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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

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SALVE REGINA

2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 12:30

Pourquoi voyons-nous tant de corruption dans le christianisme ? pourquoi, dans les états même les plus chrétiens en apparence, est-on si peu chrétien ? et pourquoi parmi les personnes dévotes de profession, y a-t-il si peu de vraie dévotion ? Le Prophète nous l'apprend : Desolatione desolata est terra, quia nullus est qui recogitet corde (Jerem., XII, 11.) : Toute la terre est dans une affreuse désolation ; tout est défiguré dans l'Eglise de Jésus-Christ ; quoiqu'elle subsiste toujours, et qu'elle soit toujours sainte et sans tache, tout y est renversé, parce qu'il n'y a plus de recueillement ni de retour du cœur sur soi-même. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore certains dehors de piété ; mais, sous ces dehors, il n'y a plus ou presque plus d'esprit intérieur. Ce sont des dehors spécieux ; on prononce des paroles, on récite des offices, on lit de bons livres, on fait même l'oraison ou l'on se flatte de la faire, on en sait toutes les méthodes ; mais, dans le fond, il n'y a rien là qui parte du cœur. C'est un cœur évaporé qui ne peut se renfermer un moment en lui-même ; un cœur qui se répand continuellement, et qui laisse évanouir tout ce que Dieu, ou ceux qui tiennent la place de Dieu, lui communiquent.

BOURDALOUE

 

 

Semen est verbum Dei.

Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap. VIII, 11.)

 

Dans l'engagement où je suis de contribuer par mon ministère à ce qui doit toujours être la fin de cette assemblée, je veux dire au soulagement des pauvres, j'ai cru ne pouvoir rien faire de mieux que de m'attacher à l'Evangile de cette semaine ; j'y trouve un fonds d'instruction dont j'espère que vous serez édifiées, et qui m'a paru très naturel pour vous inspirer le zèle de la charité envers ceux que vous devez considérer comme vos frères et comme les domestiques de la foi.

 

C'est la parabole du bon grain, dont Jésus-Christ s'est servi pour expliquer au peuple qui l'écoutait un des plus excellents mystères du royaume de Dieu, et une des vérités les plus solides de notre religion. Celui qui sème, disait ce Sauveur adorable, est sorti pour aller semer son grain : et une partie de cette semence est tombée le long du chemin, où les passants l'ont foulée aux pieds, et où les oiseaux du ciel l'ont enlevée. Une autre partie est tombée sur des pierres, où, manquant de suc et d'humidité, elle s'est tout à coup desséchée ; une autre au milieu des épines, et les épines l'ont empêchée de croître ; la dernière, dans une bonne terre : elle y a pris racine, elle y a germé, elle y a produit une ample moisson et rapporté au centuple. Or Jésus-Christ, parlant de la sorte, criait à haute voix : Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre : Qui habet mires audiendi, audiat. Expression dont usait communément ce divin Maître, venant de déclarer quelqu'une de ces maximes importantes qui demandaient un cœur docile et un esprit attentif pour les comprendre et pour en profiter.

 

Ouvrons donc, ouvrons nos cœurs, et recueillons toute l'attention de nos esprits pour bien entrer dans le sens de cette figure, et pour nous appliquer les salutaires enseignements qui y sont renfermés. Qu'est-ce que ce bon grain ? Vous savez que, selon l'interprétation même de Jésus-Christ, c'est la parole de Dieu : Semen est verbum Dei. Et en effet, la parole de Dieu est une précieuse et divine semence, dont la vertu n'a point de bornes si nous ne l'arrêtons, et dont la fécondité est infinie lorsqu'elle trouve des âmes préparées à la recevoir, et à la laisser agir dans toute sa force. Mais cette semence, toute divine et toute précieuse qu'elle est, devient tous les jours dans le christianisme la plus infructueuse et la plus stérile : pourquoi ? parce qu'il y a bien peu de chrétiens où elle rencontre les dispositions nécessaires pour y opérer ces fruits merveilleux de grâces qui lui sont propres, et qui ont autrefois enrichi le champ de l'Eglise. Juste sujet des plaintes et de la douleur des ministres évangéliques ; désordres qu'ils ne cessent point de déplorer, et que nous pouvons regarder comme le principe de la corruption des mœurs du siècle. Je ne m'en tiens pas là néanmoins ; cette morale est trop commune et trop vague : mais voici le point particulier qui vous concerne, et dont j'ai à vous entretenir. C'est un usage saintement établi, que chaque mois on emploie la parole de Dieu à exciter votre charité pour les pauvres. Vous assistez à nos exhortations, et cependant nous ne voyons pas que les aumônes augmentent, ni que les pauvres en soient plus secourus. D'où vient cela ? d'où vient, dis-je, que cette parole de charité qui vous est si souvent annoncée n'a pas dans la pratique toute l'efficace qu'elle peut avoir et qu'elle doit avoir ? c'est ce que je veux examiner avec vous : je suivrai par ordre mon évangile. Dans les différentes qualités de la bonne et de la mauvaise terre où le grain est jeté, je vous représenterai les divers caractères des personnes qui s'assemblent ici avec une assiduité dont nous pourrions tout attendre, si l'expérience ne nous avait appris que les effets n'y répondent pas. De là vous connaîtrez quelle est la source du mal, c'est-à-dire pourquoi les pauvres retirent si peu d'avantage de tant de discours qu'on vous fait en leur faveur ; et, par une bénédiction toute nouvelle que Dieu donnera à sa parole, j'ose espérer que vous travaillerez avec plus d'ardeur que jamais à soulager les misères publiques. Voilà, sans autre partage, tout mon dessein.

 

Le laboureur alla semer son grain. C'était de bon grain, c'était une semence capable de fournir au père de famille une abondante récolte, et de remplir ses greniers : mais d'abord une partie de cette semence tomba près du chemin ; les passants la foulèrent aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent. Qu'est-ce que ce chemin ouvert à tout le monde ? Vous le voyez : ce sont ces âmes volages et dissipées, qui donnent à tout sans réflexion, et qui apportent à ces assemblées un esprit distrait et sans arrêt. Soit que cette dissipation leur soit naturelle, et qu'elles soient nées avec ce caractère de légèreté ; soit qu'il faille l'attribuer à une disposition et à une mauvaise habitude qu'elles aient contractées ; quoi que ce puisse être, elles ne s'intéressent guère aux bonnes œuvres dont on leur prêche l'obligation et l'indispensable nécessité. Je m'explique.

 

Elles viennent aux assemblées de charité ; elles entendent ce qu'on leur dit des besoins extrêmes des pauvres, elles en sont même touchées, ou elles le paraissent. Mais ces impressions passagères s'effacent bientôt. Dans un moment elles les ont reçues, et dans un moment elles les perdent. Le démon, ce lion rugissant qui tourne sans cesse autour de nous pour nous surprendre, leur enlève du cœur la sainte parole qu'elles devaient remporter avec elles, et dont elles devaient faire la matière de leurs méditations : Venit diabolis, et tollit verbum de corde eorum, ne credentes salvi fiant (Luc, III, 12.). Car il ne prévoit que trop, ce dangereux ennemi des âmes, quelles pourraient être, pour leur salut, les suites heureuses et les conséquences de cette parole bien repassée, bien considérée, bien appliquée. Il ne sait que trop qu'elle pourrait devenir ainsi le principe de leur conversion et de leur sanctification : Ne credentes salvi fiant.

 

En effet, si, lorsqu'elles ont entendu le ministre de l'Eglise, elles sortaient bien persuadées que c'est Dieu même qui leur a parlé, et qu'il ne leur reste plus que de mettre en pratique ce qu'on a pris soin de leur enseigner et de leur remontrer ; si, comprenant un de leurs devoirs les plus essentiels, elles pensaient sérieusement à procurer aux pauvres toute l'assistance qu'elles sont en état de leur donner ; si, respectant et envisageant Jésus-Christ dans la personne de ces pauvres, elles s'affectionnaient à les prévenir, à les chercher, à les visiter ; si, non contentes d'une vue superficielle et d'une connaissance générale, elles entraient dans le détail de ce qu'ils ont à souffrir, et qu'elles se fissent une dévotion d'y remédier autant qu'il leur est possible, et de n'y rien épargner de tout ce que leurs facultés leur permettent : ah ! ce serait là le commencement d'un retour sincère et parfait à Dieu. Chaque pas qu'elles feraient pour les pauvres, serait compté par le père et le tuteur des pauvres. Dieu, mille fois plus libéral qu'elles ne peuvent l'être, répandrait sur elles ses grâces, à mesure qu'elles répandraient sur les membres de Jésus-Christ leurs largesses ; et avec ces grâces, de quels égarements ne reviendraient-elles pas ? quelles difficultés ne surmonteraient-elles pas ? J'oserais alors répondre d'une réformation entière de leur vie ; et j'en aurais pour garants tant de promesses si expresses, si solennelles, et si souvent réitérées dans l'Ecriture ; j'en aurais pour garants tant de pécheurs qui n'ont point eu d'autre ressource, et qui, du plus profond abîme où ils étaient plongés, sont parvenus, avec le secours de l'aumône et par les pratiques d'une solide pénitence , à la plus sublime perfection. Or voilà à quoi elles ne font nulle attention, parce que l'esprit séducteur, cet esprit de ténèbres, les aveugle , et qu'il leur ôte toutes ces pensées si utiles pour elles, mais si contraires à ces entreprises : Et tollit verbum de corde eorum, ne credentes salvi fiant.

