau d'une raison souveraine qui la dirige ; partout elle fait voir qu'elle est émanée du conseil de Dieu, comme de sa source. Car enfin, poursuit saint Chrysostome, qu'y a-t-il de si singulier dans la loi chrétienne, que le bon sens le plus exquis ne doive approuver ? Elle oblige l'homme à se renoncer soi-même, à mortifier son esprit, à crucifier sa chair ; elle veut qu'il étouffe ses passions, qu'il abandonne ses intérêts, qu'il supporte un outrage sans se venger, qu'il se laisse enlever ses biens sans les redemander ; elle lui commande deux choses en apparence les plus contradictoires, du moins les plus paradoxes, l'une de haïr ses proches et ses amis, l'autre d'aimer ses persécuteurs et ses ennemis ; elle lui fait un crime de rechercher les richesses et les grandeurs, une vertu d'être humble, une béatitude d'être pauvre, un sujet de joie d'être persécuté et affligé ; elle règle jusques à ses désirs, jusques à ses pensées ; elle lui ordonne, en telle occasion qui se présente, de s'arracher l'œil, de se couper le bras ; enfin elle le réduit à la nécessité même de verser son sang, de donner sa vie, de souffrir la mort, et la plus cruelle mort, dès que l'honneur de sa religion le demande, et qu'il est question de prouver sa foi. Or, tout cela, mes chers auditeurs, est raisonnable ; et tellement raisonnable, que si la loi évangélique ne l'exigeait pas, tout intéressé que j'y puis être, et quelle que soit la corruption de mon cœur, j'aurais peine à ne la pas condamner. Venons au détail, et reprenons.
Oui, il est raisonnable que je me renonce moi-même ; c'est de quoi je ne puis douter sans me méconnaître et sans ignorer ce que je suis. Car puisque je ne suis de moi-même que vanité et que mensonge ; puisque tout ce qu'il y a de bien en moi n'est pas de moi, et que je ne suis de mon propre fonds que misère, qu'aveuglement, qu'emportement, que dérèglement ; n'est-il pas juste que me regardant moi-même et me voyant tel, je conçoive de l'horreur pour moi-même, je me haïsse moi-même, je me détache de moi-même ? Et voilà le sens de ce grand précepte de Jésus-Christ : Abneget semetipsum. Il ne veut pas que je renonce ni à mes vrais intérêts, ni à la vraie charité que je me dois à moi-même, ni à la vraie justice que je puis me rendre ; mais parce qu'il y a une fausse justice que je confonds avec la vraie ; parce qu'il y a une fausse charité, qui me flatte et qui me séduit ; parce qu'il y a un faux intérêt, dont je me laisse éblouir et qui me perd, et que ce que j'appelle moi-même n'est rien autre chose que tout cela, il veut que pour me défaire de tout cela, je me défasse de moi-même, en me renonçant moi-même.
Il est raisonnable que je mortifie ma chair, parce qu'autrement ma chair se révoltera contre ma raison et contre Dieu même ; que je captive mes sens, parce qu'autrement la liberté que je leur donnerais m'exposerait à mille tentations ; que je traite rudement mon corps et que je le réduise en servitude, parce qu'autrement, affaibli du joug d'une sainte austérité, je tomberais dans une criminelle et une honteuse mollesse.
Il est raisonnable que la vengeance me soit défendue ; car que serait-ce si chacun était en droit de satisfaire ses ressentiments, et à quels excès nous porterait une aveugle passion ? Raisonnable, non seulement que j'oublie les injures déjà reçues, mais que je sois prêt à en essuyer encore de nouvelles ; et qu'en mille conjonctures où ma faiblesse me ferait perdre la charité, si je m'opiniâtrais à faire valoir dans toute la rigueur mes prétentions, je me relâche de mes prétentions, et je me désiste de mes demandes : pourquoi ? parce que la charité est un bien d'un ordre supérieur, et que je ne dois risquer pour nul autre ; parce qu'il n'y a rien que je ne doive sacrifier pour conserver la grâce qui se trouve inséparablement liée à l'amour du prochain. Raisonnable, que cet amour du prochain s'étende jusqu'à mes ennemis même les plus mortels, puisque, sans parler de la grandeur d'âme, de cette grandeur héroïque et chrétienne qui paraît dans l'amour d'un ennemi et dans les services qu'on lui rend, la foi m'enseigne que cet homme, pour être mon ennemi, n'en est pas moins mon frère, et que d'ailleurs j'attendrais moi-même, si j'étais ennemi de Dieu, que Dieu usât envers moi de miséricorde, et qu'il me prévînt de sa grâce : car pourquoi serais-je plus délicat que lui dans mes sentiments et dans mes affections ? Raisonnable, par un retour qui semble d'abord bien surprenant et bien étrange, que je haïsse mes amis, mes proches, ceux mêmes à qui je dois la vie, quand ceux à qui je dois la vie, quand ceux à qui je suis le plus étroitement uni par les liens du sang et de l'amitié, sont des obstacles à mon salut : car alors la raison veut que je m'en éloigne, que je les fuie, que je les abhorre ; et c'est ainsi qu'il faut entendre cette parole de Jésus-Christ : Si quis venit ad me, et non odit patrem et matrem, non potest meus esse discipulus (Luc, XIV, 26.) ; si quelqu'un veut venir à moi, et ne hait pas son père et sa mère, il ne peut être mon disciple. Parole, dit saint Grégoire, pape, qui n'abolit point le devoir des enfants envers leurs parents, mais qui condamne l'impiété des parents prévaricateurs, lorsqu'ils abusent de leur pouvoir pour servir de démons à leurs enfants, et pour les engager dans la voie de perdition. Eh quoi ! reprend Tertullien, justifiant cette maxime évangélique, il fallait que les soldats romains, pour être incorporés dans la milice, fissent comme une espèce d'abjuration, et de pères et de mères, entre les mains de ceux qui les commandaient ; et l'on estimait cette sévérité de discipline également juste et nécessaire : si donc Jésus-Christ nous impose cette même loi en certaines conjonctures, savoir, quand l'attachement d'un fils à son père, d'une femme à son mari, est incompatible avec les intérêts de Dieu et l'obéissance qui lui est due, pouvons-nous dire que c'est trop en demander ?
