"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Saint Père François
1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II
Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II
Béatification du Père Popieluszko
à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ
Varsovie 2010
Basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde
Divine
La miséricorde de Dieu
est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus
absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de
l’amour.
Père Marie-Joseph Le
Guillou
Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.
Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)
Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en
Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus
feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de
Montmartre
Notre Dame de Grâce
Cathédrale Notre Dame de Paris
Ordinations du
samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris
la vidéo sur
KTO
Magnificat
Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de
Paris
NOTRE DAME DES VICTOIRES
Notre-Dame des
Victoires
... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !
SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ
BENOÎT XVI à CHYPRE
Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010
Benoît XVI en Terre Sainte
Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem
Yahad-In Unum
Vicariat hébréhophone en Israël
Mgr Fouad Twal
Vierge de Vladimir
Mais pourquoi les orphelins ? Visitare pupillos. Ne le voyez-vous pas ? parce que l'orphelin est, de tous les pauvres, le plus destitué de secours et de moyens, parce que c'est à l'orphelin que la protection de Dieu est plus nécessaire ; parce que c'est l'orphelin qui a plus droit de recourir à Dieu comme à son unique refuge, et de dire comme David : Mon père et ma mère m'ont quitté, il sont perdus pour moi ; mais le Seigneur m'a pris en sa garde : Quoniam pater meus et mater mea dereliquerunt me ; Dominus autem assumpsit me (Psal., XXVI, 10.).
BOURDALOUE
Religio munda et immaculata apud Deum et patrem hœc est, visitare pupillos in tribulatione eorum.
La religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre père, est de visiter les orphelins dans leur affliction. (Epitre de Saint Jacques, chap. 1, 27.)
Voilà la plus haute idée que vous puissiez concevoir et que je puisse vous donner du devoir de charité pour lequel vous êtes assemblées. Ce n'est pas moi qui vous la propose, c'est le Saint-Esprit ; et jamais l'Ecriture n'a rien décidé en des termes plus exprès que ce que vous venez d'entendre. Aussi dans toute l'Ecriture ne pouvais-je choisir un texte plus propre que celui-ci pour satisfaire à ce que vous attendez de moi, et à l'engagement où je suis d'exciter votre compassion envers les orphelins. L'Ecriture ne dit pas qu'une partie de la religion consiste à les visiter et à les secourir : elle dit absolument qu'en cela consiste la religion, et la religion pure et sans tache, la religion parfaite : Religio munda et immaculata. Or on ne peut douter que ce passage ne convienne particulièrement à ceux dont je dois vous entretenir, puisqu'il est évident que dans le monde chrétien il n'y a point d'orphelins, si j'ose ainsi dire, plus orphelins, ni par conséquent plus dignes de votre zèle. Il fallait toute l'autorité de la parole de Dieu pour vous persuader de cette importante vérité, que la religion est particulièrement attachée au soin de ces enfants qui réclament votre assistance : mais je puis vous assurer que si vous comprenez bien le sens de l'Apôtre, cette vérité vous paraîtra non seulement très raisonnable, mais très naturelle, très conforme à tous les principes du christianisme ; et c'est de quoi j'entreprends ici de vous convaincre. Le lieu où je parle est spécialement destiné, disons mieux, spécialement consacré à la subsistance et à l'éducation de ces orphelins, qui, par l'iniquité des hommes, se trouvent tous les jours exposés au danger de périr et de se perdre, si la Providence et la charité publique ne venaient à leur secours. Oeuvre de Dieu dont vous ne pouvez ignorer l'utilité et la nécessité ; œuvre de Dieu dont on me charge de vous représenter l'état, en vous faisant au même temps connaître l'obligation que vous avez d'y contribuer, et le mérite que vous aurez d'y participer. Pour cela tout mon dessein est de vous développer, dans une exposition simple et suivie, les paroles de mon texte. Il ne m'en échappera pas une, parce qu'il n'y en a pas une qui ne demande une réflexion particulière. Appliquez-vous, s'il vous plaît, et commençons.
On conçoit assez que le zèle d'assister les pauvres, surtout les orphelins, qui de tous les pauvres sont les plus abandonnés, est une partie essentielle de la religion, puisque c'est un des devoirs que la religion nous recommande plus expressément, et qu'elle nous en fait un point capital : Religio ; car il semble que de là dépende toute la prédestination des hommes, et que le jugement de Dieu doive uniquement rouler sur ce précepte. Venez, dira le Sauveur du monde à ses élus, venez, vous qui êtes bénis de mon Père, parce que j'ai eu faim et que vous m'avez donné à manger, parce que j'étais nu et que vous avez pris soin de me vêtir, parce que je manquais de tout et que vous avez pourvu à mes besoins. On conçoit encore que l'aumône faite au pauvre et à l'orphelin est non seulement une dépendance et une suite du culte de Dieu, mais un exercice actuel du culte de Dieu, puisque dans la personne de l'orphelin et du pauvre on rend hommage à Dieu même. Honorez, dit le Sage, au livre des Proverbes (Prov., III.), honorez le Seigneur de vos biens. On convient même, pour la consolation de ceux qui contribuent à cette sainte œuvre dont il s'agit ici, et à laquelle je vous exhorte, on convient que la charité qui se pratique envers les orphelins est une espèce de sacrifice, ou un vrai sacrifice que l'on offre à Dieu ; d'où il s'ensuit que c'est donc un des premiers et des plus excellents actes de la religion. N'oubliez pas la charité, disait saint Paul aux Hébreux (Hebr., XIII.), et faites part de ce que vous avez, parce que c'est par de telles hosties qu'on se rend Dieu favorable.
Tout cela est certain ; mais pourquoi saint Jacques nous marque-t-il si absolument que la religion est d'assister les orphelins et de les visiter ; et pourquoi paraît-il la réduire à ce seul point ? voici, selon saint Augustin, sur quoi est fondée sa proposition. C'est qu'en effet toute la religion se réduit à la charité, se rapporte à la charité ; qu'elle a la charité pour principe, la charité pour fin, la charité pour objet. Ce qui faisait conclure au maître des Gentils que la charité est la plénitude de la loi : Plenitudo ergo legis est dilectio (Rom., XIII, 10.), entendant par ce terme dilectio, l'amour du prochain ; car voilà pourquoi il ajoutait : Qui diligit proximam, legem implevit (Ibid.) ; Celui qui aime son prochain accomplit toute la loi. Or quiconque a le zèle d'assister les orphelins et de les visiter, doit conséquemment avoir dans le cœur cet amour du prochain : je dis cet amour surnaturel, cet amour chrétien , amour pur, qui, dégagé de tous les intérêts du monde, regarde le prochain dans Dieu, et le soulage pour Dieu. Quel autre motif nous y porterait, et qui pourrait sans cela nous faire penser à des misérables dont l'unique titre pour s'attirer cet amour est d'être les créatures de Dieu ? Je puis donc dire, et il est vrai, que celui qui s'affectionne à ces malheureux, et qui, connaissant leurs nécessités, s'empresse de leur procurer tous les soulagements qu'il est en état de leur fournir, a dans l'âme, non seulement de la religion, mais le fond de la religion, mais l'abrégé de toute la religion ; c'est-à-dire qu'il est dès là préparé et déterminé à remplir sans réserve tous les autres devoirs de la religion ; et comme devant Dieu la préparation du cœur, quand elle est sincère, est réputée pour l'effet même, par ce seul acte de religion il a déjà en quelque manière tout le mérite de la religion ; il en a déjà tout l'esprit : Religio hœc est. Quel avantage et quel bonheur pour une âme chrétienne de pouvoir, avec vérité et toujours avec humilité, se rendre à soi-même ce témoignage de sa religion ! On dit tous les jours qu'il n'y a plus de foi dans le monde ; c'est une plainte ordinaire, et une plainte qui, dans un sens, ne se vérifie que trop ; mais en quelque sens qu'on puisse l'entendre, il y aura de la foi parmi nous tant qu'il y aura des âmes charitables, puisqu'elles ne peuvent être vraiment et solidement charitables que par la foi, et que le degré de leur foi répond à l'abondance et à la mesure de leur charité : Religio hœc est.
De là, par une règle toute contraire, se flatter d'avoir de la religion, et n'avoir pas ce zèle de compassion, de tendresse, de miséricorde, pour des sujets aussi délaissés que le sont ceux en faveur de qui je vous sollicite, c'est une religion chimérique et imaginaire, une religion vaine et apparente, une religion dont Dieu n'est point honoré, et dont les hommes ne sont nullement édifiés. Voilà néanmoins la religion de notre siècle, et Dieu veuille que ce ne soit pas la vôtre ! On voit des femmes qui se piquent d'être chrétiennes et de pratiquer la dévotion, mais qui, toutes pieuses et toutes dévotes qu'elles paraissent, n'ont que de l'indifférence pour les pauvres, sont insensibles à leur misère, les laissent souffrir, sans être touchées de leurs maux, ni se mettre en peine de les adoucir. Elles ont, si vous voulez, de la piété, mais une piété stérile , une piété dont les pauvres ne profitent point, une piété qui dès lors ne peut être cette piété pure et sans tache que l'Apôtre nous recommande : Religio munda et immaculata.