 

Je dis plus, et sans que le démon s'en mêle ( car combien de choses lui imputons-nous que nous ne devons imputer qu'à nous-mêmes ?), sans, dis-je, que le démon y ait part, le monde, par tous les objets qu'il leur présente et où elles se portent, les détourne des saints exercices de la charité chrétienne. Comme leur cœur est dans un perpétuel épanchement, et qu'il s'attache à tout ce qui leur frappe les yeux, ce qu'on leur a dit du triste état où sont réduits les pauvres, des maux qu'ils endurent et qu'ils auront encore à endurer, des soulagements qu'ils attendent, et qu'elles ne peuvent, sans crime, leur refuser ; tout cela s'échappe en un moment pour faire place à d'autres idées, à d'autres entretiens , à de vaines occupations et aux plus frivoles amusements. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que, par l'habitude qu'elles se sont faite de ne rentrer jamais en elles-mêmes, et de mener une vie tout extérieure, elles n'en ont pas le moindre scrupule, et qu'elles ne se reprochent pas une fois devant Dieu cette dissipation. S'en accusent-elles au saint tribunal ? mettent-elles au nombre de leurs péchés d'avoir par là rendu inutiles tant d'instructions, et par là même d'avoir si longtemps vécu dans l'indifférence à l'égard des pauvres ? elles seraient étonnées qu'un confesseur leur fit sur cela quelque peine, et elles ne s'accommoderaient pas d'une morale qui leur paraîtrait si étroite, et peut-être si peu pensée.

 

Voilà le premier abus que vous avez à corriger. Abus dont les pauvres se ressentent par le délaissement où ils se trouvent ; car, après bien des assemblées, après bien des conférences et des exhortations, après que les prédicateurs ont mis en œuvre tout leur zèle et tout ce qu'ils ont reçu de talents, la charité demeure toujours également languissante, et chaque jour même elle se refroidit davantage. Si donc la Providence a conduit ici de ces femmes mondaines dont je viens de vous faire la peinture, je m'adresse à elles en concluant cet article, et voici ce que j'ai à leur dire. C'est d'opposer au désordre de leur dissipation le remède d'une sérieuse réflexion ; c'est de se persuader que cette assemblée n'est point une pure cérémonie, ni cette exhortation un simple discours, mais une instruction nécessaire , mais une instruction dont Dieu leur demandera compte, et sur laquelle il les jugera ; c'est de s'examiner elles-mêmes là-dessus, et de s'examiner solidement, de voir comment elles ont jusqu'à présent satisfait au précepte de la charité envers les pauvres, de reconnaître leurs négligences passées, et de s'en confondre ; c'est de faire surtout cette recherche et cet examen dans le temps qu'elles consacrent à la prière : car, toutes dissipées qu'elles sont, elles ne laissent pas d'avoir des temps de prière ; et, par un assemblage assez étrange, plusieurs ont trouvé ou cru trouver le secret d'accorder ensemble Dieu et le monde. Mais en général, concevez bien que ce que j'appelle ici dissipation, est la cause la plus universelle et la plus commune des dérèglements du siècle. Pourquoi voyons-nous tant de corruption dans le christianisme ? pourquoi, dans les états même les plus chrétiens en apparence, est-on si peu chrétien ? et pourquoi parmi les personnes dévotes de profession, y a-t-il si peu de vraie dévotion ? Le Prophète nous l'apprend : Desolatione desolata est terra, quia nullus est qui recogitet corde (Jerem., XII, 11.) : Toute la terre est dans une affreuse désolation; tout est défiguré dans l'Eglise de Jésus-Christ ; quoiqu'elle subsiste toujours, et qu'elle soit toujours sainte et sans tache, tout y est renversé, parce qu'il n'y a plus de recueillement ni de retour du cœur sur soi-même. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore certains dehors de piété ; mais, sous ces dehors, il n'y a plus ou presque plus d'esprit intérieur. Ce sont des dehors spécieux ; on prononce des paroles, on récite des offices, on lit de bons livres, on fait même l'oraison ou l'on se flatte de la faire, on en sait toutes les méthodes ; mais, dans le fond, il n'y a rien là qui parte du cœur. C'est un cœur évaporé qui ne peut se renfermer un moment en lui-même ; un cœur qui se répand continuellement, et qui laisse évanouir tout ce que Dieu, ou ceux qui tiennent la place de Dieu, lui communiquent. Ainsi voulez-vous être chrétiennes, ne sortez jamais hors de vous-mêmes. C'est là que vous trouverez Dieu ; car c'est dans le cœur que Dieu habite, et qu'il veut habiter.

 

L'action est louable, elle nous est même ordonnée ; mais il faut que la méditation la précède, qu'elle l'accompagne, qu'elle l'anime : sans la méditation, elle ne peut longtemps se soutenir.

 

BOURDALOUE

DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES

 

Countess Ebba Sparre

La Belle Comtesse, Sébastien Bourdon, National Gallery of Art, Washington

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 12:30

Ce sera une piété constante, parce que ce sera une piété entretenue, et sans cesse excitée par la charité ; tellement que la promesse du Prophète s'accomplira dans vous : Sicut scriptum est : Dispersit, dedit pauperibus ; justitia ejus manet in sœculum sœculi.

BOURDALOUE

 

 

Il est difficile d'allier ensemble l'esprit de piété et l'embarras des affaires du monde. Car la piété consiste dans les sentiments intérieurs d'une âme retirée en elle-même et occupée de Dieu ; mais les soins et les affaires du monde l'obligent à sortir de cette retraite, et, par mille mouvements inquiets et empressés qui la dissipent, lui font insensiblement oublier Dieu, et tourner toutes ses pensées vers la terre. C'est pourquoi saint Paul déclare que tout homme qui veut s'engager dans la milice de Dieu, c'est-à-dire se donner à Dieu, être à Dieu, goûter les choses de Dieu, ne doit point s'ingérer dans les intrigues et les intérêts du siècle : Nemo militans Deo implicat se negotiis sœcularibus (2 Tim., II, 4.). C'est pourquoi le saint auteur de l'imitation de Jésus-Christ, qui dut être un des hommes les plus versés et les plus consommés dans les mystères de la vie spirituelle et dévote, nous avertit sans cesse de n'entrer point trop dans les affaires humaines ; et que se proposant lui-même pour exemple, il reconnaît que jamais il ne s'est trouvé parmi le monde, qu'il n'en soit revenu plus imparfait qu'il n'était : Quoties inter homines fui, minor homo redii. C'est pourquoi les prêtres du Seigneur, les ministres de l'Eglise, les religieux vivent dans l'éloignement et la séparation du monde, ou du moins y doivent vivre autant que leur état le comporte et qu'il le demande, parce qu'ils sont consacrés par une vocation particulière au culte de Dieu, et appelés à un plus haut point de piété et de perfection.

 

Je ne veux pas néanmoins par là vous porter à un renoncement entier ; et ce n'est pas ma pensée qu'il soit de votre piété d'abandonner toutes les affaires attachées par la Providence à votre condition. Bien loin que ce fût une vraie piété, ce serait aller directement contre les vues du ciel ; et à parler en général, la piété est encore moins exposée dans une vie agissante, dans une vie de travail et d'affaires, quoique temporelles et toutes profanes, que dans une vie oisive, que dans la vie de la plupart des femmes du siècle, dont les journées se passent à ne rien faire. Car j'appelle ne rien faire, n'être occupé que de sa personne, n'être occupé que de ses parures, n'être occupé que de son jeu, n'être occupé que de visites inutiles, que de vaines conversations, que de lectures agréables : frivoles amusements, qui n'arrêtent point assez l'esprit pour le détourner de mille idées dangereuses ; au lieu que les affaires et l'attention qu'on leur donne ferment du moins la porte à tous ces objets, et à tous les sentiments, à tous les désirs criminels qu'ils ne manquent point d'inspirer.

 

Mais du reste si l'un est encore plus à craindre que l'autre ; si l'esprit de piété peut encore moins se soutenir dans l'inutilité de vie et l'oisiveté que dans les affaires, il est toujours vrai qu'au milieu du bruit et du tumulte des affaires, il se relâche, il se ralentit, et souvent s'éteint tout à fait et s'amortit. Or, par où l'entretiendrez-vous, et par où le réveillerez-vous ? Point de meilleur moyen que ces bonnes œuvres dont je parle, que les œuvres de charité et de miséricorde. Prenez garde : je ne viens pas, dans une morale outrée, condamner les soins ordinaires du monde, le soin d'une famille qu'il faut régler, le soin d'un bien qu'il faut administrer, le soin d'un héritage qu'il faut cultiver, le soin même d'un procès où l'on se trouve impliqué et où il faut nécessairement s'employer ; cent autres de cette nature, dont on est chargé, et dont on ne peut raisonnablement se dispenser. Je m'en suis déjà expliqué, et, je le répète, ce n'est point là ce que je reprends, ni ce que je dois reprendre. Je dis plus, et j'avoue qu'il y a tels engagements, telles conjonctures, telles affaires, où ce serait plutôt un péché de négliger ces soins, que d'y vaquer. Mais cela posé, je vais plus avant ; et ce que je voudrais aussi vous faire comprendre, c'est que vous ne pouvez mieux sanctifier tous les soins où votre état vous applique, qu'en y joignant le soin des pauvres. Vous me répondrez que c'est ajouter affaires sur affaires, et par conséquent que c'est se livrer à de nouvelles distractions, en se chargeant de nouvelles occupations. Ah ! j'en conviens, c'est une nouvelle occupation, mais une occupation sainte et sanctifiante, seule capable de communiquer à toutes les autres ce caractère de sainteté qui lui est propre, et de réparer dans vos âmes les dommages que toutes les autres ont coutume d'y causer. Concevez ma pensée.

