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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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SALVE REGINA

24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 12:30

Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, parce que, étroite et resserrée est la porte qui conduit à la vie. (Luc. XIII, 24)

 

Ô de quelle manière terrible mais salutaire cette parole de la souveraine vérité a effrayé les voyageurs qui marchent avec lenteur et nonchalance et ceux qui montent sans énergie, en indiquant même aux disciples les plus parfaits de Jésus, sur le point d'entrer d'un libre vol dans la céleste Jérusalem, les efforts à faire, la porte unique du salut, la difficulté d'y entrer et le petit nombre des élus : Elle est étroite la porte qui mène au ciel dit le Sauveur. Elle est étroite par la purification des péchés, bien plus étroite par la séparation du corps et de l'âme, excessivement étroite, enfin par l'examen que fera le juge en dernier lieu. Cependant, béni soit Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (II. Cor. I, 3), qui, à la terreur a mêlé la consolation, pour que nous ne désespérions pas, qui à l'étroitesse a opposé la largeur, afin que nous prissions courage et que, prenant courage, nous courussions, et que courant, nous parvinssions au terme. Car le Seigneur lui-même dit dans un autre endroit : je vous le dis, beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et se reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux (Matth. VIII, 11). David, prophète lui aussi, le héraut de la vérité, et l'homme selon le coeur de Dieu, dit également : Qu'ils parlent ceux qui ont été rachetés par le Seigneur, ceux qu'il a délivrés des mains de l'ennemi et qu'il a rassemblés de diverses régions, du lever du soleil et de son couchant, de l'Aquilon et de la mer (Psal. CVI, 2) ; le levant nous désigne l'innocence, le midi, la justice ; l'occident, la pénitence ; l'aquilon (le nord), la miséricorde.

 

 A l'Orient, c'est-à-dire par la porte de l'innocence sont entrés les innocents ceux qui, sachant mourir avant de parler, ont été massacrés pour le Seigneur. Par cette porte, passent les petits enfants régénérés par le baptême. Si tout de suite ou peu après avoir reçu le sacrement de la régénération, ils sortent de leurs corps, on ne peut douter qu'ils pénètrent dans la Jérusalem céleste par la porte de l'innocence.

 

Du Midi, c'est-à-dire par la porte de la justice sont arrivés les apôtres et les martyrs. C'est avec raison que toutes les âmes parfaites sont comparées au midi, car le soleil fait, à ce point, une station plus prolongée, son ardeur y est plus vive, et la splendeur de sa lumière plus étincelante. Le soleil de justice ne se couche point en leur âme, il ne s'y attiédit pas, mais, bien plutôt il se fortifie et s'échauffe, comme il est écrit : Le sage se maintient comme le soleil, le sot change comme la lune (Eccle. XXVII, 11 ). Or combien les oeuvres ont été brillantes dans les saints, combien brûlante la ferveur de la charité, c'est chose à imiter, bien plus qu'à raconter.

 

De l'Occident, c'est-à-dire, par la porte de la pénitence, est arrivée Marie Madeleine, elle qui, à cause de ses péchés, était devenue la demeure des démons : mais, ensuite pénétrée par le regard de la grâce divine, elle a pleuré, le repentir dans l'âme, et déployé envers son Sauveur, un amour singulier, et devint le temple du Saint-Esprit. C'est par cette entrée que s'introduisent aussi les pénitents, qui vivent pour ainsi dire, dans les régions de l'Occident et s'avancent des ténèbres intérieures vers la terre sombre et couverte des ombres de la mort ; mais lorsque le soleil de justice les éclaire, s'ils renoncent parfaitement aux pompes de Satan et aux oeuvres de péché, ils sont admis dans la Jérusalem d'en haut en passant par la porte de la pénitence.

 

C'est de l'Aquilon, c'est-à-dire par la porte de la miséricorde, qu'est arrivé ce larron dont parle l'Evangile, qui sortit du fond de l'ignorance et de l'iniquité, par le seul effet de la bonté de Dieu au moment même de sa mort, et fut ramené du bord de l'abîme de l'enfer, dans la région délicieuse du paradis. C'est par cette porte que passent peut-être aussi, ceux qui, après avoir été toute leur vie esclaves des crimes et des iniquités, sur le point d'être mis à mort à cause de leurs forfaits, offrent à Dieu une satisfaction parfaite, par une véritable contrition, du mal qu'ils ont commis et entreront un jour dans la Jérusalem céleste. Il est écrit en effet : A quelque. heure que le pécheur gémisse, il sera sauvé (Ezech. XVIII, 24 ). Et ailleurs : Là où je vous trouverai, je vous jugerai (Eccl. XI, 2 ). Et encore : le sacrifice agréable à Dieu, c'est une âme agitée par la douleur, ô Dieu, vous ne méprisez point un coeur contrit et humilié (Psal. II, 49 ).

 

Il reste donc à voir combien ces quatre portes sont contraires, même entre elles, je veux dire combien l'innocence diffère de la pénitence, de la justice, et de la miséricorde et réciproquement. En effet, celui qui est innocent ne cherche pas la pénitence, et celui qui est pénitent, n'a point l'innocence. De même, celui qui est juste n'implore pas la miséricorde, et quiconque est misérable n'a point la justice en partage.

 

Maintenant nous avons à considérer et à méditer doucement ce que nous apprend de cette glorieuse et éternelle cité du paradis, saint Jean l'Evangéliste, l'apôtre intime de Jésus-Christ, l'ami bien-aimé parmi tous les autres et pénétré plus que tous des mystères célestes. A l'Orient, dit-il, il y a trois portes ; il y en a trois au Midi, trois à l’Occident, et trois à l'Aquilon (Ap. XXI, 13). D'après cette description, il se trouve trois portes à l'Orient. On sait que l'innocence est triple. Il y a, en effet, l'innocence en vertu de la puissance, l'innocence en vertu de l'âge et l'innocence en vertu de la volonté. Jésus-Christ est l'innocence par la puissance, seul il peut dire en vérité : Le prince de ce monde est venu et il n'a rien en moi (Joan. XIV, 30). Et c'est de lui qu'il a été écrit : Il n'a point commis le péché, et la ruse ne s'est point trouvée dans sa bouche (I Petr. II, 22). Il n'a point, en effet, contracté, ni commis le péché, parce que l'existence qu'il a reçue avant tous les siècles, de Dieu le Père, est ineffable ; et celle que, à la fin des temps, il a reçue comme homme de la Vierge sa mère est incompréhensible. Aussi la vie qu'il a menée en ce monde a-t-elle été incomparable. L'innocence qui vient de la puissance, c'est-à-dire, la première porte de l'innocence, est fermée pour les autres ; elle n'est ouverte que pour Jésus-Christ, ainsi que l'atteste le prophète Ezéchiel : La porte orientale sera fermée à tous ; seul, le prince y passera, entrera et sortira (Ezech. XLIV, 1).

 

Quant à l'innocence de l'âge, elle est le partage de ceux qui, à cause de la faiblesse de leurs corps, ou par suite d'une simplicité de coeur incapable de discernement, ne savent ni ne peuvent faire le mal. L'innocence qui vient de la volonté est le lot de ceux qui, bien que tombant parfois dans les fautes légères, sans lesquelles on ne peut point ou l'on peut à peine vivre sur la terre, conservent néanmoins l'innocence dans leur bonne volonté. La première innocence consiste donc à ne pouvoir point faire le mal : la seconde à ne pas savoir le faire; la troisième à ne point vouloir le faire.

 

Voici la suite : Au Midi, il y a trois portes aussi. Le côté du midi, qui désigne la justice a trois portes : aussi la justice se subdivise-t elle également en trois. Il y a, en effet, la justice selon la dette, selon le mérite, selon le propos. La justice selon la dette appartient à tous les fidèles, surtout aux religieux : parce que de jour en jour, ils s'efforcent d'accomplir les vœux que leurs lèvres ont formulés, suivant le conseil que donne le Prophète, en ces termes : Faites des vœux et remplissez-les en l'honneur du Seigneur votre Dieu (Psal. LXXV, 12). La justice selon le mérite est le partage de ceux qui ne commettent presque aucun mal, et qui néanmoins ne veulent point user des choses permises, oubliant tout ce qui est en arrière et se portant vers ce qui est en avant par de saints désirs, du pas infatigable de la foi qui les anime, font tous les jours des prières en s'élevant au sommet de la perfection. Ces âmes fortunées peuvent dire en vérité avec autant de bonheur que de confiance : Ouvrez-moi les portes de la justice ; après être entré, je chanterai les louanges du Seigneur : c'est là la porte du Seigneur. (Psalm. CXVII, 17). Ce ne sont point les innocents, les misérables, les pécheurs, ce sont les justes qui entreront. Et encore : J'ai combattu un bon combat, j'ai achevé ma course et gardé la foi: il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'a été réservée (II Tim. IV, 9). Ceux qui conservent la justice selon le bon propos, ce sont ceux qui, bien que affligés de pensées superflues et attirées par des passions enchanteresses, s'efforcent de résister au péché de tout leur pouvoir, maintiennent avec une insurmontable vigueur leurs énergiques résolutions, avouent avec humilité que toutes ces oppositions se font sentir à eux comme un juste châtiment, et croient que toute chose tourne à leur bien. C'est d'eux, en effet, qu'il est écrit : Nous savons que, pour ceux qui aiment Dieu, pour ceux qui, selon le bon plaisir du Seigneur ont été appelés saints tout sert au bien. (Rom. VIII, 28)

 

Nous lisons ensuite : et à l'Occident trois portes aussi. Le côté occidental, qui désigne la pénitence, a trois portes parce que cette vertu a trois formes. Il y a, en effet, une pénitence gratuite ; une pénitence spontanée et une pénitence forcée. Jean-Baptiste, qui était plus qu'un prophète, a fait voir en sa personne la pénitence gratuite : Jean, ce grand homme qui, annoncé à l'avance par le Prophète, promis par l'archange Gabriel, sanctifié par le Saint-Esprit dans le sein de sa mère et mis, par la sentence véridique du Sauveur, au dessus de tous les mortels. Tout saint et grand qu'il fût, comme nous le lisons du juste, il préféra supporter les attaques du monde que subir ses louanges, trouvant plus agréable de souffrir pour Dieu que de goûter les délices de cette vie, et, dans le désir de se donner exclusivement au Seigneur, abandonnant la maison et la fortune de son Père, il gagna le désert, et laissa à la postérité, dans son propre exemple, un modèle tout admirable de pénitence. Cette pénitence s'appelle gratuite, parce qu'on la pratique, mieux que cela, parce qu'elle est offerte sans titre qui l'exige, parce que c'est une règle de la pénitence que celui qui n'a commis aucune action illicite, se serve à son gré des choses permises. La pénitence volontaire est pratiquée par ceux qui, après s'être livrés aux péchés et aux crimes, étant éclairés par le soleil de justice, se mettent à reconnaître les grandeurs du Seigneur, non par nécessité, mais, par leur pleine volonté. Dans ce sentiment, ils veillent avec soin, à ce que le péché ne règne plus dans leurs corps mortels, pour y laisser dominer la justice : et, après avoir fait servir leurs membres à l'impureté et à l'iniquité pour l'iniquité, ils les emploient maintenant à servir la justice pour obtenir la sainteté : fils de la nuit tant qu'ils courent après les oeuvres des ténèbres, ils deviennent, par les dignes fruits de pénitence qu'ils produisent, de véritables enfants de lumière. La pénitence forcée est celle des tièdes et de ceux qui me ressemblent : ne ressentant aucune chaleur de charité, n'étant animés par aucune ferveur de dévotion, ils ne suivent pas encore l'esprit de liberté : mais, dans leur pusillanimité ordinaire, ils se laissent entraîner par l'esprit de servitude, et la sévérité de leurs supérieurs peut à peine les contraindre à pratiquer, comme il le faut, les observances régulières. Il ne faut pourtant point désespérer de ces hommes, car, s'ils acceptent une fois le joug de la servitude chrétienne, ils le portent avec patience et persévérance, possèdent leur âme dans ce sentiment, et entrent dans la Jérusalem céleste par la porte de la pénitence.