Il faut que la piété, pour être pure et sans tache, glorifie Dieu. Or est-ce le glorifier, que de violer un de ses préceptes les plus étroits, qui est celui de la charité ? Est-ce le glorifier, que de renverser l'ordre de sa providence, qui n'a point donné d'autres fonds aux pauvres que ce qu'ils peuvent et ce qu'ils doivent recevoir de la charité ? Est-ce le glorifier, que d'oublier ses images vivantes, ses substituts, ses enfants, qu'il a commis aux soins des fidèles et à leur charité ? Il faut que la piété, pour être pure et sans tache, soit édifiante, soit exemplaire, soit exempte devant les hommes de tout reproche, et à l'épreuve de toute censure : et le reproche le plus honteux qu'on puisse faire à une chrétienne qui fait profession de vertu, n'est-ce pas de ne s'occuper que d'elle-même, et de n'avoir nulle pitié des pauvres ! Moins de prières, pourrait-on lui dire, moins de pratiques et d'exercices d'oraison, et un peu plus de bonnes œuvres ; moins de confessions et de communions, et un peu plus d'attention et de vigilance pour vos frères et les membres de Jésus-Christ : ou plutôt, sans rien retrancher de vos prières, ni diminuer le nombre de vos communions, montrez-en l'utilité et le fruit, par le zèle qu'elles vous inspireront pour des chrétiens comme vous, et pour subvenir à leur indigence. Autrement, ou vous n'avez que les dehors de la religion, ou la religion que vous professez , et dont vous prétendez vous prévaloir, n'est pas la religion sans tache que je vous prêche : Religio munda et immaculata.
Religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre père : Apud Deum et patrem. Car Dieu est le père des pauvres, et en particulier le père des orphelins ; par conséquent la vraie religion doit porter toute âme chrétienne à aimer singulièrement les orphelins, et à leur en donner des marques solides : pourquoi ? parce que la vraie religion, répond saint Augustin, est d'entrer dans les vues de Dieu et dans les inclinations de Dieu : or Dieu se plaît à être le père des orphelins, il s'en fait honneur ; et quand il se glorifie de cette qualité, il veut être en cela notre modèle : Tibi derelictus est pauper : orphano tu eris adjutor (Psal., IX, 14) ; Oui, Seigneur, c'est à vos soins paternels que le pauvre est confié, est c'est vous qui êtes le protecteur de l'orphelin. Que faites-vous donc quand vous vous appliquez à faire subsister ces pauvres enfants qui sont aujourd'hui l'objet de votre charité ? je ne vous dis pas que vous déchargez Dieu du soin de pourvoir à leur subsistance ; il est trop bon pour cesser jamais de penser à eux : mais je dis que vous êtes par là les ministres de sa miséricorde, que vous en êtes les coopératrices et les coadjutrices ; je dis que vous acquittez en quelque sorte sa providence à l'égard de ces enfants, afin qu'ils n'aient jamais lieu de se plaindre qu'il leur ait manqué. Il est leur père ; et quand vous entrez dans leurs besoins par une charité bienfaisante, vous leur tenez lieu de mères en Jésus-Christ. Je dis plus encore : et c'est ainsi que vous devenez, dans un sens aussi véritable qu'il est honorable, comme les mères de Jésus-Christ même. Ne croyez pas qu'il y ait là de l'exagération, puisque c'est le Sauveur lui-même, ce divin Sauveur, qui vous le témoigne : car, dans son Evangile, il a déclaré que sa vraie mère selon l'esprit, c'était quiconque fait la volonté de son Père céleste : Quicumque fecerit voluntatem Patris mei, ipse meus frater et mater est (Matth., XII, 50.). Or pouvez-vous mieux accomplir la volonté du Père céleste qu'en vous employant auprès de ceux dont il vous a particulièrement chargées, qui sont les orphelins ? Religio munda et immaculata apud Deum et patrem hœc est.
Mais pourquoi les orphelins ? Visitare pupillos. Ne le voyez-vous pas ? parce que l'orphelin est, de tous les pauvres, le plus destitué de secours et de moyens, parce que c'est à l'orphelin que la protection de Dieu est plus nécessaire ; parce que c'est l'orphelin qui a plus droit de recourir à Dieu comme à son unique refuge, et de dire comme David : Mon père et ma mère m'ont quitté, il sont perdus pour moi ; mais le Seigneur m'a pris en sa garde : Quoniam pater meus et mater mea dereliquerunt me ; Dominus autem assumpsit me (Psal., XXVI, 10.). Ce n'est pas assez; mais j'ajoute qu'entre les orphelins il n'y en a point à qui ces paroles conviennent si naturellement qu'à ceux que la charité a retirés dans cette maison où vous venez les visiter : les autres quoique orphelins, au défaut de leurs pères et de leurs mères, peuvent encore avoir des appuis ; ils trouvent dans leurs familles des parents, des proches, qui les reconnaissent et qui les élèvent ; ils ont des tuteurs qui ménagent leur bien et qui font valoir leurs deniers : ceux-ci n'ont ni tuteurs, ni parents, dont ils puissent implorer l'assistance ; désavoués de tout le monde, ils n'ont personne dans tout le monde à qui s'adresser. Les autres, quoique sans père et sans mère, sont souvent dans un âge où ils peuvent s'aider eux-mêmes : ceux-ci, dès le moment de leur naissance, sont exposés au danger prochain de périr, et périraient en effet, si le Créateur qui les a formés ne leur avait ménagé une ressource dans la providence des hommes. Il est donc incontestable que ce sont là les orphelins les plus abandonnés de leurs pères et de leurs mères ; que ce sont ceux sur qui Dieu est plus engagé à veiller, ceux dans qui la religion pure et sans tache se pratique plus à la lettre : Visitare pupillos. C'est entre les bras de Dieu seul que ces pauvres enfants sont déposés ; et c'est dans vos mains qu'il les remet, pour les retirer de la mort, et leur conserver une vie dont vous aurez à lui répondre.
Quel soin, dans l'ancienne loi, quel zèle Dieu n'a-t-il pas fait paraître pour les orphelins ? ceci mérite votre attention, et vous apprendra votre religion. Qu'était-ce, dans l'ancienne loi, que les orphelins ? Des personnes sacrées, des personnes privilégiées, des personnes spécialement protégées de Dieu, et comme telles respectées. Rien de plus authentique ni de plus formel que ce que nous lisons sur cela dans le Deutéronome. Dieu voulait que les orphelins fussent considérés des Israélites comme leurs frères ; que chaque famille en adoptât un, et que cet orphelin ainsi adopté mangeât à la table , eût part à tous les biens, fût traité comme les autres enfants de la maison; il voulait que dans chaque famille il y eût une partie des dîmes affectée aux orphelins, et que lorsqu'on faisait la récolte des fruits de la terre, on en réservât une portion pour l'orphelin, afin qu'il eût de quoi vivre ; il voulait que les juges établis pour administrer la justice la rendissent à l'orphelin, préférablement à tout autre : voilà ce que Dieu avait ordonné dès la loi de Moïse. Dans la loi nouvelle, qui est une loi d'amour et de miséricorde, au lieu de tout cela, Dieu s'en repose sur votre charité ; il ne vous oblige, ni à recueillir ces orphelins dans vos maisons, ni à les faire manger à vos tables ; mais il se contente que votre charité pourvoie d'une manière efficace à leur établissement. Sans exiger de vous d'autres dîmes, il veut que votre charité soit pour eux la dîme assurée de vos biens, et qu'ainsi vous soyez à leur égard encore plus secourables par le principe de la charité, que ne l'étaient les Israélites par l'obligation de la loi.
Vous y êtes d'autant plus indispensablement engagées que ces orphelins se trouvent ici dans un état plus déplorable : In tribulatione eorum. Leur affliction est extrême : je veux dire que leur indigence est aussi grande que vous pouvez l'imaginer, et j'ai bien sujet de m'écrier avec saint Paul : Os nostrum patet ad vos (2 Cor., VI, 11) : Je suis député pour vous parler, et pour vous parler fortement : Cor nostrum dilatatum est (Ibid.) : Je sens mon cœur qui se dilate, qui s'étend par le zèle de la charité, et même de la religion, qui est là-dessus inséparable de la charité ; Non angustiamini in nobis ( Ibid.) : Mes entrailles ne sont point resserrées pour vous et pour votre sanctification ; Angustiamini autem in visceribus vestris (Ibid.) : Mais que je crains que vos âmes ne se tiennent fermées, ou qu'elles ne s'ouvrent pas autant qu'elles devraient et qu'il est à souhaiter ! Voilà des enfants dont Dieu nous charge aujourd'hui, vous et moi ; il m'ordonne de vous représenter leurs besoins, de plaider auprès de vous leur cause, et d'y faire servir tout ce qu'il m'a donné de connaissances et de forces ; c'est là mon ministère, et je tâche à m'en acquitter : mais quel est le vôtre ? de contribuer à l'éducation de ces enfants et à leur salut, de répandre sur eux libéralement et saintement vos dons : libéralement, afin qu'ils en reçoivent une solide assistance ; saintement, afin que vous en ayez devant Dieu le mérite, et que vous en obteniez la récompense : ce sera la même pour nous. Or, puisque vous espérez à la même gloire que moi, que vos cœurs s'élargissent comme le mien : Eamdem antem habentes remunerationem, dilatamini et vos (2 Cor., VI, 13.).