 

Quoique les affaires du monde puissent être rapportées à Dieu, il y a néanmoins bien d'autres vues que la vue de Dieu qui peuvent nous y attacher, et qui n'y attachent en effet que trop tout ce que nous entendons sous le terme d'hommes mondains ou de femmes mondaines : vues de fortune, vues d'honneur et de distinction, vues d'élévation et de grandeur, vues d'intérêt, d'une passion démesurée d'avoir et de posséder, vues d'établissement, de commodité, de plaisir ; et parce que toutes ces vues sont conformes à celles de la nature, ou plutôt parce que ce sont les vues mêmes de la nature, et que le poids de la nature nous entraîne presque malgré nous, il n'est pas surprenant que ces vues terrestres et naturelles prévalent aux vues surnaturelles et divines, qu'elles remplissent l'étroite sphère de notre cœur, qu'elles nous fassent perdre l'idée de cette dernière fin où tout doit être référé, et d'où vient à nos actions toute leur sainteté. Mais, par une règle contraire, voici quelle bénédiction particulière les œuvres de charité portent avec elles : ce n'est pas qu'elles occupent moins, mais c'est qu'elles occupent saintement. Et, en effet, comme ce sont des œuvres où les sentiments humains ne peuvent guère avoir de part, comme ce sont des œuvres par elles-mêmes mortifiantes, souvent très obscures et très humiliantes, il n'y a communément que Dieu qui nous y engage, que Dieu qui nous y attire, que Dieu qu'on s'y propose et qu'on y cherche. On les entreprend pour lui, on les pratique pour lui, on les soutient pour lui. Or, est-il rien de plus propre à nourrir la piété, que cette intention droite et toute divine ?

 

Jugez-en par vous-mêmes, c'est à vous-mêmes que j'en puis appeler ; et que dis-je, dont plusieurs d'entre vous n'aient une connaissance personnelle plus convaincante que tous les discours ? Qu'avez-vous senti dans le secret de l'âme, et qu'y sentez-vous, toutes les fois que la charité adresse vos pas vers les pauvres pour les visiter et les assister ? Etes-vous jamais entrées dans un hôpital, dans une prison, que votre cœur ne se soit auparavant élevé à Dieu ? Quelles réflexions vous y ont occupées, et quelles réflexions en avez-vous remportées ? Quand donc votre piété commence à se refroidir, c'est là immanquablement que vous la rallumez ; quand votre foi commence à s'affaiblir et à languir, c'est là immanquablement que vous la réveillez et que vous la fortifiez. Mais quel est l'aveuglement de je ne sais combien de femmes du monde ! quoiqu'elles soient du monde, et tout abîmées dans les soins du monde, elles sont néanmoins encore chrétiennes ; elles n'ont pas perdu certains principes qu'elles ont reçus de l'éducation ; elles ont de temps en temps des retours intérieurs, qui pourraient les remettre dans les voies d'une solide piété, s'ils étaient soutenus : elles y voudraient marcher; elles voudraient être plus recueillies et plus dévotes ; car c'est ainsi qu'elles le disent elles-mêmes dans les rencontres, et qu'elles le font entendre. C'est quelquefois un pur langage ; je le sais : mais je dois aussi convenir qu'il y en a plusieurs qui là-dessus sont de bonne foi, et qui pensent en effet comme elles parlent. Elles gémissent du peu de goût qu'elles ont aux pratiques de la religion ; elles se plaignent de la sécheresse où elles se trouvent dans la prière ; elles souhaiteraient d'avoir plus de zèle pour leur salut, plus d'attention à cette grande affaire, et de se laisser moins distraire par les autres, qu'elles avouent n'être auprès de celle-là que des amusements et des bagatelles. Telles sont leurs dispositions ; mais parce qu'elles ne les secondent pas, ce sont des dispositions inutiles, et qui ne servent même qu'à leur condamnation ; car elles devraient donc prendre les moyens qu'on leur propose pour parvenir à ce qu'elles désirent. Or un de ces moyens, ce sont incontestablement les œuvres de la charité. Avec cela, elles se mettraient en état de goûter Dieu davantage. Une visite des pauvres, un office qu'elles leur rendraient, serait une suspension salutaire des inquiétudes et des soins du monde ; et Dieu prendrait ces moments pour leur parler au cœur, pour les rappeler à elles-mêmes, pour leur retracer dans l'esprit les vérités éternelles, et pour leur en imprimer tellement le souvenir, que toutes les autres idées ne pussent l'effacer. Leur dévotion se renouvellerait, leur religion se ranimerait, leur espérance deviendrait plus vive, et leur amour pour Dieu plus affectueux et plus ardent. Mais elles prétendent que tous ces changements se fassent dans elles, sans qu'il leur en coûte une seule démarche ; et jamais, à les en croire, elles n'ont assez le loisir pour satisfaire à ce que demandent les pauvres, en l'acquittant de ce qu'elles doivent au monde. Vain prétexte dont elles découvriront aisément l'illusion, dès qu'elles voudront bien se consulter et ne se point flatter. Il ne faut pour le détruire qu'elles-mêmes ; il ne faut que la connaissance qu'elles ont du plan de leur vie, qui pourrait être autrement réglé et mieux ordonné.

 

Vous, plus fidèles aux ordres de Dieu, et plus attentives aux nécessités des pauvres, vous savez vous partager entre eux et le monde. En accordant à l'un tout ce qu'il peut exiger de vous, vous trouvez encore de quoi donner aux autres ce qu'ils attendent de votre charité ; et c'est pour vous confirmer dans cette sainte dispensation et dans ce juste partage, que je conclus par ces paroles de l'Apôtre : Unusquisque prout destinavit in corde suo (2 Cor., IX, 7.) ; Que chacune suive les heureux sentiments dont elle se sent prévenue en faveur des pauvres ; qu'elle reconnaisse comme une grâce de Dieu, et une de ses grâces les plus précieuses, l'inclination qui la porte à les secourir. Vos affaires temporelles n'en souffriront point ; Dieu en prendra soin lui-même, lorsque vous prendrez soin de ses enfants ; et il est assez riche pour vous rendre au centuple ce qu'il aura reçu de vous par leurs mains : Potens est autem Deus omnem gratiam abundare facere in vobis (Ibid. 8.). Vous serez surprises en mille rencontres de voir les choses réussir au delà de vos espérances, et ce seront autant de bénédictions que Dieu répandra sur vous sans vous le faire connaître. Plus vous donnerez, plus vous aurez de quoi donner : Ut abundetis in omne opus bonum (Ibid.). Mais ce qu'il y a de plus essentiel, c'est que vous mettrez par là votre piété à couvert de ces relâchements si ordinaires dans la vie tumultueuse du monde. Ce sera une piété constante, parce que ce sera une piété entretenue, et sans cesse excitée par la charité ; tellement que la promesse du Prophète s'accomplira dans vous : Sicut scriptum est : Dispersit, dedit pauperibus ; justitia ejus manet in sœculum sœculi (Ibid. 9.) En répandant vos aumônes, vous recueillerez des fruits de justice, et vous amasserez des trésors de sainteté : mais de quelle sainteté et de quelle justice ? D'une justice inaltérable et invariable, d'une justice indépendante des occasions, et au-dessus de tous les événements, d'une justice qui vivra avec vous dans les siècles des siècles, et dont la récompense sera éternelle.

 

Ainsi soit-il.

 

BOURDALOUE

PREMIÈRE EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES

 

Jeune homme lisant à la chandelle

Jeune homme lisant à la chandelle, Michel Gobin, Musée des Beaux-Arts, Orléans

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 12:30

Vous apprendrez enfin à soutenir les pratiques de la pénitence, on n'en a que trop d'horreur, et l'on ne se livre que trop là-dessus à ses répugnances naturelles : mais pour les surmonter, ce sera assez d'un regard sur ces pauvres, vers qui votre charité vous conduira.

BOURDALOUE

 

 

Il est certain, et la foi, la raison ne nous permettent pas d'en douter, que l'innocence et la pureté du cœur n'a point de plus grand ennemi dans le monde que ce qui s'appelle une vie molle et voluptueuse. Sans parler de ces voluptés grossières et criminelles qui, d'elles-mêmes, sont condamnées par la loi de Dieu, je dis que celles qui passent même pour indifférentes, et que notre amour-propre prétend avoir droit de rechercher comme honnêtes et permises, ne laissent pas d'avoir une opposition spéciale avec cette, pureté de corps et l’esprit dont le christianisme fait profession. C'est pour cela que saint Paul, qui jugeait des choses dans l'exactitude des maximes évangéliques, parlant des veuves chrétiennes, disait sans hésiter que celle qui veut vivre à son aise et dans les délices, quoiqu'elle ait l'extérieur et les apparences d'une personne vivante, est déjà morte selon l'âme, et doit être réputée telle : Nam quœ in deliciis est, vivens mortua est (Tim., V, 6.). Pourquoi ? parce qu'il n'est pas moralement possible, répond saint Chrysostome, qu'aimant son corps jusqu'à la délicatesse, elle maintienne son esprit dans cette disposition de sévérité qui est le rempart et le soutien nécessaire de la continence. Car qu'est-ce que la continence, sinon ce pouvoir absolu, cet empire qu'une sainte sévérité nous fait prendre sur nos sens pour les gouverner, pour les réprimer, pour arrêter toutes leurs révoltes, et pour les soumettre à la loi de Dieu, en les soumettant à la raison ?