 

Nous lisons enfin : Et à l'Aquilon trois portes. Le côté de l'Aquilon, qui désigne la miséricorde, a trois portes : l'une est extérieure, l'autre intérieure, la troisième est postérieure, c'est-à-dire la dernière. Celle du dehors est formée par les aumônes qu'on distribue : parce que les amis de ce monde, qui n'ont Jésus-Christ que dans le fondement de leur édifice, bien qu'ils ne courent pas de toute l'ardeur de leur âme après l'acquisition des biens temporels, et ne craignent pas d'obéir en tout aux voluptés de la chair, cependant, au temps de la mort, à l'aspect de leurs péchés et dans la crainte de la vengeance, ils éprouvent des ébranlements intérieurs, donnent aux pauvres, aux indigents, aux serviteurs de Dieu, les richesses qu'ils ont acquises injustement, et possédées illicitement. C'est pourquoi il est à croire que se trouvant dans ce cas, ils reçoivent une grande assistance des suffrages de la sainte Église, de même que des bonnes oeuvres des fidèles, et des prières de ceux dont ils s'étaient fait des amis avec les trésors de l'iniquité, selon le précepte du Seigneur, en sorte qu'ils recueillent des biens éternels de la main de ceux à qui ils n'ont donné que des biens temporels. La porte intérieure est la confession de la bouche ; la foi catholique et la piété chrétienne nous apprennent que, si un pécheur, quelque immonde, quelque scélérat qu'il soit, au moment de la mort, vise à se corriger, il ne tombera jamais dans les tourments de l'éternel incendie de l'enfer. Si toutes les fautes sont lavées dans les eaux de la confession, ceux qui se seront ainsi confessés, ne seront pas exclus du royaume des cieux. Le Prophète dit, en effet : « Je vous ai fait connaître mon manquement et je n'ai point caché l'injustice que j'ai commise. J'ai dit : j'avouerai contre moi mon injustice au Seigneur : et vous avez pardonné l’impiété de mon péché (Psalm. XXXI, 5).

 

La dernière porte est appelée la contrition du cœur parce que, lorsque, en considérant, la souveraine clémence de Dieu, le cœur du pécheur se sent pénétré de regret, alors c'est comme si on offrait aux yeux de la bonté divine, le sacrifice du soir. Et l'on croit que l'être infini, dont la bonté est la nature, dont les oeuvres sont miséricorde, sauve beaucoup de personnes, de ce genre. Cette porte est appelée postérieure, parce qu'elle offre un secours à l'homme après toutes les autres. En effet, si les aumônes ne sont pas distribuées, si la contrition de bouche n'a point lieu, Dieu, néanmoins, qui connaît les choses cachées, ne méprise point un cœur contrit et humilié, mais il accepte, bien des fois, avec plaisir, le sacrifice d'une âme humiliée, selon ce que dit l'organe du Saint Esprit : à quelque heure que le pécheur gémisse, il sera sauvé (Ezech. XVIII, 21).

 

SAINT BERNARD

SERMON SUR LES DOUZE PORTES DE JÉRUSALEM  

 

Lion's Gate

La Porte des Lions

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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 12:30

Le christianisme a-t-il donc changé, et n'est-il plus le même ? Ah ! mes Frères, le christianisme a toujours subsisté, mais reconnaissons, à notre confusion, que ce ne sont plus les mêmes chrétiens : nous en avons retenu le nom et nous en avons laissé toute la substance et tout le fond. 

BOURDALOUE

 

 

C'était beaucoup pour le Sauveur des hommes d'avoir subi toute la honte d'un supplice aussi humiliant que celui de la flagellation ; mais il fallait encore qu'il en éprouvât toute la cruauté, et que sa chair, victime d'expiation pour tous les péchés du monde, fût immolée à la rage de ses bourreaux, et mise par là même en état d'être offerte à Dieu, comme une hostie précieuse, et de fléchir sa colère : c'est le triste objet que nous avons présentement à considérer.

 

Quand les amis de Job, instruits de son infortune et de la déplorable misère où il se trouvait réduit, vinrent à lui pour le consoler, l'Ecriture dit que le voyant couché sur un fumier, tout défiguré et tout plein d'ulcères, ils furent saisis d'un tel étonnement qu'ils déchirèrent leurs habits, qu'ils se couvrirent la tête de cendres, et que, pour marquer la consternation où ils étaient, ils se tinrent là plusieurs jours dans un profond et morne silence. Il y aurait encore bien plus lieu, Chrétiens, de tomber ici dans la même désolation, de garder la même conduite et de demeurer sans parole à la vue du Fils unique de Dieu, accablé sous une grêle de coups, tout meurtri de blessures, et comme donné en proie à une troupe féroce et à toute leur inhumanité.

 

Que devait-on attendre de cette brutale soldatesque ? C'étaient des hommes nourris dans le tumulte et la fureur des armes, et de là plus incapables de tout ménagement et de tout sentiment de compassion. C'étaient les ministres d'un juge timide et lâche, qui les abandonnait à eux-mêmes, et dont ils pouvaient impunément passer les ordres, s'il en eût porté quelques-uns, et qu'il leur eût prescrit des bornes. C'étaient des âmes vénales et mercenaires, des âmes intéressées, et d'intelligence avec les Pharisiens, dont ils avaient à contenter la haine, pour en recevoir la récompense qui leur était promise et qu'ils espéraient. C'était toute une cohorte assemblée, afin de se relever les uns les autres, et que, reprenant tour à tour de nouvelles forces, ils pussent toujours frapper avec la même violence. Tout cela, autant de conjectures des excès où ils se portèrent contre cet innocent agneau qu'ils tenaient en leur pouvoir, et contre qui ils étaient maîtres de tout entreprendre.

 

Que ferai-je ici, mes chers auditeurs, et que vous dirai-je ? m'arrêterai-je à vous dépeindre dans toute son étendue et toute son horreur une scène si sanglante ? entrerai-je dans un détail où mille particularités nous sont cachées, et dont nous ne pouvons avoir qu'une connaissance obscure et générale ? vous représenterai je l'acharnement des bourreaux, le feu dont leurs yeux sont allumés, leurs fouets grossis de nœuds et tout hérissés de pointes, dont leurs bras sont armés ? compterai-je le nombre des coups qu'ils déchargent sur ce corps faible et déjà tout épuisé de forces, par l'abondance de sang qu'il a répandu dans le jardin ! Que de cris, que de nouvelles insultes de la part des prêtres, des pontifes, d'une populace infinie ; témoins de tout ce qui se passe, et animant tout par leur présence ! Mais je vous laisse, mes Frères, à juger vous-mêmes de toutes ces circonstances , comme de mille autres, et à vous en retracer l'affreuse idée. C'est assez de vous dire que cette chair sacrée du Sauveur n'est plus bientôt qu'une plaie ; que ce n'est plus partout que meurtrissures, que contusions, et qu'à peine y peut-on découvrir quelque apparence d'une forme humaine ; qu'au milieu de ce tourment, cet Homme de douleurs, après s'être soutenu d'abord, est enfin obligé de succomber ; que , dans une défaillance entière, il tombe au pied de la colonne, qu'il y demeure couché par terre, perclus de tous ses membres et privé de l'usage de tous ses sens ; qu'il ne lui reste ni mouvement, ni action, ni voix, ni parole ; et que, bien loin de pouvoir s'expliquer et se plaindre, il conserve à peine un dernier souffle et une étincelle de vie.

 

Que dis-je , Chrétiens ? c'est en cet état qu'il s'explique à nous plus hautement et plus fortement qu'il ne s'est jamais expliqué. Il n'a qu'à se montrer à nos yeux : cela suffit. Il ne lui faut point d'autre voix que celle de son sang, pour nous instruire ; il ne lui faut point d'autre organe que ses plaies ; ce sont autant de bouches ouvertes pour nous redire ce qu'il s'est tant efforcé de nous persuader en nous prêchant son Evangile, que quiconque aime son âme en ce monde, c'est-à-dire sa chair, que quiconque y est attaché, et veut l'épargner et la choyer, la perdra immanquablement ; mais que pour la sauver dans l'éternité, c'est une nécessité indispensable de la haïr en cette vie, de réprimer ses sensualités, de lui refuser ses aises et ses commodités, de lui faire une guerre continuelle en la mortifiant, en l'assujettissant, en la domptant : Qui amat animam suam, perdet eam ; et qui odit animam suam in hoc mundo, in vitam œternam custodit eam (Joan., XII, 25). Maxime essentielle dans la morale de Jésus-Christ ; maxime la plus juste, et fondée sur les principes les plus solides, parce que cette chair que nous avons à combattre est une chair souillée de mille désordres, une chair de péché ; et qu'étant criminelle elle doit être punie temporellement, si nous ne voulons pas qu'elle le soit éternellement ; parce que c'est une chair rebelle, et qu'il n'est pas possible de la tenir dans la soumission et dans l’ordre, si l'on ne prend soin de la réduire sous le joug, à force de la châtier et de la mater ; parce que c'est une chair corrompue et la source de toute corruption, puisque c'est d'elle que vient tout ce que saint Paul appelle œuvres de la chair, les débauches et les impudicités, les querelles et les dissensions, les colères et les envies ; et que nous ne pouvons nous mettre à couvert de ses traits contagieux, ni les repousser, que par de salutaires violences; parce que c'est une chair conjurée contre Dieu et contre nous-mêmes : contre Dieu, dont elle rejette la loi ; contre nous-mêmes, dont elle ruine le salut ; et que nous devons par conséquent la regarder et la traiter comme notre plus mortelle ennemie.

 

La chair du Fils de Dieu n'avait rien de tout cela. C'était une chair sainte et sanctifiante, une chair sans tache et toute pure, une chair pleinement soumise à l'esprit ; c'était la chair d'un Dieu, et toutefois nous voyons quels traitements elle a reçus : or c'est sur cela même que cet Homme-Dieu, baigné dans son sang, se fait entendre à nous du pied de la colonne, et qu'il nous reproche, tout muet qu'il est, nos délicatesses, et l'extrême attention que nous avons à flatter nos corps ; comme s'il nous disait : Jetez sur moi les yeux, et, par une double comparaison, confondez-vous. Idolâtres de votre chair, vous ne voulez pas que rien lui manque, que rien la blesse, que rien l'incommode, et moi me voici déchiré de fouets et tout ensanglanté. Mais encore qu'est-ce que cette chair dont vous prenez tant les intérêts, et qu'était-ce que la mienne, que j'ai si peu ménagée ? Reproche le plus touchant, et dont l'Apôtre avait senti toute la force, lorsqu'il traçait aux premiers fidèles ces grandes règles de la pénitence et de la mortification chrétienne : que si nous voulons être à Jésus-Christ, nous devons crucifier notre chair avec tous ses vices et toutes ses concupiscences : Qui sunt Christi carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis (Galat., V, 24) ; que nous ne devons nous conduire que selon l'esprit, sans écouter jamais la chair, ni avoir égard ou à ses répugnances ou à ses désirs : Spiritu ambulate, et desideria carnis non perficietis (Ibid. 16.) ; qu'au lieu de la consulter et de la suivre, nous devons expressément y renoncer, et même en quelque sorte nous en dépouiller : Exspoliantes vos veterem hominem (Coloss., III, 9.) ; que quelque effort qu'il y ait à faire pour cela, quelque sacrifice qu'il nous en puisse coûter, il ne doit être compté pour rien, et que nous ne devons jamais oublier, en considérant Jésus-Christ, que nous n'avons point encore comme lui répandu notre sang : Nondum enim usque ad sanguinem restitistis (Hebr., XII, 4.).

 

Quel langage , mes chers auditeurs ! et qui de vous l'entend ? Ne sont-ce pas là des termes dont le monde ignore souvent jusques à la signification, ou que le monde au moins croit ne convenir qu'à des solitaires et à des religieux ? Or, prenez garde néanmoins à qui saint Paul donnait ces divines leçons, et à qui il enseignait cette excellente morale ; car ce n'était ni à des religieux, ni à des solitaires qu'il parlait ; c'était à des chrétiens comme vous, n'ayant au-dessus de vous d'autre avantage ni d'autre distinction, sinon qu'ils étaient de vrais chrétiens, et que vous ne l'êtes pas ; c'était à des hommes employés comme vous, selon leur profession, aux affaires du monde ; à des femmes engagées comme vous, par leur état et leur condition, dans la société et le commerce du monde. Voilà ceux à qui il recommandait de mener une vie austère, non seulement selon le cœur, mais selon les sens ; de mourir à eux-mêmes et à leur chair ; de se contenter du nécessaire, ou pour le logement, ou pour le vêtement, ou pour l'aliment, et de retrancher tout ce qui,est au delà comme superflu, comme dangereux, comme indécent dans la religion d'un Dieu, qui, par ses souffrances, est venu consacrer l'abnégation de soi-même et de tout soi-même. Ces expressions ne les étonnaient point, ces propositions ne leur semblaient point outrées ; ils les comprenaient, ils les goûtaient, ils se les appliquaient. Le christianisme a-t-il donc changé, et n'est-il plus le même ? Ah ! mes Frères, le christianisme a toujours subsisté, mais reconnaissons, à notre confusion, que ce ne sont plus les mêmes chrétiens : nous en avons retenu le nom et nous en avons laissé toute la substance et tout le fond.