A Dieu ne plaise que je veuille exagérer les misères de cette maison ! Je suis le prédicateur de la vérité, et je ne voudrais pas m'en départir une fois, ni d'un seul point, pour exciter votre charité. On vous a dit qu'un grand nombre de ces enfants sont morts, faute de nourriture et des choses les plus nécessaires : je n'examine point si peut-être on vous en a trop dit ; vous avez pu vous en instruire, et même vous l'avez dû, car votre ignorance en cela ne serait pas une légitime excuse. On vous a dit que la multitude de ces enfants croît tous les jours, et que vos charités devraient croître à proportion. Quoi qu'il en soit je sais que ces enfants sont dans la souffrance, qu'ils sont dans l'extrémité de l'indigence, et ce ne sera point amplifier si je conclus qu'ils sont donc dans l'état où la religion vous oblige à faire des efforts extraordinaires pour les soutenir : Visitare pupillos in tribulatione eorum.
Si vous y manquiez, le sang de ces innocents demanderait à Dieu justice ; car leur sang, aussi bien que celui d'Abel, a une voix qui se fait entendre de Dieu, et qui crie de la terre jusqu'au ciel. Il est pour vous du dernier intérêt que la voix de ce sang ne crie jamais contre vous. Il est pour vous d'une conséquence infinie que vous écoutiez cette voix, et que, sur le témoignage que je vous rends, vous preniez de justes mesures, et vous régliez vos aumônes. Sans cela, qui pourrait vous préserver de la malédiction dont Dieu menaçait les Israélites par ces paroles du Psaume: Turbabuntur a facie ejus,patris orphanorum et judicis viduarum (Psal., LXVII, 15.) ; Ils seront troublés et saisis de frayeur à son aspect, parce qu'il est le père des orphelins, et qu'il sera un jour leur juge ? c'est-à-dire qu'il leur rendra justice aux dépens de ceux et de celles qui les auront négligés, et qui, témoins de leur extrême disette, ne se seront pas mis en devoir de les soulager.
Mais que dis-je ? j'aime mieux vous exhorter à ce saint exercice par l'espérance des bénédictions éternelles que Dieu vous promet. C'est l'amour, je dis l'amour de votre Dieu, qui vous doit animer, plutôt que la crainte de ses châtiments. Il s'agit de seconder une entreprise des plus importantes à sa gloire. Il s'agit de sauver des âmes que Jésus-Christ a rachetées, et qui, n'ayant dans le monde nul asile, s'y perdraient immanquablement, si votre zèle n'y remédiait. Il s'agit de dresser des enfants qui, sans vous, n'ayant nulle instruction, par une conséquence inévitable n'auraient nulle religion. Il s'agit de les retirer, non seulement de la pauvreté, mais du vice, mais du libertinage, où la fainéantise, par une triste fatalité, les entraînerait avec tant d'autres. Il s'agit de former dans leur personne de bons sujets, pour être employés partout où la Providence les destinera.
C'est votre ouvrage, et vous y êtes intéressées : car vous êtes comme les fondatrices de cet hôpital. C'est à vous que Dieu en a premièrement inspiré le dessein, et c'est vous qui avez eu le courage de l'entreprendre. Quand je dis vous , j'entends ces illustres dames dont toutes les assemblées des saints publient et publieront sans cesse les charités. Vous les avez connues, et je ne vous en rappelle le souvenir que pour vous porter à les imiter. Vous leur avez succédé, et cet établissement qu'elles ont commencé ne peut être ni maintenu, ni conduit à sa perfection que par vous. Une grande princesse dont je respecte la présence, et dont l'humble modestie m'oblige à me taire sur ses éminentes qualités, n'a pas cru pouvoir mieux honorer Dieu, ni mieux reconnaître tout ce qu'elle en a reçu, qu'en se mettant à la tête de cette œuvre de piété. Sa foi l'y a engagée, et son exemple doit vous y attirer. Faites-vous un devoir et un mérite de vous conformer à ses pieuses intentions. Et vous, troupe infortunée, enfants que le crime a fait naître sans vous rendre criminels, bénissez dans votre malheur même le Dieu souverain, le Père des miséricordes : Laudate, pueri, Dominum (Psal., CXII, 1.) . Si vous êtes le rebut du monde, il y a dans le ciel un Créateur qui s'intéresse à votre conservation, et à qui vous êtes aussi chers que le reste des hommes. Il est au plus haut point de la gloire, mais de ce haut point de gloire il ne dédaigne pas d'abaisser ses regards sur votre misère : Qui in altis habitat et humilia respicit (Ibid., 5.). C'est lui qui apprend aux grands du siècle, et aux plus grands, à descendre eux-mêmes jusqu'à vous, lui qui les fait sortir de leurs palais, de leurs riches et magnifiques appartements, pour se ranger auprès de vous : Suscitans de terra inopem, ut sedeat cum principibus, cum principibus populi sui (Psal., CXII, 7.).
Levez vers lui vos voix, pour lui payer le juste tribut de vos louanges. C'est la louange des enfants, et des enfants à la mamelle, qui lui plaît par-dessus toutes les autres : Ex ore infantium et lactantium perfecisti laudem (Psal., VIII, 3.). Levez avec vos voix vos mains encore pures, et servez à toute cette assemblée d'intercesseurs. Vous n'en pouvez avoir de plus puissants pour vous ouvrir le trésor des grâces divines, et pour vous obtenir l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite.
BOURDALOUE
EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES ORPHELINS
Par un effet de l'iniquité du siècle qui croît tous les jours, la charité s'est refroidie, et chacun s'est relâché : Et quoniam abundavit davit iniquitas , refrigescet charitas multorum (Matth., XXIV, 12.). L'inconstance qui nous est si naturelle et qui ne devrait jamais avoir de part dans les œuvres de Dieu, se mêle en celle-ci. On se lasse, on se dégoûte, on se persuade qu'il y a des charités plus nécessaires.
BOURDALOUE
Quand je dis que la miséricorde envers les prisonniers, que le soin de les assister et de les visiter, peut être pour vous une des pratiques les plus salutaires, je ne parle point précisément du mérite que l'aumône renferme, ni des bénédictions que Dieu s'est engagé à répandre sur vous avec plus ou moins d'abondance, selon que vous seriez plus ou moins libérales à répandre vos dons, et à faire sentir aux pauvres les effets de votre charité. Ce sont des avantages inestimables, mais si connus, et si hautement, si souvent promis dans l'Ecriture, qu'il n'y a personne qui n'en soit instruit, et qu'il serait assez inutile de vous redire là-dessus ce que les prédicateurs vous ont déjà fait tant de fois entendre. Sans donc m'arrêter à une instruction si vague et si générale, voici quelque chose de plus particulier, et qui peut infiniment contribuer à l'édification de vos mœurs ; car pour peu que vous fassiez de réflexions en visitant les prisons, c'est là que vous apprendrez à craindre Dieu, à redouter sa justice et ses jugements, à expier le péché qui en est le sujet, et à vous en préserver. Entrez, s'il vous plaît, dans ma pensée, qui vous paraîtra également solide et sensible.
David souhaitait que les hommes, dès cette vie, pussent descendre dans les enfers, pour y être eux-mêmes témoins des affreux jugements que Dieu y exerce : Descendant in infernum viventes (Psal., LIV, 16.). C'était le souhait du Prophète, mais du reste un souhait impossible dans l'exécution, et selon les voies communes de la Providence. Car comment l'homme, sans un miracle pourrait-il pénétrer dans ces abîmes de feu ? et comment y subsisterait-il assez de temps pour examiner ce qui s'y passe, et pour en revenir touché de tout ce qui lui aurait frappé la vue ? Mais voulez-vous savoir ce qui peut être en quelque manière pour vous le supplément de ce spectacle d'horreur, et vous en tracer une idée capable de faire sur vos cœurs les plus fortes impressions, pour vous ramener à Dieu, et pour vous tenir toujours soumises à la loi de Dieu ? Ce sont ces prisons où la justice humaine rassemble tout ce qu'elle découvre de criminels, pour lancer sur eux ses arrêts, et pour les livrer à toute la sévérité de ses châtiments : et qu'est-ce en effet, qu'une prison ? Me sera-t-il permis de parler de la sorte ? mais il me semble que je n'exagérerai point si je dis que c'est la plus vive image de l'enfer. Dans l'enfer, c'est la justice de Dieu qui se satisfait ; et dans la prison, c'est la justice des hommes. Je sais combien, d'une part, il y a peu de proportion entre l'une et l'autre ; je sais que Dieu punit en Dieu, et que les hommes ne punissent qu'en hommes : mais c'est de là même que vous pouvez d'ailleurs tirer le fond d'une méditation la plus touchante, et la plus propre à vous imprimer dans l'âme une sainte et utile frayeur de ces jugements formidables que Dieu réserve aux pécheurs, et qui feront leur réprobation éternelle.