Mais pourquoi s'arracher l'œil ? pourquoi se couper le bras ? Répondez vous-même, divin Sauveur ; et sur la dureté de cette expression, satisfaites dans un mot la prudence humaine : C'est qu'il vaut mieux, dit-il, entrer dans la vie n'ayant qu'un œil ou qu'une main, que d'être pour jamais condamné au tourment du feu ; c'est que tous les jours, à la honte des serviteurs de Dieu, un homme du siècle, par une sagesse mondaine, s'arrache l'œil, se coupe le bras, selon que Jésus-Christ l'a entendu, c'est-à-dire s'arrache lui-même à ce qu'il a de plus cher, et se sépare de ce qu'il aime plus tendrement, afin d'éviter un scandale dont il craint les suites fâcheuses pour sa fortune ; c'est qu'une femme du monde que la raison conduit encore, ne balance pas à rompre un engagement, quelque flatteur, quelque utile qu'il soit, dès qu'elle en prévoit quelque danger pour sa réputation : comme si Dieu avait voulu que la conduite des enfants du siècle servît de leçon aux enfants de lumière ; ou plutôt comme s'il avait voulu que ce fût une apologie du précepte de l'Evangile : Si oculus tuus scandalizat te, erue eum (Matth., XVIII, 9.).
Ce n'est pas assez : pourquoi faire à l'homme un crime de ses désirs, et traiter d'adultère un regard impur et lascif ? Apprenez-le de saint Jérôme : c'est qu'il n'est point permis de désirer ce qu'il n'est pas permis de rechercher ; c'est que toute loi qui laisse les désirs dans l'impunité est une loi imparfaite, propre à faire des hypocrites plutôt que des justes, puisqu'il est impossible de réformer l'homme si l'on ne commence par réformer son cœur. Pourquoi ériger en béatitude un état aussi vil et aussi abject que la pauvreté ? Beati pauperes spiritus (Ibid V, 3.). Jugez-en par vos propres sentiments : c'est qu'autant qu'on a de mépris pour la pauvreté forcée, autant convient-on que la pauvreté volontaire dont parle Jésus-Christ est respectable ; et d'ailleurs l'expérience nous fait bien voir qu'il n'y a d'heureux sur la terre que les pauvres de cœur, puisque la source la plus ordinaire de nos chagrins est l'attachement aux biens de la vie. Mais enfin, et voici le point capital, pourquoi réduire des hommes faibles à cette affreuse nécessité, ou d'être apostats et anathèmes, ou d'endurer à certains temps de persécution le plus rigoureux martyre ? Car c'est là-dessus que la loi de notre Dieu pourrait paraître aux sages du monde d'un caractère plus outré. Elle nous ordonne, et nous l'ordonne sous peine d'une éternelle damnation, d'être habituellement disposés à mourir, plutôt même que de déguiser notre foi. Or, cela, dites-vous, est-il raisonnable ? Et moi je réponds : En pouvez-vous douter ; et pour s'en convaincre, faut-il autre chose que les premiers principes de la raison ? En effet, on demande s'il est raisonnable de s'exposer à la mort, plutôt que de trahir la foi qu'on doit à son Dieu : mais moi je demande s'il n'est pas raisonnable qu'un sujet soit prêt à perdre la vie, plutôt que de trahir la foi qu'il doit à son prince ? mais moi je demande s'il n'est pas raisonnable qu'un homme d'honneur soit en disposition de souffrir tout, plutôt que de commettre une lâcheté et une perfidie ? mais moi je demande s'il n'est pas raisonnable qu'un homme de guerre se sacrifie en mille rencontres comme une victime toujours sur le point d'être immolée et de recevoir le coup mortel, plutôt que de manquer à son devoir ? Il ne le trouve pas seulement raisonnable, mais il s'en fait un point d'honneur et une gloire. Quoi donc, mes Frères, reprend saint Augustin, le martyre pour Dieu sera-t-il censé une folie, et le martyre pour le monde une vertu ? La raison de l'homme aura-t-elle peine à reconnaître l'obligation de l'un, tandis qu'elle approuve et qu'elle autorise l'obligation de l'autre ? Non, non, Chrétiens, rien en cela, rien en tout le reste qui ne soit à l'épreuve de noire censure. Soyons raisonnables, et nous avouerons que la loi de Jésus-Christ l'est encore plus que nous. Soumettons-nous de bonne foi à tout ce que la raison ordonne, la loi évangélique n'aura plus rien qui nous choque. Car si elle nous choque, c'est parce qu'elle nous assujettit trop à la raison, et qu'elle n'accorde rien à notre passion. Prenez garde, s'il vous plaît : je ne dis pas que la loi chrétienne n'ajoute rien à la raison ; c'est une erreur des pélagiens : mais je dis qu'elle n'ajoute rien à la raison qui ne la perfectionne, qui ne l'élève, qui ne la purifie, et que la raison elle-même n'eût établi, si par elle-même elle eût été assez éclairée pour en découvrir l'excellence et l'utilité.