 

Quoi qu'il en soit, c'est dans cette sainte mortification de la chair que les saints de tous les siècles et de tous les états ont fait consister une partie de leur sainteté. Parcourez leurs histoires, et trouvez-en un qui n'ait pas témoigné pour sa chair une haine particulière. Soit qu'ils eussent toujours vécu dans l'innocence, ou qu'après une vie mondaine ils se fussent convertis à Dieu ; soit qu'ils eussent abandonné le siècle pour se retirer dans le désert et dans le cloître, ou qu'ils fussent restés au milieu du monde pour satisfaire à leurs engagements et à leurs devoirs ; en quelque situation qu'ils aient été, et par quelque voie qu'ils aient marché, du moment qu'ils ont commencé à embrasser le service de Dieu, ils ont commencé à se déclarer contre leurs corps, et en sont devenus les implacables ennemis. Leurs vocations étaient différentes, et leur sainteté avait, ce semble, des caractères tout opposés : c'était, dans les uns, une sainteté de silence et de retraite, et dans les autres, une sainteté de zèle et d'action ; dans les uns, une sainteté toute pour elle-même, et dans les autres, une sainteté presque toute pour le public ; mais malgré cette diversité de vocations, ils sont convenus en ce point de haïr leur chair et de la traiter durement. La faiblesse du sexe, la complexion, le travail, les infirmités même, n'ont point été des excuses pour eux. Bien loin qu'il fallût les exciter, il fallait au contraire leur prescrire des bornes et les modérer, tant ils étaient, je ne dirai pas seulement sévères, mais saintement cruels envers eux-mêmes.

 

D'où leur venait cette haine si vive et si universelle dont ils étaient tous animés ? De l'ardent désir qu'ils avaient conçu de conformer, autant qu'il était possible, leur chair à la chair de Jésus-Christ ; de la forte persuasion où ils étaient que jamais leur chair ne participerait à la gloire de la résurrection de Jésus-Christ, si elle ne participait à sa mortification et aux douleurs de sa passion ; du souvenir qu'ils portaient profondément gravé dans leur cœur, que c'était pour notre chair et pour ses voluptés sensuelles, que la chair de Jésus-Christ avait été si violemment tourmentée ; d'où ils concluaient qu'une chair ennemie de Jésus-Christ, qu'une chair coupable de tous les maux qu'avait endurés la chair de Jésus-Christ, était indigne de toute compassion, et ne pouvait être trop affligée elle-même, ni trop maltraitée. C'est ainsi qu'ils en jugeaient ; mais pour nous, mes chers auditeurs, nous raisonnons, ou du moins nous agissons bien autrement : la maxime la plus commune et la plus établie dans toutes les conditions, est d'avoir soin de son corps, et de ne l'endommager en rien ; de ne le point fatiguer, de ne le point affaiblir, de l'entretenir toujours dans le même embonpoint ; d'en étudier les goûts, les appétits, et de lui fournir abondamment tout ce qui l'accommode : voilà notre principale, et souvent même notre unique occupation.

 

Ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus étrange, c'est qu'avec cela l’on prétend être pénitent, l’on prétend être dévot, l'on prétend s'ériger en réformateur du relâchement des mœurs et de la doctrine. Appliquez-vous à ma pensée ; c'est un point de morale à quoi vous n'avez peut-être jamais fait assez d'attention. Que des impies déclarés, que des libertins de profession, que des mondains par état, se rendent esclaves de leurs corps, et lui accordent tout ce qu'il demande, je n'en suis point surpris : comme ils n'aspirent, ou du moins qu'ils ne pensent à nul autre bonheur qu'à celui de la vie présente , il est naturel qu'ils en recherchent toutes les douceurs. Dès là que ce sont des mondains, ils sont possédés du monde et de l'esprit du monde : or tout ce qui est dans le monde, dit saint Jean, n'est qu'orgueil de la vie, que concupiscence des yeux et que concupiscence de la chair ; il est donc moins étonnant qu'ils soient si attachés à leur chair, et qu'ils la laissent vivre à l'aise et au gré de tous ses désirs.

 

Mais ce qui doit bien nous surprendre, et ce que je déplore comme un des plus grands abus du christianisme, je l'ai dit et je le répète, c'est qu'on prétende être pénitent sans pratiquer aucune œuvre de pénitence. Un homme est revenu de ses criminelles habitudes, une femme a quitté le monde, après l'avoir aimé jusqu'au scandale : il y a sujet de bénir Dieu d'un tel changement, et je l'en bénis. Ce ne sont plus les mêmes intrigues, ni les mêmes désordres ; mais du reste, parlez à l'un et à l'autre de satisfaire à la justice de Dieu ; représentez-leur avec l'Apôtre que, comme ils ont fait servir leurs corps à l'iniquité, ils doivent le faire servir à la justice et à l'expiation de leurs péchés ; dites-leur, avec saint Grégoire, qu'autant qu'ils se sont procuré de plaisirs même permis et innocents : c'est une langue étrangère pour eux, et toute leur pénitence ne va qu'à corriger certains excès et certains vices, sans en être moins amateurs d'eux-mêmes, ni moins occupés de leur personne.

 

Ce qui doit bien nous surprendre, c'est qu'on prétende être dévot, sans être chrétien ; je veux dire, sans marcher par la voie étroite du christianisme : car le christianisme est une loi austère et mortifiante ; et cependant, tout dévot qu'on est, on ne veut rien avoir à souffrir ; on renonce au luxe, au faste, à la pompe ; mais d'ailleurs on veut être servi ponctuellement, nourri délicatement, couché mollement, vêtu et logé commodément. Rien que de modeste en tout ; mais rien en tout que de propre, que de choisi, que d'agréable. Telle dans la dévotion mène une vie mille fois plus douée, et je pourrais ajouter, plus délicieuse, qu’une autre dans son dérèglement et son libertinage.

 

Ce qui doit bien nous surprendre , c'est qu'on prétende s'ériger en censeur des mœurs et en réformateur des relâchements du siècle, sans penser d'abord à réformer le relâchement où l'on vit soi-même à l'égard de la mortification des sens : n'est-ce pas là l'illusion de nos jours ? Crier sans cesse contre des doctrines prétendues relâchées ; gémir à toute occasion et avec amertume de cœur sur le renversement de la morale évangélique ; s'élever avec zèle, ou plutôt avec emportement et avec aigreur, contre ceux qu'on veut faire passer pour destructeurs de cette sainte morale ; les regarder comme l'ivraie semée dans le champ de l'Eglise, et former de pieux desseins pour arracher ce mauvais grain : Vis, imus, et colligimus ea (Matth., XIII, 28.) ? ne parler que de sévérité, et en lever partout l'étendard, dans les discours publics, dans les entretiens particuliers, dans les tribunaux de la pénitence, dans les ouvrages de piété, voilà les beaux dehors et les spécieuses apparences dont une infinité d'âmes, ou simples, ou prévenues, se laissent fasciner les yeux. Mais quand, moins crédule et moins facile à confondre les apparences avec la vérité, on vient à percer au travers de ces dehors, et que, prenant la règle de Jésus-Christ, on juge des paroles par les œuvres : A fructibus eorum cognoscetis eos (Matth., VII, 16), que trouve-t-on ? des gens sévères, ou réputés tels, mais en même temps bien pourvus de toutes choses, et ayant grand soin de l'être ; des gens sévères, mais en même temps répandus dans le monde, et dans le plus beau monde, pour en goûter tous les agréments ; des gens sévères, mais n'étant toutefois ennemis ni des divertissements profanes, ni des conversations plaisantes et enjouées, ni des bons repas ; disons en deux mots, des gens de la dernière sévérité dans leurs leçons, mais de la dernière indulgence dans leurs exemples ; anges dans leurs maximes, mais hommes, et très hommes , dans leur conduite. Ce n'est pas qu'ils ne veuillent que cette sévérité, qu'ils prêchent avec tant d'emphase, soit mise en pratique, mais par d'autres, et non par eux : comme maîtres et comme docteurs, ils s'en tiennent à l'instruction, et se déchargent sur leurs disciples de l'exécution.

 

Ah ! mes chers auditeurs, ne nous trompons point, et mettons-nous bien en garde contre les artifices et les prestiges de notre chair ; tout animale et toute matérielle qu'elle est, il n'est rien de plus subtil et de plus adroit à défendre ses intérêts : ne perdons jamais de vue le grand modèle que nous propose notre mystère, et faisons à notre égard ce que fit Pilate à l'égard des Juifs, lorsqu'après la flagellation de Jésus-Christ, il le leur présenta dans l'état le plus pitoyable, et qu'il leur dit : Voilà l'homme : Ecce homo (Joan., XIX, 5.) ; disons-le nous à nous-mêmes en le contemplant : Voilà l'homme, et voilà le Dieu de mon salut ; voilà par où il m'a sauvé, et par où je me sauverai. Je puis me promettre que nous en serons touchés, que nous nous sentirons animés d'une ardeur et d'une résolution toute nouvelle, pour ruiner en nous l'empire de la chair, afin de ne plus vivre désormais que de cet esprit de grâce qui nous élèvera à Dieu, et qui, par les saintes rigueurs de la mortification évangélique, nous conduira à la béatitude éternelle , que je vous souhaite.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA FLAGELLATION DE JÉSUS-CHRIST

 

Christ à la colonne adoré par les Saints, Cranach L'Ancien

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 12:30

Il nous suffit de contempler Jésus dans le mystère de sa flagellation : nous l'y verrons chargé d'opprobres pour nos péchés ; mais beaucoup moins confus de ses opprobres que de nos péchés. Hé ! mon Frère, s'écrie saint Chrysostome, si tu ne rougis pas de ton crime, rougis au moins de la honte qui retombe sur ton Sauveur ! si tu ne rougis pas de pécher, rougis au moins de ne pas rougir en péchant.

BOURDALOUE

 

 

Tunc apprehendit Pilatus Jesum, et flagellavit.

Alors Pilate fit prendre Jésus, et le fit flageller . (Saint Jean, chap. XIX, 1.)

 

Quel nouveau spectacle, Chrétiens, et quelle sanglante scène ! on conduit notre divin Maître dans le prétoire de Pilate ; on le dépouille de ses habits et on l'attache à une colonne ; outre une nombreuse multitude de peuple qui l'investit de toutes parts, une troupe de soldats s'assemble autour de lui ; ils sont armés de fouets, et ils se disposent à le déchirer de coups ! Pourquoi ce supplice, et qui l'a ainsi ordonné ? Comment s'y comportent les ministres du juge qui vient de rendre cet arrêt, et comment est-il exécuté ? c'est ce que je me suis proposé de vous mettre aujourd'hui devant les yeux, et ce qui doit faire également le sujet de votre compassion et de votre instruction.

 

Pour y procéder avec ordre, observez, s'il vous plaît, qu'un supplice devient surtout rigoureux et par la honte qui l'accompagne, et par l'excès de la douleur qu'il est capable de causer : en quoi l'esprit et le corps ont tout à la fois à souffrir ; car la honte afflige l'esprit, et la douleur fait impression sur les sens et tourmente le corps. L'une et l'autre ne se trouvent pas toujours jointes ensemble. La honte d'un supplice peut être extrême, sans qu'il y ait nulle douleur à supporter ; ou la douleur en peut être très cuisante et très violente, sans qu'il s'y rencontre nulle confusion à soutenir. Mais voici ce que je dis touchant cette cruelle flagellation, où le Sauveur des hommes se vit condamné : c'est que ce fut tout ensemble un des supplices de sa passion, et le plus honteux, et le plus douloureux. Cette honte qu'il a voulu subir, tout Dieu qu'il était, nous apprendra à corriger les désordres d'une honte criminelle, qui souvent nous arrête dans le service de Dieu, et à nous prémunir contre le péché de la honte salutaire que nous en devons concevoir. Et cette douleur, qu'il a voulu ressentir dans tous les membres de son corps nous animera à retrancher en nous les délicatesses de la chair, et à nous armer contre nous-mêmes des saintes rigueurs de la pénitence chrétienne. Voilà en deux mots tout le fond de cet entretien, et tout le fruit que vous en devez retirer.

 

C'était une nécessité bien dure pour Pilate, que celle où l'obstination des Pharisiens semblait le réduire, de trahir ses propres sentiments et d'agir contre tous les reproches de son cœur, en livrant à la mort un homme dont il ne pouvait ignorer la bonne foi, la candeur, la sainteté, et en l'abandonnant à toute la violence de ses ennemis. Il est vrai que ce gouverneur, revêtu de l'autorité du prince, pouvait repousser la violence par la violence ; que, dans la place qu'il occupait, et dans le crédit que lui donnait son rang, il ne tenait qu'à lui de se déclarer le protecteur du Fils de Dieu, de l'enlever d'entre les mains de ses persécuteurs, et de le mettre à couvert de leurs poursuites. Il est même encore vrai que non seulement il le pouvait, mais qu'il le devait ; car il était juge, et, selon toutes les lois de la justice, il devait défendre le bon droit contre l'iniquité et l'oppression. Mais il craignait le bruit ; et, par un caractère de timidité si ordinaire jusque dans les plus grandes dignités, il ne voulait point faire d'éclat : mais il craignait les Juifs ; et, par une lâche prudence, il ne voulait pas s'exposer à une émeute populaire : mais il craignait l'empereur, dont on le menaçait ; et, par un vil intérêt, il ne voulait pas qu'on pût l'accuser devant lui et le citer à son tribunal.