Car à la vue de ces criminels que vous visiterez dans les prisons ; au milieu de tant d'objets dont vos cœurs seront émus, et qui vous rempliront d'une terreur secrète ; à l'entrée de ces cachots où se présenteront à vous des malheureux enchaînés, défigurés, interdits et désespérés ; si vous voulez vous recueillir en vous-mêmes, et vous rendre dociles aux mouvements de la grâce, il est difficile que vous ne soyez pas frappés des considérations suivantes ; ne les perdez pas de vue : qu'il est bien terrible de tomber dans les mains de Dieu, puisqu'il est si terrible de tomber dans les mains des hommes ; que si les hommes ne croient pas excéder, en condamnant à la mort et aux derniers supplices les transgresseurs des lois qu'ils ont imposées, Dieu, à plus forte raison, ne peut porter trop loin ses vengeances contre les transgresseurs de ses commandements ; que nous sommes plus coupables devant Dieu que ces prisonniers ne le sont devant les hommes, parce qu'ils n'ont commis la plupart qu'un seul crime devant les hommes, au lieu que nous sommes responsables à la justice divine de mille désordres ; que si maintenant cette divine et redoutable justice suspend ses coups, et paraît même comme endormie, elle aura son temps, où elle s'éveillera, où elle éclatera, où elle nous appellera à son tribunal, où elle prononcera contre nous ses anathèmes ; que la justice des hommes, quelque éclairée qu'elle soit, a besoin de longues procédures pour parvenir à la connaissances des crimes, et pour convaincre des criminels ; mais que tous nos péchés, que tous nos crimes sont connus de Dieu dans le moment même que nous les commettons, parce qu'il en est témoin ; qu'on peut fléchir la justice des hommes, mais que durant l'éternité tout entière la justice de Dieu sera toujours également inexorable ; que dans ces prisons bâties par les mains des hommes, et par les ordres de la justice des hommes, cette justice humaine n'empêche pas qu'on ne procure aux criminels qu'elle poursuit quelque adoucissement ; mais que dans cette prison éternelle, bâtie de la main de Dieu, que dans ce feu allumé du souffle de Dieu, il n'y aura jamais ni consolation ni soulagement à espérer ; que ce feu dévorant ne s'éteindra jamais, et que le ver rongeur qu'on y ressent ne mourra jamais : Vermis eorum non moritur, et ignis non extinguitur (Marc, IX, 47.).
De tout cela, et de tant d'autres réflexions que je retranche, mais qui ne manqueront pas de naître, que conclurez-vous ? Saisies d'une crainte toute chrétienne, vous vous humilierez en la présence de Dieu, vous aurez recours à sa miséricorde, vous prendrez des mesures pour prévenir sa justice et pour vous en garantir ; vous concevrez une sainte haine du péché, vous le détruirez dans vous autant qu'il vous sera possible, et par tous les moyens que la religion vous fournit ; vous vous mettrez en garde contre ses atteintes les plus légères, et vous le fuirez comme votre plus mortel ennemi : car voilà les fruits que peuvent produire les visites des prisons, et qu'il ne tiendra qu'à vous d'en retirer. Eh ! vous faites tant d'autres visites dans le monde, et c'est la plus commune occupation de votre vie. Qu'y apprenez-vous, et qu'en rapportez-vous ? Vous y perdez le temps, vous y offensez le prochain, vous y oubliez Dieu, vous vous y dissipez ; vous y prenez tout l'esprit du siècle, toutes les maximes du siècle, tous les sentiments et toutes les manières du siècle ; vous y entretenez votre vanité, votre oisiveté ; et plaise au ciel que vous ne cherchiez pas quelquefois à y entretenir de plus funestes passions ! Plaise au ciel que ces visites si assidues et si fréquentes, que ces visites si souvent rendues et reçues sous le spécieux prétexte de bienséance, d'honnêteté, de civilité, de société, ne dégénèrent pas en des visites d'inclination et de sensualité ! Mais les visites que je vous demande, ou plutôt que Dieu vous demande, vous édifieront et vous sanctifieront.
Cependant nous avons la douleur de voir cette œuvre de charité tomber peu à peu ; et si votre zèle ne se renouvelle, nous la verrons tomber tout à fait. Dans les commencements elle s'est soutenue, parce que la ferveur y était : et d'où venait cette ferveur ? De la nouveauté. L'entreprise paraissait la mieux conçue et la plus louable, chacun y donnait ; mais qu'est-il arrivé ? Par un effet de l'iniquité du siècle qui croît tous les jours, la charité s'est refroidie, et chacun s'est relâché : Et quoniam abundavit davit iniquitas , refrigescet charitas multorum (Matth., XXIV, 12.). L'inconstance qui nous est si naturelle et qui ne devrait jamais avoir de part dans les œuvres de Dieu, se mêle en celle-ci. On se lasse, on se dégoûte, on se persuade qu'il y a des charités plus nécessaires. Sur cela écoutez saint Augustin : c'est par où je finis. Ce Père parle de saint Laurent, et relève l'usage qu'avait fait ce charitable lévite des trésors de l'Eglise, en les distribuant aux pauvres. De se les approprier, poursuit le saint docteur, et d'en user pour soi-même, ce serait un crime ; mais de s'en servir pour les pauvres, mais surtout de s'en servir en faveur des captifs et des prisonniers, c'est une miséricorde : Sin vero pauperibus erogat, captivum redimit , misericordia est. Et en effet, qui peut trouver étrange que les pauvres vivent ? et qui peut se plaindre que des prisonniers, que des captifs soient rachetés ou du moins soulagés ? Nemo potest dicere : Cur pauper vivit ? nemo potest queri quia captivi redempti sunt. Enfin, reprend saint Augustin, c'est une œuvre si agréable à Dieu et si importante, que pour s'acquitter de ce devoir il ne faut point craindre de rompre même les vases sacrés, et de les vendre : In his vasa Ecclesiœ confringere, vendere licet.
Dites après cela que vous avez à faire un meilleur emploi de vos aumônes. Je ne prétends pas que les autres exercices de la charité chrétienne soient abandonnés : tous sont bons, tous sont méritoires devant Dieu ; mais entre tous, je le répète, et j'ai tâché de vous en convaincre dans ce discours, il n'en est point de plus conforme à l'esprit et aux exemples de Jésus-Christ que la charité envers les prisonniers ; il n'en est point de plus marqué, ni de plus formellement ordonné dans la loi de Jésus-Christ, et il n'en est point de plus efficace pour vous conduire au terme du salut où nous appelle Jésus-Christ, et qui est l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite.
BOURDALOUE
EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PRISONNIERS
Je puis dire que dans la prison vous trouverez toutes les sortes de misères dont le Fils de Dieu fera le dénombrement au jour de ses vengeances éternelles. Venez et voyez : dans ce triste séjour vous trouverez, non seulement la captivité et l'esclavage, mais la faim, mais la soif, mais la nudité, mais la maladie et l'infirmité, mais toutes les calamités de la vie ; tellement que de négliger ces misérables et de les délaisser, ce serait vous exposer à entendre contre vous, de la bouche de Jésus-Christ, tous les reproches qu'il doit faire aux réprouvés. Il ne vous dirait pas seulement : J'étais prisonnier, et vous ne vous êtes pas mises en peine de me visiter ; mais il vous dirait : J'étais dévoré de la faim, et vous ne m'avez pas donné à manger : Esurivi, et non dedistis mihi manducare (Matth., XXV, 35.) ; mais il vous dirait : J'étais pressé de la soif, et vous ne m'avez pas donné à boire : Sitivi, et non dedistis mihi potum (Ibid.) ; mais il vous dirait : J'étais nu, et vous ne m'avez pas donné de quoi me vêtir : Nudus, et non cooperuistis me (Ibid.) ; mais il vous dirait : J'étais malade et infirme, et vous ne m'êtes pas venues voir : Infirmus, et non visitastis me (Ibid.). Il vous le dirait ; et qu'auriez-vous à répondre ?
BOURDALOUE
Il y a dans le christianisme des pratiques, lesquelles quoique saintes, ne sont néanmoins que de l'institution des hommes : nous les devons louer, parce qu'elles sont saintes ; et bien qu'elles ne soient que de l'institution des hommes, nous devons croire qu'elles leur ont été inspirées de Dieu, puisqu'il n'y a que l'esprit de Dieu qui puisse suggérer à l'homme les exercices d'une vraie et solide piété. Il y a des pratiques que l'Eglise approuve, qu'elle autorise, qu'elle établit ; et dès qu'elles ont été établies par l'Eglise, nous les devons respecter, puisqu'il n'y a que l'esprit d'erreur, de schisme, d'hérésie, qui puisse censurer, mépriser et rejeter ce que l'Eglise permet, beaucoup plus ce qu'elle appuie de son autorité et ce qu'elle observe dans tout le monde chrétien. Mais ces pratiques de l'Eglise nous sont venues, après tout, par le ministère des hommes ; nous les avons reçues des hommes, et nous en reconnaissons les hommes pour auteurs. Il n'en est pas de même de la charité à l'égard des prisonniers. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'a expressément recommandée ; c'est lui qui l'a consacrée dans son Evangile, et qui en a fait un point de sa loi.