 

Etrange misère de l'homme affaibli par le péché ! Avant son péché, il pouvait mener une vie délicieuse, il pouvait sans péril goûter les fruits de la terre, et en accorder à ses sens toutes les douceurs : mais depuis le péché, il n'y a plus que la pénitence, et qu'une pénitence austère qui lui convienne, parce qu'il n'y a plus que cette austérité qui puisse le contenir dans le devoir, et l'empêcher de se corrompre. Cependant vous n'ignorez pas à quoi nous porte l'esprit du monde : à flatter nos corps, à leur donner tout ce qu'ils demandent, à leur procurer toutes les commodités, à ne les gêner et à ne les mortifier en rien, à les entretenir dans un embonpoint qui dégénère en sensualité, et communément en impureté. Vie des sens, vie épicurienne ; vie que les sages même du paganisme ont réprouvée : jugez si jamais elle peut se concilier avec une religion pure et sans tache comme la nôtre. Faut-il donc s'étonner que le dérèglement des mœurs soit si général, que la contagion gagne si vite, et qu'elle se répande si loin ? Ce qui m'étonnerait plus mille fois , et ce que je traiterais de prodige, c'est qu'une chair ainsi nourrie, ainsi ménagée, ainsi idolâtrée, pût demeurer chaste, et qu'elle fût insensible aux pointes de la passion.

 

Or quel est le moyen que la Providence vous fournit pour vous préserver d'un danger si ordinaire et presque inévitable au milieu du monde, surtout au milieu de ce monde perverti, de ce grand monde où vous vivez ? C'est la pratique des œuvres de charité et de miséricorde. C'est, dis-je, de vous employer pour les pauvres, de les appeler auprès de vous ou d'aller vous-mêmes à eux, d'entrer dans la connaissance et dans le détail de toutes les extrémités où ils sont réduits, de les interroger là-dessus, de leur donner tout le temps de s'expliquer, et de les écouter avec attention, de ne vous contenter pas de ce qu'ils vous disent, ou de ce qu'on vous en dit, mais de vous transporter sur les lieux, et de vous rendre témoins des choses ; de voir comme ils sont logés, comme ils sont couchés, comme ils sont vêtus, de quel pain ils usent, et à quelle disette ils sont continuellement exposés. Je prétends, et vous l'éprouverez, que rien n'est plus capable de vous détacher de vous-mêmes, de vous inspirer l'esprit de mortification, de vous accoutumer aux exercices d'une vie pénitente, de vous faire négliger tous ces ajustements, toutes ces propretés, toutes ces superfluités, dont vous avez peut-être trop de fois cherché ou à parer votre corps, ou à satisfaire ses appétits ; par conséquent, que rien ne doit, plus vous garantir de cet aiguillon de la chair que saint Paul ressentait lui-même, et qui lui taisait former tant de voeux, verser tant de pleurs, pousser tant de soupirs, pratiquer tant de jeûnes, captiver ses sens, et châtier son corps avec tant de rigueur, craignant que cet ennemi domestique n'eût l'avantage sur lui, et qu'il ne le précipitât dans l'abîme : Datus est mihi stimulus carnis meœ qui me colaphizet : propter quod ter Dominum rogavi ... Castigo corpus meum, et in servitutem redigo, ne cum aliis prœdicaverini, ipse reprobus efficiar (2 1 Cor., IX, 27.). Reprenons tout ceci, et comprenez-en la vérité par la simple exposition que j'en vais faire.

 

De là, en effet, de cette vue que vous aurez de tant d'objets de douleur et de compassion, vous apprendrez à vous occuper moins de vos personnes, et à rechercher moins les plaisirs du siècle. Il est impossible d'avoir devant les yeux de tels spectacles, et de ne penser alors qu'à se bien traiter, qu'à se divertir et à se réjouir. Il faudrait avoir pour cela éteint dans son cœur tout sentiment de religion, et même tout sentiment d'humanité. La triste image que forment dans l'esprit toutes ces misères y demeure profondément imprimée : on la remporte avec soi ; et, par un effet très naturel, on ne trouve presque plus de goût à rien. Heureuse préparation à la grâce, qui survient dans une âme, et qui souvent achève ainsi de la déprendre absolument des vains attraits du monde et de tous les attachements sensuels qui servaient à l'amollir !

 

De là vous apprendrez à retrancher ces excès dans les ornements précieux, dans les repas somptueux, dans les mets exquis et délicieux, qui contribuaient à exciter le feu de la cupidité, et qui l'entretenaient. Vous aurez honte de vous voir si abondamment pourvues de tout, tandis que les pauvres n'ont pas le nécessaire. Urie, mari de Bethsabée, ne voulut point entrer dans sa maison, ni reposer autrement que sur la terre : parce, dit-il, que l'arche de Dieu, que toute l'armée d'Israël, que mon général et tous mes compagnons n'habitent présentement que sous des tentes. Voilà ce que vous vous direz à vous-mêmes : Quelle différence y a-t-il donc entre ces pauvres et moi ? ne sont-ce pas les enfants de Dieu comme moi ? ne sont-ce pas ses créatures ? Cette réflexion vous touchera : elle en a touché bien d'autres, et leur a fait faire des sacrifices qui maintenant vous paraîtraient au-dessus de vos forces, si je vous les proposais ; mais qui, tout généreux qu'ils sont, vous deviendraient faciles, si vous aviez considéré de près la déplorable situation de cette multitude d'hommes, de femmes, de filles que la faim dévore, et dont la vie est moins une vie qu'une mort lente et accablante.

 

De là vous apprendrez à souffrir : je dis à souffrir en mille occasions, que vous n'éviterez jamais quoi que vous fassiez, et où il vous serait si important de savoir sanctifier vos peines, et en profiter. Car prenez telles mesures qu'il vous plaira, c'est un arrêt du ciel, et un arrêt irrévocable, que nous devons tous avoir en ce monde nos afflictions et nos adversités : si ce n'est pas l'une, ce sera l'autre. Il n'est donc point question de vouloir s'en exempter, puisque nous n'y pouvons réussir. Il faudrait seulement se les rendre utiles et salutaires ; il faudrait, en les acceptant, se conformer aux desseins de Dieu, qui veut que ces amertumes de la vie nous servent de préservatif contre le penchant et les inclinations vicieuses de la nature corrompue. Mais c'est à quoi nous ne pouvons consentir. On se soulève, on résiste, on repousse autant que l'on peut la main du Seigneur ; et si l'on est trop faible pour en arrêter les coups, du moins on s'aigrit, comme Pharaon, on s'emporte, on se plaint. Or rien ne fera plus tôt cesser toutes vos aigreurs et toutes vos plaintes, que les souffrances des pauvres. Dès que vous en rappellerez le souvenir, par la comparaison de leurs maux et des vôtres, vous verrez que Dieu vous épargne bien encore ; vous vous reprocherez votre sensibilité extrême, vous vous encouragerez, vous vous fortifierez, et peu à peu vous vous élèverez au-dessus de cette mollesse qui vous abattait, et dont les suites sont si dangereuses et si funestes.

 

De là même vous apprendrez enfin à soutenir les pratiques de la pénitence. On n'en a que trop d'horreur, et l'on ne se livre que trop là-dessus à ses répugnances naturelles : mais pour les surmonter, ce sera assez d'un regard sur ces pauvres, vers qui votre charité vous conduira. Vous vous demanderez à vous-mêmes en quoi ils ont plus péché que vous, ce qu'ils ont fait, et par où ils se sont attirés tous les fléaux dont le ciel les a affligés. Après avoir opposé de la sorte péché à péché, vous opposerez pénitence à pénitence. Vous rassemblerez tout ce que l'Eglise vous ordonne de plus rigoureux, tout ce qu'un confesseur prudent et ferme vous prescrit de plus pénible ; tout ce qu'intérieurement l'Esprit de Dieu vous inspire de plus sévère et de plus mortifiant : vous mettrez tout cela dans la balance du sanctuaire, et vous examinerez ce qu'il peut y avoir en tout cela qui égale les misères que vous avez vues, et que vous voyez tous les jours. Ah ! quel sujet de confusion pour vous ! quelle instruction ! et quand il s'agira d'une abstinence, d'un jeûne, d'une retraite, de quelque exercice que ce puisse être, si votre délicatesse en est blessée, si vos sens en sont troublés, si l'amour-propre vous suggère des prétextes qui semblent vous en dispenser, faudra-t-il à toutes les excuses et à tous les prétextes d'autre réponse que celle-ci : Sont-ce là les abstinences des pauvres, sont-ce là leurs jeûnes ? est-ce là leur solitude ? n'ont-ils rien de plus rude à porter, et est-ce là que se réduit leur pénitence ? Vous connaîtrez ainsi combien celle qu'on vous demande est légère, et combien vous seriez inexcusables de ne vouloir pas vous y assujettir ; vous vous y soumettrez plus aisément, et vous ne chercherez point tant à la diminuer ni à l'adoucir : vous l'embrasserez avec confiance ; et parce que de prendre soin des pauvres, d'essuyer leurs chagrins, leurs mauvaises humeurs, leurs grossièretés, de vaincre les dégoûts et les soulèvements de cœur que peut causer l'accès de ces demeures infectées par la pauvreté et par tout ce qui l'accompagne, c'est déjà une des œuvres de la pénitence les plus laborieuses, vous n'en deviendrez que plus zélées pour ces devoirs de miséricorde, et que plus fidèles à les accomplir : tellement que la charité sera, tout ensemble, et le motif pour animer votre pénitence, et la matière pour l'exercer. Remède infaillible contre les passions et les désirs déréglés de la chair.