Je sais, mes chers auditeurs (et c'est ainsi que je passe à la seconde vérité, qui, bien loin d'affaiblir la première , va plus solidement encore la confirmer) ; je sais, et j'en conviens, qu'il y a eu de tout temps dans le monde des esprits singuliers, qui, prévenus de leurs idées Chimériques, ont porté cette perfection de la loi chrétienne bien au-delà de ses bornes. Appliquez-vous à ma pensée ; ceci mérite votre réflexion. Je sais que saint Augustin a observé que la perfection de l'Evangile, mal conçue et soutenue par un faux zèle, a fait naître dans la suite des siècles les hérésies les plus opiniâtres : sl pour descendre aux espèces particulières, je sais que dès la naissance de l'Eglise, il s'éleva, comme dit l'Apôtre, des sectes de parfaits et d'illuminés, qui condamnaient, ceux-là le mariage, ceux-ci l'usage des viandes, les uns la pénitence réitérée, les autres la fuite dans les persécutions ; réprouvant de leur autorité propre tout ce qui ne leur semblait pas assez saint, et s'érigeant pour cela non pas en simples réformateurs, mais en souverains et en législateurs. Je sais qu'une des illusions de Pelage fut de confondre les conseils avec les préceptes, et de prétendre, par exemple que, sans le dépouillement réel et effectif des biens temporels, il n'y avait point de salut, ne voulant pas qu'un chrétien pût rien posséder, sans tomber dans une espèce d'apostasie, et sans démentir sa profession. Je sais que par ce principe, quelques-uns même en sont venus jusqu'à troubler la société civile, traitant de désordre l'usage établi de poursuivre ses droits en justice, prenant à la lettre ce qui est écrit : Ei autem et qui aufert quœ tua sunt, ne repetas (Luc, VI, 30.) ; et sans prévoir les funestes conséquences qui suivraient de là, et les avantages qu'en tirerait une injuste cupidité, défendant à un serviteur de Jésus-Christ de redemander jamais son bien, lui fût-il même arraché par violence. Je sais, dis-je, tout cela ; et si vous voulez, je sais encore que ces fausses idées de perfection n'ont communément servi qu'à rendre la loi chrétienne méprisable aux païens, insupportable aux libertins, scandaleuse et sujet de chute aux âmes faibles et timorées ; autre remarque de saint Augustin : méprisable aux païens, qui, jugeant par là de notre religion, l'ont rejetée comme une religion extravagante, quoiqu'elle soit l'ouvrage et le chef-d'œuvre de la sagesse d'un Dieu ; insupportable aux libertins, qui sont bien aises, en matière d'obligations et de devoirs, qu'on leur exagère les choses, pour avoir droit de n'en rien croire et surtout de n'en rien faire, et qu'on leur en demande trop, pour avoir un prétexte de refuser tout ; sujet de scandale et de chute pour les âmes faibles, qui de ces erreurs se sont souvent formé des consciences, et à qui ces fausses consciences ont fait commettre de véritables crimes. Car voilà les effets qu'a produits cette prétendue perfection, quand elle n'a pas été mesurée selon les règles de la vraie foi. Mais tout cela, mes chers auditeurs, n'est point la perfection de la loi chrétienne : pourquoi ? parce qu'il n'y a rien en tout cela que la loi chrétienne n'ait désavoué et qu'elle n'ait même censuré. Comme elle s'est déclarée contre tous les adoucissements qui pouvaient altérer sa pureté, aussi n'a-t-elle pu souffrir qu'on portât trop loin la sévérité de ses préceptes, pour lui donner une fausse couleur de sainteté. Quelque apparence de réforme qu'elle ait aperçue dans l'hérésie, elle s'en est tenue inviolablement à cette grande parole : Rationabile obsequium (Rom., XII, 1.) ; afin, dit saint Jérôme, que l'infidélité la plus critique n'eût rien à lui opposer, et que la raison la plus sensée n'y trouvât rien qui pût justement la blesser.
Car, encore une fois, étudions bien cette loi, et plus nous l'approfondirons, plus elle nous paraîtra sage ; soit qu'elle contredise nos plaisirs, soit qu'elle nous accorde certains divertissements honnêtes et modérés ; soit qu'elle condamne nos entreprises, soit qu'elle nous permette certains soins convenables et souvent même nécessaires ; soit qu'elle réprime notre ambition, soit qu'elle nous laisse la liberté de penser à nos besoins, et de pourvoir par des voies légitimes à notre établissement ; soit qu'elle réprouve notre luxe, soit qu'elle approuve une bienséance modeste et chrétienne : partout nous découvrirons le même caractère de sagesse. Elle est donc parfaite, mais d'une perfection qui gagne le cœur en persuadant l'esprit ; elle est parfaite, mais d'une perfection qui s'accommode à tous les états et à toutes les conditions des hommes ; elle est parfaite, mais d'une perfection qui, bien loin de causer du trouble, règle tout, corrige tout, maintient tout dans l'ordre ; elle est parfaite, mais de ce genre de perfection dont parle saint Ambroise, qui inspire une humilité sans bassesse, une générosité sans orgueil, une modestie sans contrainte , une liberté sans épanchement, retenant comme dans un juste équilibre tous les mouvements et toutes les affections de l'âme ; enfin elle est parfaite, mais toujours dans l'étendue de ces deux termes, discrétion et vérité.
J'ajoute que par une disposition d'ailleurs toute divine, comme elle n'a rien d'outré dans sa perfection, elle n'a rien aussi de lâche dans sa modération. Faudrait-il insister sur ce point, si nous ne vivions pas dans un siècle où la parole de Dieu doit servir de préservatif à tout et contre tout ? Non, la loi de Jésus-Christ dans sa modération n'a rien de lâche : quelque effort qu'aient fait les hérésiarques pour la décrier sur cela, elle s'en est hautement défendue, et en a même tiré sa gloire. En vain Tertullien lui a-t-il reproché son indulgence dans le pardon des péchés ; en vain a-t-il déclamé contre les catholiques, et les a-t-il appelés charnels ; en vain a-t-il représenté l'Eglise de son temps comme un champ ouvert à toute sorte de licence : De campo latissimœ disciplinae ; ses invectives n'ont servi qu'à marquer l'aigreur et l'amertume de son zèle, et n'ont fait impression que sur quelques esprits faibles. Il est vrai que la loi chrétienne ne désespère pas les pécheurs ; mais sans les désespérer, elle leur inspire une crainte bien plus salutaire que le désespoir ; et sans leur ôter la confiance, elle sait bien rabattre leur présomption. Il est vrai qu'en toutes choses elle ne conclut pas à la damnation ; mais sans y conclure absolument, elle ne manque pas sur mille sujets d'en proposer le danger, d'une manière à saisir de frayeur les Saints mêmes. Il est vrai que dans l'ordre des péchés elle ne condamne pas tout comme mortel ; mais à quiconque connaît Dieu, à quiconque veut efficacement son salut, elle donne une grande horreur de tout péché, même du véniel. Il est vrai qu'elle distingue les préceptes des conseils ; mais elle déclare au même temps que le mépris des conseils dispose à la transgression des préceptes, et que l'un est une suite presque infaillible de l'autre.