Je dis un point de sa loi, un point particulier, un point non seulement de perfection, mais d'obligation ; et c'est à quoi ne pensent guère la plupart des personnes même les plus régulières et les plus vertueuses. Si l'on est négligent sur cet article, on n'en a pas le moindre remords de conscience, parce qu'on ne le regarde pas comme un devoir. Si l'on y satisfait, on se flatte que c'est par une surabondance de zèle et de ferveur, parce qu'on ne le considère que comme une œuvre de subrogation. Or, c'est toutefois une obligation que vous ne pouvez, ou du moins que vous ne devez pas ignorer, après que le Fils de Dieu nous l'a marquée en des termes si précis et si formels. Dire donc, ainsi que nous l'entendons dire tous les jours : Chacun a sa dévotion, mais la mienne n'est pas pour les prisonniers ; c'est un sentiment peu chrétien, ou plutôt c'est un sentiment directement opposé à l'esprit du christianisme. Car il ne vous est pas libre d'avoir cette dévotion, ou de ne l'avoir pas. Il faut l'avoir, si vous voulez être chrétiennes. Ce n'est pas une dévotion qui soit à votre choix, ni d'une simple volonté : elle est de nécessité, et elle vous doit être en ce sens d'autant plus vénérable, qu'elle est du choix de Jésus-Christ. En d'autres sujets, vous pouvez suivre l'attrait que vous sentez; mais entre les dévotions qui sont de l'ordre de Dieu, il ne dépend pas de vous de choisir celles qui se trouvent plus conformes à votre inclination, celles qui vous plaisent davantage, celles dont vous êtes plus sensiblement touchées. L'obligation est égale pour toutes : et quand vous y êtes fidèles, vous n'avez pas droit de vous glorifier comme ayant fait quelque chose au delà du précepte, mais vous devez vous traiter de servantes inutiles, comme n'ayant fait que ce que vous avez dû faire.
Devoir, prenez garde, s'il vous plaît, devoir si indispensable, que c'est un des préceptes dont Jésus-Christ a fait dépendre le salut ou la damnation, la prédestination éternelle ou la réprobation des hommes. Leur prédestination ; car il dira aux élus : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, parce que j'étais en prison, et que vous m'avez visité. Leur réprobation ; car s'élevant contre les impies, il leur dira : Retirez-vous, maudits, et allez au feu éternel, parce que je souffrais dans la captivité, et que vous m'y avez laissé sans secours et sans consolation. Or, comme remarque saint Chrysostome, quand le Fils de Dieu nous a avertis qu'il en userait de la sorte envers les uns et les autres, n'était-ce pas pour nous faire connaître que le soin des prisonniers n'est pas une œuvre de pure piété, mais que c'est un commandement ? Quoi donc ! demande saint Augustin, est-il vrai que le bonheur éternel d'un chrétien soit attaché à ce seul devoir ? Et ne peut-il pas arriver qu'un chrétien, après avoir accompli ce devoir, vienne encore à être du nombre des réprouvés ? C'est une objection que se fait ce saint docteur, et dont il ne sera pas inutile que je vous donne ici l'éclaircissement, le jugeant même nécessaire pour votre instruction. Je conviens que la prédestination ne dépendra pas uniquement des œuvres de miséricorde à l'égard des prisonniers ; je conviens qu'il y en faut bien ajouter d'autres ; je confesse même et je reconnais qu'absolument un chrétien, avec toutes ces œuvres de charité, peut mourir dans la disgrâce de Dieu. D'où vient donc que Dieu, dans l'arrêt favorable qu'il prononcera aux prédestinés et aux élus, se contentera de leur dire : Venez, parce que j'étais pauvre, que j'étais en prison, et que vous m'avez assisté ? Ah ! mes Frères, répond saint Augustin, c'est que, selon le cours ordinaire de la Providence, les Chrétiens charitables ne tombent jamais dans cet affreux malheur d'une mort criminelle et impénitente ; c'est que Dieu ne permet pas qu'ils soient surpris dans leur péché, ni enlevés avant que de s'être mis en état d'éprouver ses miséricordes et de recevoir ses récompenses. Il a ses voies pour cela; il a ses ressorts qu'il fait agir : au lieu qu'il abandonne ces âmes impitoyables, que la misère du prochain n'a pu fléchir, et qui ne se sont jamais attendries que pour elles-mêmes.
Quoiqu'il en soit, l'obligation de secourir les prisonniers est incontestable, puisque c'est un des points essentiels sur quoi nous serons jugés de Dieu. Je sais que ce précepte est enfermé dans celui de l'aumône ; mais je prétends que de tous les préceptes particuliers compris dans le précepte général de l'aumône, celui-ci est d'un devoir plus rigoureux, plus pressant, plus absolu. Concevez-en bien la raison : c'est que le précepte de la charité envers les pauvres est fondé sur leurs besoins et sur leur misère. Par conséquent, où il y a plus de besoin et où la misère est plus grande, la charité doit plus s'exercer, et l'obligation en est plus expresse et plus étroite. Or y a-t-il une misère pareille à celle de ces prisonniers ? Ce sont les plus malheureux des hommes, puisqu'ils ont perdu le premier de tous les biens, qui est la liberté. Vous me direz qu'ils ont mérité de la perdre ; et moi, je vous dis, avec saint Chrysostome, que, cela même supposé, c'est ce qui redoublerait encore leur malheur d'avoir perdu le plus précieux de tous les biens, et de l'avoir perdu par leur faute. Mais je dis plus, et j'ajoute qu'il n'est pas vrai qu'ils l'aient tous perdu par leur faute, ce bien dont on est si jaloux dans toutes les conditions, et dont on fait en cette vie le souverain bonheur. Car combien y en a-t-il parmi eux qui n'en sont privés que par un pur revers de fortune ? Combien y en a-t-il dont les dettes et la ruine n'ont été nullement l'effet ni de leur mauvaise conduite ni de leur mauvaise foi, mais d'un événement et d'une occasion qu'ils n'ont pu éviter ? Sans y avoir en rien contribué, ils en portent toute la peine. Or que peut-on imaginer de plus déplorable et de plus digne de compassion ? Figurez-vous qu'un accident imprévu vous a réduites dans la même disgrâce : que penseriez-vous de ceux qui, se trouvant en pouvoir de vous relever, ou du moins d'adoucir vos chagrins et de les diminuer, vous en laisseraient porter tout le poids et ressentir toute l'amertume ? Quelles plaintes en feriez-vous ? de quelles duretés les accuseriez-vous ? quelle justice en demanderiez-vous au ciel ? et dans vos transports, de quelles malédictions peut-être les frapperiez-vous ? Ce n'est pas assez : combien même parmi ces malheureux sont arrêtés pour des crimes qu'on leur impute, mais qu'ils n'ont pas commis, et attendent que leur innocence soit reconnue ? Cependant, que ne souffrent-ils point ? Ils se voient traités comme des criminels, méprisés, déshonorés, resserrés dans une prison, qui seule leur tient lieu de supplice. Que comprenez-vous de plus désolant ? et si vous pouviez les distinguer et les connaître, que leur refuseriez-vous ? Or il vous doit suffire de savoir qu'il y en a de tels, comme en effet il y en a presque toujours. Mais je veux enfin qu'ils soient coupables ; et j'en reviens à la pensée de saint Chrysostome, que s'ils sont indignes de la liberté, ils n'en sont, par cette indignité même, que plus misérables. Les innocents ont le témoignage de leur conscience pour les soutenir ; mais ceux-ci dans leur propre cœur ont un bourreau domestique qui ne cesse point de les tourmenter. Dans l'attente d'un jugement dont ils ne peuvent se défendre, et dont ils prévoient toute la rigueur, durant ces journées et ces nuits où, séparés de toute société et de tout commerce, ils n'ont, dans l'horreur des ténèbres, qu'eux-mêmes avec qui raisonner, qu'eux-mêmes de qui prendre conseil, quelles réflexions les agitent ! quelles vues de la mort, et d'une vie ignominieuse, d'une mort violente et douloureuse ! que d'idées lugubres ! que d'images effrayantes et désespérantes ! ajoutez à ces tourments de l'esprit les souffrances du corps : un cachot infect pour demeure, un pain grossier et mesuré pour nourriture, la paille pour lit. Ah ! y a-t-il de l'humanité à ne leur pas donner dans ces extrémités les faibles soulagements dont ils sont encore capables ? Pour être criminels, ne sont-ce pas toujours des hommes ? Chez les païens mêmes et chez les nations les plus féroces, on ne les abandonnerait pas ; et n'est-il pas honteux que la charité chrétienne trouve en nous des cœurs moins compatissants et moins tendres qu'elle n'en a trouvé dans des infidèles ?