 

Quelle est donc sa dernière ressource, et quel est enfin l'expédient qu'il imagine pour fléchir des cœurs que rien jusque-là n'avait pu toucher ? Ah ! mes Frères, l'étrange moyen ! et fut-il jamais une conduite plus bizarre, et plus opposée à toutes les règles de l'équité ? C'est de condamner Jésus-Christ au fouet, dans l'espérance de calmer ainsi les esprits, et de leur inspirer des sentiments plus humains, en leur donnant une partie de la satisfaction qu'ils demandaient : car telle est la vue de Pilate. Quoi qu'il en soit, la sentence est à peine portée, qu'on en vient à la plus barbare exécution. Des mains sacrilèges saisissent cet adorable Sauveur, lui déchirent ses vêtements et les arrachent, le lient à un infâme poteau, et se préparent à lui faire éprouver le traitement le plus indigne et le plus sensible outrage. Que vous dirai-je, Chrétiens ? et quelle horreur ! Ce corps virginal, ce corps formé par l'Esprit même de Dieu dans le sein de Marie, ce temple vivant de la divinité, est exposé aux yeux d'une populace insolente et à la risée d'une brutale soldatesque. Il l'avait prédit, ce Verbe éternel ; il nous l'avait annoncé par son prophète, lorsque parlant à son Père, il lui disait : Quoniam propter tesustinui opprobriam, operuit confnsio faciem meam (Psal., LXVIII, 8.) ; C'est pour vous, mon Père, c'est pour la gloire de votre nom, que j'ai voulu être comblé d'opprobre, et couvert de honte et de confusion.

 

Arrêtons-nous là, mes chers auditeurs, et sans nous retracer des images dont les âmes innocentes pourraient être blessées, considérons seulement et en général cette honte du Fils de Dieu, comme le modèle ou le correctif de la nôtre. Dieu nous a donné la honte, ou du moins il nous en a donné le principe, pour nous servir de préservatif contre le péché. La honte est une passion que la nature raisonnable excite en nous, et qui nous détourne, sans que nous remarquions même ni comment ni pourquoi, de tous les excès et de toutes les impuretés du vice. C'est une bonne passion en elle-même ; mais elle n'est que trop sujette à se dérégler dans l'usage que nous en faisons ; et il nous fallait un aussi grand exemple que celui de Jésus-Christ pour en corriger le désordre. Or je prétends que jamais cet Homme-Dieu ne nous a fait là-dessus de leçon plus solide ni plus touchante que dans le mystère que nous méditons.

 

En effet, Chrétiens, savez-vous d'où lui vient cette confusion, qui le jette dans le plus profond accablement ? Ah ! mon Père, ajoute-t-il, comme il n'y a que vous qui connaissiez toute la mesure de mes humiliations, il n'y a que vous qui, par les lumières infinies de votre sagesse, en puissiez bien pénétrer le fond et découvrir le véritable sujet : Tu scis improperium meum et confusionem meam (Psal. LXVIII, 20.). Les hommes en ont été témoins, ils en ont vu les dehors, et rien de plus ; mais vous, Seigneur, sous ces apparences et ces dehors qui n'en représentaient que la plus faible partie, vous avez démêlé ce qu'il y avait de plus intérieur et de plus secret, et vous en avez eu une science parfaite : Tu scis confusionem meam. Or cette science des opprobres de Jésus-Christ, et de la Confusion qui lui a couvert le visage, c'est, mes Frères, ce qu'il a plu à Dieu de nous révéler. Qu'est-ce donc ici qui l'humilie, et de quoi a-t-il plus de honte ? est-ce d'avoir à subir un châtiment qui ne convient qu'aux esclaves ? en consentant à prendre la forme d'un esclave, il a consenti à en porter toute l'ignominie. Est-ce d'être fouetté publiquement comme un scélérat ? il proteste lui-même qu'il y est tout disposé, et il est le premier à s'y offrir, parce que c'est pour obéir à son Père, parce que c’est pour honorer la majesté de son Père, et pour satisfaire à sa justice : Quoniam ego in flagella paratas sum (Psal., XXXVII, 18.). Est-ce même de l'état où il paraît devant tout un peuple qui l'insulte, et qui lance contre lui les traits de la plus piquante et de la plus maligne raillerie ? voila, je l'avoue, voilà de quoi faire rougir le ciel, et de quoi confondre le Dieu de l'univers : mais j'ose dire après tout, et vous devez, mon cher auditeur, le reconnaître, que ce qui redouble sa confusion, que ce qui la lui fait sentir plus vivement, que ce qui la lui rend presque insoutenable, ce n'est point tant l'insolence des Pharisiens que la nôtre. Expliquons nous, et confondons-nous nous-mêmes.

 

Oui. Chrétiens, de quoi il rougit, ce Saint des saints et ce Dieu de pureté, c'est de vos discours licencieux, c'est de vos paroles dissolues, c'est de vos conversations impures, c'est de vos libertés scandaleuses, c'est de vos parures immodestes, c'est de vos regards lascifs, c'est de vos attachements sensuels, de vos intrigues, de vos rendez-vous, de vos débauches, de vos débordements, de toutes vos abominations. Car c'est la ce qu'il se rappelle dans cet état de confusion où le texte sacre nous le propose : c'est de tout cela qu'il est chargé, de tout cela qu'il est responsable a la justice divine, et de tout cela, encore une fois, qu'il rougit, d'autant plus que, par l'affreuse corruption du siècle et par l'audace la plus effrénée du libertinage, vous en rougissez moins.

 

De là, mes Frères, j'ai dit que nous devions apprendre a réformer en nous les pernicieux effets de la honte, et a sanctifier même cette passion pour l’employer a notre salut. Quel en est te dérèglement et l'abus le plus ordinaire ? Je le réduis à deux chefs : l’un, de nous porter sans honte à ce qu il y a pour nous de plus honteux ; et l'autre de nous éloigner par honte de ce qui devrait faire noire gloire aussi bien que notre bonheur. Voici ma pensée, qui n'est pas difficile à comprendre. Nous n'avons nulle honte de commettre le mal, et nous en avons de pratiquer le bien ; d'où il arrive que nous péchons le plus ouvertement, et que souvent même nous nous en glorifions : au lieu que, s'il s'agit d'un exercice de piété, de charité, de quelque bonne œuvre que ce puisse être, ou nous l'omettons lâchement, parce qu'un respect tout humain nous retient ; ou nous ne nous en acquittons qu'en particulier et secrètement, parce que nous craignons la vue du public et les vains jugements du monde. Deux dispositions les plus dangereuses et les plus mortelles. Car il n'est pas possible que j'entre jamais dans la voie de Dieu, ou que je m'y établisse, si je ne me défais de cette honte mondaine, qui me retire de l'observation de mes devoirs et de la pratique des vertus chrétiennes ; et si je n'acquiers cette honte salutaire, qui nous sert de barrière contre le vice, et qui nous en détourne. Il faut donc que je bannisse l'une de mon cœur, et que j'y entretienne l'autre. La honte du bien, dit saint Bernard, est en nous la source de tout mal, et la honte du mal est le principe de tout bien. Par conséquent je dois apporter tous mes soins à maintenir celle-ci dans mon âme, et combattre celle-là de toutes mes forces. Sans la honte du péché, ajoute saint Chrysostome, bien loin de pouvoir me conserver dans l'innocence, je ne puis pas même, après ma chute, me relever par la pénitence : pourquoi ? parce que la pénitence est fondée sur la honte du péché, ou plutôt parce que la pénitence n'est autre chose qu'une sainte honte, et qu'une horreur efficace du péché. D'où il s'ensuit que c'est par la honte du péché que je dois retourner à Dieu, que je dois me rapprocher de Dieu, que je dois commencer l'ouvrage de ma réconciliation avec Dieu.

 

Mais, du reste, en vain le commencerai-je par là, si, dans un assemblage monstrueux, je joins à la honte du péché une fausse et damnable honte de la vertu. C'est alors que ce que j'aurai commencé, je ne l'achèverai jamais, puisque cette honte de la vertu ruinera dans moi tout ce qu'aura produit la honte du péché. Ainsi, mes Frères, voulons-nous consommer l'œuvre de notre sanctification ; outre la honte du péché, revêtons-nous des armes du salut, c'est-à-dire d'une fermeté, d'une intrépidité, d'une hardiesse, et, selon l'expression de saint Augustin, d'une sage et pieuse effronterie dans le culte de notre Dieu et dans l'accomplissement de tous les devoirs de la religion. Règles divines et admirables enseignements que nous recevons de Jésus-Christ même. Tournons encore vers lui les yeux, et formons-nous sur un modèle si parfait.

 

Le voilà, ce Sauveur adorable, dans la plus grande confusion ; et ce qui fait sa honte, ce sont les péchés d'autrui : comment n'en aurais-je pas de mes propres péchés ? Ah ! malheureuse, disait le Seigneur par la bouche de Jérémie à une âme pécheresse : où es-tu réduite ? Je ne vois plus de ressource pour toi. Ton iniquité est montée à son dernier terme, et je suis sur le point de t'abandonner : pourquoi ? parce que tu t'es fait un front de prostituée, et que tu ne sais plus ce que c'est que de rougir : Frons meretricis facta est tibi; noluisti erubescere (Jerem., III, 3.). Tandis que tu n'étais pas tout à fait insensible à la honte que devaient te causer tes crimes et tes dissolutions, j'espérais de toi quelque chose, car cette honte était encore un reste de grâce, et un moyen de conversion : mais maintenant que tu l'as perdue, qui sera capable de te ramener de tes égarements, et qui pourra te rappeler à ton devoir ? La crainte de mes jugements est bien forte ; mais elle s'efface en même temps que la honte du péché. La vue de l'éternité est bien terrible ; mais on n'y pense guère dès qu'une fois on a déposé toute honte du péché. Ma grâce est toute-puissante ; mais elle ne l'est que pour inspirer la honte et la douleur du péché. De là, tant que tu demeureras sans honte et sans pudeur dans ton péché, il n'y a rien à attendre de ta part, et tes plaies deviennent incurables : Frons meretricis facta est tibi ; noluisti erubescere.

 

En effet, Chrétiens, s'il y a en cette vie un état de perdition et presque sans remède, c'est celui d'un pécheur qui ne rougit plus de son péché ; et la raison qu'en apporte saint Bernard devrait faire trembler tout ce qui se rencontre ici de pécheurs disposés à tomber en ce fatal endurcissement. C'est, dit-il, que la honte du péché est la dernière de toutes les grâces que Dieu nous donne ; et qu'après cette grâce, il n'y a presque plus de ces grâces de salut, de ces grâces spéciales et de choix, qui font impression sur une âme criminelle, et qui, par une espèce de miracle, la retirent de l'abîme où elle est plongée. L'expérience nous le fait assez connaître, et la chose ne se vérifie que trop par la nature même des grâces. Si donc, reprend saint Bernard, je ne ressens plus cette grâce de honte et cette confusion qui me troublait autrefois à la présence du péché, et qui m'en éloignait, j'ai lieu de craindre que je ne sois bien près de ma ruine, et que Dieu ne me laisse dans un funeste abandonnement.

 

Mais le moyen de réveiller en moi cette grâce si précieuse, et d'y exciter cette confusion ? Jésus-Christ, mes Frères, Jésus-Christ : c'est celui qui la ranimera, qui la ressuscitera, qui la fera renaître, quand elle serait pleinement éteinte. Il nous suffit de le contempler dans le mystère de sa flagellation. Nous l'y verrons chargé d'opprobres pour nos péchés ; mais beaucoup moins confus de ses opprobres que de nos péchés. Hé ! mon Frère, s'écrie saint Chrysostome, si tu ne rougis pas de ton crime, rougis au moins de la honte qui retombe sur ton Sauveur ! si tu ne rougis pas de pécher, rougis au moins de ne pas rougir en péchant. Car le plus grand sujet de honte pour toi, c'est de n'en avoir point ; et peut-être cette honte ne te sera pas inutile, puisqu'elle servira à faire revivre en toi la honte du péché même, et qu'à force d'avoir honte de n'en point avoir, tu pourras en avoir dans la suite et la reprendre.

 

Qui doute, Chrétiens, que cette pensée ne pût être un frein pour le plus déterminé pécheur, s'il faisait dans son péché cette réflexion : Ce péché que je commets a fait rougir mon Dieu. Il en a porté la tache, et cette tache, avec laquelle il s'est présenté aux yeux de son Père, lui fut, tout innocent qu'il était, plus ignominieuse que tous les coups de fouet dont l'accablèrent ses bourreaux. Combien plus encore doit-elle donc me défigurer devant Dieu ? Ce qui fut plus sensible à Jésus-Christ dans le prétoire, ce n'était pas d'être exposé à la vue des Pharisiens, ni d'être en butte à tous leurs traits, mais de paraître avec mon péché devant tous les esprits bienheureux et toute la cour céleste. Or n'ai-je pas actuellement moi-même tout le ciel pour témoin, et n'est-ce pas assez pour me confondre, et pour arrêter par cette utile confusion le cours de mon désordre ? Puis-je me réserver à cette confusion universelle du jugement de Dieu, où ma honte éclatera aux yeux du monde entier ? et ne vaut-il pas mieux en rougir présentement avec fruit dans le souvenir d'un Dieu Sauveur attaché à la colonne, que d'en rougir inutilement, et avec le plus cruel désespoir, aux pieds d'un Dieu vengeur assis sur le tribunal de sa justice ?

