Mais du reste, n'allumons point inutilement notre zèle contre les ennemis de Jésus-Christ : réservons-le pour nous-mêmes, et
tournons-le contre nous-mêmes. Car n'est-ce pas ainsi que nous avons cent fois traité ce roi de l'univers, et que nous le traitons tous les jours ? Nous le couronnons, mais nous le couronnons
d'épines, et d'épines mille fois plus piquantes que toutes celles dont il fut couronné par ses bourreaux.
BOURDALOUE
Tunc milites prœsidis suscipientes Jesum in prœtorium, congregaverunt ad cum universam cohortem ; et exuentes eum, chlamydem
coccineam circumdederunt ei ; et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus, et arundinem in dextera ejus.
Alors les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte ; et après l'avoir
dépouillé, ils le couvrirent d'un manteau de pourpre : puis faisant une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête. Ils lui mirent aussi un roseau à la main droite. (Saint Matthieu, chap.
XXVII, 28.)
N'était-ce donc pas assez de tant d'outrages déjà faits au Fils de Dieu ? et puisqu'il était enfin condamné à mourir, fallait-il
ajouter, à l'injustice et à la rigueur de cet arrêt, de si amères insultes et de si barbares cruautés ? Il semble, dit saint Chrysostome, que tout l'enfer en cette triste journée fût déchaîné, et
eût donné le signal pour soulever tout le monde contre Jésus-Christ. Car ce ne sont plus même les princes des prêtres, ce ne sont plus les scribes et les pharisiens, qui pouvaient avoir des
raisons cachées et des sujets particuliers de haine contre ce divin Sauveur ; ce ne sont plus là, dis-je, ceux qui le persécutent ; mais ce sont les soldats de Pilate, ce sont des Gentils et des
étrangers, qui en font leur jouet, et qui le préparent au supplice et à l'ignominie de la croix par les plus sensibles dérisions, et par toutes les inhumanités que leur inspire une brutale
férocité. Les paroles de mon texte nous les marquent en détail ; et voilà le mystère que nous méditerons, s'il vous plaît, aujourd'hui, et que je puis appeler le mystère de la royauté du Fils de
Dieu. Car, à bien considérer toutes les circonstances qui s'y rencontrent, j'y trouve tout à la fois la royauté de ce Dieu-Homme méprisée et reconnue, avilie et déclarée, profanée et néanmoins
établie et solidement vérifiée. Je dis méprisée, avilie, profanée, par les indignités qu'exercent contre lui les soldats ; mais je dis en même temps reconnue, établie, et solidement vérifiée, par
une conduite supérieure et une secrète disposition de la Providence qui se sert pour cela de l'insolence même des soldats et de leur impiété. L'un et l'autre ne sera pas pour nous sans
instruction.
En voyant la royauté de Jésus-Christ si outrageusement méprisée, nous nous confondrons de l'avoir tant de fois méprisé nous-mêmes, ce
roi du ciel et de la terre ; et en la voyant si justement reconnue et si solidement vérifiée, nous apprendrons à quoi nous la devons nous-mêmes reconnaître, et en quoi nous la devons honorer. La
suite vous développera ces deux pensées, qui comprennent tout le sujet et tout le partage de cette exhortation.
Jamais la barbarie fut-elle plus ingénieuse que dans la passion de Jésus-Christ à satisfaire son aveugle fureur, et quelles lois si
sévères ont jamais produit aucun exemple d'un supplice pareil à celui que vient d'imaginer une cohorte entière de soldats, et qu'ils mettent en œuvre contre cet adorable Maître ? Ils avaient
entendu dire qu'il prenait la qualité de roi ; et pour se jouer de cette royauté prétendue, selon leur sens, le dessein qu'ils forment est de lui en déférer, avec une espèce de cérémonie et
d'appareil, tous les honneurs, et d'observer à son égard tout ce que l’on a coutume de pratiquer envers les rois. On le conduit encore dans le prétoire de Pilate, on lui présente un siège qui lui
doit servir de trône, on lui commande de s'asseoir, tous se rangent autour de lui : Congregaverunt ad eum universam cohortem (Matth., XXVIII, 27.) ; et chacun témoigne son empressement
pour être admis au nombre de ses sujets.