Outre ces prisonniers, il y a d'autres pauvres ; mais ces pauvres, ou retirés dans des maisons publiques et dans des hôpitaux, ont des personnes auprès d'eux, dont toute la profession et tout l'emploi est de les servir : ou, maîtres d'eux-mêmes et de leur liberté, peuvent travailler, peuvent mendier, peuvent chercher leur vie, peuvent, à vos portes, en vous représentant leur misère, forcer, pour ainsi dire, malgré vous, votre miséricorde. Il n'y a que les prisonniers qui manquent de toutes ces ressources. Il semble que ce soient comme les morts du siècle : Inter mortuos sœculi (Psal., CXLII, 3.) ; il semble que ce soient des excommuniés, qui ne peuvent paraître en aucun lieu, et dont tout le monde doit s'éloigner : Posuerunt me abominationem sibi (Ibid. , LXXXVII, 9.). Or, en cet état, je soutiens que vous êtes d'autant plus obligées de les aider, qu'ils sont plus dépourvus des moyens ordinaires pour s'aider eux-mêmes, et je reprends mon raisonnement. Car la loi de Jésus-Christ vous oblige à prendre soin des pauvres; et plus ces affligés sont affligés, plus cette obligation croît, et plus elle devient particulière. Point de pauvres plus pauvres que ceux dont je vous recommande les intérêts, et point d'affligés plus affligés. Tirez vous-mêmes la conséquence, et instruisez-vous. Je puis dire que dans la prison vous trouverez toutes les sortes de misères dont le Fils de Dieu fera le dénombrement au jour de ses vengeances éternelles. Venez et voyez : dans ce triste séjour vous trouverez, non seulement la captivité et l'esclavage, mais la faim, mais la soif, mais la nudité, mais la maladie et l'infirmité, mais toutes les calamités de la vie ; tellement que de négliger ces misérables et de les délaisser, ce serait vous exposer à entendre contre vous, de la bouche de Jésus-Christ, tous les reproches qu'il doit faire aux réprouvés. Il ne vous dirait pas seulement. J'étais prisonnier, et vous ne vous êtes pas mises en peine de me visiter; mais il vous dirait : J'étais dévoré de la faim, et vous ne m'avez pas donné à manger : Esurivi, et non dedistis mihi manducare (Matth., XXV, 35.) ; mais il vous dirait : J'étais pressé de la soif, et vous ne m'avez pas donné à boire : Sitivi, et non dedistis mihi potum (Ibid.) ; mais il vous dirait : J'étais nu, et vous ne m'avez pas donné de quoi me vêtir : Nudus, et non cooperuistis me (Ibid.) ; mais il vous dirait : J'étais malade et infirme, et vous ne m'êtes pas venues voir : Infirmus, et non visitastis me (Ibid.). Il vous le dirait ; et qu'auriez-vous à répondre ?
Je conçois que d'autres pourraient s'excuser sur le mauvais ordre de leurs affaires, ayant à peine ce qui leur est nécessaire dans leur condition. Mais en vérité, cette excuse serait-elle recevable de votre part ? Jugez-vous de bonne foi vous-mêmes ; et sans qu'il soit besoin que j'entre avec vous en des discussions et en des questions où vous aurez toujours des prétextes pour vous justifier devant les hommes, quand vous en voudrez avoir, ne vous flattez point, et faites-vous justice devant Dieu. N'avez-vous pas des biens, n'avez-vous pas du crédit, n'avez-vous pas du loisir plus qu'il ne faut, pour vous employer utilement à cet exercice de charité que je vous propose, et dont vous ne pouvez ignorer l'importance ? Il ne sera pas seulement profitable à ceux que vous soulagerez : mais il me reste à vous montrer combien il vous peut être salutaire à vous-mêmes par les avantages qui y sont attachés : c'est la troisième partie.
BOURDALOUE
EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PRISONNIERS
Monument aux Prisonniers, David d'Angers, Eglise de Saint-Florent-le-Vieil
Quoiqu'il en soit de ces prisonniers et de leur conversion à Dieu, votre devoir est de les assister.
BOURDALOUE
Spiritus Domini super me : propter quod evangelisare pauperibus misit me, sanare contritos corde, prœdicare captivis remissionem.
L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi : c'est pour cela qu'il m'a envoyé prêcher l'Evangile aux pauvres, consoler ceux qui sont dans l'affliction, et annoncer aux captifs leur délivrance. (Saint Luc, chap. IV, 18.)
Ce sont les paroles du Prophète Isaïe, et celles de toute l'Ecriture, qui me semblent convenir plus naturellement au sujet que je dois traiter aujourd'hui devant vous. Paroles qui, dans le sens littéral, regardent la sacrée personne de Jésus-Christ, sur qui le Saint-Esprit s'est reposé avec toute la plénitude de ses dons ; aussi Jésus-Christ lui-même se les est-il appliquées, et nous a-t-il déclaré que c'étaient en lui qu'elles avaient eu leur accomplissement : mais paroles qui, par proportion, peuvent s'entendre des prédicateurs de l'Evangile, puisqu'en vertu de la mission qu'ils reçoivent de l'Eglise, l'Esprit de Dieu leur est communiqué, et puisque la foi même nous enseigne que c'est ce divin Esprit qui parle dans eux et par eux : Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui loquitur in vobis (Matth., X, 20.). Je puis donc, en cette qualité, vous dire que l'Esprit du Seigneur m'a conduit ici pour prêcher l'Evangile aux riches en faveur des pauvres ; que j'y viens pour la consolation de tant d'affligés, qui ont le cœur rempli d'amertume, et qui passent leurs jours dans la douleur ; que je suis chargé d'apprendre aux captifs et aux prisonniers l'heureuse nouvelle, que leurs peines vont être soulagées, non seulement par votre charité et par les secours temporels que vous leur apportez, mais par les grâces abondantes que Dieu leur accordera, si, touchés de l'esprit de pénitence, ils veulent avant toutes choses se convertir et rompre les liens qui les attachent au péché : Spiritus Domini super me ; evangelizare pauperibus misit me; sanare contritos corde; prœdicare captivis remissionem.
Quoiqu'il en soit de ces prisonniers et de leur conversion à Dieu, votre devoir est de les assister ; et c'est à quoi vous engagent trois puissants motifs ; l'un tiré de l'exemple de Jésus-Christ ; l'autre du précepte de Jésus-Christ ; et le dernier, des avantages qui y sont attachés. Assister les prisonniers, et leur porter dans leur infortune l'aide nécessaire, c'est un des plus excellents actes de la charité chrétienne : comment cela ? parce que c'est Jésus-Christ qui nous en a donné l'exemple, parce que c'est Jésus-Christ qui nous en a fait le commandement, et parce qu'en soi c'est un des moyens les plus efficaces de sanctification et de salut. Voilà en trois points tout le partage de cet entretien.
C'a toujours été la maxime de Jésus-Christ, de pratiquer et de faire, avant que d'enseigner et d'instruire : et pour appliquer cette règle générale au point particulier que j'ai présentement à établir, je dis que le soin d'assister les prisonniers, et de contribuer au soulagement de leurs peines, est un des plus sensibles exemples que cet Homme-Dieu nous ait donnes ; je dis que, pour nous exciter fortement à la charité, il a voulu la consacrer dans sa personne ; je dis que tous les mystères de sa vie nous prêchent cette charité, et qu'il n'y en a pas un qui n'ait une grâce singulière pour nous l'inspirer.
Oui, tous les mystères de la vie de Jésus-Christ, non seulement de sa vie souffrante, mais de sa vie glorieuse, c'est-à-dire son incarnation, sa prédication, sa passion, sa résurrection, son ascension, tout cela, si nous voulons consulter notre foi, et en tirer les conséquences pratiques qui se présentent d'elles-mêmes, sont autant de raisons fortes et pressantes pour ne pas délaisser ceux de vos frères que vous savez être détenus, et languir dans une triste captivité. Vous m'en demandez la preuve, et la voici dans une courte induction de tous les états où l'Evangile vous fait considérer ce Dieu Sauveur.
Son incarnation : car qu'est-ce que cette incarnation divine, sinon le mystère d'un Dieu descendu sur la terre pour sauver des esclaves ; d'un Dieu sensible à nos misères, et revêtu de notre chair pour briser nos fers et nous procurer la plus heureuse liberté ? Voilà pourquoi il est sorti du sein de son Père. Si nous n'eussions pas été captifs, il n'eût pas été nécessaire qu'il se réduisît lui-même dans la dépendance et dans l'esclavage, pour nous délivrer.
Sa prédication : qu’est-il venu annoncer au monde ? l'Evangile: et qu'est-ce que l'Evangile ? cette bonne nouvelle qu'il nous a apportée de notre prochaine délivrance. C'est pour cela qu'il a été envoyé, et tel est le salut où il nous a appelés.
Sa passion : n'est-ce pas pour nous racheter qu'il a sacrifié sa vie et qu'il est mort ? De là vient que cette douloureuse passion est par excellence le mystère de notre rédemption : car c'est lui, dit saint Paul, c'est par sa croix et par les mérites de son sang qu'il nous a arrachés de la puissance des ténèbres : Qui nos eripuit de potestate tenebrarum (Colos., 1, 13.).
Sa résurrection : une des circonstances les plus remarquables de cette résurrection toute miraculeuse, ce fut sa descente aux enfers, lorsqu'il alla visiter cette multitude innombrable de saintes âmes qui l'attendaient comme leur libérateur. Car c'est ainsi qu'en parle l'apôtre des Gentils, quand il dit que la première démarche de ce Dieu vainqueur de la mort fut d'entrer, couvert de gloire, dans cette obscure prison où tant de prédestinés soupiraient après lui, parce que c'était lui qui devait les retirer de ce lieu d'exil, et les mettre en possession de leur éternelle béatitude.
Enfin, sa triomphante ascension : je dis triomphante, puisque ce retour au ciel fut un vrai triomphe, mais bien différent de ces vains triomphes dont l'antiquité honorait les conquérants. Ceux-ci traînaient après eux des nations ruinées, désolées, soumises au joug : et dans son triomphe, de qui ce Rédempteur, ce divin conquérant, était-il suivi ? de ces troupes d'élus qu'il avait comblés de joie par sa présence, qu'il avait dégagés et comme élargis par un effort de sa toute puissance, à qui il avait ouvert les portes de leur céleste patrie, et qu'il conduisait à ce bienheureux terme, pour y jouir d'une pleine félicité. Après avoir sauvé les hommes, il avait droit, ce semble, de ne plus penser qu'à se glorifier lui-même ; après être mort pour nous, il avait droit de ne plus vivre que pour lui : mais sa charité ne put consentir à ce partage. Il ne voulut pas que le souverain pouvoir qu'il avait reçu de son Père ne servît désormais qu'à son propre bonheur et à sa propre élévation, mais il l'employa, et le mit tout entier en œuvre pour ces âmes souffrantes : Ascendens in altum, captivant duxit captivitatem (Ephes., IV, 8.).