 

Mais ce n'est pas tout. La même honte que nous n'avons pas pour le mal, ou que nous travaillons à étouffer, nous l'avons pour le bien, et nous manquons de courage pour la surmonter. Du moins en rougissant du péché, nous rougissons également de la vertu. De sorte que, par l'alliance la plus réelle, quoique la plus bizarre et la plus injuste, c'est pour nous tout à la fois une confusion, et de mal faire, et de bien faire : de mal faire, parce qu'il nous reste toujours un certain fonds de conscience ; de bien faire, parce que nous nous conduisons selon les idées du monde, et que nous en craignons la censure. Etat le plus ordinaire dans le christianisme. Les libertins déclarés n'ont honte que du bien qu'il faudrait faire, et qu'ils ne font pas ; les âmes vertueuses de profession et les vrais chrétiens n'ont honte que du vice, qui leur est odieux, et dont ils tâchent de se préserver ; mais la plupart, ni libertins tout à fait, ni tout à fait chrétiens, marchent entre ces deux extrémités, et réunissent dans eux l'une et l'autre honte, la honte du péché et la honte de la piété.

 

En combien d'occasions où Dieu exige que nous fassions connaître ce que nous sommes, nous tenons-nous renfermés dans nous mêmes, et déguisons-nous nos sentiments, parce que nous avons de la peine a prendre parti contre telles personnes, et que nous ne voulons pas avoir a essuyer leurs raisonnements et leurs discours ? Combien de fois parlons-nous et agissons-nous contre toutes nos lumières, et tous les reproches de notre cœur, parce que nous n'avons pas la force de parler et d'agir autrement que celui-ci ou que celui-là avec qui nous vivons, et que nous n'avons pas l'assurance de contredire ? Un homme a de la religion, il a la crainte de Dieu, et il voudrait vivre régulièrement et chrétiennement ; il voudrait assister au sacrifice de nos autels avec respect ; il voudrait fréquenter les sacrements avec plus d'assiduité ; il voudrait accomplir avec fidélité tous les préceptes de l'Eglise ; il voudrait s'opposer à certains scandales, abolir certaines coutumes, réformer certains abus ; il voudrait s'absenter de certains lieux, rompre certaines liaisons, et s'engager en d'autres sociétés moins dangereuses et plus honnêtes ; la grâce le presse, et il en voudrait suivre les mouvements ; il le voudrait, dis-je, et il se sent de l'attrait à tout cela : mais toutes ces bonnes volontés et tous ces bons désirs, que faut-il pour les déconcerter et les renverser ? Une répugnance naturelle à se distinguer et à paraître plus religieux et plus scrupuleux qu'on ne l'est communément à son âge et dans sa condition.

 

Honte du service de Dieu, où n'es-tu pas répandue, et quels dommages ne causes-tu pas jusque dans les plus saintes assemblées ? Combien de desseins fais-tu avorter ? combien de vertus retiens-tu captives ? en combien d’âmes détruis-tu l'esprit de la foi, et combien de gloire dérobes-tu à Dieu ? Or il faut, Chrétiens, triompher de cet ennemi ; il faut, à quelque prix que ce puisse être, vaincre cette honte, non seulement parce qu'elle est indigne du caractère que nous portons, mais parce qu'elle est absolument incompatible avec les maximes et les règles du salut. Et pour nous fortifier dans ce combat, quel exemple est plus puissant que celui de Jésus-Christ ? Car si toute la honte, disons mieux, si toute l'infamie de sa flagellation n'a pu ralentir son zèle pour l'honneur de son Père, ne serais-je pas bien condamnable de trahir la cause de mon Dieu par la crainte d'une parole, d'un mépris que j'aurai à supporter de la part du monde ? Si je dois rougir, ce n'est point des railleries du monde, ce n'est point des jugements et des rebuts du monde ; mais c'est de ma lâcheté, c'est de mon infidélité, c'est de mon ingratitude, quand un aussi vain respect que celui du monde me fait oublier tous les droits et tous les intérêts du Dieu que j'adore, d'un Dieu à qui j'appartiens par tant de titres, d'un Dieu à qui je suis redevable de tant de biens, d'un Dieu, le souverain auteur de mon être, et mon unique fin, mon unique béatitude dans l'éternité.

 

N'insistons pas davantage sur un point si évident par lui-même, et passons à un autre, où nous devons considérer la flagellation du Fils de Dieu, non plus comme un des supplices les plus honteux, mais les plus douloureux, et apprendre de là à retrancher par la mortification évangélique toutes les délicatesses des sens et de la chair : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA FLAGELLATION DE JÉSUS-CHRIST

 

 

Christ à la colonne, Memling

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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 12:30

En effet, c'est une illusion de penser que nous n'ayons à répondre que de nos propres péchés. Les péchés d'autrui, selon la part que nous y avons, doivent entrer dans le compte que Dieu exigera de nous, ou, pour mieux dire, les péchés d'autrui nous deviennent propres et personnels, dès là que nous y participons, que nous y coopérons, que nous les favorisons, et que nous les fomentons.

BOURDALOUE

 

 

Qu'il se trouve des hommes assez perdus d'honneur et de conscience pour s'attaquer à l'innocence même, et pour imaginer contre elle des faits supposés et de prétendus sujets d'accusation, c'est une des iniquités les plus criantes et les plus dignes de toute la sévérité des lois. Mais que ceux encore que Dieu a établis et qu'il a revêtus de sa puissance pour réprimer cette audace, l'autorisent au contraire, l'appuient, et lui laissent la liberté d'inventer tout ce qui lui plaît, et de l'avancer impunément, c'est le comble et le dernier degré de l'injustice. Or voilà néanmoins ce que fait Caïphe dans la cause de Jésus-Christ, et à l'égard des faux témoins qu'on a subornés contre cet Homme-Dieu. Comme grand prêtre et souverain juge, Caïphe devait les rejeter et même les châtier. Il était évident que leurs témoignages se contredisaient, et par conséquent qu'il y avait dans leurs dépositions de l'imposture et du mensonge. Il n'ignorait pas au nom de qui ils parlaient, ni de qui ils étaient les ministres et les suppôts. Il savait qu'ils étaient gagnés par les ennemis du Fils de Dieu pour l'opprimer et le faire périr. Mais bien loin de s'opposer à une si damnable entreprise et de confondre ces calomniateurs, il les reçoit favorablement, il les écoute, il se joint à eux, et tire de la bouche du Sauveur du monde un aveu touchant sa divinité, dont il lui fait un crime, et qu'il traite de blasphème : Quid adhuc desideramus testes? Audistis blasphemiam (Marc, XIV, 63, 64.) ? Pourquoi tout cela ? C'est qu'il entrait dans toutes les passions des scribes et des docteurs de la Synagogue ; c'est qu'il était lui-même d'intelligence avec les Pharisiens, piqués contre Jésus-Christ ; c'est qu'il était bien aise d'avoir, pour le condamner, des preuves au moins apparentes, s'il ne pouvait en avoir de réelles et de solides. Voilà ce qui le rend si facile à entendre tout, quelque peu de vraisemblance qu'il y découvre, et quelque persuadé qu'il soit que ce sont autant d'inventions et autant d'artifices de la plus injuste et de la plus violente cabale.

 

De là, Chrétiens, que viens-je vous enseigner, ou de quelle erreur voudrais-je aujourd'hui vous détromper ? Appliquez-vous à ce point de morale, dont on n'a pas dans le monde une idée assez juste, et sur lequel on suit sans scrupule des principes très contraires néanmoins et à la raison et à la religion. D'être auteur de la médisance, de la faire et de la débiter, c'est ce que les âmes vraiment chrétiennes reconnaissent aisément pour une injustice et un désordre ; mais d'y prêter seulement l'oreille, de s'y rendre attentif, de ne l'arrêter pas, autant qu'il est possible, et de n'y former nulle opposition, c'est ce qu'on ne pense guère à se reprocher, et ce qu'on met au rang des fautes les plus légères et les plus pardonnables. Or je soutiens que, sans rien dire soi-même au désavantage du prochain, on peut toutefois, par la seule attention qu'on donne à la médisance, pécher très gravement. Je soutiens que si c'est un crime d'attaquer et de blesser l'honneur d'autrui, c'en est pareillement un de ne le défendre pas de tout son pouvoir, et de ne le pas maintenir. Je soutiens que Dieu, là dessus, nous a chargés de l'intérêt de nos frères ; que c'est un devoir, sinon de justice, au moins de charité ; et que de manquer à cette loi indispensable, c'est désobéir à un précepte divin, et par là même s'exposer à une éternelle damnation.

 

Je le soutiens, dis-je ; et voilà pourquoi saint Bernard disait de la médisance que c'est un étrange mal et bien funeste, puisque du même trait elle cause la mort à trois personnes : à celui qui médit, à celui dont on médit, à celui devant qui l'on médit ; à celui qui médit, et qui perd la vie de l'âme en perdant la grâce de Dieu ; à celui dont on médit, et qui perd en quelque sorte la vie civile en perdant la réputation qui l'y entretenait ; enfin, à celui devant qui l'on médit, et qui perd la charité, dès là qu'il en abandonne les intérêts et qu'il permet qu'elle soit violée en sa présence. Tout ceci ne souffre nulle contestation : mais il faut le développer encore davantage, afin que vous en ayez une intelligence plus parfaite, et que vous sachiez précisément à quelles règles vous pouvez dans la pratique et vous devez vous en tenir.

 

Je dis donc qu'il y a, selon la distinction commune, trois états différents, soit à l'égard de celui qui fait la médisance, ou à l'égard de celui qui l'écoute : un état de supériorité, un état d'égalité et un état de dépendance. Comme je ne veux rien outrer, je conviens que chaque état a ses obligations particulières, et que dans tous ce ne sont pas les mêmes. Suis-je dans un état supérieur à celui du médisant, je puis lui fermer la bouche, je puis user de mon autorité pour interrompre ses discours trop libres et trop mordants ; je puis hautement lui déclarer et lui faire entendre que ce n'est point par de tels entretiens qu'on me peut plaire, que le christianisme nous les interdit, et qu'étant chrétien, je ne suis pas dans une disposition à les tolérer ni à les agréer. Suis-je dans un état égal, ou même dans un état inférieur ; je n'ai pas le même droit alors de résister en face à la médisance, ni de m'élever aussi ouvertement contre elle et avec la même force : mais je puis au moins me taire, et par mon silence la laisser tomber ; mais je puis, par un air grave et sérieux, donner à connaître que je n'entre point en tout ce qu'on me dit, et que je n'y prends point de part ; mais je puis, par des propos éloignés, couper la conversation, et peu à peu, la tourner sur d'autres sujets ; mais je puis même, par quelques paroles d'excuse, couvrir les choses, les justifier ou les adoucir : car c'est ainsi que la charité le demande. Sans cela, que fais-je ? Je me rends responsable devant Dieu de la médisance qui se commet, et j'en fais retomber sur moi l'iniquité. Voulez-vous savoir comment ? vous n'aurez pas de peine à le comprendre.

 

En effet, c'est une illusion de penser que nous n'ayons à répondre que de nos propres péchés. Les péchés d'autrui, selon la part que nous y avons, doivent entrer dans le compte que Dieu exigera de nous, ou, pour mieux dire, les péchés d'autrui nous deviennent propres et personnels, dès là que nous y participons, que nous y coopérons, que nous les favorisons, et que nous les fomentons. Or, écouter la médisance, je dis l'écouter sans nécessité, sans contrainte, d'une volonté délibérée et d'un plein gré, quand on pourrait ou la repousser directement et la combattre, ou l'éluder adroitement et la détourner, c'est sans contredit y participer, c'est y coopérer, c'est la favoriser et la fomenter.

 

Pour vous en convaincre d'une manière sensible, supposons l'esprit de charité tellement répandu dans le christianisme, que la médisance y trouvât partout des contradictions ; que la plupart des chrétiens fussent prévenus de telle sorte et disposés contre elle ; que personne ou presque personne ne lui applaudît ; que le pouvoir des maîtres fût employé à la bannir de devant eux et à la proscrire ; que la fermeté des égaux et même des inférieurs fût assez constante pour y témoigner toujours une certaine répugnance, pour y former toujours quelque obstacle, du moins pour n'y consentir jamais, pour ne l'approuver jamais, pour ne marquer jamais ni par aucun signe, ni par aucune parole, qu'on y fît réflexion, et que l'esprit y fût appliqué : ah ! mes Frères, dites-moi s'il y aurait alors beaucoup de médisants, et même dites-moi s'il y en aurait un seul ? La médisance ne trouvant point d'auditeurs favorables , ne recevant point d'éloges capables de la flatter et de l'exciter, se voyant au contraire ou honteusement rebutée, ou reçue froidement et négligée, oserait-elle se produire ? le chercherait-elle avec tant d'ardeur ? serait-elle si hardie et si téméraire à s'expliquer ? n'y garderait-elle pas plus de mesure ? n'y apporterait-elle pas plus de réserve ? Il est donc incontestable que ce qui l'entretient et ce qui lui donne dans le monde un empire si étendu, c'est le bon accueil qu'on lui fait, et l'accès facile qu'elle rencontre dans tous les lieux où elle se présente. D'où il s'ensuit que la malice n'en doit pas être seulement attribuée aux médisants, mais qu'elle doit rejaillir encore sur tous ceux qui contribuent à la médisance, en lui laissant une pleine liberté de lancer ses traits sur qui il lui plaît, et comme il lui plaît. C'est pour cela que saint Jérôme s'écriait : Heureuse la conscience qui ne s'attache ni à voir le mal, ni à l'entendre : Felix conscientia quœ nec audit, nec aspicit malum. Prenez garde, je vous prie : ce saint docteur ne se contente pas de dire qu'heureux est l'homme qui ne se porte point à mal parler, mais qui ne s'arrête pas même à écouter le mal : pourquoi ? parce qu'il se met par là à couvert d'un des péchés les plus graves, et en même temps les plus ordinaires.