Or, j'avoue, Chrétiens, que parmi tous les motifs qui me persuadent la vérité de la sainte religion que je professe, il n'y en a point de plus puissant que celui-là. Saint Augustin disait que mille raisons l'attachaient à la foi, et il en faisait un détail capable d'en convaincre les esprits les plus indociles : Multa me in Ecclesia justissime retinent. Mais pour moi, je sens que cette sagesse toute pure et toute divine de la loi de Jésus-Christ a je ne sais quoi de particulier, qui me touche et qui m'entraîne. Car je dis avec l'abbé Rupert : Puisqu'il y a un Dieu, et que les preuves les plus sensibles et les plus évidentes me le démontrent ; puisqu'il faut l'honorer, ce Dieu, par un culte propre et par l'exercice d'une religion, je ne puis manquer en embrassant celle-ci, où je découvre un fonds de sagesse et de sainteté qui ne peut venir que d'en-haut, et qui est incontestablement au-dessus de l'homme. Si c'était une sagesse profane, elle pourrait d'abord m'éblouir ; mais pour peu que je voulusse m'appliquer à l'approfondir et à la bien connaître, j'y trouverais bientôt quelque faible pour m'en détromper. Il n'y a qu'une religion sage comme la nôtre, c'est-à-dire d'une sagesse toute sainte, d'une sagesse établie sur le fondement de toutes les vertus, à quoi je ne puis refuser de me rendre, parce que c'est sans contredit l'ouvrage de Dieu, et que je n'ai rien à y opposer. Je m'écrie, avec plus de sujet encore que saint Pierre : Domine, bonum est nos hic esse ; Ah ! Seigneur, c'est un bien pour moi, et un bien que je ne puis assez estimer, d'avoir connu votre loi, et de l'avoir embrassée. C'est là que je dois m'en tenir ; et pour m'y conserver, je dois être prêt, comme vos martyrs, à sacrifier ma fortune et à répandre mon sang : Domine, bonum est nos hic esse. Saint Pierre, dans le transport de sa joie, demandait à demeurer sur le Thabor ; mais parce qu'en le demandant, il ne pensait qu'à une félicité temporelle, et non point à l'éternelle béatitude de l'autre vie, l'évangéliste ajoute qu'il ne savait ce qu'il disait : Nesciens quid diceret (Luc, IX, 33.). Pour moi, mon Dieu, je comprends parfaitement ce que je dis, et c'est avec une connaissance entière que je vous demande à demeurer toujours ferme et inébranlable dans l'obéissance et dans la pratique de votre loi : Domine, bonum est nos hic esse. Je ne crains point de m'égarer en la suivant, parce que c'est de toutes les lois la plus raisonnable dans ses maximes et la plus sage, comme elle est encore par son onction la plus aimable et la plus douce. Nous l’allons voir dans la seconde partie.
Il est de la grandeur de Dieu d'avoir droit de commander aux hommes de grandes choses, et d'exiger d'eux de grands services ; mais il est aussi de la même grandeur de Dieu que ces grands services qu'il exige des hommes, non seulement ne les accablent point par le poids de leurs difficultés, mais qu'ils leur deviennent agréables et qu'ils y trouvent de la douceur. Car, comme dit le savant Cassiodore, la gloire d'un maître aussi grand que Dieu est d'être tellement servi, qu'on se fasse de l'obligation même de le servir un bonheur et une félicité. Ceux qui de leur propre sens ont voulu expliquer la loi chrétienne, se sont encore ici égares, en s'attachant trop à l'un de ces principes, et ne faisant pas assez de réflexion sur l'autre. Il est vrai que Jésus-Christ, notre souverain législateur, nous a proposé sa loi comme un joug et comme un fardeau ; mais au même temps il nous a fait entendre que ce fardeau était léger, et que ce joug était doux : Jugum enim suave est, et onus meum leve (Matth., XI, 30.). D'où vient que, par une admirable conduite de sa sagesse, il n'a invité à le prendre que ceux qui se trouvaient déjà chargés d'ailleurs et fatigués; s'engageant à les soulager, et toutefois ne leur promettant point d'autre soulagement que de leur imposer son joug et de les obliger à le porter : Venite ad me omnes qui, laboratis, et ego reficiam vos (Ibid., 28.). Mystère qui semblait d'abord impossible et contradictoire, mais dont l'accomplissement a fait connaître l'infaillible vérité ; mystère confirmé par l'expérience de tous les justes, et même de tous les pécheurs, puisqu'il est évident que rien n'est plus capable de soulager un pécheur chargé de la pesanteur de ses crimes, et fatigué de la servitude du monde, que de prendre le joug de Jésus-Christ et de s'y soumettre parfaitement.