Ce n'est pas assez : afin de le revêtir des marques de sa dignité, on le dépouille de ses habits collés sur son corps déchiré et tout
ensanglanté par la cruelle flagellation qu'il a endurée. On lui jette sur les épaules un manteau de pourpre, comme son manteau royal ; on lui met un roseau à la main, qui lui tient lieu de
sceptre, et qui représente son autorité et son pouvoir. On fait plus encore, et pour diadème on prend une couronne d'épines qu'on lui enfonce dans la tète. De toutes les parties de ce corps
sacré, il n'y avait que la tête qui fût restée saine, et qu'on n'eût point attaquée. Aussi dans les supplices des plus grands criminels, épargnait-on toujours la tète, parce que c'est, le chef où
domine la raison, et où résident les plus nobles puissances de l'âme. Mais par rapport a Jésus-Christ, il n'y a plus de règles. Il faut qu'il soit couronné ; mais que son couronnement lui coûte
cher. Il faut que ce soit un couronnement de souffrances et un martyre. Les épines, appliquées avec force, le percent de toutes parts ; autant de pointes, autant de plaies ; le sang coule tout de
nouveau, et, selon la parole du Prophète qui s'accomplit à la lettre, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a plus rien en cet homme de douleurs qui n'ait eu sa peine et
son tourment : A planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas (Isa., I, 6.).
Du moins si l'on en demeurait là ! mais tout cela ne peut suffire à des cœurs si durs et si impitoyables. Il faut qu'on lui rende
dans cet état les hommages qui lui sont dus, c'est-à-dire des hommages proportionnés à la pourpre, au sceptre et à la couronne qu'il porte. Comment donc l'adorent-ils ? En s'humiliant par
raillerie devant lui, en lui disant, un genou en terre et d'un ton moqueur : Nous vous saluons, roi des Juifs : Ave, rex Judœorum (Matth., XXVII, 29). Quels tributs lui paient-ils ? Ils
lui crachent au visage, ils le meurtrissent de soufflets, ils lui ôtent la canne qu'il tient dans la main, et lui en déchargent mille coups sur la tête. Tout ce que je dis, c'est ce que les
évangélistes nous ont rapporté, et je n'ajoute rien au témoignage qu'ils en ont rendu : Et expuentes in eum, acceperunt arundinem, et percutiebant caput ejus (Ibid.,30.)
.
Voilà, Chrétiens, à quoi fut exposé le Roi des rois ; voilà, j'ose l'espérer de votre piété, voilà ce qui vous touche, ce qui vous
pénètre, peut-être ce qui vous attendrit jusqu'aux larmes, ou ce qui vous anime au moins de la plus juste indignation. Mais du reste, n'allumons point inutilement notre zèle contre les ennemis de
Jésus-Christ : réservons-le pour nous-mêmes, et tournons-le contre nous-mêmes. Car n'est-ce pas ainsi que nous avons cent fois traité ce roi de l'univers, et que nous le traitons tous les jours ?
Nous le couronnons, mais nous le couronnons d'épines, et d'épines mille fois plus piquantes que toutes celles dont il fut couronné par ses bourreaux. Je m'explique, et concevez ceci, je vous
prie.
Nous sommes chrétiens, et en qualité de chrétiens, nous faisons profession d'appartenir à ce Dieu Sauveur, comme à notre roi. Nous
savons, et la foi nous l'enseigne, que toute puissance lui a été donnée au-dessus de toutes les nations du monde, et même au-dessus de toute la cour céleste : Data est mihi omnis potestas in
cœlo et in terra (Ibid., XXVIII, 8.). Nous savons qu'il a été établi de son Père pour régner non-seulement en Sion : Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion (Psal., II, 6.) ;
mais pour étendre son empire jusqu'aux extrémités de la terre : Postula a me, et dabo tibi gentes hœreditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrœ (Ibid., 8.). Il est vrai qu'il dit
à Pilate que son royaume n'était pas de ce monde, mais il ne prétendait point en cela lui faire entendre que ce monde ne fût pas soumis à sa domination. Il ne voulait lui dire autre chose, sinon
qu'il n'était venu dans le monde que pour y exercer une domination spirituelle, et non point une domination temporelle : car voilà le sens de ces paroles : Regnum meum non est de hoc
mundo (Joan., XVIII, 36.). Domination qu'il n'a fait consister que dans l'Evangile qu'il nous a annoncé, que dans la loi qu'il nous a prêchée, que dans les préceptes, dans les conseils, dans
les exemples et les règles de conduite qu'ils nous a donnés : Ego autem constitutus sum rex ab eo, prœdicans prœceptum ejus (Psal., II, 6.). Nous savons, dis-je, tout cela, mes Frères,
et, prévenus de ces connaissances et de ces principes de religion, nous embrassons l'Evangile de cet envoyé de Dieu, nous acceptons la loi de ce souverain législateur, nous recevons sa morale, et
nous révérons, ce semble, ses préceptes et ses maximes ; nous allons à ses autels lui offrir notre culte, et nous nous prosternons en sa présence pour l'adorer. Ainsi, pour m'exprimer de la
sorte, le voilà proclamé roi par notre bouche, et couronné de nos propres mains : Et cœperunt salutare eum : Ave, rex (Marc, XV, 18.).