Or, je le répète, tous ces mystères sont pour vous autant d'exemples, et tous ces exemples autant de leçons. C'est là-dessus, comme sur tout le reste, et même encore plus que sur mille autres choses où souvent vous bornez votre dévotion, que notre adorable Maître vous prescrit la même règle qu'il prescrivait à ses apôtres. C'est là-dessus qu'il vous dit : Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, et vos faciatis (Joan., XIII, 15.) ; Faites ce que j'ai fait, et que votre charité, selon qu'il est possible, réponde à ma miséricorde. Voyez donc quelle application vous en devez faire à votre conduite envers les prisonniers, et reprenons par ordre tout ce que je viens de vous retracer devant les yeux, comme le modèle le plus parfait que je puisse vous proposer. Suivez-moi.
Pour délivrer les captifs, ce Sauveur des hommes s'est fait homme. Il n'a pas attendu qu'ils le prévinssent, ni qu'ils l'appelassent à leur secours : il a connu leur malheur, et il est venu à eux ; il a demeuré parmi eux, il a pris sur lui toutes leurs misères, et les a partagées avec eux. Pouvez-vous ignorer combien de malheureux gémissent dans les prisons, et y sont étroitement resserrés ? Il ne leur est pas libre d'aller vous représenter leur état ; mais vous croyez-vous dispensées d'aller vous-mêmes vous en instruire ? Si vous en aviez une fois été témoins, j'ose répondre qu'il n'y a point de cœur si insensible qui n'en fût ému. On vous en parle, il est vrai ; on emploie, à vous en donner une idée juste et capable de toucher vos âmes, toute la force de la divine parole et tous les traits de l'éloquence chrétienne : mais autre chose est d'entendre, et autre de voir. Comme Jésus-Christ est descendu pour nous dans cette vallée de larmes où le péché nous avait réduits sous la plus dure servitude, descendez dans ces antres profonds où la justice des hommes exerce toute sa rigueur. Tâchez de percer les ombres de ces noires demeures. Ouvrez les yeux, et démêlez, si vous le pouvez, au travers de ces affreuses ténèbres, un misérable accablé sous le poids de ses fers, et vous présentant dans toute sa figure l'image de la mort. Un regard fera plus d'impression que tous les discours : et dès que vous aurez vu (permettez-moi de m'exprimer ainsi), vous serez vaincues.
Pour sauver des captifs, et pour leur faire accepter la grâce qu'il leur annonçait, ce Dieu-Homme, leur législateur et leur réparateur, a parcouru les campagnes, les solitudes, les bourgades, les villes. Tel était le sujet de sa mission, et c'est pour ce glorieux ministère qu'il avait été spécialement consacré par l'onction du Saint-Esprit. Sans autre caractère que celui de chrétiennes, vous avez toutes une mission, non pour enseigner, ni pour prêcher, mais pour assister et pour soulager. Comme chrétiennes, Dieu vous a choisies; et si vous êtes fidèles à votre vocation, vous avez des talents dont les prisonniers peuvent profiter : le talent de les fortifier dans leurs ennuis, dans leurs frayeurs, dans leurs désespoirs ; le talent de leur ménager certaines douceurs, et de leur rendre au moins leurs maux plus supportables ; le talent même de leur inspirer des sentiments de religion, de soumission, de patience : talents ordinaires et communs, mais talents quelquefois singuliers dans des personnes qui pourraient en faire un meilleur usage, et qui ne les ont pas reçus de l'auteur de la nature pour les laisser inutiles et sans fruit. C'est sur quoi elles se trouveront peut-être plus criminelles qu'elles ne pensent au jugement de Dieu.
Pour racheter des captifs, un Dieu s'est livré lui-même, il a versé son sang et donné sa vie. De là, que conclut saint Jean ? je pourrais le conclure comme lui, et cette conséquence, qui sans doute vous surprendra, n'a rien néanmoins qui dût vous étonner, si vous étiez bien remplies et bien animées de l'esprit de votre foi. Car nous avons connu la charité de notre Dieu, dit ce bien-aimé disciple, en ce qu'il s'est immolé jusqu'à perdre la vie pour nous : In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animam suam pro nobis posuit (Joan., III, 16.). Et que s'ensuit-il de ce principe ? ajoute le même apôtre. C'est que nous devons être prêt nous-mêmes à mourir pour nos frères, et à les aider aux dépens de notre vie : Et nos debemus pro fratibus animas ponere (Ibid.). Or est-ce là ce qu'on vous demande ? et si je vous parle d'exercer la miséricorde dans des prisons et dans des cachots, veux-je vous dire d'y porter tous vos biens et de vous en dépouiller ? s'agit-il d'y employer tout votre temps et d'y consumer vos jours ? Quand je le prétendrais de la sorte, serait-ce plus exiger de vous qu'il n'est marqué dans les paroles du saint disciple ? serait-ce plus que n'ont fait tant de saintes dames, qui semblaient n'avoir sur la terre d'autre retraite que ces sombres demeures, ni d'autre occupation que les œuvres de charité qu'elles y pratiquaient ? serait-ce plus que ne font encore de nos jours des hommes de Dieu, des hommes capables, ou par leur naissance, ou par leur mérite personnel, de se distinguer et de paraître ailleurs avec honneur ; mais que nous savons, depuis les vingt et les trente années, se rendre en quelque manière par leur assiduité plus prisonniers que les prisonniers mêmes ; vivant au milieu d'eux, traitant sans cesse avec eux ; ne quittant les uns que pour se transporter auprès des autres, leur tenant lieu à tous de pères, de tuteurs, de patrons, d'amis, de confidents, d'agents, surtout d'apôtres et de maîtres en Jésus-Christ ? Ah ! vous voyez assez qu'il n'est point ici question de tout cela, et que tout cela est bien au-dessus de ce qu'on vous propose. Car qu'est-ce qu'on attend de vous, et qu'est-ce que je voudrais obtenir en faveur de ces infortunés dont je prends aujourd'hui les intérêts, et pour qui je fais auprès de vous la fonction d'avocat et de prédicateur ? à quoi viens-je vous exhorter ? A ce qui vous est très facile, à ce qui vous coûtera très peu, à ce qui ne vous retranchera de votre état que certaines inutilités, que certaines superfluités, que certains excès ; à ce qui n'altérera ni vos forces, ni votre santé ; à ce qui ne vous sera, dans le système de votre vie, de nulle incommodité, ou que d'une très légère incommodité ; à quelques aumônes, à quelques dépenses, à quelques contributions que vous tirerez, non de votre nécessaire, mais de votre jeu, mais de votre luxe et de vos mondanités. Y a-t-il rien là que vous puissiez refuser à votre Dieu, qui vous le demande pour les pauvres, après qu'il vous a fait le plein sacrifice de lui-même sur une croix ?
Pour consoler les captifs, il les est allé trouver dans les abîmes de la terre. Il y a employé les premiers moments de sa vie glorieuse, et vous y devez employer tout le cours de votre vie pénitente. Comprenez ceci. Ou vous êtes déjà ressuscitées par la grâce de la pénitence, ou vous êtes encore dans l'état du péché. Etes-vous encore criminelles et pécheresses ? par là vous vous disposerez à cette résurrection spirituelle qui vous réconciliera avec Dieu, et vous fera vivre en Dieu de la vie des justes ; par là vous engagerez Dieu à vous accorder des grâces de conversion, et des grâces fortes et victorieuses ; car les œuvres de la miséricorde chrétienne sont la plus sûre et la plus infaillible ressource des pécheurs. Etes-vous heureusement et saintement ressuscitées ? vous avez à réparer le passé ; et par là vous satisferez à la justice divine : vous avez à vous conserver et à persévérer ; et par là vous vous maintiendrez, et vous vous préserverez des rechutes : vous avez des progrès à faire ; et par là vous vous enrichirez devant Dieu, vous acquerrez des mérites, vous vous élèverez, vous vous conformerez au sacré modèle de votre perfection, qui est Jésus-Christ dans l'état de sa gloire.
Enfin, pour glorifier des captifs et pour remplir leurs vœux, il les a conduits avec lui dans son royaume. L'éclat de son triomphe ne lui a point fait oublier des âmes qui l'avaient si longtemps désiré. Il a voulu qu'elles fussent placées auprès de lui, et qu'elles y goûtassent dans le séjour de la félicité le même repos, la même joie, le même bonheur : Intra in gaudium Domini tui (Matth., XXV, 21.). On ne vous envie point votre opulence, vos prospérités, vos grandeurs. Jouissez-en, puisqu'il a plu au ciel de vous en gratifier. Il a ses vues dans cette diversité de conditions : et pourvu que vous ne vous écartiez point de ses vues, vous pouvez du reste, avec toute la modération convenable, user de ses faveurs et vous servir de ses dons. Mais au milieu de vos prospérités, serez-vous seules heureuses en ce monde ? aurez-vous seules toutes vos commodités et toutes vos aises ? et ce que le Prophète disait aux riches de Jérusalem, ne puis-je pas vous le dire à vous-mêmes : Numquid habitabitis vos soli m medio terrœ (Isa., V, 8.) ? N'y aura-t-il sur la terre de maisons habitables que pour vous ? les campagnes ne rapporteront-elles que pour vous ? ne fera-t-on la moisson et ne recueillera-t-on les fruits que pour vous ? Contentes d'avoir tout en abondance, et d'être à couvert de toutes les calamités temporelles, ne jetterez-vous point un regard de pitié sur ceux que l'indigence réduit aux dernières nécessités ? Croyez-vous que Dieu les ait tellement abandonnés aux caprices du sort et à leur destinée malheureuse, qu'il n'en ait commis le soin à personne ?