 

Non, mes chers auditeurs, rien de plus ordinaire que d'avoir les oreilles ouvertes à tous les mauvais contes qui se font, et à toutes les histoires scandaleuses qui se récitent. Je puis ajouter que c'est aussi l'un des plus dangereux écueils où l'innocence soit exposée dans le commerce du monde. Une âme chrétienne et prévenue des sentiments de la religion peut avec moins de difficulté s'abstenir de la médisance, et ne la prononcer jamais elle-même ; mais de ne la pas entendre, c'est de quoi il n'est pas possible de se garantir sans une vigilance continuelle sur soi-même, et sans une résolution à l'épreuve de toutes les occasions et de toutes les tentations. De là vient, pour peu qu'on ait la conscience timorée, qu'il est rare que nous allions parmi le monde, et que nous nous mêlions dans les conversations du monde, sans en revenir avec quelque scrupule dans le cœur sur ce qui s'est dit du prochain, et sur la manière dont nous l'avons reçu. Je me trompe. Chrétiens , et je devrais plutôt reconnaître, en le déplorant, qu'il est rare et très rare que nous ayons là-dessus le moindre scrupule, parce que la plupart ne comptent pour rien d'écouter une médisance, et d'en raisonner avec celui qui la fait. On l'écoute avec indifférence, on l'écoute avec complaisance, on l'écoute par un respect humain et par une lâche condescendance, on l'écoute par une vaine curiosité ; et ce qu'il y a de plus criminel enfin, on l'écoute par une secrète malignité. Autant de caractères ou autant de degrés à distinguer dans le péché dont on se charge devant Dieu. Suivez-moi.

 

On l'écoute avec indifférence. Comme on n'est guère touché des intérêts du prochain, et qu'on ne se croit nullement engagé dans sa cause, on laisse parler chacun ainsi qu'il le juge à propos. Ce n'est pas mon affaire, dit-on, et cela ne me regarde point ; ce n'est point moi qui ai entamé cette matière; et dans tout cet entretien, je n'ai été qu'auditeur et que témoin. Sur ce beau principe, on se rassure, et l'on se tient quitte de tout. Si, dans les visites qu'on rend et qu'on reçoit, si, dans les compagnies que l'on fréquente, la charité est fidèlement observée et l'honneur d'autrui ménagé on en est bien aise, et l'on en bénit le Seigneur : mais du reste, que la médisance y vienne prendre place, que la réputation de celui-ci ou de celle-là y soit impitoyablement déchirée, on en est peu en peine : pourquoi ? parce qu'on ne peut se figurer qu'on en soit complice ; parce qu'on ne peut se mettre dans l'esprit qu'on ait sur cela d'autre obligation que de se tenir neutre, et de ne se point déclarer : comme si voyant mon frère attaqué avec violence et sur le point de périr, je pouvais sans crime l'abandonner à l'ennemi qui le poursuit, et lui refuser mon secours, lorsque je suis en état de le sauver. Il n'est pas nécessaire, pour connaître l'indignité d'une telle conduite et pour la condamner, d'avoir recours à la religion ; il suffit de consulter la loi de la nature et la raison.

 

On l'écoute avec complaisance. De tout temps la médisance a été, et est encore plus que jamais l'assaisonnement des conversations. Tout languit sans elle, et rien ne pique. Les discours les plus raisonnables ennuient, et les sujets les plus solides causent bientôt du dégoût. Que faut il donc pour réveiller les esprits, et pour y répandre une gaieté qui leur rende le commerce de la vie agréable ? Il faut que dans les assemblées le prochain soit joué, et donné en spectacle par des langues médisantes : il faut que par des narrations entrelacées des traits les plus vifs et les plus pénétrants, tout ce qui se passe de plus secret dans une ville, dans un quartier, soit représenté au naturel et avec toute sa difformité : il faut que toutes les nouvelles du jour viennent en leur rang et soient étalées successivement et par ordre. C'est alors que chacun sort de l'assoupissement où il était, que les cœurs s'épanouissent, que l'attention redouble, et que les plus distraits ne perdent pas une circonstance de tout ce qui se raconte. Les yeux se fixent sur celui qui parle ; et quoiqu'on ne lui marque pas expressément le plaisir qu'on a de l'entendre, il le voit assez par la joie qui paraît sur les visages, par les ris et les éclats qu'excitent ses bons mots, par les signes, les gestes, les coups de tête. Tout l'anime ; et se trouvant en pouvoir de tout dire, sans que personne l'arrête, où sa passion, où son imagination ne l'emporte-t-elle pas ? On ne se retire point qu'il n'ait cessé, et l'on s'en revient enfin d'autant plus content de soi, que, sans blesser, à ce qu'on prétend, sa conscience, on a eu tout le divertissement de la conversation la plus spirituelle et la plus réjouissante. Voilà ce qu'on met au nombre des amusements permis, et de quoi l'on s'imagine être en droit de goûter toute la douceur, sans que l'innocence de l’âme en soit endommagée.

 

On l'écoute par un respect tout humain et par une lâche condescendance. C'est un ami qu'on craint de choquer, c'est un maître qu'on ménage et qu'on veut flatter, c'est même un inférieur qu'on n'a pas la force de reprendre, et dont on se laisse dominer. On sait bien ce qui serait du devoir de la charité, et l'on voudrait y satisfaire ; mais l'assurance et le courage manquent. On gémit intérieurement de la contrainte où l'on est, et l'on se reproche sa faiblesse, mais on ne peut venir à bout de la surmonter. De là ce consentement forcé, mais apparent, qu'on donne à la médisance. On la condamne dans le fond du cœur ; mais, de la manière dont on y répond, il semble au dehors qu'on l'approuve ; il semble qu'on entre dans toutes les pensées du médisant, dans toutes ses idées et tous ses sentiments. Or, par là même on l'y confirme ; et bien loin de le guérir, on le perd, et l'on se perd soi-même avec lui.

 

On l'écoute par une vaine curiosité. Combien de gens veulent être informés de tout et tout savoir ! Je dis tout ce qui ne les regarde point, et qui ne les intéresse en rien. Car voici ce qu'il y a souvent de plus étrange et de plus bizarre : c'est qu'on ignore ses propres affaires, qu'on n'a nul soin de les apprendre, ni d'examiner ce qui se fait dans sa propre maison; tandis qu'on veut avoir une connaissance exacte des affaires des autres, et qu'on tient en quelque sorte registre de tout ce qu'ils font et de tout ce qui se fait chez eux. Au lieu donc de rejeter mille rapports, non seulement inutiles, mais très injurieux et très pernicieux, on en est avide, on les recherche, et l'on en recueille jusqu'aux moindres particularités. C'est ce qu'on appelle ouvertures de cœur, confidences ; et moi, c'est ce que j'appelle perfidies et médisances. C'est ce qu'on tâche de justifier par le droit de l'amitié ; et moi c'est ce que je réprouve par le droit de la charité. Et où est-elle cette charité évangélique ? comment l'accorder avec ces tours d'adresse, avec ces perquisitions, ces questions subtiles et captieuses ; avec ces longs circuits pour amener une personne dans le piège, pour lui tirer ce qu'elle a de plus caché dans l'âme, pour l'engager insensiblement à vous le révéler, pour abuser de son ingénuité, ou plutôt de sa simplicité ? Il faudrait lui enseigner à se taire, et l'on use de toutes les industries et de toutes les instances, pour lui arracher une parole qu'elle devrait retenir. Cependant on se sait bon gré d'avoir découvert telle chose qui n'est pas connue ; on en triomphe, on s'en fait un faux mérite ; et ce sera beaucoup si dans peu l’on ne la rend pas publique, et l'on ne produit pas au jour tout le mystère.

 

Achevons.

 

On l'écoute par une secrète malignité. Un homme a des précautions à prendre et des mesures à garder ; il n'aurait pas bonne grâce de s'élever hautement contre cet autre, et de déclamer contre lui ; on ne l'en croirait pas, et tout ce qu'il dirait ne ferait nulle impression ; on l'attribuerait à chagrin, à ressentiment, à prévention, à mauvaise volonté, parce qu'ils sont mal ensemble, et qu'ils ne se voient point ; parce qu'ils sont liés à des partis tout contraires, et que le monde est instruit de leur division ; parce qu'ils sont actuellement en concurrence pour un emploi, pour une charge, pour quelque avantage que ce puisse être. Mais s'il ne peut s'expliquer lui-même et s'il ne lui convient pas, qu'il lui est doux de trouver quelqu'un qui prenne sa place et qui parle pour lui ! Peut-être par bienséance en fera-t-il paraître quelque peine ; peut-être même affectera-t-il d'excuser ce qu'il entend et d'y donner un bon sens. Mais que la malignité est artificieuse ! il en dira trop peu pour une solide justification, et assez pour animer l'entretien, et pour engager encore à de plus amples détails et à de nouvelles médisances. Voilà le fruit de cette prétendue modération. Autant et mieux vaudrait-il qu'il eût ouvert son cœur, qu'il en eût suivi tous les sentiments, et qu'il eût jeté au dehors tout le fiel dont il est rempli.

 

Quoi qu'il en soit, mes Frères, préservons-nous de la médisance comme du poison le plus contagieux et le plus mortel. C'est l'idée que nous en fait concevoir le Saint-Esprit, en comparant la langue du médisant avec la langue du serpent : Acuerunt linquas suas sicut serpentis (Psal., CXXXIX, 4.). Le serpent pique ; ce n'est qu'une morsure : mais de cette morsure le venin se communique dans toutes les parties du corps. Le médisant parle ; ce n'est qu'une parole : mais bientôt cette parole retentit partout ; on se la redit les uns aux autres, et, pour user de cette figure, comme un souffle empesté, elle infecte également et toutes les bouches d'où elle sort, et toutes les oreilles où elle entre. Ne nous arrêtons point tant à examiner ce que fait le prochain, et ce qu'il ne fait pas. Si Dieu nous en a confié la conduite, veillons-y avec toute l'attention nécessaire ; mais du reste, en y observant toutes les règles d'une correction charitable, c'est-à-dire en l'avertissant, en le reprenant de lui à nous, et non en publiant ses imperfections et ses vices, ni en le décriant. S'il ne dépend point de nous et que nous n'en soyons point responsables, qu'avons-nous affaire de rechercher ses actions ? de quelle autorité entreprenons-nous de le juger et de le censurer ? Chacun devant Dieu portera son fardeau ; et c'est à chacun de penser à soi, sans vouloir étendre plus loin ses vues. Que de soins superflus dont on se délivrerait ! que de retours fâcheux qu'on s'épargnerait ! que de querelles et de démêlés qu'on préviendrait ! que de péchés qu'on éviterait ! Combien une médisance a-t-elle troublé de familles, de sociétés, de communautés ? combien a-t-elle blessé de consciences, et combien d'âmes a-t-elle damnées ? De toutes les tentations dont nous avons à nous garantir, on peut dire que celle-ci est non seulement la plus universelle, mais la plus dangereuse et la plus difficile à vaincre. L'apôtre saint Jacques en était bien persuadé, et nous n'éprouvons que trop tous les jours la vérité du témoignage qu'il en a rendu, quand il nous dit que la langue est un feu qui ne cherche qu'à s'échapper et à consumer tout : Et lingua ignis est (Jac., III, 6.) ; que c'est un mal inquiet, qui n'a point de repos et qui n'en donne point : Inquietum malum ; qu'il n'y a aucune espèce de bêtes si sauvages et si farouches que l'homme n'ait su réduire ; mais que pour la langue, on ne la peut dompter : Linguam autem nullus hominum domare potest. Et n'est-ce pas elle, en effet, qui fait tomber les plus sages, et qui entraîne les plus vertueux ? Il n'y a point d'état où elle n'ait causé des dommages infinis.