 

Travaillez, travaillez par toutes les voies qu'on vous présente, à vous maintenir dans cette pureté que l'Apôtre recommandait si fortement aux premiers fidèles. Tout prévenu que je suis de l'estime la plus sincère pour les personnes qui m'écoutent, j'ai cru ne devoir pas omettre dans cette assemblée un point de morale sur quoi le maître des nations s'est tant de fois expliqué, parlant à des saints, et dans la plus grande ferveur du christianisme. Que celui qui est pur devant Dieu se purifie toujours davantage : car ce Dieu de pureté ne se communique qu'aux âmes pures. Les anges mêmes à ses yeux ne sont pas exempts de toute tache : que sera-ce de nous, fragiles mortels, et sans une attention continuelle et de violents efforts, comment serons-nous en sûreté au milieu de tant de pièges qui nous environnent, et où nous pouvons nous perdre ?

 

Concluons par un troisième avantage des œuvres de la charité chrétienne, qui est de conserver l'esprit de piété parmi les soins du monde : Pietas in negotiis. C'est par où je finis.

 

BOURDALOUE

PREMIÈRE EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES

 

Grapes

Panier de raisins, Pierre Dupuis, Musée du Louvre

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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 20:00
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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 12:30

Oui, dit saint Ambroise parlant aux riches du siècle, et leur remontrant leur plus essentielle obligation en qualité de riches, surtout de riches chrétiens : ce que vous retenez hors votre nécessaire, c'est l'aliment du pauvre, c'est le vêtement du pauvre, c'est son fonds : Famelici parus est quem tu detines, nudi tunica.

BOURDALOUE

 

 

Date eleemosynam, et omnia munda sunt vobis.

Donnez l'aumône, et vous serez entièrement purifiés. (Saint Luc, chap. XI, 41.)

 

(Verumtamen, quae insunt, date eleemosynam ; et ecce omnia munda sunt vobis. - Bible du Vatican

Donnez plutôt en aumônes ce que vous avez, et alors tout sera pour pour vous. - Bible de la Liturgie)

 

Voilà une grande promesse ; et pour la bien entendre, il est nécessaire de savoir en quoi consiste cette corruption du siècle que vous avez à craindre, et contre laquelle l'aumône vous servira de préservatif. Il faut examiner les causes les plus ordinaires d'où elle procède ; il faut voir les pernicieux effets dont elle est elle-même la source, et rechercher enfin les remèdes que vous y pouvez opposer. Or je ne puis mieux vous faire comprendre tout cela qu'en supposant un principe de saint Bernard, qui, dans la morale évangélique, est incontestable, et que je tire d'un de ses sermons. Il y a trois choses, dit ce Père, infiniment exposées dans le monde, et qu'il est d'une extrême difficulté d'y conserver : l'humilité, la chasteté, la piété ; l'humilité au milieu des richesses du monde, la chasteté au milieu des délices du monde, et la piété dans l'embarras des affaires du monde : Periclitatur humilitas in divitiis, castitas in deliciis, pietas in negotiis. C'est-à-dire qu'il n'est presque pas possible d'avoir du bien, et d'être humble ; de vivre à son aise, et d'être chaste ; de vaquer aux affaires temporelles, et de ne pas oublier Dieu.

 

Mais voici l'excellent moyen que je viens vous enseigner pour vous garantir de ces trois écueils : c'est la pratique des œuvres de charité. Vous êtes dans des conditions opulentes, dans des conditions commodes, dans des conditions agissantes au dehors et chargés de soins : or je prétends qu'il n'est rien de plus efficace que les œuvres de la charité chrétienne, pour défendre votre humilité de l'orgueil des richesses, pour défendre votre pureté des attraits d'une vie sensuelle, et pour défendre votre piété de la dissipation des affaires humaines : trois points qui seront le partage de cet entretien et le sujet de votre attention.

 

C'est une vérité qui n'est que trop connue, et dont nous n'avons que trop d'exemples dans l'usage du monde : les richesses inspirent l'orgueil, et rien n'est plus rare qu'un homme humble dans l'opulence et modeste dans la fortune. Cet éclat qui environne un riche du siècle, cette pompe et cette magnificence qu'il étale aux yeux du public, ce crédit où il se voit, ce pouvoir de tout entreprendre et de tout faire, ces honneurs que lui rend le commun des autres hommes, ces respects, ces soumissions, et, si je l'ose dire, ces adorations : tout cela l'éblouit de telle sorte, qu'il ne se connaît plus lui-même, et qu'il s'évanouit dans ses vaines idées, se faisant un prétendu mérite de son abondance, se persuadant que tout lui est dû, ne voulant dépendre de personne, et voulant qu'on dépende de lui ; affectant une grandeur d'autant plus onéreuse à ceux que la nécessité y asservit, qu'elle n'est souvent bâtie que sur l'injustice, et que c'est le fruit de ses concussions et de ses usures. N'est-ce pas là ce que nous voyons tous les jours ; et quoiqu'on en murmure et qu'on en conçoive de l'indignation, tant de riches mondains au-dessus de tous les discours, et à couvert de tous les traits de l'envie, en sont-ils moins fiers, moins présomptueux, moins remplis d'eux-mêmes ? Or je soutiens qu'un des correctifs les plus propres à réprimer ces sentiments et à rabattre cet orgueil, c'est l'obligation de l'aumône et des œuvres de charité, mûrement considérée et fidèlement accomplie. Ecoutez-en la preuve.

 

Car, en vertu de ce devoir indispensable, voici, pour l'instruction du riche et pour son humiliation, comment il doit raisonner : J'ai du bien ; mais dans le fond ce bien ne m'appartient pas, ou, s'il m'appartient, ce n'est qu'à des conditions que je ne me suis pas imposées moi-même, mais qui m'ont été imposées et ordonnées indépendamment de moi : marque évidente de ma sujétion. J'ai du bien ; mais Dieu en est le premier maître, le premier propriétaire, et je n'en suis proprement que l'économe et le dispensateur ; tellement que si j'en dispose, ce ne doit point être selon mon gré ni comme il me plaît, mais selon le gré de Dieu, et par les ordres de Dieu. J'ai du bien ; mais j'en dois rendre compte, et un compte très rigoureux ; le jour viendra où je serai appelé devant le tribunal de Dieu, et où il me dira ce qui fut dit à ce fermier de l'Evangile : Redde rationem villicationis tuœ (Luc, XVI.). Faites voir quelle a été votre administration, et comment vous vous en êtes acquitté : compte dont je ne pourrai me défendre, et qu'il faudra nécessairement subir. Enfin j'ai du bien ; mais tout ceci m'apprend que ce bien ne vient point de moi. Je n'ai rien que je n'aie reçu ; or, si je l'ai reçu, pourquoi tant me glorifier, comme si je le tenais de moi-même, et que tout ce que je suis, je le fusse par moi-même : Quid habes, quodnon accepisti ? si autem accepisti, quid gloriaris qvasi non acceperis (1 Cor., XIV.) ? Ainsi, dis-je, doit raisonner un riche ; et ainsi peut-il trouver dans ses richesses de quoi s'humilier.

 

Mais encore ce bien qui n'est pas à lui, ou qui n'est à lui que sous certaines conditions ; ce bien qu'il n'a dans les mains que pour le dispenser et pour le partager ; ce bien dont il est comptable, et dont il aura à répondre ; ce bien qu'il a reçu, pour qui l'a-t-il reçu, et à quoi doit-il l'employer ? C'est pour les pauvres que ce bien lui est confié, et c'est à la subsistance des pauvres que Dieu l'a destiné ; d'où il s'ensuit que le riche n'est pas riche pour lui-même, mais pour les pauvres ; c'est-à-dire qu'il n'est pas riche pour satisfaire son ambition, pour contenter sa cupidité, pour entretenir son luxe, pour s'élever, pour dominer ; mais qu'il l'est pour subvenir aux besoins des pauvres, pour soulager les misères des pauvres, pour fournir le pain aux pauvres, et pour les nourrir. Voilà le dessein que la Providence s'est proposé, voilà les vues qu'elle a eues sur lui ; et par conséquent le bien qu'il possède, il ne le doit pas seulement regarder comme son bien, mais comme le bien du pauvre, puisqu'il en est redevable au pauvre. Oui, dit saint Ambroise parlant aux riches du siècle, et leur remontrant leur plus essentielle obligation en qualité de riches, surtout de riches chrétiens : ce que vous retenez hors votre nécessaire, c'est l'aliment du pauvre, c'est le vêtement du pauvre, c'est son fonds : Famelici parus est quem tu detines, nudi tunica. Il ne faut donc point tant faire parade de ces trésors d'iniquité que vous vous appropriez, de ces brillants équipages, de ces superbes édifices, de ces somptueux repas, de tout ce faste où vous vous montrez avec des airs si dédaigneux et si hautains. Car sous cette vaine splendeur et sous cette apparence trompeuse, savez-vous ce que vous êtes, et comment vous devez être considéré ? comme un tuteur qui, pour sa propre élévation et pour s'agrandir dans le monde, enlèverait le bien de son pupille, et laisserait cet innocent périr sans secours et sans appui ; comme un usurpateur qui, par violence et par voie de fait, se rendrait maître d'un héritage, et priverait le légitime héritier de toutes ses espérances et de ses justes prétentions. Pensées bien humiliantes pour une multitude infinie de riches ; mais pensées solides et vraies. Il n'y a rien dans ces comparaisons, quelque odieuses qu'elles paraissent, ni à diminuer, ni à corriger.