Mais ne vous y trompez pas : il y a une Providence qui veille sur eux ; et, en leur manquant dans leurs besoins, c'est à cette Providence que vous manquez ; doublement coupables alors, et de ne pas suivre l'exemple de Jésus-Christ, et de violer encore le précepte de Jésus-Christ, comme je vais vous le montrer dans la seconde partie.
BOURDALOUE
EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PRISONNIERS
Prisonniers visités par le Christ, Flandres XVIIe s. (auteur anonyme), Musée Ingres, Montauban.
Dans l'obligation où nous sommes de porter des fruits tels que Dieu les demande, c'est à nous, dit saint Grégoire, d'y préparer nos cœurs, afin que nos cœurs soient des sujets propres à recevoir la précieuse semence de la parole de Dieu ; c'est à nous, avec le secours de la grâce, à les disposer et à les former.
BOURDALOUE
Semen est verbum Dei.
Le bon grain, c'est la parole de Dieu. (Saint Luc, chap. VIII, 11.)
Achevons.
Tout le grain ne demeura pas sans fruit. Il y eut une bonne terre où il tomba, où il leva, où il profita ; et il y a des âmes où la parole de Dieu, favorablement écoutée et soigneusement conservée, produit des œuvres de charité dont l'Eglise tire autant d'édification que les pauvres d'assistance et de consolation. Oui, il y en a dans cette assemblée, et à Dieu ne plaise que je leur refuse les justes éloges que je leur dois comme ministre du Seigneur, et comme prédicateur de la miséricorde ! Mais entre ces âmes même éclairées de la foi, et en qui la foi opère par la charité, nous pouvons encore distinguer différents degrés : car, pour ne rien omettre de toutes les leçons contenues dans la parabole de notre Evangile, prenez garde que le grain ne rapporta pas également dans toute la bonne terre où il fut jeté. Là, dit notre adorable Maître, il ne rendit que trente pour un : Aliud trigesimuni ; ailleurs il donna soixante pour un : Aliud sexagesimum ; mais en quelques endroits la récolte alla jusqu'à cent pour un : Aliud vero centesimum ; tout ceci est mystérieux, et trois mots en vont développer tout le mystère.
Une âme touchée de l'exhortation qu'elle est venue entendre, et persuadée du précepte de l'aumône, veut l'accomplir à la lettre, parce qu'elle comprend que, sans la charité, il n'y a point de salut ; mais du reste, contente d'observer la loi, elle se borne précisément à l'obligation, elle examine ses forces, et elle y proportionne ses charités. En cela que fait-elle ? elle ne produit que trente pour un : Aliud trigesimum ; c'est toujours beaucoup, mais ce n'est point assez ; et, plus libérale encore , une âme ajoute à ces aumônes d'obligation des aumônes de surérogation. Soit qu'elle craigne de se tromper en se tenant à l'étroite mesure du précepte, et de n'en pas remplir toute l'étendue ; soit que le feu de sa charité lui dilate le cœur, et la porte à donner plus que moins, parce que le plus qu'elle donnera ne répondra jamais à la charité de Jésus-Christ pour elle ; quoi que ce soit, elle ne compte, ni avec Dieu, ni avec les pauvres ; elle répand ses dons abondamment, elle les multiplie, et en cela que fait elle ? elle rend soixante pour un : Aliud sexagesimum. N'est-ce pas tout ? non, et la charité, quand une fois elle est bien allumée, et qu'elle se laisse emporter à l'ardeur qui l'anime, ne connaît plus, pour ainsi dire, de règle, et n'en suit plus. Autant la cupidité est avide pour attirer tout à soi et pour ne rien relâcher, autant cette charité évangélique, cette charité vive et enflammée, est-elle toujours prête à se défaire de tout et à tout quitter. Une telle âme ne possède rien, ou ne pense pas posséder rien en propre ; elle n'a rien qui n'appartienne aux pauvres, ou qu'elle ne croie leur appartenir. Parlez-lui de précaution, de prévoyance pour elle-même, c'est un langage qu'elle ne conçoit pas ; mais proposez-lui quelque pratique de charité, c'est là qu'elle vole, et qu'elle devient saintement prodigue. Or, en cela, que fait-elle ? elle rapporte jusqu'à cent pour un : Aliud vero centesimum. On en a vu de ce caractère, et si ce sont des exemples rares, ce ne sont point des exemples imaginaires ni supposés ; on a vu de ces filles, de ces femmes de miséricorde, suivant l'expression de la Sagesse, dont les charités, ou plutôt, dont les saintes prodigalités n'ont jamais manqué : dans une fortune médiocre, et bien au-dessous de leur naissance, elles ont toujours trouvé des misères à soulager ; et, par un miracle du ciel, avec un pouvoir en lui-même très limité, elles pouvaient tout, elles ont tout entrepris et tout exécuté ; leur mémoire encore récente est en vénération parmi nous, et leurs noms, consacrés par l'aumône, seront éternellement écrits dans le livre de vie.
Voilà de grands modèles pour vous ; mais sans qu'il soit absolument nécessaire d'atteindre à cette souveraine perfection de la charité, du moins devez-vous voir de quel nombre vous êtes, et ce qui peut vous convenir dans toute cette application de la parabole du bon grain ; du moins devez-vous, en vous examinant devant Dieu, dans l'esprit d'une véritable et solide religion, rentrer en vous-mêmes, et tâcher de découvrir vos dispositions intérieures, soit pour les corriger, soit pour les perfectionner. Il ne dépend pas du laboureur qui sème le grain que la terre soit bonne ou,mauvaise ; toute son habileté est à rechercher la bonne, dont il peut lui revenir du profit, et à laisser la mauvaise, dont il n'aurait rien à espérer. Mais il n'en est pas ainsi de nous. Dans l'obligation où nous sommes de porter des fruits tels que Dieu les demande, c'est à nous, dit saint Grégoire, d'y préparer nos cœurs, afin que nos cœurs soient des sujets propres à recevoir la précieuse semence de la parole de Dieu ; c'est à nous, avec le secours de la grâce, à les disposer et à les former. Si donc vous étiez, ou de ces âmes dissipées, ou de ces âmes dures, ou de ces âmes volontairement esclaves de la cupidité et de la volupté, c'est à vous d'en répondre à Dieu ; c'est à vous que Dieu s'en prendra, et par conséquent c'est à vous de vous réformer là-dessus, et d'y apporter le remède : car, de toutes les excuses que vous pourriez alléguer pour vous justifier devant Dieu du peu de fruit que sa parole aurait produit en vous, surtout au regard des pauvres, il n'en est point de plus frivole que de lui dire : Seigneur, je n'y faisais pas assez de réflexion, et je n'y pensais pas ; Seigneur, je n'étais pas naturellement tendre ni compatissante ; Seigneur, j'avais d'autres soins, d'autres affaires dans le monde ; j'aimais mon plaisir, et il m'entraînait. C'est en cela même, vous répliquerait-il, qu'a consisté votre désordre ; en ce que vous ne vous êtes jamais fait nulle violence pour fixer la légèreté de votre esprit, et pour en arrêter les continuelles évagations ; en ce que vous n'avez jamais combattu la dureté de votre cœur, ni fait nul effort pour le fléchir ; en ce que vous vous êtes chargées de mille soins qui ne vous regardaient pas, et abîmées dans des affaires que vous pouviez prendre avec plus de modération ; en ce que votre plaisir vous a dominées et que vous ne vous êtes point mises en peine des maux d'autrui, pourvu que vous n'eussiez rien à souffrir vous-mêmes, et que vous puissiez toujours vivre commodément ; c'est là encore une fois, votre crime : or prétendez-vous qu'un désordre soit la justification d'un autre désordre ? Ce serait une erreur, et une erreur d'autant plus pernicieuse, qu'en vous trompant elle ne vous garantirait pas des jugements de Dieu. Mais ce qui vous en préservera, c'est un renouvellement de ferveur, qui vous applique encore avec plus de vigilance et plus de constance à vos charitables exercices.
Ainsi, la parole de Dieu que je vous ai annoncée, cette exhortation vous sera également utile, et aux pauvres. Les pauvres en profiteront pour cette vie passagère et mortelle, et vous en profiterez pour une vie durable et immortelle ; elle sera salutaire aux pauvres selon le corps, et elle vous sera salutaire selon l'âme ; les pauvres en retireront quelque soutien dans le temps, et elle vous fera acquérir une gloire infinie dans l'éternité.
BOURDALOUE
DEUXIÈME EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES
Moïse Sauvé des Eaux, Sébastien Bourdon, National Gallery of Art, Washington