 

Au reste, mes chers auditeurs, si nous nous sentons quelquefois atteints de ses coups, et si nous nous voyons en butte à la médisance, nous avons dans Jésus-Christ un beau modèle de patience. Imitons ce divin Maître, et ne soyons point plus jaloux de notre réputation qu'il ne l'a été de la sienne. Ou ce qu'on dit de nous est vrai : reconnaissons-le humblement devant Dieu, et consentons, puisqu'il le permet, à en porter devant les hommes toute la confusion. Ou c'est sans fondement et sans raison qu'on nous accuse : contentons-nous, pour notre défense, d'une simple exposition de la vérité, et laissons au Seigneur le soin dune plus entière justification ; il y pourvoira dès cette vie même, au moins dans l'autre. Quand le monde nous comblerait de ses malédictions, nous sommes heureux si nous pouvons à ce prix mériter les bénédictions du ciel, et obtenir la gloire éternelle, que je vous souhaite.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LES FAUX TÉMOIGNAGES RENDUS CONTRE JÉSUS-CHRIST

 

Christ Accused by the Pharisees

Le Christ accusé par les Pharisiens, Duccio di Buoninsegna

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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 20:00
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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 12:30

Or, mes Frères, le même crime que commirent a l'égard de Jésus-Christ ces faux témoins, je dis que c'est, par proportion, celui dont tous les jours nous devenons coupables nous-mêmes dans les discours que nous tenons du prochain, et dans les médisances que nous en faisons avec si peu de retenue et si peu de modération.

BOURDALOUE

 

 

Multi testimonium falsum dicebant adversus eum, et convenientia testimonia non erant.

Plusieurs rendaient de faux témoignages contre Jésus, et tous ces témoignages ne s'accordaient point. (Saint Marc, chap. XIV, 56.)

 

Le moyen que tous ces témoignages pussent convenir ensemble, puisqu'ils étaient contraires à la vérité, et qu'il n'y a que la vérité qui s'accorde bien avec elle-même, au lieu que l'imposture est tous les jours sujette à se contredire et à se démentir. Mentita est iniquitas sibi (Psal., XXVI, 12.). C'est ce que nous voyons dans ces faux témoins qui déposent contre Jésus-Christ, et qui se font ses accusateurs devant le tribunal de Caïphe, alors grand prêtre, et revêtu de l'autorité pontificale, pour connaître de toutes les causes qui concernaient la religion. Ils allèguent bien des faits, ils produisent bien des preuves, ils s'étendent en de longs discours ; mais rien ne se soutient, et ce que dit l'un, l'autre le détruit, parce qu'ils ne sont inspirés, les uns et les autres, que par l'esprit de mensonge et par la passion qui les aveugle. Cependant Caïphe les écoute, lui qui devait, en juge équitable, réprimer leur audace ; et les scribes, les pharisiens, les princes des prêtres, les anciens de la Synagogue, tous assemblés pour délibérer avec le pontife, bien loin d'imposer silence à ces imposteurs et de les confondre, se déclarent en leur faveur, et deviennent les plus zélés à les exciter : Summi vero sacerdotes et omne concilium quœrebant adversus Jesum testimonium (Marc, XIV, 55.).

 

Voilà, Chrétiens, quoique d'une manière en apparence moins odieuse, ce qui arrive encore chaque jour dans la société humaine et dans les conversations du monde. Il est vrai qu'on ne se porte pas communément à des calomnies atroces, et qu'il est moins ordinaire de vouloir, en parlant du prochain, lui imputer des crimes dont on le croit innocent ; mais, du reste, est-il rien de plus commun, dans le commerce des hommes, que de se déchirer mutuellement par de cruelles et d'injurieuses médisances ? et toutes injustes, toutes criminelles qu'elles sont, en a-t-on quelque remords dans l’âme, et s'en fait-on quelque scrupule ? Avec quelle liberté les débite-t-on ? avec quelle facilité les écoute-t-on ? Deux désordres dignes de tout le zèle évangélique, et contre lesquels je ne puis ici m'élever avec trop de force. C'est aussi de quoi je prétends vous entretenir. Désordre de la médisance dans celui qui la fait, et désordre de la médisance dans celui qui l'écoute.

 

Désordre de la médisance dans celui qui la fait, et qui souvent ne se rend pas moins coupable que ces faux accusateurs, qui témoignent contre le Fils de Dieu : ce sera la première partie. Désordre de la médisance dans celui qui l'écoute, et qui souvent n'est pas moins condamnable que ce pontife et que tout son conseil, qui prêtent si volontiers l'oreille aux accusations formées contre le Fils de Dieu : ce sera la seconde partie. La matière est d'une extrême conséquence , et mérite toutes vos réflexions..

 

C'est le caractère de l'iniquité, de se parer autant qu'elle le peut des dehors de la plus belle, de la plus exacte justice, et d'en affecter les plus belles apparences, lorsque dans le fond on en viole les règles les plus essentielles. Ainsi, quoique la mort du Fils de Dieu eût été déjà résolue dans un conseil secret des pharisiens et des pontifes, ils feignent néanmoins d'agir contre lui dans toutes les formes, et de ne manquer à aucune des procédures ordinaires. Il faut donc qu'il soit déféré au tribunal du grand prêtre, qu'il y soit accusé publiquement, et juridiquement examiné. C'est pour cela qu'on cherche des preuves ; et, dans ce jugement où la passion domine, on ne trouve que trop de délateurs et de prétendus témoins.

 

Que ne disent-ils point contre Jésus-Christ, et sous quels traits le dépeignent-ils? Cet homme dont toute la conduite fut toujours la plus droite et la plus irréprochable ; cet homme qui, dans ses paroles et dans ses actions, fut toujours la douceur même, la patience, la charité, l'humilité, la sainteté même ; cet Homme-Dieu, pour qui le font-ils passer ? pour le plus méchant des hommes, pour un perturbateur du repos public, qui veut changer le gouvernement et révolter toute la nation ; pour un usurpateur qui prétend se faire roi et ose attenter aux droits et à l'autorité du prince ; pour un impie qui blasphème la loi de Moïse, et qui parle même de renverser le temple de Dieu. Une parole qu'il a dite dans le sens le plus juste, et avec l'intention la plus pure et la plus innocente, ils la relèvent, ils l'empoisonnent, ils l'interprètent à leur gré, et lui en font un sujet de condamnation. Ne nous en étonnons pas ; c'est que ce sont des gens prévenus ; c'est qu'ils ont le cœur envenimé, et qu'ils sont remplis contre lui d'amertume. Pourvu qu'ils contentent leur haine, et qu'ils puissent venir à bout du dessein qu'ils ont formé de le perdre, rien du reste ne les arrête, et ils ne suivent que leur animosité et leur ressentiment. C'est de quoi le Prophète, s'expliquant au nom de ce divin Sauveur, se plaignait avec tant de raison : Ils ont aiguisé leurs langues, ils les ont rendues aussi subtiles et aussi pénétrantes que le glaive le mieux affilé, pour me percer des coups les plus mortels : Lingua eorum gladius acutus (Psal., LVI, 3.).

 

Or, mes Frères, le même crime que commirent a l'égard de Jésus-Christ ces faux témoins, je dis que c'est, par proportion, celui dont tous les jours nous devenons coupables nous-mêmes dans les discours que nous tenons du prochain, et dans les médisances que nous en faisons avec si peu de retenue et si peu de modération. Car prenez garde, s'il vous plaît, et faites-en avec moi la comparaison, autant qu'elle nous peut convenir. Ces accusateurs du fils de Dieu avançaient contre lui mille impostures ; et je soutiens que rien ne nous est plus ordinaire dans nos médisances que d'y ajouter des faussetés, que peut-être nous ne connaissons pas comme telles, mais qui le sont en effet, et dont nous aurions dû mieux nous instruire, pour en parler du moins avec plus d'exactitude, et pour n'y être pas trompés. Ces accusateurs du Fils de Dieu voulaient le noircir dans l'esprit de ses juges, et le faire condamner ; et vous savez que l'injustice de la médisance est de s'attaquer à la réputation d'autrui, de la détruire dans l'estime publique, et d'exposer le prochain aux mépris et aux jugements les plus désavantageux. Ces accusateurs du Fils de Dieu n'agissaient que par passion : et l'expérience de la vie nous apprend assez que le principe le plus commun de tant de médisances où l'on se porte si aisément et si impunément dans tous les états, même les plus saints, c'est une secrète passion qui nous anime et qui veut se satisfaire. Expliquons-nous, et considérons encore chacun de ces trois articles plus en détail.

 

Je sais combien la calomnie, je dis la calomnie délibérée et préméditée, nous paraît odieuse ; et je ne puis ignorer que, pour peu qu'on ait de droiture d'âme et de probité, on ne voudrait pas imaginer des titres d'accusation contre le prochain, ni lui attribuer de pures fictions comme des faits réels et comme des vérités. Ce n'est pas que nous n'en ayons vu de nos jours, et que nous n'en voyions encore des exemples en certaines rencontres et sur certains sujets. Il n'y a rien qu'un faux zèle de religion n'ait employé et qu'il n'emploie pour décréditer, non point seulement quelques particuliers, mais des sociétés entières qui s'opposent à ses progrès. Les plus évidentes suppositions ne lui coûtent plus alors à soutenir, et lui semblent suffisamment justifiées, dès là qu'elles peuvent servir à ses desseins et favoriser ses entreprises. Cependant, Chrétiens, je veux bien reconnaître que la médisance ne va pas toujours jusque-là, et que ce sont des excès dont nous avons naturellement horreur.

 

Mais voici en même temps ce que j'ose avancer, et de quoi le seul usage du monde doit pleinement nous convaincre. C'est qu'il n'y a guère de médisances où la vérité même, outre la justice et la charité, ne soit au moins blessée en quelque manière ; où elle ne soit au moins altérée, déguisée, diminuée. Combien d'histoires se racontent dans les entretiens comme des choses certaines et avérées, et ne sont néanmoins que de faux bruits et de simples imaginations ? On les croit comme on les entend, et on les répète de même. Elles deviennent communes par une démangeaison extrême qu'on a de les publier, et d'en informer toutes les personnes à qui elles ne sont point encore parvenues. S'il était question de les vérifier, quelle preuve en pourrait-on produire ? point d'autre que le récit qu'on nous en a fait à nous-mêmes ; récit aussi mal fondé que la créance que nous y avons donnée. Mais tout s'éclaircit enfin avec le temps, et l'on a la confusion d'apercevoir l'erreur dont on s'était laissé prévenir, et dont on a prévenu les autres. Je le pensais ainsi, dit-on, et j'en avais ouï parler de la sorte. Belle et solide excuse ! comme si c'était une raison suffisante pour former votre jugement et pour l'appuyer, que quelques rapports vagues et sans autorité ; comme si vous ne deviez pas savoir qu'il n'est rien de plus incertain ni de plus trompeur ; comme si la sagesse ne demandait pas d'autre examen, lorsqu'il s'agit de flétrir votre frère et de l'outrager. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que des gens, après y avoir été trompés cent fois, n'en sont dans la suite ni plus réservés, ni plus circonspects, et qu'on les trouve toujours également disposés à recevoir tous les mauvais discours qu'on leur tient, et à les répandre.

 

Accordons-leur néanmoins qu'ils ne disent rien qui dans le fond ne soit vrai : mais ce fond, qui peut être véritable, combien l'exagère-t-on ? quelles circonstances y ajoute-t-on ? sous quelles couleurs empruntées le représente-t-on ? de quels prétendus embellissements l'orne-t-on, ou plutôt le défigure-t-on ? On fait là-dessus mille raisonnements ; on en tire des conséquences ; on en veut pénétrer les motifs, les vues, les intentions, les principes les plus secrets : tout cela autant de fantômes qu'on se figure, et autant d'idées vaines et chimériques où l'esprit s'égare et se perd. Or n'est-ce pas là ce qui arrive presque sans cesse dans ces conversations où l'on met si volontiers en jeu le prochain ? et n'est-ce pas ainsi que, sans vouloir être calomniateur, et sans croire l'être, on l'est toutefois, sinon absolument, du moins en partie et sur des points très essentiels ?

 

Mais sans aller plus loin, et à se renfermer précisément dans les bornes de la médisance, je n'ai, mes Frères, qu'à vous la faire considérer en elle-même, pour vous en faire connaître l'injustice ; injustice la plus grave : pourquoi ? parce qu'elle ravit au prochain, de tous les biens naturels, le plus précieux, le plus délicat, le plus difficile et à conserver et à réparer, qui est l'honneur. Et en effet, qui ne sait pas que l'honneur, dans l'opinion du monde, est un bien du premier ordre ? Qu'est-ce qu'un homme sans honneur ? eut-il tous les autres biens, fût-il comblé de richesses, pût-il goûter dans son état tous les plaisirs, si c'est un homme noté et déshonoré, on le regarde comme le dernier des hommes. Ainsi tout ce qu'un homme du siècle oppose à l'Evangile sur le pardon des injures, qu'il se le dise à lui-même sur la médisance, et qu'il mesure son péché par les maximes qu'il établit et qu'il suit en matière de point d'honneur. Il a horreur des concussions, des usurpations violentes ou frauduleuses, des vols, des assassinats, des meurtres ; mais tout cela n'attaque, après tout, que les biens de fortune ou que la vie. Or il préfère l'honneur à tous ces biens ; d'où il s'ensuit qu'il doit donc avoir encore plus d'horreur de la médisance, que de tout cela.