 

De là même, par une nouvelle conséquence que je tire toujours des mêmes principes, je conclus que, dans l'état opulent où Dieu vous a placées, vous êtes, à le bien prendre, les servantes des pauvres, puisque vous êtes destinées par l'ordre de Dieu à les assister dans leurs nécessités, à les secourir dans leurs infirmités, à les chercher pour cela et à les prévenir. Ames chrétiennes, vous ne vous offenserez point de cette qualité de servantes, et vous pardonnerez cette expression à mon zèle, dès que vous en comprendrez tout le sens. Etre servantes des pauvres, c'est être servantes de Jésus-Christ. Si Jésus-Christ en personne, sortant de son tabernacle, et rompant le voile qui le couvre, se présentait sensiblement à votre vue, quelle est celle qui ne tiendrait à honneur de le servir, qui n'aurait là-dessus les mêmes soins, les mêmes empressements que Marthe, qui ne s'emploierait avec joie aux mêmes offices, qui refuserait rien, et qui trouverait rien indigne d'elle et de son ministère ? Or il est de la foi, et Jésus-Christ lui-même vous l'a déclaré, que tout ce que vous faites aux pauvres, c'est à lui que vous le faites : Quamdiu fecistis uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis (Matth., XXV, 40.). Ce sont entre les hommes les plus petits selon le monde : Ex minimis ; mais tout petits, tout vils et tout méprisables qu'ils sont dans l'estime du monde, Jésus-Christ se les est associés, ou s'est associé à eux. Il les a établis auprès de vous comme ses substituts : Ex his fratribus meis minimis ; et par ma bouche il vous fait encore annoncer aujourd'hui qu'il compte tous les services que vous leur rendez, et qu'il les met au nombre de ceux qui lui sont rendus : Quamdiu uni fecistis, mihi fecistis. Vérité indubitable dans la religion ; vérité qui s'étend jusqu'à nos souverains mêmes et à nos rois ; et ne les voyons-nous pas, dans cet esprit, abaisser devant les pauvres cette majesté redoutable sous qui tremblent tant de peuples, et qui fait plier les plus fières nations ? Ne les voyons-nous pas laver eux-mêmes les pieds des pauvres ; oubliant alors que ce sont des sujets, et les derniers de leurs sujets, pour reconnaître que ce sont les images vivantes du premier de tous les Maîtres ? Quamdiu fecistis uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis.

 

C'est ainsi que vous ne rougirez point d'être appelées servantes des pauvres, c'est ainsi que vous vous en ferez gloire ; mais du reste, dans cette gloire même qui vous en reviendra selon Dieu et devant Dieu, vous trouverez un remède bien efficace contre ces enflures du cœur si ordinaires dans les conditions opulentes, et un contre-poids bien puissant contre ces hauteurs que la possession des richesses ne manque guère d'inspirer. Eussiez-vous tous les trésors de la terre, vous serez humbles : pourquoi ? parce que les regardant avec les yeux de la foi, et voulant en faire un usage tel que la Providence l'a réglé, vous vous souviendrez que ces trésors sont pour vous des engagements à vous intéresser en faveur des pauvres, à les connaître et à communiquer avec eux ; à vous charger de leur entretien, de leurs dettes, de leurs affaires ; à leur ménager des fonds, à leur procurer du travail, à leur tenir lieu de tutrices et de mères ; disons mieux, et ne craignons point de reprendre un terme qui relève votre charité, bien loin de la dégrader, à leur tenir lieu de servantes en Jésus-Christ. Sous ces dehors rebutants qui les exposent, parmi le monde profane, à de si injustes mépris, vous les respecterez et vous les honorerez. Autant de services qu'ils recevront de vous seront autant d'exercices d'une humilité toute religieuse, autant de traits d'une sainte ressemblance avec Jésus-Christ anéanti, autant de degrés que vous acquerrez d'une des vertus fondamentales du christianisme, et autant d'exemples que vous en donnerez.

 

Voilà quelle fut, dans toute la grandeur royale, l'humilité d'un saint Louis ; quelle fut l'humilité des deux Elisabeth, l'une reine de Hongrie, et l'autre reine de Portugal ; quelle fut l'humilité de tant d'illustres princesses, de tant de pieuses veuves, de tant de vierges dévouées à la miséricorde. Elles ont été dans des rangs distingués, et dans ces hauts rangs elles ont eu de grands domaines, de grands héritages, de grands biens ; mais jamais les vit-on s'en prévaloir ? Au milieu de cette affluence, vous savez, Seigneur, de quoi elles s'estimaient heureuses, de quoi elles s'applaudissaient dans le secret de leur âme, de quoi elles vous bénissaient : c'est, mon Dieu, d'avoir été choisies comme les ministres de votre providence pour le soulagement des pauvres. Vous savez de quels bas sentiments d'elles-mêmes elles étaient pénétrées, lorsque, entrant dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les cachots les plus obscurs, elles vous adoraient en esprit, et embrassaient les genoux de ces malheureux vers qui il vous avait plu de les envoyer.

 

Quoi qu'il en soit un des plus assurés préservatifs pour sauver l'humilité chrétienne des atteintes de l'orgueil parmi les richesses temporelles, ce sont les œuvres de charité : Periclitatur humilitas in divitiis ; et je vais de plus vous montrer que c'est un des plus sûrs moyens pour sauver l'innocence et la pureté du cœur des amorces d'une vie sensuelle : Castitas in deliciis. C'est la seconde partie. 

 

BOURDALOUE

PREMIÈRE EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES

 

La Récureuse

La Récureuse, André Bouys, Musée des Arts décoratifs, Paris

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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 20:00
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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 12:30

Or quel est notre ennemi, Chrétiens, je dis l'ennemi le plus puissant que la grâce ait à combattre en nous ? Reconnaissons-le devant Dieu, et ne nous aveuglons pas : c'est notre chair, cette chair de péché qui ne conçoit que des désirs criminels, cette chair esclave de la concupiscence, cette chair toujours rebelle à la loi de Dieu. Voilà, dit un apôtre, l'ennemi le plus à craindre, et par qui nous sommes plus   communément   tentés : Unusquisque vero tentatur a concupiscentia sua (Jac, I, 14.). Ennemi d'autant plus dangereux qu'il nous est plus intime, ou plutôt qu'il fait une partie de nous-mêmes ; ennemi d'autant plus redoutable, que naturellement nous l'aimons ; ennemi d'autant plus invincible, qu'il ne nous attaque qu'en nous flattant.

BOURDALOUE

 

 

 Pour bien comprendre ma seconde proposition, il faut encore, s'il vous plaît, présupposer ce grand principe, sur quoi roule, pour ainsi dire, tout le mystère de la prédestination des hommes, et que j'ai déjà développé en partie dès l'entrée de ce discours, mais qui vous paraîtra bien plus noblement conçu et plus fortement exprimé par ces paroles de saint Cyprien, qui sont remarquables : Ordine suo, non nostro arbitrio virtus Spiritus Sancti ministratur. La vertu du Saint-Esprit, c'est-à-dire la grâce, ne nous est pas donnée selon notre choix, beaucoup moins selon notre goût et nos inclinations ; mais dans un certain ordre établi de Dieu, suivant lequel elle doit être ménagée, et hors duquel elle demeure inutile et sans effet. Principe admirable, d'où je tire trois conséquences, qui sont d'une étendue presque infinie dans la morale chrétienne, et qui, appliquées à la conduite de la vie, font le juste tempérament de tous les devoirs que nous avons à remplir, pour correspondre aux desseins de Dieu dans l'importante affaire du salut. Suivez bien ceci, je vous prie.

 

Première conséquence : dans les tentations et dans les dangers où la misère humaine nous expose, je dis par nécessité et malgré nous-mêmes, Dieu, dont la fidélité ne manque jamais, est toujours prêt à nous aider de ses grâces ; mais il veut que nous en usions, et conformément à l'état où il nous a appelés, et par rapport à la fin pour laquelle ces mêmes grâces nous sont données. Car c'est proprement ce que saint Cyprien a voulu nous marquer : Ordine suo, non nostro arbitrio. Or vous savez, mes chers auditeurs, qu'en qualité de chrétiens, nous faisons tous profession d'une sainte milice, et qu'il n'y a personne de nous qui n'en porte le caractère. D'où il s'ensuit que notre vie, selon le témoignage de l'Ecriture, ne doit plus être qu'une guerre continuelle de l'esprit contre la chair, de la raison contre les passions, de la foi contre les sens, de l'homme intérieur contre l'homme extérieur, enfin de nous-mêmes contre nous-mêmes. Et si nous prétendons à la véritable gloire du christianisme, qui consiste dans les solides vertus, saint Paul, ce maître suscité de Dieu pour nous les enseigner et pour nous en donner une juste idée, semble n'en point reconnaître d'autre que de militaires. Car se servant d'une métaphore qui nous doit être vénérable, puisque le Saint-Esprit même en est l'auteur, il nous fait un bouclier de la foi, une cuirasse de la justice, un casque de l'espérance, nous recommandant en mille endroits de ses Epîtres de nous revêtir de ces armes spirituelles : Induite vos armaturam Dei (Ephes., VI, 11.), et nous faisant entendre que nous en devons user, et que sans cela tout le bien qui est en nous, ou que nous présumons y être, n'est que mensonge et illusions. Voilà notre état.