Mais cette couronne que nous lui présentons, de quelles épines n'est-elle pas mêlée ; ou plutôt, de quelles épines n'est-elle pas
toute composée ? Car ne nous trompons point, mes chers auditeurs, et ne nous arrêtons point à de spécieuses démonstrations. Quand, en même temps que nous couronnons Jésus-Christ, nous le
renonçons du reste dans toute la conduite de notre vie ; quand, après lui avoir rendu devant un autel ou au pied d'un oratoire, je ne sais quel culte d'un moment et de pure cérémonie, nous
agissons ensuite d'une manière toute contraire à l'Evangile qu'il nous a prêché ; que nous violons impunément et habituellement la loi qu'il nous a annoncée ; que nous suivons dans la pratique
une tout autre morale que celle qu'il nous a enseignée ; que nous abandonnons les règles, les maximes, les principes qu'il nous a tracés ; que nous traitons même de faiblesse, et que nous
tournons en raillerie la fidélité de quelques âmes chrétiennes qui refusent de s'en départir, et font une profession ouverte de s'y conformer ; quand nous ne prenons pour guides dans toutes nos
démarches que le monde, que notre ambition, que notre plaisir, que notre intérêt, que nos ressentiments, que nos passions et tous nos désirs déréglés ; encore une fois, quand nous nous déclarons
ses sujets, et que néanmoins nous en usons de la sorte et nous nous comportons en mondains et en païens, n'est-ce pas le couronner d'épines ? et ne peut-on pas alors dire de nous ce que le texte
sacré nous rapporte des soldats ? Et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus (Matth., XXVII, 29.).
Car jamais les épines qui lui percèrent la tête lui furent-elles plus douloureuses et plus sensibles que tant de désordres, que tant
d'injustices, que tant de vengeances, que tant de médisances, que tant d'impiétés, que tant d'excès et de débauches, où tous les jours l'on se porte jusque dans le christianisme, qui est
proprement son royaume ? Est-ce donc là le tribu que nous lui payons ? Les rois, dit saint Bernard, se font des couronnes de ce qui leur est offert par les peuples qui leur sont soumis ; et comme
l'or est le tribut qu'ils exigent de leurs sujets, de là vient aussi qu'ils ont des couronnes d'or : mais que reçoit de nous notre Dieu et que lui produisons-nous autre chose que des épines,
c'est-à-dire que des négligences et des lâchetés, que des imperfections et des infidélités, que des habitudes vicieuses, que des attaches criminelles ? tellement que notre âme est comme ce champ
ou comme cette vigne dont a parlé le Sage, lorsqu'il disait : J'ai passé par le champ du paresseux, et j'ai considéré la vigne de l'insensé : Per agrum hominis pigri transivi, et per vineam
viri stulti (Prov., XXIV, 30.) ; mais qu'y ai-je aperçu ? tout était plein d'orties, et toute la surface était couverte d'épines : Et ecce totum repleverant urticœ, et operuerant
superficiem ejus spinœ (Ibid., 31.).
Il ne peut s'en taire, ce Roi digne de toutes nos adorations et de tout notre amour, mais dont nous profanons si indignement la
souveraine majesté, et à qui nous causons tous les jours de si vives douleurs. Il nous adresse sur cela ses plaintes, et sa grâce nous les fait entendre au fond du cœur : mais où tombe sa parole
? comme ce bon grain de l'Evangile, elle tombe au milieu des épines : Et aliud cecidit inter spinas (Luc, VIII, 7.) ; c'est-à-dire, qu'elle tombe dans des cœurs sensuels et tout
charnels, dans des cœurs vains et enflés d'orgueil, dans des cœurs possédés du monde et de ses biens périssables, dans des cœurs corrompus. Ces épines croissent toujours, elles s'étendent, elles
se multiplient, jusqu'à ce qu'elles viennent à étouffer tous les sentiments de la grâce du Seigneur, et qu'elles arrêtent toute la vertu de sa divine parole : Et simul exortœ spinœ
suffocaverunt illud (Luc, VIII, 7.).