Pour former donc une idée complète de la loi évangélique, il ne fallait jamais séparer ces deux choses, qu'elle a si saintement et si divinement unies, le joug et la douceur. Or c'est néanmoins ce qu'ont séparé les hommes, qui par une préoccupation de leur amour-propre, ne s'arrêtant qu'à ces termes de joug et de fardeau, et pour avoir dans leur lâcheté quelque prétexte, n'y joignant pas cette onction et cette douceur que Jésus-Christ y a ajoutée, se sont figuré la loi chrétienne comme une loi fâcheuse, pesante, insoutenable, faite seulement pour les mortifier, et par là s'en sont eux-mêmes rebutés, et en ont rebuté les autres. Semblables à ces Israélites, qui venaient de découvrir la terre de promission, et qui n'en donnèrent au peuple que de l'horreur par la triste peinture qu'ils lui en firent, comme d'une terre affreuse, qui dévorait même ses habitants, et où ils n'avaient vu que des monstres : Hœc terra quam lustravimus devorat habitatores suos ; ibi vidimus monstra (Num., XIII, 33.). Artifice le plus dangereux et le plus subtil qu'ait toujours mis en œuvre l'ennemi de notre salut, pour perdre les âmes et pour y étouffer toutes les semences du christianisme. Mais en vain l'emploiera-t-il jamais contre un chrétien solidement instruit de sa religion, et sincèrement disposé à garder la loi qu'il professe : pourquoi ? parce qu'étant tel, il s'en défendra aisément par cette pensée dont sa foi le prémunit, qu'autant que la loi de son Dieu est parfaite, autant l'onction qui l'accompagne la rend-elle aimable et facile à pratiquer : et quoi que la chair et le monde puissent lui suggérer, au contraire, il en reviendra toujours à ce sentiment de David : Quam dulcia faucibus meis eloquia tua (Psalm., CXVIII, 103.) ! Ah ! Seigneur, que votre loi est douce pour ceux qui la goûtent, et qu'il faut être grossier et sensuel pour ne la goûter pas ! Et en effet, si David pouvait parler de la sorte en vivant sous une loi de rigueur, telle que fut la loi de Moïse, ce serait, non point seulement une honte, mais un crime de n'en pas dire autant de la loi chrétienne, puisque c'est une loi de grâce et une loi de charité. Remarquez bien, s'il vous plaît, mes chers auditeurs, ces deux qualités qui sont essentielles à la loi de Jésus-Christ. Loi de grâce, et loi de charité : voilà ce qui vous met en état de l'observer, malgré toute la difficulté de ses devoirs, et ce qui anéantira devant Dieu toutes vos excuses. Ecoutez-moi.
C'est une loi de grâce où Dieu nous donne infailliblement de quoi accomplir ce qu'il nous commande ; disons mieux, où Dieu lui-même accomplit en nous ce qu'il exige de nous : que pouvez-vous souhaiter de plus ? Ce qui vous empêche d'accomplir la loi, ce qui vous fait même désespérer de l'accomplir jamais, ce sont, dites-vous, les inclinations vicieuses de votre cœur, c'est cette chair conçue dans le péché qui se révolte sans cesse contre l'esprit. Mais imaginez-vous, mes Frères, répond saint Chrysostome, que Dieu vous parle en ces termes : Ô homme, je veux aujourd'hui vous ôter ce cœur, et vous en donner un autre ; vous n'avez que la force d'un homme, et je veux vous donner celle d'un Dieu. Ce n'est point vous seulement qui agirez, vous qui combattrez, vous qui résisterez ; c'est moi-même qui combattrai dans vous, moi-même qui triompherai de ces inclinations et de cette chair corrompue. Si Dieu s'adressait à vous de la sorte, s'il vous faisait cette offre, oseriez-vous encore vous plaindre ? Or en combien d'endroits de l'Ecriture ne vous l'a-t-il pas ainsi promis ? N'était-ce pas à vous qu'il disait, par le prophète Ezéchiel : Je vous ôterai ce cœur endurci, et je vous donnerai un cœur nouveau, un cœur docile et souple à ma loi ? N'est-il pas de la foi que cette promesse regardait ceux qui devaient vivre dans la loi de grâce, et n'y êtes-vous pas dans cette loi de grâce, puisque vous êtes chrétiens ? Que craignez-vous donc ? Que Dieu ne tienne pas sa parole ? mais c'est douter de sa fidélité. Que, malgré la parole de Dieu, vous ne trouviez trop de peine à observer sa loi ? mais c'est douter de sa puissance.
Ah ! Seigneur, s'écriait saint Augustin, commandez-moi tout ce qu'il vous plaira, pourvu que vous me donniez tout ce que vous me commandez, c'est-à-dire que vous me donniez par votre grâce la force d'exécuter ce que vous me commandez par votre précepte : Da quod jubés, et jubé quod vis. Non, mon Dieu, ne m'épargnez pas, n'ayez point d'égard à ma délicatesse, ne considérez point ce que je suis ; car puisque c'est vous qui devez vaincre en moi, c'est sur vous-même et non pas sur moi que je dois compter. Usez donc de votre empire absolu, chargez-moi de tout le poids de vos commandements, obligez-moi à tout ce que mes sens et mon amour-propre abhorrent le plus, faites-moi marcher par les voies les plus étroites : avec votre grâce, rien ne me coûtera. J'en parle, Seigneur, ajoutait-il, par mon expérience personnelle ; car c'est vous qui avez rompu mes liens, et je veux, pour l'intérêt de votre gloire et pour la justification de votre loi, le publier à toute la terre. Ah ! mon Dieu, que n'avez-vous pas pu dans moi, et que n'ai-je pas pu avec vous ? avec quelle facilité ne me suis je pas privé de ces plaisirs dont je m'étais fait une servitude honteuse, et combien m'a-t-il été doux de quitter ce que je craignais tant de perdre ? Je me figurais dans votre loi et dans moi-même des monstres qui me paraissaient insurmontables ; mais j'ai reconnu que c'étaient des monstres imaginaires, du moment que votre grâce a touché mon cœur ; et voilà pourquoi je ne fais plus d'exception ni de réserve en ce qui regarde votre service : Da quod jubes, et jube quod vis. C'est ainsi que parlait ce grand Saint ; et si la force de la grâce est telle, comment pouvons-nous dire à Dieu que sa loi est un joug trop rude à porter, et qui nous accable ?