 

Que fait Dieu de sa part ? il nous prépare des grâces proportionnées à cet état. Nous avons à soutenir une guerre difficile et dangereuse : il ne nous donne pas des grâces de paix, comme il en donnait au premier homme, car elles ne nous seraient plus propres ; mais des grâces de combat, de défense, d'attaque, de résistance, parce qu'il n'y a que celles-là qui nous conviennent. Les tentations sont des assauts que nous livre notre ennemi, et ces grâces sont des moyens pour les repousser. Par conséquent faire fond sur la grâce, sans être déterminé à résister et à combattre, c'est oublier ce que nous sommes, c'est nous figurer une grâce imaginaire et chimérique, c'est aller contre toutes les vues de Dieu. Tel est néanmoins le désordre le plus ordinaire, et fasse le ciel que ce ne soit pas le nôtre ! Nous voulons des grâces qui nous garantissent de tous les dangers ; mais nous voulons que ce soient des grâces qui ne nous coûtent rien, qui ne nous incommodent en rien, qui nous laissent dans la possession d'une vie douce et paisible : et Dieu veut que ce soient des grâces qui nous fassent agir, qui nous tiennent dans la sujétion d'un exercice laborieux et sans relâche. Ordine suo, non nostro arbitrio, virtus Spiritus Sancti ministratur. Le repos de la vie, voilà ce qu'on cherche, et ce que tant de personnes vertueuses, séduites par leur amour-propre, se proposent jusque dans leur piété même. Et moi, leur dit Jésus-Christ, je ne connais point cette vie sans action, puisque rien n'est plus contraire à mon esprit, et que le royaume du ciel ne peut être emporté que par violence. Car c'est pour cela que je suis entré, comme votre chef, dans le champ de bataille ; et qu'au lieu de vous apporter la paix, je vous ai apporté l'épée : Non veni pacem mittere, sed gladium (Matth., X, 34.). Témoignage sensible et convaincant qu'il ne veut à sa suite que des âmes généreuses, que des hommes infatigables, et toujours en état de remporter de nouvelles victoires. Le repos est pour le ciel, et le combat pour la terre. Non veni pacem mittere, sed gladium.

 

Seconde conséquence : la première maxime en matière de guerre est d'affaiblir son ennemi et de le fatiguer. Car de vouloir l'épargner et le traiter avec douceur, d'avoir pour lui de l'indulgence, ce serait se perdre et se détruire soi-même. Or quel est notre ennemi, Chrétiens, je dis l'ennemi le plus puissant que la grâce ait à combattre en nous ? Reconnaissons-le devant Dieu, et ne nous aveuglons pas : c'est notre chair, cette chair de péché qui ne conçoit que des désirs criminels, cette chair esclave de la concupiscence, cette chair toujours rebelle à la loi de Dieu. Voilà, dit un apôtre, l'ennemi le plus à craindre, et par qui nous sommes plus   communément   tentés : Unusquisque vero tentatur a concupiscentia sua (Jac, I, 14.). Ennemi d'autant plus dangereux qu'il nous est plus intime, ou plutôt qu'il fait une partie de nous-mêmes ; ennemi d'autant plus redoutable, que naturellement nous l'aimons ; ennemi d'autant plus invincible, qu'il ne nous attaque qu'en nous flattant : c'est cet ennemi, reprend saint Chrysostome, qu'il faut   soumettre, qu'il faut dompter : par où ? par la mortification chrétienne, si nous voulons triompher de la tentation.

 

Car je dis qu'un chrétien qui  n'a aucun usage de cette mortification évangélique, qui nourrit sa chair dans la mollesse, qui l'entretien dans le plaisir, qui lui donne toutes les commodités de la vie ; qui, toujours d'intelligence avec elle, la ménage en tout, la choie en tout, et cependant se confie dans la grâce de Dieu, et se persuade qu'elle suffira pour le sauver, ne la connaît pas cette grâce, et n'a pas les premiers principes de la religion qu'il professe : pourquoi ? voici la preuve qu'en donne saint Bernard : parce que la première action de la grâce qui le doit soutenir, et assurer son salut, est d'éteindre la concupiscence en mortifiant la chair. Vous, au contraire, mon cher auditeur, vous, chrétien sensuel et délicat, au lieu de l'affaiblir, vous la fortifiez ; au lieu de lui retrancher ce qui lui donne l'avantage sur vous, vous la secondez; c'est-à-dire qu'au lieu d'aider la grâce contre la tentation, vous aidez la tentation contre la grâce même, et que vous détruisez celle-ci par l'autre. Jamais donc vous ne devez attendre que la grâce ait son effet, à moins que vous ne demandiez deux choses contradictoires : savoir, que la grâce et la concupiscence vous dominent tout à la fois, ou que Dieu, par un miracle singulier, crée pour vous des grâces nouvelles, qui, sans assujettir la chair, fassent triompher l'esprit. Mais ne vous y trompez pas, et souvenez-vous toujours que ce n'est point au gré de l'homme que Dieu dispense ses grâces, mais selon la sage et invariable disposition de sa providence : Ordine suo, non nostro arbitrio, virtus Spirilus Sancti ministratur.

 

Et en effet, comment est-ce que tous les Saints ont combattu la tentation, et de quel stratagème se sont-ils servis, quel moyen ont-ils employé contre elle ? la mortification de la chair. N'est-ce pas ainsi que David, au milieu des pompes et des plaisirs de la cour, se couvrait d'un rude cilice, lorsqu'il se sentait troublé par ses propres pensées, et que les désirs de son cœur le portaient au mal et le tentaient ? Ego autem cum mihi molesti essent, induebar cilicio (Psalm., XXXIV, 13.). N'est-ce pas pour cela que saint Paul traitait rigoureusement son corps, et qu'il le réduisait en servitude ? Castigo corpus meum, et in servitutem redigo (1 Cor., IX, 27.). Quoi donc ! la grâce est-elle d'une autre trempe dans nos mains que dans celles de cet apôtre ? avons-nous, ou un esprit plus fervent, ou une chair plus soumise que David ? l'ennemi nous livre-t-il d'autres combats, ou sommes-nous plus forts que tant de religieux et tant de solitaires, les élus et les amis de Dieu ? Pas un d'eux qui ait compté sur la grâce séparée de la mortification des sens : et sans la mortification des sens, que dis-je ? dans une vie douce, aisée, commode, dans une vie même voluptueuse et molle, nous osons tout espérer de la grâce ! Un saint Jérôme comblé de mérite ne crut pas, avec la grâce même, pouvoir résister, s'il ne faisait de son corps une victime de pénitence ; et nous prétendons tenir contre tous les charmes du monde et les plus violents efforts de l'enfer, en faisant de nos corps des idoles de l'amour-propre ! Les Hilarion et les Antoine, ces hommes tout célestes et comme les anges de la terre, se sont condamnés aux veilles, aux abstinences, à toutes les rigueurs d'une vie pénible et austère : pourquoi ? parce qu'ils ne savaient point d'autre secret pour amortir le feu de la cupidité, et pour repousser ses traits, et nous nous flattons de la faire mourir, en lui fournissant tout ce qui peut plus contribuer à la faire vivre ! Un saint Jean-Baptiste, sanctifié presque dès sa conception, et qui pouvait dire que la grâce était née avec lui, n'a fait fond sur cette grâce qu'autant qu'il l'a exercée, ou, pour parler plus correctement, qu'autant qu'il s'est exercé lui-même par elle et avec elle dans la pratique de la plus parfaite abnégation ; et nous, conçus dans le péché, nous, après avoir vécu dans le péché, nous nous promettons de la grâce des victoires sans combats, ou des combats sans violence ; une sainteté sans pénitence, ou une pénitence sans austérité ! Mais si cela était, conclut saint Jérôme, la vie de ce glorieux Précurseur et de ceux qui l'ont suivi, bien loin d'être un sujet d'admiration et d'éloge, ne devrait-elle pas être regardée comme une illusion et une folie ? Si ita esset, annon ridenda potius quant prœdicanda esset vita Joannis ?

 

C'est ainsi qu'ont raisonné les Pères que Dieu nous a donnés pour maîtres, et qui doivent être nos guides dans la voie du salut. Ne vous étonnez donc pas si des mondains, marchant, comme dit l'Apôtre, selon la chair, et ennemis de la croix et de la mortification de Jésus-Christ, se trouvent si faibles dans la tentation. Ne me demandez pas d'où vient qu'ils y résistent si rarement, qu'ils y succombent si aisément, qu'ils se relèvent si difficilement; ce sont les suites naturelles de leur délicatesse et de leur sensualité : et si des âmes idolâtres de leur corps ne se laissaient pas entraîner par la concupiscence, ce serait dans l'ordre de la grâce un des plus grands miracles. Non, non, disait Tertullien, parlant aux premiers fidèles dans les persécutions de l'Eglise, je ne me persuaderai jamais qu'une chair nourrie dans le plaisir puisse entrer en lice avec les tourments et avec la mort. Quelque ardeur qu'un chrétien fasse paraître pour la cause de son Dieu et pour la défense de sa foi, je me défierai toujours ou plutôt je désespérerai toujours que de la délicatesse des repas, des habits, de l'équipage et du train, il accepte de passer à la rigueur des prisons, des roues et des chevalets. Il faut qu'un athlète, pour combattre, se soit auparavant formé par une abstinence régulière de toutes les voluptés des sens, et par une épreuve constante des plus rudes fatigues de la vie : car c'est par là qu'il acquiert des forces.

 

De même, il faut qu'un homme, pour entrer dans le champ de bataille où sa religion l'appelle, ait fait l'essai de soi-même par une dure mortification qui l'ait disposé à supporter tout, et à n'être étonné de rien. Or, ce que Tertullien disait des persécutions, qui furent comme les tentations publiques et extérieures du christianisme, je le dis avec autant de sujet des tentations intérieures et particulières de chaque fidèle : c'est la grâce qui les doit vaincre : mais en vain présumons-nous que la grâce, toute puissante qu'elle est, les surmontera, si nous ne domptons nous-mêmes la chair qui en est le principe ; et quiconque en juge autrement est dans l'erreur et s'égare.