 

Est-il, mes chers auditeurs (souffrez que je m'exprime de la sorte), est-il une bizarrerie pareille à la nôtre ? Nous mettons l'honneur à la tête de tous les autres biens ; nous sommes sur cet honneur sensibles à l'excès ; il n'y a rien, pour sauver cet honneur, à quoi nous ne fussions prêts de renoncer ; nous nous en déclarons hautement ; nous le témoignons dans toutes les rencontres, et la moindre atteinte faite à cet honneur est capable d'exciter dans nos cœurs les ressentiments les plus amers : mais, par une contradiction qui ne se peut comprendre, et que nous ne justifierons jamais, nous traitons de péché léger ce qui enlève aux autres ce même honneur, ce qui le ternit, ce qui le détruit. Est-ce là raisonner conséquemment ? Ou bien abandonnons ces grands principes auxquels nous paraissons si attachés, et que nous faisons tant valoir touchant l'honneur ; ou bien reconnaissons notre injustice, lorsque nous le blessons si aisément dans autrui, et que nous en tenons si peu de compte.

 

Injustice d'autant plus condamnable, que l'honneur est un bien plus délicat, un bien plus difficile à acquérir, à maintenir, à rétablir. Il n'y a qu'à voir combien il en coûte pour se faire dans le monde une bonne réputation. On n'en vient à bout qu'après de longues années d'épreuves, et des épreuves les plus critiques et les plus rigoureuses. Est-elle faite, que ne faut-il point pour s'y conformer, et pour la défendre de tout ce qui en pourrait obscurcir l'éclat ? Car cet éclat d'une réputation saine et heureusement établie, est comme la glace d'un miroir, à qui la plus faible haleine ôte dans un moment tout son lustre. Nous avons un tel penchant à croire le mal, nous sommes même si accoutumés à l'augmenter et à l'exagérer, qu'une parole suffit pour perdre un homme, une femme dans notre estime. Nous prenons cette parole dans tous les sens, et toujours dans les plus mauvais, parce que c'est la perversité naturelle de notre cœur qui nous la fait interpréter. De sorte que la meilleure réputation et la plus juste est tout d'un coup renversée, et que souvent il n'est presque plus possible de la relever. Pour peu que vous touchiez à certain fruit, il perd toute sa fleur, et ne la peut plus reprendre ; et dès qu'une fois l'honneur est endommagé, la tache est presque ineffaçable et le dommage sans remède. Vous direz dans la suite tout ce qu'il vous plaira, vous prendrez tous les soins imaginables pour guérir le coup que vous avez porté, et pour en fermer la plaie ; malgré toutes vos réparations et tous vos soins, on se souviendra toujours de tel mot qui vous est échappé, on s'en tiendra là, et l'on traitera tout le reste de discours étudiés et de cérémonies.

 

Qu'est-ce donc que la médisance ? c'est comme une grêle, qui ruine dans un jour, et même en beaucoup moins de temps, l'ouvrage de vingt années de travaux, de précautions, de mesures. On regarde comme une cruauté de ravager des terres cultivées : que sera-ce de détruire une réputation achetée si cher et au prix de tant de peines ? Mais vous ne la détruisez, dites-vous, que par une vérité, et la vérité ne peut être contre la justice. Erreur : car il ne vous est pas permis de faire connaître toute la vérité. Quoique ce soit une vérité, tant qu’elle demeure secrète, ma réputation est entière, et vous l'entamez ; j'ai droit à cette réputation, et vous m'en privez ; je suis dans une possession actuelle de cette réputation, et vous m'en dépouillez ; ce que j'ai fait est caché, et vous le révélez. Voilà votre injustice, et envers Dieu et envers moi-même : envers Dieu, puisqu'il vous avait défendu de me ravir un bien dont j'étais le maître, et que vous violez sa loi ; envers moi-même, puisque sans raison vous attentez sur ce qui m'appartenait le plus légitimement, et que par une espèce d'oppression vous me l'arrachez des mains et le dissipez.

 

Oui, Chrétiens, c'est sans raison que le médisant se porte à de pareils attentats contre la réputation de son frère, et c'est aussi ce qui met le comble à son crime. Car je n'ai garde d'appeler de véritables raisons une vengeance outrée, une haine envenimée, une aveugle antipathie, une jalousie mortelle, un esprit d'intérêt, une humeur chagrine et critique, un zèle mal entendu, une envie démesurée de parler, de railler, de plaisanter, une légèreté sans attention, sans réflexion, sans ménagement ni discrétion. Or, ne sont-ce pas là les principes de la médisance?

 

Reprenons.

 

Une vengeance outrée : on se croit bien fondé à rendre médisance pour médisance. Il a dit ceci de moi, et je dis cela de lui ; il ne m'épargne pas, pourquoi l'épargnerais-je ? Conduite en quelque sorte tolérable parmi des idolâtres et des païens ; mais expressément réprouvée dans les. chrétiens, à qui Jésus Christ a donné cette grande règle de pardonner toute injure et de bénir ceux qui les chargent d'imprécations, Du moins, si l'on y observait quelque proportion : mais pour une chose qu'on a dite de vous, et qu'on n'a dite qu'une fois, peut être même pour le seul soupçon que vous en avez, il y a des années entières que vous poursuivez sans relâche cette personne, et que vous la déchirez.

 

Une haine envenimée : c'est assez d'être mal ensemble, d'avoir ensemble quelque dispute, quelque contestation, quelque procès, pour conclure qu'on peut publier contre son ennemi tout ce qu'on en sait, ou tout ce qu'on en croit savoir. De là, dans la défense d'une cause, tant de faits scandaleux que l'on recueille et que l'on produit, sans autre sujet ni d'autre avantage que de contenter son animosité et de couvrir de confusion l'adverse partie.

 

Une aveugle antipathie : certaines gens ne nous plaisent pas, et dès lors on n'en peut dire du bien. Mais pourquoi ne nous plaisent-ils pas ? il ne faut point nous demander pourquoi, car nous ne le voyons guère nous-mêmes, et nous aurions de la peine à le marquer. Quoi qu'il en soit, dès qu'ils ne nous reviennent pas, et que nous en avons je ne sais quel éloignement, on ne leur passe rien, on ne leur pardonne rien, on ne les ménage en rien. C'est un plaisir de les faire sans cesse paraître sur la scène, et d'en divertir les compagnies.

 

Une jalousie mortelle : on ne l'avoue pas, parce que de soi-même c'est un vice honteux et humiliant ; mais sans l'avouer, on ne la sent pas moins. Jalousie ingénieuse à déguiser la médisance sous les plus beaux dehors, et à lui donner les couleurs les plus spécieuses ; jalousie du mérite d'autrui, de ses succès, de ses vertus et de ses perfections ; jalousie entre des partis différents, surtout entre des personnes du sexe, plus susceptibles que les autres de cette passion, et par là même plus sujettes à médire, et plus piquantes dans leurs traits satiriques et médisants.

 

Un esprit d'intérêt : examinez bien pourquoi dans la même vocation, dans le même emploi, celui-ci s'étudie tant à rabaisser l'autre et à le décréditer : c'est qu'il voudrait tout attirer à soi, et profiter aux dépens de celui-là qui lui fait ombrage. Examinez bien pourquoi dans la cour d'un prince la médisance est si fort en règne, et pourquoi il s'y répand tant de mémoires injurieux : c'est que chacun pense à s'avancer, et que tous ne pouvant occuper telle et telle place, vous vous trouvez par conséquent intéressé à flétrir quiconque pourrait y aspirer préférablement à vous, et les obtenir. Examinez même, si je puis user ici de cet exemple, examinez bien pourquoi, dans le cours d'une intrigue criminelle, ce rival se déchaîne à toute occasion et avec tant de violence contre son rival : c'est qu'il travaille a l'écarter, et qu'il prétend posséder seul l'infâme et malheureux objet de ses désirs.

 

Que dirai-je encore ? Une humeur chagrine et critique, le monde est plein de ces censeurs par état, qui ne voient dans le prochain que ce qu'il y a de défectueux, ou ce qui en a l'apparence. Du moins est-ce à cela qu'ils s'attachent, sans égard à tout le reste : n'ayant, ce semble, d'autre occupation, ni d'autre satisfaction dans la vie, que de déclamer, tantôt contre l'un, tantôt contre l'autre ; cherchant en tout et y trouvant, selon leurs bizarres idées, de quoi exciter le fiel qui les dévore, et sur quoi le faire couler.

 

Un zèle mal entendu : oh ! que de médisances par là sont justifiées, sont consacrées, sont sanctifiées ! un médisant dévot, un médisant zélé ou prétendu tel, est le plus à craindre. D'un air tranquille et composé, d'un ton pieux et modeste, il en dira plus que l'emportement le plus passionné et la plus ardente colère n'en peut inspirer. Encore se flattera-t-il d'avoir en cela rendu service à Dieu, et s'en fera-t-il un mérite auprès du Seigneur. Content de lui-même, il ira devant un autel ou au pied d'un oratoire épancher son âme, et croira pouvoir dire, comme David (Psal., C, 8.) : Dans un matin, ô mon Dieu ! sans autre glaive que celui de la langue ou que celui de la plume, je combattais tous les ennemis de votre loi, et j'exterminais tous les pécheurs de la terre.

 

Une envie démesurée de parler, de railler, de plaisanter : Je n'ai rien contre cet homme, dit-on, je ne lui veux point de mal ; et si j'en parle, ce n'est que pour me réjouir. Divertissement sans doute bien charitable et bien chrétien ! vous n'avez rien contre lui, et vous le frappez aussi rudement que s'il y avait entre lui et vous l'inimitié la plus déclarée ! vous ne lui voulez point de mal, et vous lui en faites ! Vous n'avez en vue que de vous réjouir : eh quoi ! de le noircir et de le diffamer, de le rendre au moins un sujet de risée, et de lui ôter par là toute la douceur de la société humaine, de lui causer mille chagrins et de lui aigrir le cœur contre vous, est-ce donc si peu de chose que vous en deviez faire un jeu ? Esprit railleur dont on s'applaudit, dont on tire une fausse gloire, dont on se laisse tellement posséder, qu'on n'est plus maître de le retenir. Esprit pernicieux qui trouble la paix, qui rompt les amitiés les plus étroites, qui suscite les querelles et les dissensions.

 

Enfin, une légèreté sans attention, sans réflexion, sans ménagement ni discrétion : on raisonne de tout, à propos et hors de propos ; on dit tout ce qu'on sait, et souvent tout ce qu'on ne sait pas ; on n'a rien de secret, et quoi que ce soit qui s'offre à la pensée, on le jette d'abord tel qu'il se présente. Ce n'est point dessein prémédité , j'en conviens : c'est vivacité ; mais cette vivacité, ne fallait-il pas la modérer ? ne fallait-il pas vous en défier ? ne fallait-il pas profiter de tant d'occasions, où vous avez reconnu vous-même qu'elle vous avait emporté au delà des bornes ? En serez-vous quitte quand vous direz à Dieu : Je n'y pensais pas. Il vous répondra que vous deviez y penser. Car que vous n'y ayez pas pensé, le prochain n'en souffre pas moins : et c'est à vous de voir par où vous pourrez le dédommager.

 

Concluons, Chrétiens.

 

Voilà les principes de la médisance ; or de tels principes, que peut-il venir que de mauvais et de corrompu ? Si donc nous voulons acquérir la vie éternelle, et nous garantir d'un des dangers les plus présents d'en être exclus pour jamais ; si même dès ce monde nous voulons couler d'heureux jours et couper la racine de mille peines, de mille disgrâces, de mille affaires désagréables, Qui vult diligere vitam, et dies videre bonos (1 Petr., III, 10.) ; que ferons-nous pour cela ? c'est de suivre l'important avis que nous donne le Prophète en ces courtes paroles : Prohibe linguam tuam a malo (Psal., XXXIII, 14.).

 

C'est, dis-je, de veiller sur notre langue et de la régler ; d'y mettre un frein, et, si je puis m'exprimer de la sorte, un frein d'équité, un frein de charité, un frein de circonspection et de sagesse, qui en arrête l'intempérance et qui en réprime les saillies. Ainsi nous éviterons le désordre de celui qui fait la médisance, et vous allez encore apprendre à éviter le désordre de celui qui l'écoute : c'est la seconde partie.    

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LES FAUX TÉMOIGNAGES RENDUS CONTRE JÉSUS-CHRIST 

 

Christ Accused by the Pharisees (detail)

Le Christ accusé par les Pharisiens (détail), Duccio di Buoninsegna

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 17:30

French army soldiers carry the coffin of late Oscar-winning French film director, novelist and war correspondent Pierre Schoendoerffer during his funeral ceremony at the Invalides in Paris March 19, 2012. Schoendoerffer died on March 14, 2012 at the age of 83.

 

SAINT LOUIS DES INVALIDES, lundi 19 mars 2012

 

French army soldiers carry the coffin of late Oscar-winning French film director, novelist and war correspondent Pierre Schoendoerffer during a funeral ceremony at the Invalides in Paris March 19, 2012. Schoendoerffer died on March 14, 2012 at the age of 83.

 

 

photos : http://news.daylife.com/

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