Mais je n'ai pas cette grâce qui soutenait saint Augustin, et qui le faisait agir. Peut-être, Chrétiens, ne l'avez-vous pas ; mais vous mettez-vous en état de l'avoir ? vous disposez-vous à l'obtenir ? la demandez-vous à Dieu ? la cherchez-vous dans les sources où il l'a renfermée, qui sont les sacrements ? retranchez-vous de votre cœur tous les obstacles qu'il lui oppose ? et n'est-il pas étrange que , ne faisant rien de tout ce qu'il faudrait faire pour vous faciliter l'observation de la loi, vous osiez encore vous plaindre de ses difficultés, au lieu de vous en prendre à vous-mêmes et à votre lâcheté ? Dieu, mes chers auditeurs, aura bien de quoi la confondre cette lâcheté criminelle, en vous détrompant de l'erreur qui en était le principe et qui lui servait de prétexte. Car il vous dira, avec bien plus de raison qu'à son peuple : Non, ce n'est point la rigueur de ma loi qui peut et qui doit vous justifier ; ce commandement que je vous faisais (ce sont les paroles de Dieu même dans l'Ecriture), n'était ni trop éloigné, ni trop au-dessus de vous. Il n'était point élevé jusqu'au ciel, pour vous donner sujet de dire : Qui pourra y atteindre ? il n'était point au-delà des mers, pour vous donner lieu de demander : Qui osera se promettre d'y parvenir ? Au contraire, vous l'aviez auprès de vous, il était au milieu de votre cœur ; vous le trouvez dans votre condition, dans votre état, pour pouvoir aisément l'accomplir : comment cela ? parce que ma grâce y était au même temps attachée. Or, Dieu, par ces paroles, ne prétendait rien autre chose que de détruire tous nos prétextes, quand nous nous dispensons de garder la loi, et que nous la considérons seulement en elle-même, sans considérer les secours qui y sont si abondants.
Car de dire que ces secours nous manquent, lors même que nous les demandons ; de dire que toutes ces grandes promesses que Dieu nous a faites, de répandre sur nous la plénitude de son esprit, n'aillent pas jusqu'à nous donner de quoi soutenir avec douceur et avec joie la pratique de ses commandements ; de dire que toute la prééminence de la loi de grâce au-dessus de la loi écrite se réduise à rien, et que tout l'effet de la rédemption et de la mort de Jésus-Christ ait été d'appesantir le joug du Seigneur : ah ! Chrétiens, ce seraient autant de blasphèmes contre la bonté et la fidélité de Dieu. Que nous manque-t-il donc ? deux choses : une foi sincère, et une espérance vive ; l'une pour nous attacher à Dieu, et l'autre pour nous confier en Dieu. Car en nous unissant à lui par l'une et par l'autre, nous changerions notre faiblesse dans une force invincible, comme dit le Prophète : Qui sperant in Domino, mutabunt fortitudinem (Isa., XL, 31.) ; nous commencerions à marcher, à courir, à voler comme des aigles : Assument pennas ut aquilœ; volabunt et non deficient (Ibid.). Mais, parce que nous nous détachons de lui, nous demeurons toujours faibles et languissants, toujours dans le chagrin et le dégoût, toujours dans rabattement et le désespoir ; comme si l'Evangile n'était pas une loi de grâce, et que la loi de grâce n'eût pas aplani toutes les difficultés.
Que sera-ce, si j'ajoute que cette loi de grâce est encore une loi de charité et d'amour ? Amour et charité, dont l'effet propre est d'adoucir tout, de rendre tout, non seulement possible, mais facile ; non seulement supportable, mais agréable ; d'ôter au joug toute sa pesanteur, et, si j'ose le dire, d'en faire même un joug d'autant plus léger qu'il est plus pesant. Paradoxe que saint Augustin explique par une comparaison très naturelle, et dont je puis bien me servir après ce Père. Car vous voyez les oiseaux, dit ce saint docteur : ils ont des ailes, et ils en sont chargés, mais ce qui les charge fait leur agilité, et plus ils en sont chargés, plus ils deviennent agiles. Otez donc à un oiseau ses ailes, vous le déchargez ; mais en le déchargeant, vous le mettez hors d'état de voler : Quoniam exonerare voluisti, jacet. Au contraire, rendez-lui ses ailes, qu'il en soit chargé tout de nouveau, c'est alors qu'il s'élèvera : pourquoi ? parce qu'au même temps qu'il porte ses ailes, ses ailes le portent. Il les porte sur la terre, et elles le portent vers le ciel : Redeat omis, et volabit. Telle est, reprend saint Augustin , la loi de Jésus-Christ : Talis est Christi sarcina ; nous la portons, et elle nous porte ; nous la portons en lui obéissant, en la pratiquant ; mais elle nous porte en nous excitant, en nous fortifiant, en nous animant. Tout autre fardeau n'a que son poids, mais celui-ci a des ailes : Alia sarcina pondus habet, Christi pennas.
Laissons cette figure, Chrétiens, et parlons encore plus solidement. Dieu, souverain Créateur, possédait trois qualités par rapport à ses créatures : celle de maître, qui nous soumettait à lui en qualité d'esclaves; celle de rémunérateur, qui nous attirait à lui en qualité de mercenaires ; celle de père, qui nous attache à lui en qualité d'enfants. Or, selon ces trois qualités (c'est la réflexion de saint Bernard), Dieu a donné trois lois aux hommes : une loi d'autorité comme à des esclaves, une loi d'espérance comme à des mercenaires, et une loi d'amour comme à des enfants. Les deux premières furent des lois de travail et de peine, mais la troisième est une loi de consolation et de douceur. Qu'est-il arrivé de là ? Les hommes, dit saint Augustin, ont gémi sous ces lois de travail, de peine, de crainte ; mais leurs gémissements, leurs peines et leurs craintes n'ont pu leur faire aimer ce qu'ils pratiquaient ; au lieu que les chrétiens ont trouvé dans la loi de grâce un goût qui la leur rend aimable, et une onction qui la leur fait observer avec plaisir : Timuerunt, et non impleverunt ; amaverunt et impleverunt. Les hommes, sous les deux premières lois, intéressés et avares, craignaient un Dieu vengeur de leur convoitise ; mais malgré cette crainte, ils ne laissaient pas de commettre les plus injustes violences, de ravir le bien d'autrui, ou du moins de le désirer : au lieu que dans la loi nouvelle ils se sont attachés amoureusement à un Dieu pauvre ; et par amour pour lui, bien loin d'enlever des biens qui ne leur appartenaient pas, ils ont donné leurs biens propres, et se sont volontairement dépouillés de toutes choses : Timuerunt, et rapuerunt res alienas; amaverunt, et donaverunt suas.