 

Mais en quoi consiste cette mortification de la chair, et, dans la pratique du monde, à quoi se réduit cet exercice ? troisième et dernière conséquence. Ah ! mes chers auditeurs, dispensez-moi de vous dire ce que c'est dans la pratique du monde que cette vertu, puisqu'à peine y est-elle connue, puisqu'elle y est méprisée, puisqu'elle y est même en horreur. Mais quelque idée que le monde en puisse avoir, l'oracle de l'Apôtre ne laisse pas de subsister : que pour être à Jésus-Christ, et pour lui garder une fidélité inviolable, il faut crucifier sa chair et mourir à ses passions et à ses désirs déréglés : Qui Christi sunt carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis (Galat., V, 24.). Mais de quelque manière que le monde en puisse penser, il sera toujours vrai qu'il n'y a point de condition parmi les hommes où ce crucifiement de la chair ne soit d'une absolue nécessité, parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit exposée à la tentation. Mais quelque peine que puisse avoir le monde à en convenir, la seule expérience de ses désordres lui fera reconnaître malgré lui-même, que la condition des grands, des riches, des puissants du siècle, est celle, entre toutes les autres, où cette mortification des sens devrait être plus ordinaire, parce que c'est celle où les tentations sont plus communes et plus violentes. Mais, de quelque opinion que le monde puisse être prévenu, du moins avouera-t-il que plus un pécheur est sujet à la tentation, plus cette loi de mortifier son corps est-elle d'une obligation étroite et rigoureuse pour lui. Si nous étions aussi chrétiens qu'il faudrait l'être, ces règles de l'Evangile, quoique générales, seraient plus que suffisantes pour nous faire comprendre nos devoirs. Mais parce que l'amour-propre nous domine, et que, dans l'excès d'indulgence que nous avons pour nous-mêmes, à peine prenons-nous le parti de nous imposer la plus légère pénitence, qu'a fait l'Eglise. Elle a déterminé ce commandement général à un commandement particulier, qui est le jeûne du carême : se fondant en cela sur notre infirmité d'une part, et de l'autre sur notre besoin ; se réglant sur l'exemple des anciens patriarches, et beaucoup plus sur celui de Jésus-Christ ; s'autorisant du pouvoir que Dieu lui a donné de faire des lois pour la conduit de ses enfants, et se promettant de notre fidélité que, si nous avons un désir sincère de mortifier notre chair autant qu'il est nécessaire pour vaincre la tentation, non seulement nous ne trouverons rien de trop rigoureux dans ce précepte, mais nous ferons bien plus qu'il ne nous prescrit, parce qu'en mille rencontres nous éprouverons qu'il ne suffit pas encore pour réprimer notre cupidité et pour éteindre le feu de nos passions.

 

Voilà, Chrétiens, le dessein que s'est proposé l'Eglise dans  l'institution de  ce   saint jeûne. Mais dans la suite des temps, qu'est-il arrivé ? nous ne le déplorerons jamais assez, puisque c'est un désordre qui cause tant de scandale. Le démon et la chair, se sentant affaiblis par une si salutaire observance, ont employé toutes leurs forces pour l'abolir.  Les hérétiques se sont déclarés contre ce commandement. Les uns ont contesté le droit, et les autres le fait.  Ceux-là ont prétendu que l'Eglise, en nous imposant un tel précepte, passait les bornes d'un pouvoir légitime, comme si ce n'était pas à elle à qui le Sauveur du monde a dit, en la faisant l'héritière et la dépositaire de son  autorité  : Tout ce  que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel. Ceux-ci ont reconnu le pouvoir de l'Eglise,  mais n'ont point voulu convenir qu'elle ait jamais porté cette loi, et qu'elle nous y ait assujettis ; comme si la tradition n'était pas évidente sur ce point, et que saint Augustin, il y a déjà plus de douze siècles, n'en eût pas parlé lorsqu'il disait que de jeûner dans les autres temps de l'année, c'était un conseil, mais que de jeûner pendant le carême, c'était un précepte : In aliis temporibus jejunare consilium est ; in quadragesima jejunare prœceptum. Combien même de catholiques libertins et sans conscience se sont élevés contre une pratique si utile et si solidement établie, non pas en formant des difficultés ni sur le droit ou sur le fait, mais en méprisant l'un et l'autre, mais en violant le précepte par profession et avec la plus scandaleuse impunité, mais ne cherchant pas même des prétextes pour colorer en quelque sorte leur désobéissance, et pour sauver certains dehors. Que dis-je ! et devrais-je les compter parmi les catholiques, et leur donner un nom qu'ils déshonorent et dont ils se rendent indignes, puisque Jésus-Christ veut que nous les regardions comme des païens et des idolâtres ? Qui Ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus (Matth., XVIII, 17.).

 

Enfin, jusque dans ce petit nombre de fidèles qui respectent l'Eglise et qui semblent soumis à ses ordres, combien en altèrent le commandement ? et par où ? par de fausses interprétations qu'ils lui donnent en faveur de la nature corrompue; par de prétendues raisons de nécessité qu'ils imaginent, et que la seule délicatesse leur suggère ; par de vaines dispenses qu'ils obtiennent ou qu'ils s'accordent à eux-mêmes. Je dis vaines dispenses ; et pour vous en convaincre, remarquez ceci : il n'y a qu'à considérer trois grands désordres qui s'y glissent, et dont je veux que vous conveniez avec moi. Car en premier lieu, c'est communément à certains états que ces sortes de dispenses semblent être attachées, et non point aux personnes mêmes : marque infaillible que la nécessité n'en est pas la règle. Et en effet, n'est-il pas surprenant, Chrétiens, que dès qu'un homme aujourd'hui se trouve dans la fortune et dans un rang honorable, il n'y ait plus de jeûne pour lui, que dès lors il soit si fécond en excuses pour s'en exempter ; que dès lors les forces lui manquent, et que son tempérament, que sa santé ne lui permettent plus ce qu'il pouvait et ce qu'il faisait dans un état médiocre, dans une maison religieuse, dans une vie plus réglée et plus chrétienne ? En second lieu, ceux qui se croient plus dispensés du jeûne, ce sont ceux mêmes à qui le jeûne doit être plus facile, ce sont ces riches du siècle chez qui tout abonde, et qui jouissent de toutes les commodités de la vie. Je dis plus, et en troisième lieu, ceux qui font plus valoir une faiblesse imaginaire, pour se dégager de l'obligation du jeûne, ce sont ceux qui devraient se faire plus de violence pour l'observer, parce que ce sont ceux à qui le jeûne est plus nécessaire. Car qui sont-ils ? Ce sont des pécheurs non seulement responsables à la justice divine de mille dettes contractées dans le passé, et dont il faut s'acquitter ; mais encore liés par de longues habitudes qui les rendent plus sujets à de fréquentes rechutes dans l'avenir, dont il faut se préserver. Ce sont des mondains, engagés par leur condition en mille affaires, ayant sans cesse devant les yeux mille objets qui sont pour eux autant de tentations. Ce sont des courtisans que le bruit de la cour et ses divers mouvements, que ses coutumes et ses maximes, que ses intrigues et ses soins, que sa mollesse, ses plaisirs, ses pompes exposent aux occasions les plus dangereuses. Ce sont de jeunes personnes, ce sont des femmes obsédées de tant d'adorateurs qui les flattent, qui les idolâtrent, qui leur prodiguent l'encens, qui leur tiennent des discours, qui leur rendent des assiduités, c'est-à-dire qui leur livrent des attaques et qui leur tendent des pièges à quoi elles ne se laissent prendre que trop aisément. Ce sont ceux-là pour qui le jeûne est d'une obligation particulière ; et néanmoins ce sont particulièrement ceux-là qui se croient plus privilégiés contre le jeûne. Ils le renvoient aux monastères et aux cloîtres ; mais, répond saint Bernard, si dans le cloître et le monastère le jeûne est mieux pratiqué, ce n'est pas là toutefois qu'il est d'une nécessité plus pressante ; pourquoi ? parce que d'ailleurs par la retraite, par tous les exercices de la profession religieuse, on y est plus à couvert du danger.

 

Ah ! mes chers auditeurs, souvenez-vous que vous ne surmonterez jamais les tentations, tandis que vous obéirez à la chair, et que vous en suivrez les appétits sensuels. Souvenez-vous que Dieu dans sa loi ne distingue ni qualités ni rangs ; ou que s'il les distingue, ce n'est point par rapport à vous et à votre état, pour élargir le précepte ; mais au contraire pour le rendre encore plus étroit et plus rigoureux. Souvenez-vous que vous êtes chrétiens comme les autres, et que plus vous êtes élevés au-dessus des autres, plus vous avez d'ennemis à combattre et d'écueils à éviter ; par conséquent, que plus vous êtes dans l'opulence et dans la grandeur, plus vous devez craindre pour votre âme et faire d'efforts pour la conserver. Employez-y, outre le jeûne et la pénitence, la parole de Dieu et les bonnes œuvres ; la parole de Dieu, puisque c'est en ce saint temps que les ministres de Jésus-Christ la dispensent avec plus de zèle, cette divine parole, qui doit vous éclairer et vous fortifier ; les bonnes œuvres, puisque c'est en ce saint temps que l'Eglise redouble toute sa ferveur, ou plutôt qu'elle travaille à réveiller toute la ferveur des fidèles. Munis de ces armes de la foi, vous marcherez en assurance.

 

Malgré les artifices et la subtilité de la tentation, malgré les fréquents retours et l'importunité de la tentation, malgré les plus violents assauts et toute la force de la tentation, vous vous maintiendrez dans les voies de Dieu, et vous arriverez à la gloire que je vous souhaite.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA PREMIÈRE SEMAINE

 

Saint Jérôme Pénitent dans le Désert, Lorenzo Lotto, Musée du Louvre

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