Ce n'est pas tout, reprend saint Bernard, et nous déshonorons encore autrement la royauté du Fils de Dieu. Outre les épines dont nous
le couronnons, nous ne lui faisons porter pour sceptre qu'un roseau : comment cela ? Par nos inconstances et nos légèretés perpétuelles en tout ce qui concerne son service. Aujourd'hui nous
sommes à lui, et demain nous n'y sommes plus. Aujourd'hui nous nous rangeons sous son obéissance pour exécuter fidèlement ses ordres, et demain nous les transgressons. Aujourd'hui nous lui jurons
un attachement inviolable, et demain nous secouons le joug, et nous nous révoltons : tantôt pour Dieu et tantôt pour le monde ; tantôt dans l'ardeur d'une dévotion tendre et affectueuse, et
tantôt dans le relâchement d'une vie tiède et inutile. Or tout cela, qu'est-ce autre chose que lui mettre un roseau dans la main pour nous gouverner ? Je veux dire que c'est ne lui donner sur
nous qu'un empire passager, sans solidité et sans consistance.
Car son empire est dans nous-mêmes et au milieu de nous-mêmes : Regnum Dei intra vos est (Luc, XVII, 21.) ; et quelque
absolu qu'il soit, il ne subsiste (ne vous offensez pas de cette proposition, je l'expliquerai), il ne subsiste qu'autant que nous le voulons et que nous nous y soumettons. Si nous le voulons
toujours et si nous nous y soumettons toujours, il durera toujours : mais si nous ne le voulons et si nous ne nous y soumettons que par intervalles, ce ne sera plus un empire stable et permanent.
Ce n'est pas que Jésus-Christ, vrai Dieu comme il est vrai homme, n'ait sur nous un empire indépendant de nous, un empire inaliénable, immuable, éternel, un empire que nous ne pouvons troubler,
parce qu'il est au-dessus de tous nos caprices et de tous nos changements : mais outre ce premier empire, cet empire essentiel et nécessaire, il y en a un que nous pouvons lui donner ou lui
refuser, parce qu'il l'a fait dépendre de nous-mêmes et de notre volonté. Ainsi, que nous lui soyons volontairement et librement soumis comme à notre roi ; que volontairement et de gré nous nous
attachions à lui, nous observions ses commandements, nous lui rendions tous les devoirs que nous prescrit la religion, voilà l'empire que nous pouvons lui ôter. Je ne dis pas que nous pouvons lui
en ôter le droit, mais l'effet, puisqu'il nous a laissé notre libre arbitre pour demeurer dans la sujétion qui lui est due, et pour satisfaire à tout ce qu'elle nous impose, ou pour nous en
retirer malgré toutes nos obligations, et pour vivre selon nos appétits et nos aveugles convoitises.
Or c'est de cet empire, dont il est néanmoins si jaloux, que nous faisons comme un roseau qui plie au moindre souffle, et qui tourne
de tous les côtés. Que ne lui disons-nous point à certains jours et à certaines heures, où l'esprit divin se communique plus abondamment à nous, et nous touche intérieurement ? De quels regrets
sommes-nous pénétrés à la vue de nos égarements, et que ne nous proposons-nous point pour l'avenir ? Quelles résolutions, quels serments de ne nous détacher jamais de ses intérêts, et de garder
de point en point toute sa loi ? Rien donc, à ce qu'il semble, rien alors de mieux établi que son empire. Mais le voici bientôt détruit : il ne faut pour cela qu'une occasion qui se présente,
qu'un exemple qui attire, qu'une difficulté qui naît, qu'un respect humain qui arrête, qu'un dégoût naturel qui survient, qu'une passion qui se réveille. On reprend ses premières voies, on se
rengage dans ses mêmes habitudes, on oublie toutes ses promesses, on quitte toutes ses bonnes pratiques, on change de maître ; et de l'empire de Jésus-Christ, on retourne sous la domination et la
tyrannie de ses inclinations vicieuses. Peut-être en revient-on encore ; mais pour y rentrer tout de nouveau. Ce ne sont que vicissitudes, que variations ; et le plus fragile roseau n'est pas
sujet à plus de mouvements opposés, ni à plus de dispositions toutes différentes.
Cependant, mes frères, l'iniquité se soutient jusqu'au bout ; et si les soldats couvrent enfin par dérision le Sauveur du monde d'une
robe de pourpre, cela même, par rapport à nous, renferme un mystère bien étrange ; je dis un mystère véritable, et que le Saint-Esprit, selon la remarque des Pères, a eu expressément intention de
nous déclarer ; car ce n'est pas sans raison, dit saint Augustin, que le prophète Isaïe, s'adressant à la personne du Sauveur, lui demande l'intelligence de ce mystère, et qu'il veut apprendre de
lui ce que signifie cette pourpre : Quare ergo rubrum est indumentum tuum, et vestimenta tua sicut calcantium in torculari (Isa., LXIII, 2.) ? Hé ! Seigneur, pourquoi votre robe est-elle
toute rouge ? et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir ? Le voulez-vous savoir, chrétiens, la chose vous touche aussi bien que moi. Ecoutez
ce que ce Sauveur lui-même répond à son prophète : Aspersus est sanguis eorum super vestimenta mea (Ibid., 3.) : Leur sang a rejailli sur moi, et toute ma robe en a été tachée. Comme
s'il disait : Ce sont les dérèglements de mon peuple qui m'ont fait rougir, et c'est de quoi je rougis encore tous les jours. La honte en est retombée sur moi ; et ne pouvant faire nulle
impression sur ma divinité, elle s'est attachée à l'humanité dont je me suis revêtu. Dans la splendeur de ma gloire, mes habits étaient aussi blancs que la neige ; mais depuis que je me suis
réduit sous une forme humaine, ils sont devenus rouges comme l'écarlate, parce que je me suis vu chargé de toutes les abominations du monde.
Quel reproche, mes frères, et quel sujet de confusion pour nous-mêmes ! Car la confusion de notre roi doit retomber sur nous-mêmes,
et doit encore de plus servir un jour à notre jugement et à notre condamnation. Il aura son temps pour venger l'honneur de sa royauté flétrie et profanée. Tout l'univers alors s'humiliera devant
lui, tous les rois de la terre déposeront à ses pieds leurs couronnes ; il n'y aura plus là d'autre roi que ce Roi de gloire ; et de quelle frayeur serons-nous saisis, quand nous le verrons assis
sur son trône, armé du glaive de sa justice, et couronné de tout l'éclat de sa divine et suprême grandeur ! C'est à ce dernier jour qu'il fera le terrible discernement de ceux qui l'auront
honoré, et de ceux qui l'auront méprisé ; qu'il mettra les uns à sa droite comme ses prédestinés et ses élus, et les autres à sa gauche comme des rebelles, des réprouvés ; qu'il dira aux uns, en
les appelant à lui : Venez, possédez mon royaume, vous qui m'avez servi comme votre maître, et qui m'avez obéi comme à votre roi : Tunc dicet rex his, qui a dextris erunt : Venite, possidete
paratum vobis regnum (Matth., XXV, 34.) ; et qu'il dira aux autres, en les rejetant : Allez, et retirez-vous de moi ; vous n'avez point été mon peuple, et vous n'avez point voulu vivre dans
ma dépendance ; je ne sais qui vous êtes, et je vous livre à ces puissances de ténèbres qui vous ont si longtemps temps dominés, et qui vous attendent pour vous faire part de leur sort et de leur
malheur éternel : Tunc dicet et his qui a sinistris erunt : Discedite a me in ignem œternum, qui paratus est diabolo et angelis ejus (Matth., XXV, 41.).
Ah ! chrétiens, que ferons-nous lorsqu'il nous frappera de ce redoutable anathème ? En vain nous commencerons à craindre et à révérer
son souverain pouvoir ; en vain nous lui crierons mille fois : Seigneur, Seigneur : Tunc respondebunt ei, Domine (Ibid., 44.) ; en vain, prosternés devant son tribunal, nous lui dirons :
Roi immortel, roi de tous les siècles, que toute louange, que toute gloire vous soit rendue : Regi sœculorum immortali honor et gloria (1 Tim., I, 17.) ; ce ne sera plus qu'un culte
forcé et contraint, et il demandait un culte de piété et d'amour ; ce ne seront plus que des soumissions d'esclaves, et il voulait une obéissance d'enfants. Or, il n'y a que les enfants qui
trouveront place dans son royaume, et les esclaves en seront éternellement bannis. Ce n'est pas qu'il ne retienne toujours sur ces malheureux son empire naturel, car c'est à lui que son Père a
dit : Régnez au milieu même de vos ennemis : Dominare in medio inimicorum tuorum (Psal., CIX, 2.) ; mais comment ? pour les gouverner avec un sceptre de fer, et pour leur faire sentir
tout le poids de vos justes vengeances : Reges eos in virga ferrea (Ibid., II,9.).
Je vais trop loin, mes chers auditeurs, et revenons.
Comme il n'y a point de mystère où la royauté de Jésus-Christ ait été plus avilie et plus outragée que dans son couronnement, je
prétends d'ailleurs qu'il n'y en a point où elle ait été plus solidement établie et plus justement vérifiée : c'est le sujet de la seconde partie.
BOURDALOUE
EXHORTATION SUR LE COURONNEMENT DE
JÉSUS-CHRIST
Christ
de Pitié, Eglise Saint Nizier, Troyes