Voilà ce que les amateurs du monde ne comprennent pas, et ce qu'ils pourraient néanmoins assez comprendre par eux-mêmes et par leurs propres sentiments. Ils ne nous entendent pas quand nous leur parlons des merveilleux effets de la charité de Dieu dans un cœur ; mais qu'ils en jugent par ce que fait dans eux l'amour même du monde. A quelles lois les tient-il asservis, ce monde qu'ils idolâtrent ? lois de devoir, justes, mais pénibles ; lois de péché, injustes et honteuses ; lois de coutume, extravagantes et bizarres ; lois de respect humain, cruelles et tyranniques ; lois de bienséance, ennuyeuses et fatigantes. Cependant, parce qu'ils aiment le monde, ce qu'il y a dans le service du monde de plus fâcheux, de plus incommode, de plus dur, de plus rebutant, leur devient aisé. Rien ne leur coûte pour satisfaire aux devoirs du monde, pour se conformer aux coutumes du monde, pour observer les bienséances du monde, pour mériter la faveur du monde. Or, qu'ils aiment Dieu comme ils aiment le monde, que, sans changer de sentiments, mais seulement d'objet, au lieu de demeurer toujours attachés au monde, ils commencent à s'attacher à Dieu : cette loi du Seigneur, qui leur paraît impraticable, changera, pour ainsi dire, de nature pour eux. Ils travailleront, et dans leur travail ils trouveront le repos ; ils combattront, et dans leurs combats ils trouveront la paix ; ils renonceront à tout, et dans leurs renoncements, ils trouveront leur trésor ; ils endureront tout, ils se mortifieront en tout, et dans leurs mortifications et leurs pénitences ils trouveront leur bonheur.
C'est ainsi que la loi de Dieu est tout à la fois un joug et un soulagement, un fardeau et un soutien. Si vous en doutez, j'en appelle, non point à votre témoignage, puisque vous ne pouvez rendre témoignage de ce que vous n'êtes point en état de sentir, mais au témoignage de tant de saints, qui l'ont éprouvé, et de tant d'âmes justes qui l'éprouvent encore tous les jours. Eh quoi ! cette loi de charité n'a-t-elle pas changé les chaînes en des liens d'honneur ? témoin un saint Paul. N'a-t-elle pas donné des charmes à la croix ? témoin un saint André. N'a-t-elle pas fait trouver du rafraîchissement au milieu des flammes ? témoin un saint Laurent. N'opère-t-elle pas encore à nos yeux tant de miracles ? N'est-ce pas elle qui fait porter à tant de vierges chrétiennes toutes les austérités du cloître ? N'est-ce pas elle qui engage tant de pénitents dans une sainte guerre contre eux-mêmes, et qui leur apprend à crucifier leur corps ? N'est-ce pas elle qui fait préférer la pauvreté aux richesses, l'obéissance à la liberté, la chasteté aux douceurs du mariage, les abstinences et les jeûnes, les haires et les cilices à toutes les commodités de la vie ? Que dis-je dont vous n'ayez pas des exemples présents et fréquents ? et ces exemples que vous voyez, ne sont-ce pas autant de leçons pour vous ? Si donc, conclut saint Jérôme, la loi vous paraît difficile, ce n'est point à la loi qu'il s'en faut prendre ni à ses difficultés, mais à vous-mêmes et à votre indifférence pour Dieu. Elle est difficile à ceux qui la craignent, à ceux qui la voudraient élargir, à ceux que l’Esprit de Dieu, cet Esprit de grâce, cet Esprit de charité, ne réveille point, n'anime point, ne touche point, parce qu'ils n'en veulent pas être touchés.
Mais prenons confiance, et, dans un saint désir de plaire à Dieu, entrons dans la voie de ses commandements : nous y marcherons comme David, nous y courrons : nous arriverons au terme de l'éternité bienheureuse.
BOURDALOUE
SUR LA SAGESSE ET LA DOUCEUR DE LA LOI CHRÉTIENNE
Vase d'or, Fleurs et Buste de Louis XIV, Jean-Baptiste Belin de Fontenay, Musée du Louvre
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l'écart sur une haute montagne.
Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur
apparut avec Moïse, et ils s'entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus :
" Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie."
De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre :
" Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. "
Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
En descendant de la montagne, Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu'ils avaient vu, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : "ressusciter d'entre les morts".
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Car, il faut l'avouer, on trouve partout, mais spécialement dans les conditions riches et opulentes du siècle, de ces âmes de bronze que rien n'amollit. Les cris des pauvres frappent leurs oreilles, mais ils ne peuvent pénétrer dans leurs cœurs.
BOURDALOUE
Semen est verbum Dei.
Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap. VIII, 11.)
Mais reprenons notre parabole et poursuivons la comparaison que j'ai commencée.
Une autre partie du grain tomba sur des pierres. Quelle image et quel caractère ! des âmes dures comme des pierres, des âmes insensibles et que rien ne peut émouvoir, des âmes sans pitié, sans humanité. Que ne leur dit-on pas pour les toucher de compassion ? On leur dit qu'il y a des pauvres accablés de maladies, qui ne peuvent s'aider eux-mêmes, parce que la faiblesse les tient misérablement étendus sur la paille, et qui périssent dans leur infirmité, parce qu'ils n'ont pas de quoi reprendre leurs forces, ni le travail dont ils tiraient leur subsistance. On leur dit qu'il y a de pauvres pères et de pauvres mères chargés d'enfants, qu'ils voient presque mourir de faim entre leurs bras, et qu'ils sont contraints d'abandonner nus à toute la rigueur du froid, pour leur ménager un peu de pain. On leur dit qu'il y a de pauvres artisans sans emploi, de pauvres ouvriers sans ouvrage, et par conséquent sans nourriture et sans soutien. On leur dit qu'il y a de pauvres filles exposées aux derniers malheurs, et dont elles pourraient sauver la vertu, en leur fournissant de quoi conserver leur vie. On leur dit tout cela, et bien d'autres choses ; mais elles écoutent tout tranquillement, et il semble que ce soient des fictions, des contes qu'on leur débite pour les amuser.
Que dis-je, et est-il donc possible qu'il y ait des âmes de cette trempe ? Oui, il y en a ; et malgré la sainteté de la foi chrétienne, on en voit dans le sein même de la religion qui, sur ce point, sont plus infidèles que les païens mêmes. Qu'il soit question de leurs personnes, que de soins ! que de ménagements ! que de précautions ! elles sont délicates jusqu'à la mollesse. Mais qu'il s'agisse des pauvres (oserai-je parler de la sorte ?), elles vont jusqu'à une espèce de barbarie et de cruauté.
Que leur demande-t-on ? Ce qui leur coûterait peu, ce qui souvent ne leur coûterait rien, ce qui ne leur est nullement nécessaire, ce qui quelquefois leur est nuisible et toujours absolument inutile. Car il ne faudrait rien de plus pour subvenir à tant de calamités dont nous sommes témoins. Avec cela les pauvres vivraient, ou plutôt il n'y aurait plus de pauvres. Mais elles aiment mieux qu'il y en ait, et qu'il y en ait une si nombreuse multitude ; elles aiment mieux que tant de familles tombent en ruine et demeurent sans ressource ; elles aiment mieux les laisser languir, pâtir, se tourmenter et se désespérer dans leur indigence, que de se dessaisir de quoique ce soit, quelque vil et quelque superflu qu'il puisse être. Voilà ce que j'appelle dureté.
Combien une femme idolâtre de son corps, et tout occupée de ses ajustements et de ses parures pourrait-elle vêtir de pauvres qui font horreur sous l'affreuse figure où ils sont forcés de se montrer, si du moins elle voulait consacrer à cette œuvre de miséricorde, non pas tout ce qu'elle donne, mais quelque chose de ce qu'elle donne à sa vanité ? Combien de pauvres nourrirait-on de l'excès de certaines tables, je dis de l'excès énorme et d'une prodigalité aussi scandaleuse qu'elle est visible ? Combien y aurait-il à retrancher de telles et telles dépenses pour un jeu, pour des spectacles, pour un train, pour un équipage, pour des ameublements, pour de pures curiosités ; et combien ce retranchement profiterait-il aux pauvres, et leur épargnerait-il de chagrins et de douleurs ? Vous le pouvez mieux savoir que moi, et en vain descendrais-je à des particularités dont vous êtes mieux instruites que je ne le suis, et que je ne le veux être. Soyez vous-mêmes vos juges, mais des juges équitables, mais des juges sévères pour vous et compatissants pour le prochain : vous connaîtrez aisément ce qu'il y a à faire ; et si vous ne le faites pas, que répondrez-vous au témoignage de votre conscience, et comment vous défendrez-vous du juste reproche d'une dureté également condamnable , et devant Dieu et devant les hommes ?
Caractère de dureté dont nous avons un exemple bien mémorable et bien terrible dans le mauvais riche. Il y avait à sa porte un pauvre, c'était Lazare. Ce pauvre était tout couvert d'ulcères, et non seulement n'avait pas de quoi guérir ses plaies, mais de quoi manger. Il ne demandait que les miettes qui tombaient de la table du riche ; et qui croirait qu'un si faible secours lui put être refusé ? L'Evangile néanmoins nous marque qu'il ne put même obtenir cette grâce, et qu'il mourut enfin de misère. Ah ! au seul récit d'une pareille dureté, je m'imagine que vos cœurs se soulèvent ; et quand ensuite on vous représente ce riche impitoyable au milieu des flammes, brûlé d'une soif ardente, et priant en vain qu'on lui accorde une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue, vous ne voyez rien dans son supplice qu'il n'ait mérité, et qui excède la gravité de son crime ; mais en souscrivant à son arrêt, n'est-ce pas souscrire à celui d'une infinité de riches dont le monde est rempli ? n'est-ce pas peut-être souscrire à celui de bien des personnes qui m'écoutent ? Car, il faut l'avouer, on trouve partout, mais spécialement dans les conditions riches et opulentes du siècle, de ces âmes de bronze que rien n'amollit. Les cris des pauvres frappent leurs oreilles, mais ils ne peuvent pénétrer dans leurs cœurs. On ne le comprend pas, on ne se le persuaderait pas si l'on n'en était témoin : on en est indigné, et l'on ne peut s'en taire ; on en parle hautement, mais ce sont des paroles qu'elles laissent passer. Ce qui met le comble à leur dureté, c'est que ces misérables dont elles tiennent si peu de compte ne sont quelquefois devenus pauvres que pour elles, que dans leurs maisons et à leur service. Ce sont de pauvres domestiques ; ce sont de pauvres manœuvres, ce sont de pauvres marchands à qui elles doivent, et qu'elles n'ont jamais payés qu'en promesses ; différant toujours, éludant toujours les instances qu'on leur fait, et se rendant tout à la fois coupables d'un double attentat, l'un contre la charité, et l'autre contre la plus étroite justice. Or, si la naissance, si le rang, si l'autorité les met présentement à couvert de tout, qui pourra les garantir de la formidable menace du Saint-Esprit ? L'avez-vous jamais entendue ? c'est une grande matière à vos réflexions : Cor durum habebit male in novissimo (Eccli., III. 27.).
La mort viendra , et c'est alors que les cœurs durs porteront la peine qui leur est due. Autant qu'ils se seront endurcis aux malheurs des pauvres, autant Dieu les laissera-t-il s'endurcir à leur propre malheur. Car voilà souvent ce qui leur arrive par une malédiction particulière du ciel. Nul sentiment de piété, à cette heure où toute la piété de l'âme chrétienne doit se réveiller. On dirait que c'est un abandonnement entier de Dieu, qui, dès cette vie, les réprouve. Mais sans qu'il les réprouve dès cette vie, à quelle réprobation les destine-t-il dans l'autre ? Je vais trop loin, et il semble que dans une assemblée comme celle-ci je ne devrais promettre que des récompenses. Mais entre les âmes charitables qui la composent, et dont je ne puis assez louer le zèle, il peut s'en trouver à qui la menace que je vous fais entendre soit nécessaire. Dieu le sait, et il les connaît. Puissent-elles se bien connaître elles-mêmes !
BOURDALOUE
DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES