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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

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SALVE REGINA

24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 12:30

Mais il est temps de voir en quelle manière l'Église a appliqué, dans le cours des siècles, le principe des langues sacrées dans le service divin.

 

La Liturgie est, par le fait, célébrée en diverses langues. Les protestants nous l'objectent avec complaisance ; les auteurs catholiques dont nous avons parlé, semblent en triompher avec une joie secrète. Les uns et les autres ont tort de s'arrêter à la surface de la question au lieu de la pénétrer avec fermeté. Ils ne se rendent pas compte de deux faits, qui suffisent à eux seuls pour briser à jamais toutes leurs espérances. Le premier de ces faits est qu'il y a beaucoup plus de nations chrétiennes que de langues liturgiques ; ainsi voilà toujours la majeure partie des fidèles privée d'entendre dans sa langue les paroles de la Liturgie. Le second fait est que les langues employées par différents peuples dans le service divin ont toutes cessé d'être vulgaires, et, depuis bien des siècles, ne sont plus parlées chez les peuples qui les entendent à l'autel. Nous allons exposer historiquement la marche de la Liturgie dans ses rapports avec les langues.

 

Nous ne faisons aucune difficulté de convenir que l'Église, à son origine, a dû commencer par employer la langue vulgaire à l'autel. Nos adversaires en voudraient-ils tirer avantage ? nous leur demanderions s'il trouveraient bon qu'une société parvenue à l'âge parfait demeurât soumise aux conditions qu'elle dut subir à son berceau. Dans les premiers jours du christianisme, nous voyons les apôtres saint Pierre et saint Jean allant offrir leurs prières au temple de Jérusalem, quoique le voile se fût déchiré du haut en bas, au moment où le Christ expirait sur la croix. C'est sous les portiques de ce temple maudit et déshérité, dont bientôt il ne restera pas pierre sur pierre, que la prédication apostolique retentit maintes fois, dans les premiers jours qui suivent la venue de l'Esprit-Saint, parce que les disciples du Christ savent qu'ils y trouveront des Juifs disposés à les entendre parler de l'accomplissement des prophéties. Pour ménager la susceptibilité de la synagogue, nous voyons saint Paul circoncire son disciple Timothée. Dans le concile de Jérusalem, si les Apôtres proclament enfin l'affranchissement des fidèles à l'égard des cérémonies légales, ils maintiennent encore l'antique défense de se nourrir du sang et des viandes suffoquées. S'agit-il de choisir des évêques pour présider aux nouvelles chrétientés, on accepte ceux qui sont dans les liens du mariage, pourvu qu'ils n'aient eu qu'une seule femme. Nous ne finirions pas si nous voulions entreprendre l'énumération complète des conditions extraordinaires que l'Église dut subir à son berceau ; ce n'est donc pas à cette époque primordiale qu'il faut aller demander en toutes choses les formes disciplinaires vers lesquelles l'Église tendait par sa nature, et qu'elle devait réaliser quand elle jouirait de sa parfaite indépendance.

 

Nous convenons donc sans aucune peine que l'Église, dans la première période, a célébré les saints mystères en langue vulgaire. Il en a été de la Liturgie comme des saintes Écritures du Nouveau Testament ; le privilège a été pour le premier âge, et il en devait être ainsi. Le temps seul peut faire d'une langue vulgaire une langue sacrée : l'homme n'invente pas les langues à priori. Elles peuvent cesser d'être parlées, s'éteindre comme langues vivantes, sauf à recevoir une nouvelle vie par la consécration de la science et de la religion. Ainsi donc, les Apôtres et leurs premiers successeurs célébrèrent la Liturgie dans la langue des peuples, dans cette même langue qui leur servait pour donner à ces peuples l'instruction. "Mais, comme l'exprime excellemment saint Thomas, quand les fidèles furent instruits, quand ils eurent connu le sens des choses qu'ils entendent réciter dans l'office pour lequel ils se réunissent, on fit les prières en langue non vulgaire."

 

Nous ne manquerions pas d'arguments pour rapporter déjà à cette époque primitive, où le texte de l'Écriture et la Liturgie étaient en langue vulgaire, l'usage de réciter à voix basse les prières les plus solennelles du sacrifice ; nous pourrions insister sur ce que nous avons dit sur l'impossibilité, dans une assemblée nombreuse, d'entendre toujours la voix du prêtre à l'autel, ce qui réduit considérablement l'importance de la langue vulgaire dans la Liturgie ; nous aimons mieux élargir la discussion en établissant par les faits que si, dans l'Église primitive, on employa la langue vulgaire à l'autel, ce privilège, durant les trois premiers siècles, ne s'étendit pas à d'autres langues qu'aux trois qui avaient figuré sur le titre de la croix du Sauveur, hébraïque ou syriaque, grecque et latine.

 

Pour ce qui regarde les Apôtres eux-mêmes, il est hors de doute qu'ils ont célébré la Liturgie dans les langues des peuples qu'ils instruisaient ; c'est le sentiment des différents auteurs qui ont agité la question qui nous occupe ; mais en même temps il faut reconnaître que la plupart des Apôtres n'ont point dépassé dans leurs prédications les limites des pays au sein desquels se parlaient les trois langues bibliques. Le latin était connu dans toute l'étendue de l'Empire ; le grec était plus répandu encore ; le syriaque, avec ses divers dialectes, s'avançait au loin dans l'Orient soumis aux Romains. Quant à ceux des Apôtres qui auraient prêché à des peuples chez lesquels les trois langues n'avaient pas pénétré, rien ne s'oppose à ce qu'on admette qu'eux aussi aient célébré la Liturgie dans la langue de ces peuples ; le contraire du moins serait impossible à démontrer. Nous ferons observer toutefois, que ces Apôtres ne leur ont point donné l'Écriture sainte dans leur langue, et ne leur ont rien laissé d'écrit sur la Liturgie. Il faut même ajouter qu'ils n'y ont pas fondé d'Églises au moins d'une manière durable, puisqu'il a fallu, dans les siècles suivants, prêcher de nouveau la foi dans l'Inde, l'Ethiopie et autres régions lointaines qu'on prétend avoir été visitées par quelques Apôtres.

 

Ce sont donc d'abord les trois langues dépositaires des oracles divins qui furent chargées d'exprimer à Dieu les vœux de son Église, et véritablement on ne peut s'empêcher de plaindre les auteurs catholiques qui se sont permis de traiter avec légèreté cette croyance primitive qui a pour elle les monuments et les plus solides conjectures. Sans doute, on a eu tort d'écrire au XVIe siècle que la Liturgie n'avait jamais parlé plus de trois langues ; mais l'ignorance où l'on était alors sur les choses de l'Orient excuse les controversistes qui portent la responsabilité de cette méprise. Que si d'autres, à la même époque, ont placé la langue hébraïque parmi les trois que revendique la Liturgie primitive, on devait entendre leur assertion de la langue syriaque, qui était l'hébreu parlé au temps de Jésus-Christ et des Apôtres, et Renaudot a fait une dépense inutile de son érudition lorsqu'il a pris la peine de prouver qu'il est absurde de dire que la Liturgie ait jamais été célébrée dans l'hébreu de Moïse et d'Isaïe. Quant à ce qu'il ajoute que de telles méprises trahissent la cause catholique, au lieu de la défendre, il faut convenir que c'est donner beaucoup trop d'importance à une erreur de fait qui se rapporte au premier âge de la controverse contre les protestants, comme si Bellarmin et Du Perron n'avaient pas fait oublier Eckius et quelques autres débutants dans une polémique à laquelle la scolastique ne les avait malheureusement pas préparés.

 

Les Apôtres ayant célébré d'abord la Liturgie à Jérusalem, il est probable qu'ils l'ont fait en syriaque, et que cette langue est la première qui ait été employée dans la Liturgie. Le grec, il est vrai, était parlé dans la Syrie ; mais on ne peut disconvenir que le dialecte syro-chaldéen ne formât le langage usuel de la nation juive ; aussi figure-t-il le premier sous le nom d'hébreu au titre de la Croix. Il était juste que la langue qu'avait parlée le Sauveur, et dans laquelle fut écrit le premier Évangile, eût aussi l'honneur de servir la première à la Liturgie. Cette langue se rattachait à l'ancien hébreu et avait reçu les derniers livres de l’Ancien Testament ; elle fut bientôt en possession d'une version complète de l'Écriture par la traduction successive des anciens livres hébreux et des nouvelles Écritures en langue grecque ; il était donc dans la nature des choses qu'elle eût la première les honneurs de l'autel chrétien.

 

Toutefois, il faut convenir que la langue grecque ne le cède guère en antiquité à la langue syriaque dans la Liturgie. Le grec était aussi répandu dans la Syrie que le syro-chaldéen. On peut même dire que dans les principales villes de cette contrée, la première de ces deux langues était d'un usage plus fréquent que la seconde. Dès les premières années du christianisme, la foi pénétra dans Antioche et avec un tel succès que le nom chrétien, comme nous l'apprend saint Luc, commença dans cette ville. La presque totalité des livres du Nouveau Testament fut écrite dans la langue grecque, que les Apôtres préférèrent, comme plus répandue, à celle qu'ils avaient parlée à Jérusalem, et nous avons vu que, dans le IIIe siècle, à Scytopolis de Palestine, on lisait encore dans l'église l'Écriture en grec, ce qui obligeait le lecteur à l'expliquer ensuite en syriaque au peuple. On peut donc dire que si la langue syriaque a eu les premiers honneurs de la Liturgie, la langue grecque, déjà sanctifiée par la version des Septante, par le privilège d'avoir reçu en original le livre de la Sagesse et le second des Machabées, et enfin la plupart des livres du Nouveau Testament, fut bientôt proclamée par le fait la langue chrétienne par excellence. Saint Paul écrivant aux Romains le faisait en grec, et saint Clément, le premier pape dont nous ayons conservé les écrits, les composa dans la même langue. A la fin du IVe siècle, saint Jean Chrysostome prêchait encore en grec ses homélies au peuple d'Antioche, et saint Cyrille les siennes au peuple d'Alexandrie, dans le siècle suivant.

 

Cependant, la langue latine ne devait pas tarder à obtenir aussi son rang parmi les langues liturgiques. Il suffisait pour cela que la foi pénétrât dans l'Occident. Saint Pierre et saint Paul ayant fondé l'Église romaine, et le prince des apôtres transférant d'Antioche son siège dans la capitale de l'empire, la langue du peuple-roi qui reçut probablement l'Évangile de saint Marc en texte original, et dans laquelle les saintes Écritures furent si promptement traduites, arrivait tout naturellement à prendre sa place parmi les langues liturgiques. La troisième sur le titre de la croix, la troisième dans l'ordre de la prédication évangélique, c'est à elle, cependant, qu'étaient réservées les plus hautes destinées ; mais elle n'en jouit pas immédiatement ; et nous devons remarquer, à l'avantage de notre thèse, que le grec paraît avoir été jusqu'au Ve siècle la langue officielle de l'Église romaine, aussi bien dans la Liturgie que dans les actes de ses pontifes.

 

Les trois langues régnèrent seules dans le sanctuaire jusqu'à la paix de l'Église, de même qu'elles possédèrent seules, durant cette période, le texte ou la version des saintes Écritures. De nombreuses nations, pendant ces trois siècles, furent appelées à la lumière de l'Évangile; mais puisqu'il faut bien reconnaître qu'elles ne possédèrent pas de versions du texte sacré dans leurs langues, nous soutenons qu'elles ne célébrèrent pas non plus la Liturgie en langue vulgaire, jusqu'à ce que nos adversaires nous en aient apporté au moins l'ombre d'une preuve. Nous avons fait voir les raisons à fortiori, qui militent pour les langues sacrées dans la Liturgie plus encore que pour les saintes Écritures, dont l'usage peut convenir aux simples fidèles avec certaines précautions, tandis que la Liturgie concerne surtout les prêtres et les pontifes, et ne s'exerce que dans le sanctuaire, et dans les moments consacrés au service divin.

 

Mais le temps arriva où les langues liturgiques se multiplièrent. N'allons pas croire cependant que chaque peuple chrétien ait eu la sienne ; ici nous rencontrons encore un privilège. Nous avons vu que dans le IVe siècle la haute Egypte commença à jouir d'une traduction des livres saints en langue copte ; on peut rapporter à la même époque l'usage de célébrer en cette contrée la Liturgie en la même langue. Parmi les souscriptions des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine, au Ve siècle, on trouve celles de plusieurs évêques égyptiens qui signent en copte. Il est naturel de penser que dès lors ces prélats se servaient de cette langue dans les offices divins. Cet usage s'étendit peu à peu à l'Egypte entière, à la faveur des progrès du monophysisme, qui éleva un mur de séparation entre les chrétiens d'Egypte et les Grecs demeurés catholiques. L'invasion musulmane, qui apportait avec elle la barbarie, acheva de ruiner en Egypte l'usage de la langue grecque, et le copte y régna bientôt seul dans la Liturgie.

 

L'Ethiopie paraît n'avoir jamais célébré la Liturgie que dans sa langue ; mais nous avons vu que sa conversion au christianisme ne date que du IVe siècle. Cette Église est plongée, depuis plus de douze siècles, dans les erreurs du monophysisme, et n'a fait depuis lors que d'inutiles efforts pour s'en retirer.

 

L'Église arménienne, fondée par saint Grégoire l'Illuminateur vers la fin du IIIe siècle, ne fait pas remonter sa version de la Bible au delà du Ve. On en doit conclure qu'elle célébrait antérieurement les saints mystères dans la langue où elle avait lu jusqu'alors les saintes Écritures, c'est-à-dire en syriaque. Nous voyons, il est vrai, saint Basile occupé à chercher des personnes qui connussent la langue arménienne, pour l'accompagner, lorsqu'il alla visiter la petite Arménie, afin d'y établir des évêques ; mais ce fait se rapporte au IVe siècle. Il nous faut encore ici reconnaître que l'abandon de la langue sacrée, pour en attribuer le privilège à une langue nationale, n'a pas profité non plus à l'Église arménienne ; car, depuis le Ve siècle, elle est captive dans les liens de l'hérésie monophysite, dont elle a jusqu'ici vainement cherché à s'affranchir.

 

Nous trouvons encore, au IVe siècle, une quatrième langue liturgique, en dehors des trois anciennes auxquelles nous avons donné le nom de sacrées ; c'est la langue gothique. Les Grecs ariens de Constantinople livrèrent les saints mystères aux Goths, en même temps qu'ils leur enseignèrent leur croyance impie. Mais cette nation barbare s'étant établie en Espagne, après avoir fait la conquête de ce pays, changea promptement la langue de sa Liturgie d'origine grecque, et adopta le latin dans le service divin. La langue gothique ne saurait donc être comptée au nombre des langues liturgiques en usage aujourd'hui, n'ayant été dépositaire des saints mystères que durant un petit nombre d'années, à la suite desquelles on l'a vue s'éteindre d'elle-même.

 

Nous ne placerons pas non plus la langue géorgienne au rang des langues liturgiques. Il est vrai que les chrétiens de cette contrée reçurent la Liturgie de Constantinople en leur langue, et qu'elle y existe encore ; mais cette nation, qui est à peine de trois cent mille âmes, compte plus d'un tiers d'arméniens, de juifs et de mahométans. En second lieu, les abus que l'ignorance a introduits dans ce pays sur l'administration essentielle du baptême, permettent à peine de compter cette petite nation au nombre des peuples chrétiens. Enfin, la Géorgie faisant maintenant partie des pays soumis à l'autocrate de toutes les Russies, il est hors de doute que les débris de cette Liturgie, déjà entamés par le rite de l'Eglise russe, finiront par succomber sous l'envahissement graduel du slavisme.

 

Dom Martène et d'autres écrivains modernes qui ont cherché à amoindrir l'importance des faits que nous signalons, en exagérant le nombre des langues dans lesquelles la Liturgie a été célébrée, ont insisté sur le fait relatif à saint Antoine, que nous avons expliqué ci-dessus et qui n'a véritablement aucune portée. Ils ont réuni plusieurs passages des Pères dans lesquels il est dit que toutes les nations louent Dieu, et célèbrent sa gloire dans leurs langues diverses. Il est évident que ceci doit s'entendre de toute autre sorte de louange que de la louange liturgique. Il n'a jamais été interdit aux chrétiens de quelque nation que ce soit de chanter des cantiques en leur langue ; l'Apôtre y exhorte même tous les fidèles. Mais, si des Liturgies eussent existé dans la langue de tous les peuples, comment se fait-il qu'elles ne se soient pas conservées ? qu'on n'en trouve nulle part aucune mention ? Il faut donc entendre les paroles des Pères d'une louange de Dieu privée et familière, et non d'une forme liturgique. Nous accorderons même, si l'on veut, que les Psaumes qui sont l'aliment spirituel et la consolation du chrétien auront pu être traduits de bonne heure pour l'usage des fidèles, dans la plupart des langues parlées par des chrétiens ; mais le Psautier n'est pas à lui seul la Liturgie.

 

On allègue avec complaisance un fait du VIe siècle, relatif au saint abbé Théodose le Cénobiarque. Il est dit dans sa vie publiée par Allatius, qu'il avait bâti quatre églises dans son monastère. La psalmodie était célébrée dans la première par les Grecs, dans la seconde par les Besses, dans la troisième par les Arméniens, dans la quatrième par les Frères qui étaient tourmentés de l'esprit malin. On faisait séparément dans ces quatre églises les lectures dont se composait la messe des Catéchumènes, et quand le moment d'offrir le Sacrifice était arrivé, tout le monde se réunissait dans l'église des Grecs, pour accomplir les mystères et pour y participer. On voit de même dans la vie de saint Sabbas qui vivait pareillement au VIe siècle, que son monastère était composé en partie d'Arméniens qui accomplissaient aussi en particulier la psalmodie dans leur langue, et se réunissaient ensuite dans l'église des Grecs pour le sacrifice. Nous avouons ne pas comprendre l'avantage que nos savants adversaires pensent retirer de ces faits. Ils prouvent surtout que la langue vulgaire n'est pas nécessaire dans la Liturgie, puisque ces moines qui psalmodiaient, il est vrai, dans leurs langues, se rassemblaient pour assister à la messe dans une langue qui n'était pas celle du plus grand nombre. C'est une application des principes que nous avons soutenus ; nous n'y pouvons voir autre chose.

 

Ajoutons que la Liturgie arménienne existait déjà à cette époque, et que les moines de cette nation auraient pu la célébrer tout aussi bien qu'ils accomplissaient la psalmodie en leur langue ; cependant saint Théodose et saint Sabbas exigent qu'ils assistent à la messe célébrée en grec, que ces Arméniens n'entendent pas. Ces faits n'offrent donc que la confirmation de ce que nous avons vu jusqu'ici. Quant aux Besses, on n'est pas d'accord sur la désignation de ce peuple auquel appartenaient les moines qui psalmodiaient dans la seconde église du monastère de saint Théodose ; il serait donc difficile de dire quelle langue ils parlaient. Quoi qu'il en soit, on n'a jamais pu découvrir la plus légère trace d'une liturgie dans la langue des Besses, qu'ils aient fleuri dans la basse Mysie, ou qu'ils aient été, selon d'autres, les anciens habitants de la Bosnie.

 

Enfin nous ne tenons pas compte de l'introduction de la langue roumaine dans quelques Églises des bords du Danube. Ce fait est d'une date récente, et il n'a pu se produire qu'à la faveur du schisme ; si le Saint-Siège n'a pas cru possible de déraciner cet abus, quand un heureux mouvement a ramené vers lui une partie des Roumains de la Transylvanie, il n'est pas possible de tirer de cette condescendance un argument contre la thèse que nous soutenons.

 

Ainsi, en dehors des trois langues du titre de la croix, il faut en compter trois autres dans l'Orient qui sont présentement admises dans la Liturgie : le copte, l'éthiopien et l'arménien, auxquels nous joindrons, tout à l'heure, pour l'Occident, le slavon. Il est bien évident que le nombre de ces langues n'est pas en rapport avec celui des nations chrétiennes : si donc on veut soutenir, comme l'ont fait les protestants et les jansénistes, que les droits essentiels du peuple fidèle sont lésés, du moment qu'il n'entend pas la messe en langue vulgaire, il faut dire que l'Église s'est rendue coupable de cette injustice dans toutes les parties du monde, et dans tous les siècles du christianisme.

 

Mais ce n'est pas tout, et le lecteur verra bien mieux encore, dans ce qui nous reste à dire, le véritable esprit de l'Église.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE III : DE LA LANGUE DES LIVRES LITURGIQUES

 

La Congrégation des Archanges, Angelos Akotantos, Monastère de Vatopedi, Mont Athos

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 12:30

De plus longs développements de cette vaste question ne sont pas de notre sujet ; il nous suffit de les avoir indiqués.

 

Mais, s'il est important que la langue des livres liturgiques soit fixe et inviolable, qu'elle ne soit pas purement nationale, il est aussi dans sa nature d'être mystérieuse ; elle ne doit donc pas être vulgaire. C'est un sentiment qui a fait le tour du monde, parce qu'il est fondé sur la nature, que celui qui porte à voiler les choses saintes sous l'ombre de paroles mystérieuses. Les prophètes, conduits par l'inspiration de l'Esprit-Saint, ont enveloppé d'énigmes les oracles qu'ils rendaient ; le Verbe incarné conversant avec les hommes, leur a parlé en paraboles. L'Écriture sainte tout entière, remplie de figures souvent des plus hardies, pleine d'un bout à l'autre d'allusions empruntées au génie oriental, sera toujours pour le vulgaire, en dépit des traductions, un livre mystérieux.

 

Il faut bien que les rationalistes qui se disent chrétiens, en conviennent : la plus profonde connaissance des livres saints n'enlève jamais l'exercice de la foi. Dans le demi-jour de la vie présente, les hommes ont besoin d'adorer les mystères, et non de les soumettre à une appréciation charnelle.

 

Or, s'il en est ainsi des saintes Écritures, pourquoi, et à plus forte raison, n'en serait-il pas de même de la Liturgie dans laquelle s'opèrent les mystères simplement annoncés dans les livres saints ? L'Église a fait une application spéciale de ce principe en portant cette loi inviolable et universelle que les plus solennelles prières du Sacrifice se réciteraient à l'autel, à voix basse, quelle que soit la langue en laquelle elles soient prononcées. On conçoit que les partisans de la langue vulgaire dans le service divin aient attaqué cet usage vénérable qui les condamne.

 

Mais en attendant que nous ayons à traiter cette importante question qui viendra en son temps, nous n'en prenons pas moins acte de cette loi auguste qui nous apprend combien l'Église tient à environner de mystère ses relations avec Dieu, et le lecteur catholique, pour peu qu'il soit attentif, ne verra qu'un seul et même principe dans le règlement qui prescrit de lire le canon à voix basse, et dans celui qui exige l'usage d'une langue non vulgaire dans la Liturgie. Nous présenterons même au Janséniste une observation des plus simples, et qui détruit toutes ses prétentions devant l'évidence des faits. Qu'il obtienne de l'Église qu'elle renonce aux langues sacrées dans la Liturgie, qu'il lui fasse observer la Novelle (Ordonnance) de Justinien, par laquelle ce digne précurseur de Joseph II, voulut, mais en vain, contraindre les évêques et les prêtres à prononcer à haute voix les paroles mystérieuses du Sacrifice, afin que le peuple pût répondre Amen, en connaissance de cause ; nous lui dirons avec Thomassin :

" Il était entièrement impossible que le prêtre ou l'évêque pût jamais tellement élever et soutenir sa voix durant tout le canon de la messe, que cette foule innombrable de monde qui y assistait, surtout aux grandes fêtes, pût l'entendre distinctement, et ensuite répondre Amen. Une fort grande multitude s'impose donc elle-même cette nécessité, de ne pouvoir entendre ce que le sacrificateur prononce, quoiqu'elle puisse fort bien entendre un prédicateur qui publie l'évangile d'un lieu éminent, d'une voix tonnante, et avec un effort et une contention qui ne conviendraient nullement à un sacrificateur ou à un pontife, souvent chargé d'années et destitué de forces." (Traité de l'Office divin, Ière partie, chap. VIII, n. 10. ).

 

Ces paroles d'un auteur d'ailleurs assez facile sur la question de la langue liturgique, font parfaitement comprendre que dans la Liturgie le lien entre le sacrificateur et le peuple est la foi, en même temps qu'elles expliquent la différence essentielle qui existe entre l'autel et la chaire.

 

Le but de la Liturgie est de mettre les hommes en rapport avec Dieu par la religion ; mais, s'il est vrai de dire que la science des langues sacrées apporte de précieux avantages pour cette communication à ceux qui les possèdent, à la condition cependant que leur foi soit simple comme celle du peuple, Dieu et son Église n'oublient pas pour cela les simples qui sont la partie la plus nombreuse du troupeau, les simples qui ne comprendraient pas même toujours les formules saintes, quand bien même elles seraient proférées en langue vulgaire à leurs oreilles. L'homme absorbé dans les nécessités de la vie matérielle n'a pas d'ordinaire les idées à la hauteur d'un langage sublime ; il suffit à Dieu que son cœur soit pieux, et qu'il aspire à posséder par la vertu le bien qu'il ne comprend pas, mais dont la grâce divine lui inspire l'attrait. A ceux-là, la Liturgie, en quelque langue qu'elle s'exprime, est toujours lumineuse, et l’Amen qui s'échappe de leur poitrine toujours en plein rapport avec les vœux que le prêtre fait entendre à l'autel. Les croisés de Godefroy de Bouillon, les paysans vendéens qui se levèrent seuls pour la liberté de leur foi, les défenseurs de Saragosse en 1809, n'ouïrent jamais célébrer le service divin dans leur langue maternelle ; leur amour pour les mystères, auxquels ils sacrifièrent tout ce qu'ils avaient de plus cher au monde, en fut-il moins pur ou moins ardent ?

 

Veut-on connaître la source de cet amour plus fort que la mort ? nous la dévoilerons en jetant le défi au rationalisme. C'est que la vertu de Dieu descend, par l'intermédiaire des paroles saintes, dans les cœurs qu'elle trouve ouverts. L'oreille ne perçoit pas, mais l'âme entend, comme disait un homme rustique, parlant de la prédication de son évêque. Dieu a placé dans les mots sacrés une puissance. La forme des sacrements a-t-elle besoin d'être comprise par ceux sur lesquels elle opère ? l'effet des sacramentaux dépend-il de l'intelligence des fidèles auxquels l'Église les applique ? Et, à ce propos, nous ne saurions résister au désir de citer ici un magnifique passage d'Origène, qui expliquait ainsi, il y a plus de quinze siècles, les effets merveilleux produits dans les âmes par la seule prononciation des paroles de la sainte Écriture par ceux mêmes qui ne les comprennent pas : Dieu fasse que cette doctrine si élevée et si simple ne paraisse pas trop nouvelle à nos lecteurs !

 

" Il est des choses qui semblent obscures, mais qui par cela seul qu'elles pénètrent nos oreilles, apportent cependant une grande utilité à notre âme. Si les gentils ont cru que certaines poésies qu'ils appellent enchantements, certains noms qui ne sont même pas compris de ceux qui les invoquent, murmurés par ceux qui font profession de magie, endorment les serpents ou les font sortir de leurs cavernes les plus profondes ; si l'on dit que ces paroles ont la vertu de faire disparaître des fièvres et des maladies du corps humain, qu'elles peuvent même quelquefois jeter les âmes en une sorte d'extase, quand la foi du Christ n'en arrête pas l'effet ; combien devons-nous croire plus forte et plus puissante la récitation des paroles, ou des noms de l'Écriture sainte ? De même que, chez les infidèles, les puissances mauvaises sitôt qu'elles entendent ces noms ou ces formules, accourent et viennent prêter leur secours à l'œuvre pour laquelle elles se sentent appelées, selon les mots qui ont été proférés, obéissant à l'homme au service duquel elles se sont vouées ; à plus forte raison les Vertus célestes et les anges de Dieu, qui sont avec nous, comme le Seigneur l'a appris à son Eglise, au sujet même des petits enfants, sont réjouis en entendant sor tir de notre bouche, comme de pieux enchantements, les paroles de l'Écriture et les noms qui s'y lisent. Que si nous ne comprenons pas les paroles que profère notre bouche, ces Vertus qui nous assistent les entendent, et invitées comme par un chant qui les attire, s'empressent d'arriver et de nous porter secours.

 

" C'est une vérité incontestable qu'il est un grand nombre de Vertus au milieu de nous, auxquelles est confié le soin de nos âmes et de nos corps. Comme elles sont saintes, elles se délectent à nous entendre lire les Écritures ; mais leur sollicitude pour nous redouble, quand nous proférons des paroles qui portent notre esprit à la prière, tout en laissant notre intelligence sans lumière. Le saint apôtre l'a dit, et a révélé un mystère digne d'admiration pour l'homme, quand il a enseigné qu'il peut arriver quelquefois que l'esprit qui est en nous soit en prière, et que cependant notre intelligence demeure privée de son exercice (I Cor., XIV.). Comprenez donc ce qu'il nous apprend par ces paroles. Les Vertus qui sont données à notre âme pour la secourir, et qui sont comme notre esprit, se repaissent comme d'une nourriture divine et intellectuelle, dans les paroles de l'Ecriture qu'elles nous entendent prononcer. Mais que dis-je de ces Vertus célestes ? Jésus-Christ Notre-Seigneur lui-même, s'il trouve notre bouche occupée à proférer les paroles de la divine Ecriture, non seulement daigne se nourrir en nous, mais, s'il y trouve un tel festin préparé, il y descend avec le Père. Et si ces merveilles vous semblent trop élevées et au-dessus de l'homme, elles sont cependant appuyées, non sur ma doctrine, mais sur la parole du Seigneur et Sauveur lui-même, qui a dit : En vérité, je vous le dis : Moi et mon Père nous viendrons, et nous demeurerons, et nous souperons avec lui (Joan., XIX, 23.). Avec qui ? avec celui qui garde ses commandements.

 

" Ainsi donc, par cette pieuse application, nous attirons en nous la compagnie, et nous nous assurons le secours des Vertus divines, en même temps qu'en prononçant ces paroles et ces noms, nous repoussons les embûches des puissances mauvaises. De même que vous avez vu quelquefois un serpent endormi par des enchantements, se laisser porter à la main, ou encore se laisser tirer de son trou,sans plus pouvoir nuire par son venin dans lequel il a subi la puissance du charme ; ainsi par la vertu de la divine lecture, si vous la supportez avec patience, si vous tenez bon contre l'ennui, si vous ne détournez pas l'oreille, le serpent ennemi qui pourrait être en nous, le reptile qui nous y tendait des embûches, se retire de notre cœur, expulsé par les chants des Écritures, par l'assiduité à la parole divine. Ne devenez donc pas semblables à l'aspic qui est sourd et qui bouche ses oreilles, pour ne pas entendre la voix de l'enchanteur et du magicien habile (Psalm. LVIII, 4, 5.)."

 

Nous nous sommes laissé aller au plaisir de citer ce long passage qui explique mieux que tous les raisonnements l'influence des paroles saintes sur la multitude recueillie, en présence des mystères. Ce que Origène dit ici de l'Écriture sainte, s'applique, proportion gardée, à la Liturgie. Ses formules sont sacrées, l'Eglise les a produites par le mouvement et sous l'assistance de l'Esprit qui dicta les Écritures, et c'est pour cela même que le sentiment de la foi répugne à employer dans le sanctuaire, à lire au saint autel, des paroles composées par les hérétiques, fussent-elles d'ailleurs pures quant à la doctrine ; Aussi le trente-deuxième canon du concile de Laodicée a-t-il été inséré au corps du droit comme renfermant l'esprit même de l'Église. Il est ainsi conçu : "Il ne faut point recevoir les bénédictions des hérétiques ; car elles sont des malédictions, et non pas des bénédictions" ; Non oportet haereticorum benedictiones accipere, quoniam magis sunt maledictiones, quam benedictiones. (Causa I, quaest. 1, can. 66.).

 

Mais si l'Église sait que les paroles de la liturgie, même prononcées dans une langue étrangère, épanchent sur le peuple fidèle une grâce de sanctification et l'unissent au divin objet de nos mystères, elle ne veut pas pour cela que ce peuple qu'elle enfante à la lumière divine ignore les trésors de vérité et de vie que recèlent les paroles sacrées. S'il est interdit au prêtre d'emprunter la langue vulgaire dans ces moments redoutables où il est placé entre le ciel et la terre, comme un médiateur puissant qui unit l'un à l'autre, il lui est ordonné d'instruire les fidèles, du haut de la chaire, non seulement des vérités générales de la religion, mais spécialement des choses qui sont renfermées sous les paroles liturgiques. Voici le décret formel du saint concile de Trente qui exprime l'intention de l'Eglise à ce sujet :

" Quoique la messe renferme un grand fond d'instruction pour le peuple fidèle, il n'a cependant pas semblé aux Pères qu'il fût à propos qu'on la célébrât en langue vulgaire. C'est pourquoi chaque Église retiendra ses rites antiques et approuvés par la sainte Église romaine, mère et maîtresse de toutes les Églises ; mais afin que les brebis du Christ ne souffrent pas de la faim, et que les petits enfants ne demandent pas du pain quand il n'y aurait personne qui leur en rompît, le saint concile ordonne aux pasteurs et à tous ceux qui ont charge d'âmes, d'expliquer souvent durant la célébration de la messe, par eux ou par d'autres, quelque chose des formules qui se lisent à la messe ; et entre autres d'exposer quelques détails sur le mystère de ce très saint sacrifice, principalement les dimanches et fêtes." (Conc. Trid. Sess. XXII, cap. VIII.).

 

L'Église, dont le pouvoir ne s'étend pas jusqu'à donner au peuple l'intelligence d'une langue qu'il n'a pas apprise, a donc pourvu avec sollicitude à l'instruction de ses fidèles, et ce n'est donc pas pour les maintenir dans l'ignorance qu'elle a prescrit l'usage des langues sacrées dans la célébration des mystères. Le protestantisme a détruit la religion en abolissant le sacrifice ; pour lui l'autel n'existe plus ; il n'a plus qu'une table ; son christianisme s'est concentré uniquement dans la chaire. L'Église catholique sans doute se fait gloire de la chaire de vérité ; car la foi est de l'ouïe (Rom., X, 17.) : du haut de cette chaire elle proclame sa doctrine immuable et victorieuse, dans la langue du peuple qui l'écoute ; mais sa mission n'est pas uniquement d'instruire ce peuple. Si elle lui révèle les vérités divines, c'est afin de l'unir à Dieu par les mystères de l'autel ; après avoir éclairé sa foi, elle le met en communication avec Dieu par l'amour. Quand elle a fait naître en lui le désir du bien infini, en présence duquel il n'y a plus ni savant ni ignorant, elle remonte comme Moïse sur la montagne, et sa voix cesse de se faire entendre aux oreilles, pour ne plus retentir que dans les cœurs. Les accents d'une langue mystérieuse retentissent seuls dans l'assemblée sainte, et transportent la pensée au delà des limites du présent ; ceux mêmes qui comprennent cette langue sont avertis que quelque chose d'extraordinaire s'accomplit ; bientôt les paroles de ce langage sacré viennent se perdre dans un silence au sein duquel Dieu seul entend ; mais les cérémonies symboliques continuent toujours, et par leurs formes visibles ne cessent d'élever le peuple saint à l'amour des choses invisibles.

 

Telle est la religion dans l'Église catholique ; en rapport avec les besoins de l'humanité et avec l'infini, toujours grande et simple, mais trop simple pour être comprise par les esprits qui croient pouvoir raisonner le sentiment.

 

C'est ce que n'avaient pas assez senti la plupart des auteurs catholiques des deux derniers siècles qui traitèrent la question de la langue vulgaire dans la Liturgie. Aujourd'hui que le protestantisme, dévoré dans son propre sein par le principe rationaliste duquel il est sorti, n'a plus la force de rien affirmer, et peut à peine constater les pertes journalières qui l’épuisent, la lutte a, pour ainsi dire, cessé.

 

Le catholicisme triomphant reçoit chaque jour dans son sein des hommes qui se jettent à lui, subjugués par l'aspect imposant de sa doctrine immuable et de ses institutions qui expriment cette doctrine avec tant de grandeur et de simplicité. Ces nouvelles recrues ne s'arrêtent pas dans les étroits sentiers du gallicanisme, comme faisaient au XVIIe siècle les convertis qui se rendaient à l'Exposition de la foi catholique, ou pour lesquels la révocation de l'édit de Nantes avait été l'occasion de prendre enfin un parti. Quant aux écrivains catholiques, ils peuvent tout dire aujourd'hui sans crainte, et personne ne s'est avisé, comme on l'eût fait au XVIIIe siècle, de taxer d'enthousiasme ou d'illuminisme les deux grands auteurs qui s'expriment sur les langues sacrées en les termes que nous transcrivons ici :

" C'est une chose remarquable : les oraisons en langue latine semblent redoubler le sentiment religieux de la foule. Ne serait-ce point un effet naturel de notre penchant au secret ? Dans le tumulte de ses pensées et des misères qui assiègent sa vie, l'homme, en prononçant des mots peu familiers et même inconnus, croit demander les choses qui lui manquent et qu'il ignore ; le vague de sa prière en fait le charme, et son âme inquiète, qui sait peu ce qu'elle désire, aime à former des vœux aussi mystérieux que ses besoins." (Génie du Christianisme, IVe partie, liv. I, chap. IV.).

 

" Quant au peuple proprement dit, s'il n'entend pas les mots, c'est tant mieux. Le respect y gagne, et l'intelligence n'y perd rien. Celui qui ne comprend point, comprend mieux que celui qui comprend mal. Cornet ment d'ailleurs aurait-il à se plaindre d'une religion qui fait tout pour lui ? c'est l'ignorance, c'est la pauvreté, c'est l'humilité qu'elle instruit, qu'elle console, qu'elle a aime par-dessus tout. Quant à la science, pourquoi ne lui dirait-elle pas en latin la seule chose qu'elle ait à lui dire : Qu'il n’y a point de salut pour l’orgueil ?" (Du Pape, livre I, chap. XX.) ?

 

Mais il est temps de voir en quelle manière l'Église a appliqué, dans le cours des siècles, le principe des langues sacrées dans le service divin.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE III : DE LA LANGUE DES LIVRES LITURGIQUES

 

Chateaubriand-peinture

Les Adieux de René à sa sœur, sujet tiré de l’épisode de René dans le Génie du Christianisme

Lancelot-Théodore Turpin de Crissé, Salon de 1806

- paru d’abord dans le Génie du Christianisme en 1802, René fut ensuite publié en 1805 en volume séparé

Maison de Chateaubriand, La Vallée-aux-Loups

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 12:30

Ce point une fois établi, pour ce qui touche à l'Écriture sainte, on doit comprendre aisément que la Liturgie devait nécessairement et par les mêmes motifs prétendre au privilège des langues sacrées.

 

D'abord, la Liturgie se compose en grande partie de passages de l'Écriture sainte, destinés à être lus dans 'l'assemblée des fidèles, et si, dans la pensée de l'Église, la majesté d'un texte immobile était nécessaire pour maintenir le respect des livres saints confiés aux fidèles, cette réserve mystérieuse ne convenait-elle pas davantage encore pour les fragments des saintes Écritures, lus du haut de l'ambon, dans la célébration des mystères ? Nous voyons même,à l'époque primitive, qu'on préféra quelquefois la version grecque pour la Liturgie, dans des Églises dont le peuple parlait la langue syriaque. Ainsi, au commencement du IVe siècle, l'Église de Palestine, bien qu'elle eut sa version syriaque, lisait en grec le texte sacré dans l'assemblée des fidèles, auxquels le lecteur ou le pontife l'interprétaient ensuite en syriaque. Saint Procope, qui souffrit le martyre en 303, était Lecteur dans l'église de Besan, qui est l'ancienne Scythopolis, métropole de la seconde Palestine, sous le patriarcat de Jérusalem, et ses Actes authentiques nous apprennent que sa fonction était d'interpréter, en syriaque, l'Écriture qu'il venait de lire en grec (Acta S. Procopii, apud Assemani, Acta Mart. oriental.).

 

Ceux qui ont objecté que saint Antoine, qui n'était pas lettré, prit le parti de se retirer au désert, après avoir entendu lire dans l'Église un passage de l'Évangile, ce qui prouverait selon eux que la Liturgie se célébrait dès lors en langue copte, dans la Thébaïde, n'ont pas réfléchi à deux choses : la première, que la version copte n'existait pas encore; la seconde, que l'usage de l'Église était dès lors, comme il a été depuis, d'expliquer au peuple, en langue vulgaire, les fragments de l'Écriture choisis pour accompagner la célébration des saints Mystères.

 

Nous ne tarderons pas à constater l'existence de plusieurs langues liturgiques dans l'Orient, différentes de la grecque et de la syriaque; mais nous ne trouverons ni une liturgie arabe, ni une liturgie persane, bien que nous venions de reconnaître l'existence de versions de l'Écriture en ces deux langues. Les Eglises de l'Occident n'ont que trois langues liturgiques, la latine, la grecque et la slavonne ; cependant, comme nous l'avons rappelé tout à l'heure, chaque nation de l'Europe a fini par avoir sa version de la Bible. Mais autre chose est la lecture privée des saintes Écritures, autre chose la lecture solennelle et liturgique. Cette,dernière doit être grave et mystérieuse comme les oracles divins ; elle ne doit pas être sujette aux variations des langues, afin de ne pas devenir triviale et commune.

 

Au reste, en lisant l'Écriture dans les langues sacrées, pendant le service divin, l'Église n'a fait que continuer les traditions de l'ancienne Loi. Personne n'ignore que la langue hébraïque cessa d'être vulgaire en Judée, peu après le retour de la captivité de Babylone ; ce qui n'empêcha pas qu'on ne continuât dans le temple et dans les synagogues, de lire la loi et de faire plusieurs prières en pur hébreu, quoique le peuple, qui n'usait que de l'idiome syro-chaldéen, n'entendît déjà plus la langue de ses pères. Après la lecture liturgique des passages déterminés, on lisait les paraphrases chaldaïques, sur ces mêmes passages; et cet usage de lire la loi et les diverses prières en hébreu non vulgaire était tellement inhérent aux traditions du temple de Jérusalem, que les juifs modernes s'y montrent encore fidèles, en quelques pays qu'ils soient dispersés.

 

De tout ceci nous concluons que les lectures de l'Écriture en langue non vulgaire faisant partie essentielle et considérable de la Liturgie, ainsi qu'il consiste de la coutume de toutes les Églises, la Liturgie admet déjà par là même l'usage des langues sacrées.

 

En second lieu, la Liturgie est un ensemble de formules destinées à accompagner la célébration du saint Sacrifice et l'administration des sacrements, toutes choses qui font partie du ministère propre et incommunicable des prêtres. Elle est donc de sa nature plus réservée au clergé que l'Écriture sainte elle-même. Le laïque peut quelquefois posséder une science exégétique supérieure à celle de beaucoup de prêtres ; la simplicité de sa foi peut aussi le disposer à retirer un grand fruit de la lecture des livres saints qui, comme l'enseigne l'Apôtre, ont été écrits pour notre instruction ; mais faut-il conclure de là que le commun des fidèles retirerait la même utilité de la connaissance personnelle des prières liturgiques ? L'Église a dû se montrer réservée dans son désir de communiquer au vulgaire le texte même de la parole de Dieu, quoique l'inspiration de cette divine parole soit un dogme fondamental du christianisme ; serait-il raisonnable d'exposer aux interprétations indiscrètes et dangereuses de la multitude, des formules saintes qui contiennent assurément la foi de l'Église, mais qui n'ont cependant pas été dictées par l'Esprit-Saint ?

 

Les jansénistes ont donc parfaitement senti et très justement signalé, à leur point de vue hétérodoxe, le nœud véritable de la question, lorsqu'ils ont dit que l'Église, en soumettant la lecture de l'Écriture sainte en langue vulgaire à des restrictions, frustrait les fidèles d'un droit inaliénable, et qu'en célébrant les mystères dans une langue inconnue du peuple, elle leur enlevait simplement une consolation. Pour nous, catholiques, il n'en faut pas davantage; qui peut le plus, peut le moins. C'est un dogme de notre foi que l'Église n'a pas erré dans ses règles restrictives de l'usage des saintes Ecritures ; donc, à plus forte raison, elle a pu, sans tyrannie, laisser dans un langage sacré et non vulgaire des formules au sujet desquelles il n'a pas été dit comme des livres saints : scrutez les Écritures (Joan., V, 39.). Les fidèles avec la permission de leur pasteurs, peuvent avoir la Bible dans leurs maisons, ils peuvent se livrer à toutes les études qui les mettront à même de profiter de la lecture qu'ils en feront avec foi et intelligence; le jour et la nuit, ils peuvent consulter ces divins oracles, avec un cœur docile à l'Église qui seule en possède la clef ; cependant cette auguste maîtresse des fidèles du Christ dit un solennel anathème à celui qui enseignerait que la lecture des livres saints est une obligation du chrétien. Elle ne souffre pas qu'on dise qu'il existe un devoir qui ne serait pas accessible aux pauvres, aux simples et aux ignorants qui font la majeure partie du genre humain ; comment donc son esprit pourrait-il être de prodiguer, par les langues vulgaires, l'expression des mystères les plus profonds et les plus incompréhensibles, aux oreilles de ces pauvres, de ces simples, de ces ignorants, si souvent exposés à de dangereuses erreurs, précisément parce que les lumières leur manquent ?

 

Que la foi soit vive dans le cœur des simples fidèles, que leurs yeux soient attentifs au langage des cérémonies, que des pensées vaines ou terrestres ne viennent pas troubler l'action de l'Esprit-Saint dans leurs âmes ; leur oreille entendra, par la bouche du prêtre, les accents d'une langue étrangère, mais leur cœur aura tout compris. Est-ce dans nos églises de ville, où chacun des assistants est à même de suppléer, par des traductions de la messe, à la connaissance de la langue sacrée, ou dans ces rustiques paroisses de campagne si fréquentées encore dans les provinces éloignées de la capitale, que l'attitude des assistants est plus recueillie, le respect de la maison de Dieu mieux observé, les mystères de la foi mieux sentis ? Si le peuple fidèle peut vivre dans la foi et la charité de Jésus-Christ, sans le secours de l'Écriture sainte en langue vulgaire, il peut donc, à plus forte raison, suppléer à l'intelligence immédiate de la langue liturgique.

 

En outre, la Liturgie étant, selon la belle expression de Bossuet, le principal instrument de la Tradition (États d'Oraison, livre VI, pag. 208, édit. de Lebel, tom. V.), il importe que ses formules soient anciennes, et par ce moyen inviolables. Or le propre des langues vivantes est de varier et de se transformer sans cesse. La langue des livres liturgiques doit être en dehors de ces mouvements, produit du génie mobile et de la fusion des peuples ; la conservation des vérités que ces livres contiennent en dépend. L'Église n'a-t-elle pas été obligée de recourir à une langue morte pour formuler ses décisions dans les matières de foi, et si elle ne l'a pu faire, aux premiers siècles, parce que les langues grecque et latine étaient encore vivantes, quels troubles n'enfanta pas dans la société chrétienne la facilité avec laquelle le vulgaire se trouvait à même de juger de la propriété des termes employés par les conciles dans leurs décisions ? La Liturgie est une confession de foi permanente qui doit être placée au-dessus des caprices de la multitude, et c'est avoir écarté de grands dangers pour la foi que d'avoir soustrait ses formules à l'examen indiscret du vulgaire.

 

Ajoutons que la Liturgie est le lien d'association des peuples chrétiens. Ils forment une société, parce qu'ils sont unis par la participation aux mêmes mystères, aux mêmes sacrements ; la conséquence est qu'une même langue doit, autant qu'il est possible, servir d'expression à leurs manifestations religieuses. Les Églises qui pratiquent la même Liturgie ont toujours vécu dans une fraternité plus étroite. Cette fraternité est due à la communauté des formules ; elle est due d'abord à l'identité de la langue liturgique. Les Églises qui gardent la Liturgie romaine sont toutes unies à la Chaire de Saint-Pierre ; dans l'Orient, celles qui observent les Liturgies grecque, syrienne, copte, etc., non seulement ne sont pas unies au Siège apostolique, mais elles ne forment pas corps entre elles. Dans l'Occident au contraire, l'ancienne Église gallicane et l'Église gothique d'Espagne autrefois, les Églises du rite ambrosien aujourd'hui, les Églises de France qui se sont donné des liturgies au XVIIIe siècle, ont conservé l'union avec le Siège apostolique ; mais la langue latine les protégeait toutes ; avec la diversité des formules, le lien a été moins étroit, mais la fraternité du langage les a maintenues dans la chrétienté latine.

 

Nous avons fait voir ailleurs les redoutables conséquences de la diversité des Liturgies entre l'Orient et l'Occident ; une même langue liturgique avec Rome eût sauvé du schisme, il y a quelques années, plusieurs millions de catholiques soumis à l'autocrate de Russie. Le royaume de Pologne toujours vivace, toujours répugnant à une odieuse fusion, toujours redouté par ses oppresseurs, personne ne l'ignore, a dû sa vitalité à sa qualité de royaume latin. Or c'est uniquement par la Liturgie qu'il est latin, et cette circonstance, en dépit des usages et de la langue slaves, a suffi pour maintenir sa glorieuse nationalité, et pour déconcerter jusqu'ici tous les stratagèmes et tous les ressorts d'une politique perfide et cruelle.

 

Cette communauté de langue qui triomphe des races en unissant les peuples, est donc fondée sur les livres liturgiques. Par eux, l'idée d'un centre unique, d'une origine commune pénètre et se maintient dans la mémoire des peuples ; il n'est plus de distances, plus de frontières.

 

Fût-il exilé ou captif chez une nation ennemie, le chrétien retrouve sa patrie avec tous ses souvenirs, jusque dans une terre étrangère. Voilà pourquoi la Liturgie, comme nous le verrons bientôt, ne parla d'abord que les trois langues sacrées qui représentaient par leur étendue la portion choisie du genre humain. Celles qui vinrent ensuite par une dégénération du principe, ne sont qu'en petit nombre, et leur inauguration a peu servi au développement de la communauté chrétienne. Mais entre les trois langues, il en est une qui domine les deux autres, par l'étendue de ses conquêtes ; c'est la langue latine. La Liturgie la rendit le lien des peuples civilisés, l'instrument de la fraternité des nations. La réforme du XVIe siècle conspira contre cette unité sublime en réclamant l'usage des langues vulgaires dans le service divin, et l'humanité se ressentira longtemps des suites de cette scission violente et maladroite

 

De plus longs développements de cette vaste question ne sont pas de notre sujet ; il nous suffit de les avoir indiqués.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE III : DE LA LANGUE DES LIVRES LITURGIQUES

 

Mosaïque, Santa Maria Assunta, Torcello

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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 12:30

Mais rien n'arrête la marche de l'Évangile ; la prédication étend bientôt à d'autres peuples la bonne nouvelle du salut.

 

Saint Paul écrit aux Romains, vers l'an 58, que leur foi est célèbre dans le monde entier (Rom., 1, 8.) : quatre ans après, il écrit aux fidèles de Colosse : "L'Évangile a été annoncé dans tout le monde, où il fructifie et s'accroît, comme il le fait parmi vous" (Col., 1, 6.). Veut-on juger en détail du progrès ? Saint Irénée, au milieu du IIe siècle, énumère les Églises fondées chez les Germains et les Celtes, dans l’Egypte et la Libye (Adv. Hœreses, lib. I, cap. X.). Ailleurs, il parle de celles qui, en grand nombre, existent déjà chez les Barbares, et n'ont d'écritures que celles qui sont gravées dans leurs cœurs par l'Esprit-Saint, mais ne gardent pas avec moins de fidélité la tradition chrétienne (Adv. Hœreses lib. IV, cap.IV.). Tertullien, un demi-siècle plus tard, ajoute aux nations qui ont cru en Jésus-Christ, les Parthes, les Mèdes, les Arméniens, les Africains au delà de Cyrène, les Gétules, les Maures, l'Espagne, une partie de la Gaule, les Bretons, les Daces, les Scythes, et une multitude d'autres nations, provinces et îles (Adv. Judœos, cap. VII.).

 

Maintenant où sont les versions de l'Écriture à l'usage de toutes ces nations ? Nous en trouvons plusieurs, mais dans la langue grecque, entreprises dans le cours des trois premiers siècles ; saint Augustin nous atteste qu'il y en avait eu aussi plusieurs dans la langue latine, jusqu'à son temps, et témoigne en passant, que les langues en possession des oracles sacrés se réduisent encore à l'hébreu, au grec et au latin (De doctrina Christiana, lib. III, cap. XI.). Il y a eu de même plusieurs versions syriaques, comme le reconnaissent les exégètes. Le privilège des trois langues paraît ici dans tout son éclat ; mais il n'en est que plus évident que les peuples et les individus étrangers à ces trois langues ne lisaient pas l'Écriture sainte dans leur propre idiome.

 

Jetons un coup d'œil rapide sur la chrétienté dans les premiers siècles, nous sentirons mieux le grand principe des langues sacrées qui commence à se dégager de l'ensemble des faits que nous avons réunis jusqu'ici. En dehors des nations qui usaient des langues syriaque, grecque ou latine, nous consentons à placer l'Egypte, et nous allons constater volontiers l'existence d'une version des Écritures dans sa langue. Mais cette version n'appartient pas à la période des trois premiers siècles durant laquelle régnèrent seules les trois langues sacrées.

 

Personne n'ignore que depuis l'établissement de la langue grecque dans ce pays, par les successeurs d'Alexandre, elle y était très florissante et proprement vulgaire. C'est ce qui fait que saint Jérôme parlant des versions de l'Écriture, considère celles de la langue grecque comme spécialement propres à l'Egypte : "Alexandrie et l'Egypte, dit-il, reconnaissent Hésychius pour leur interprète des Septante". On sait que Hésychius avait fait une revision de cette version. Le saint docteur continue, et nous atteste, en passant, que la Syrie elle-même, encore au IVe siècle, usait beaucoup plus de la langue grecque que de la syriaque, dans la lecture des livres saints : "De Constantinople jusqu'à Antioche, on suit l'édition du martyr Lucien, qui, comme Hésychius, avait revu la version grecque. Les provinces intermédiaires se servent des exemplaires de Palestine, que Eusèbe et Pamphile ont publiés d'après les travaux d'Origène" (Proefat. in Lib. Paralipom.). Mais revenons à l'Egypte.

 

Quoique le grec y fût depuis plusieurs siècles la langue usuelle, la Thébaïde avait cependant retenu assez fidèlement son ancien langage, connu sous le nom de copte. Une version des Écritures fut rédigée d'assez bonne heure dans cet idiome. Vossius prétend toutefois qu'elle ne serait pas antérieure à l'invasion des Arabes, au VIIe siècle, parce qu'elle présente plusieurs éléments empruntés à leur langue. Le P. Kircher, au contraire, dont l'opinion est aujourd'hui reçue communément parmi les savants, la place vers le concile de Nicée, et s'appuie sur le témoignage d'un martyrologe copte, qui se conserve à Rome dans la bibliothèque du collège des Maronites. On lit sur ce manuscrit, en tête du mois Thot, que la principale occupation des moines était de traduire les livres saints, du grec, du chaldéen et de l'hébreu, dans leur langue propre, qui était le copte : d'où le savant jésuite conclut que la version copte serait l'ouvrage des moines. Or les moines n'ont fleuri dans la Thébaïde que dans le IVe siècle. D'un autre côté, l'Egypte avait été évangélisée par saint Marc, dès le premier siècle, et nous savons par saint Athanase, que saint Antoine naquit en Thébaïde de parents chrétiens, au IIIe siècle. La foi chrétienne était donc antérieure, dans ce pays, à l'existence de la version copte, dont, au reste, aucun des Pères du IVe siècle n'a parlé, avant saint Jérôme et saint Jean Chrysostome, tant son origine était récente, et sa propagation incertaine.

 

L'Église éthiopienne possède aussi sa version ; mais on ne saurait faire remonter cette version plus haut que le IVe siècle, puisque ce fut seulement dans ce siècle que saint Frumentius reçut mission de saint Athanase, pour aller évangéliser ce pays.

 

La version de l'Église arménienne fut faite sur les Septante, dans le Ve siècle. L'auteur en est connu, c'est Mesrob, auquel on attribue l'invention des caractères arméniens.

 

Les versions persane et arabe sont loin de contredire notre thèse ; on convient qu'elles ne remontent pas plus haut, la première que le IXe siècle, la seconde que le Xe. La plus célèbre version arabe est celle de Rabbi Saadia surnommé Gaon, qui, au dire des critiques les plus habiles, traduisit non pas sur le grec des Septante, comme on l'a affirmé souvent, mais sur l'hébreu et le syriaque. — Des auteurs espagnols prétendent que des versions de l'Écriture en langue arabe furent faites dans leur pays dès le VIIIe siècle, à l'intention des chrétiens mozarabes. Mariana atteste avoir vu manuscrite en plusieurs bibliothèques une version faite par Jean de Séville sur la Vulgate latine. On en conserve une autre dans la bibliothèque de l'Escurial, dont l'auteur est resté anonyme. Ces versions ne semblent pas avoir eu cours durant un long temps et elles n'empêchèrent pas la divulgation en Espagne de la version de Rabbi Saadia. Voir Mariana, Paul Esquinosa (Histor. Hispal., lib. VII, cap. III. ; Bibliothec. hisp. vetus, t. III).

 

Telles sont les versions de l'Écriture dans les langues orientales ; comme on le voit, elles sont loin de représenter la langue de tous les peuples d'Orient qui embrassèrent le christianisme.

 

Si nous passons en Occident, nous trouvons la fameuse version gothique d'Ulphilas, qui est d'une assez belle antiquité, puisqu'elle remonte au IVe siècle, vers l'an 376 ; encore n'était-elle pas complète, puisque son auteur avait omis, comme on sait, de traduire les livres des Rois.

 

Si on demande quelle était la version dont se servaient les Africains de la langue punique, nous sommes en mesure de conclure, de plusieurs passages de saint Augustin, que cette chrétienté si nombreuse et si florissante ne posséda jamais les livres saints dans sa langue (Opp., tom. II. Epist. LXXXIV. CCIX.). Aussi n'en a-t-il jamais été fait mention nulle part.

 

L'Espagne convertie de si bonne heure au christianisme, était partagée en plusieurs langues que la conquête des Romains n'éteignit pas, puisque, au VIIIe siècle, selon le rapport de Luitprand, on y parlait encore, outre le latin, l’ancienne langue espagnole, et les langues catabre, celtibérique, valentine et catalane (Chronicon, ad ann. DCCCXXVIII, pag. 37-2.). Il est certain que ces langues ne possédèrent jamais de version des Écritures. La plus ancienne, composée depuis la formation de la langue espagnole actuelle, ne remonte qu'au XVe siècle.

 

L'Eglise des Bretons, fondée dès le IIe siècle, n'eut jamais de version dans sa langue. L'Église des Anglo-Saxons que vint établir saint Augustin, à la fin du VIe siècle, attendit une traduction des psaumes jusqu'au VIIIe, et l'existence d'une version complète de l'Écriture par le vénérable Bède n'est rien moins que démontrée. Ussérius parle de versions qui auraient été faites par Eadfrid, évêque de Lindisfarne vers 710, et plus tard, par les ordres et les soins d'Alfred le Grand. Il affirme même que le roi Athelstan en fit composer une par des rabbins sur l'hébreu ; mais ces affirmations sont loin d'être démontrées. Peut-être même faut-il remonter jusqu'au XIIIe siècle pour trouver la première version anglaise qui renferme tous les livres saints (J.-B. Malou. La Lecture de la sainte Bible en langue vulgaire. tom. II, pag. 313-315.).

 

Au IXe siècle, Louis le Débonnaire fit composer en vers théotisques un poème contenant toute l'histoire de l'ancien Testament, pour l'usage de ses nombreux sujets qui parlaient cette langue. Ce poème n'était pas une version ; il omettait beaucoup de choses, et donnait l'explication des sens mystiques et des allégories de la Bible. Si quelques autres traductions plus ou moins libres de l'Écriture sainte furent faites vers la même époque dans cette langue, elles n'eurent jamais pour objet le corps entier des livres saints. Ce ne fut que bien plus tard que l'Allemagne posséda une version dans sa langue.

 

Il en fut de même pour la France. Jusqu'à la formation de la langue romane, il était impossible de songer à traduire les livres saints en langue vulgaire pour l'usage de nos pères, partagés qu'ils étaient entre les divers langages, celtique, gaulois, théotisque, limousin, aquitain, provençal et latin. Au XIIe siècle seulement, on voit poindre une version en langue française à l'usage de la secte des Albigeois (Le Long. Bibliotheca sacra, tom. I, pag. 314.). Pour avoir un texte complet en français, il faut arriver jusqu'au siècle de saint Louis.

 

Quant aux autres langues de l'Europe, elles ont attendu plus longtemps encore leur version des Écritures. Le flamand, le bohémien, le hongrois, (la version hongroise fut exécutée au commencement du XVe siècle, par Ladislas Bathory, de l'ordre des Ermites de Saint-Paul -voir Cuppon, Vindiciae vulgatœ latinœ editionis Bibliorum. Sect. IV, pag. 612.), l'allemand, l’italien, n'en ont pas joui avant le XVe siècle. Les langues danoises et suédoises furent plus privilégiées. Ussérius assure qu'il y eut une version de la Bible en suédois, dès le XIe siècle ; et le pieux dominicain Mathias, mort en 1352, traduisit toutes les saintes Écritures en suédois (A. Theiner. La Suède et le Saint-Siège, tom. I, traduction de M. Cohen, pag. 140.). Durant toute la longue période antérieure à la publication tardive de ces différentes versions, appelées, du reste, pour la plupart à une obscurité complète, la Vulgate latine régnait seule dans les Églises de l'Europe, depuis leur fondation.

 

Il faut cependant excepter les Églises de la langue slavonne. Leur version fut faite, au IXe siècle, par les saints moines Cyrille et Methodius, pour l'usage des Slavons-Moraves, et elle a cela de remarquable qu'elle remonte à l'époque même de l'établissement de la foi chrétienne dans cette contrée par ces deux apôtres. Par là encore elle forme exception à toutes les autres de l'Occident, qui n'ont vu le jour, dans chaque pays, que postérieurement à l'établissement du christianisme, et souvent bien des siècles après.

 

De tout ceci on doit conclure que si les trois langues sacrées ont été les seules dépositaires des saintes Écritures, pendant la première période du christianisme, comme nous l'avons prouvé, les autres langues n'ont été admises que successivement, et souvent très tard à cet honneur. Rarement l'Église a favorisé ces versions ; souvent elles ont dû leur existence ou leur propagation à des hérétiques. Ainsi, il y a de fortes raisons de penser que l'Église arménienne se servait de la version syriaque dans les commencements, et qu'elle n'accepta celle de Mesrob, au moins dans la Liturgie, qu'après être tombée dans les erreurs du monophysisme (Honoré de Sainte-Marie. Réflexions sur les règles et sur l'usage, la critique, tom. III, pag. 311-313.). Ulphilas, auteur de la version gothique, était arien, ainsi que toute la nation des Goths. Il est probable que la version copte ne fut inaugurée dans les Églises de la haute Egypte qu'après l'envahissement de toute cette contrée par l'hérésie eutychienne. La première version en langue française, au XIIe siècle, nous apparaît comme un produit de l'hérésie des Albigeois.

 

Le principe des langues sacrées demeure donc reconnu pour ce qui touche les versions de l'Écriture sainte. Ces versions, réduites d'abord aux trois langues principales qui représentent le progrès primitif du christianisme, puisqu'elles sont celles des peuples auxquels il fut d'abord annoncé, ne se multiplient que lentement, et quelques-unes seulement, la copte, l'éthiopienne, l'arménienne, la slavonne, obtiennent l'honneur d'être lues dans l'église ; les autres sont destinées à l'usage privé des fidèles, quand toutefois elles ne sont pas l'œuvre des hérétiques.

 

Ce point une fois établi, pour ce qui touche à l'Écriture sainte, on doit comprendre aisément que la Liturgie devait nécessairement et par les mêmes motifs prétendre au privilège des langues sacrées.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE III : DE LA LANGUE DES LIVRES LITURGIQUES

 

Évangéliaire, XIIe s. Roger de Helmarshausen, Bénédictin de l'Abbaye de Stavelot

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 12:30

Si les livres liturgiques ont, d'après la tradition, un style, une forme de rédaction qui leur est propre, c'est un fait non moins réel qu'ils ne sont point écrits en toute langue.

 

Doit-on attribuer ce fait au hasard, ou à une intention ? L'Église, en maintenant le principe d'une langue liturgique et non vulgaire, dans le service divin, a-t-elle manqué à ses devoirs envers le peuple fidèle ? Le présent chapitre a pour but de répondre à la première de ces questions ; quant à la seconde, elle a été résolue par l'Église elle-même, au concile de Trente, où elle s'exprime ainsi :

" Si quelqu'un dit que la messe ne doit être célébrée qu'en langue vulgaire, qu'il soit anathème ! "

Si quis dixerit lingua tantum vulgari missam celebrari debere, anathema sit. (Sess. XXII, Can. IX.)

 

Le calvinisme mitigé, qui a produit tant de maux en France sous le nom de jansénisme, ayant ramené sur cette matière les mêmes principes qui avaient été foudroyés à Trente, l'Église, dans la Constitution Unigenitus, a condamné cette doucereuse proposition de Quesnel : " Arracher au simple peuple la consolation de joindre sa voix à celle de toute l'Église, c'est un usage contraire à la pratique des apôtres et à l'intention de Dieu." Propositio 86. Eripere simplici populo hoc solarium jungendi vocem suam voci totius Ecclesiœ, est usus contrarius praxi apostolicae et intentioni Dei.

 

Nous laissons donc aux controversistes le soin d'établir théologiquement la légitimité des motifs qui ont porté l'Église à adopter des langues liturgiques, et à exclure les langues vulgaires du service divin. La question est jugée et décidée par l'Eglise ; c'est à la science des théologiens à déduire les motifs de la sentence, et cette tâche d'ailleurs est facile, en marchant sur les traces des Bellarmin, des du Perron et de leurs successeurs.

 

Le droit des langues liturgiques étant admis, nous avons à examiner, au point de vue de ces Institutions, l'origine de cette loi et les motifs qui ont fait exclure les langues vulgaires du service divin ; cette question se présentait tout naturellement dans la partie de notre travail où nous traitons des livres liturgiques.

 

Nous dirons en premier lieu qu'il est complètement faux que la Liturgie ait été célébrée dans la langue vulgaire de tous les peuples chez lesquels la foi a été annoncée, même à l'origine du Christianisme. Nous n'entendons pas cependant embrasser l'opinion de Jean Eckius, qui soutenait gravement contre les luthériens, que les Apôtres et leurs successeurs, jusqu'à l'empereur Adrien, avaient célébré la Liturgie en hébreu, après quoi on avait adopté la langue grecque dans le service divin. Ce sentiment n'est pas sérieux, et nous ne perdrons pas le temps à le discuter. Nous ne dirons pas non plus que la Liturgie n'a jamais été célébrée que dans les trois langues qui parurent sur la Croix du Sauveur, hébreu ou syriaque, grec et latin ; car il y a plus de mille ans qu'on la célèbre dans des Idiomes différents de ces trois langues privilégiées. Mais nous oserons affirmer que, jusqu'au quatrième siècle du christianisme, ces trois langues, syriaque, grecque et latine, ont été les seules dont on se soit servi à l'autel ; ce qui leur donne une dignité liturgique toute particulière, et confirme merveilleusement le principe des langues sacrées et non vulgaires dans ja Liturgie.

 

L'importance et l'existence même de ce fait ont été contestées par plusieurs écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles, qui ont semblé ne regarder l'interdiction des langues vulgaires dans la Liturgie que comme un usage ecclésiastique auquel on doit se soumettre, mais non comme une loi fondée sur l'esprit même de l'Église catholique. Dans l'impuissance de changer cette institution qu'ils respectaient d'ailleurs, ils en entreprirent l'apologie savante, mais timide. Sur ce point comme sur un grand nombre d'autres, ils se bornèrent à faire de la polémique, et perdirent de vue les hautes considérations qui donnent la raison suprême des lois de l'Église. On est frappé de cette remarque, en lisant l'excellente dissertation du P. Le Brun(Explication de la Messe, tom. IV, pag. 201-243.) sur la question qui nous occupe ; il justifie l'Église, mais il ne cache pas son désir de voir les chrétiens chinois dispensés de la langue latine. Nous verrons bientôt le P. Papebrok témoigner la même indifférence, et fournir son autorité au P. Le Brun. Dom Martène est plus désespérant encore, et ne paraît avoir eu d'autre but que de réunir des arguments contre la pratique de l'Église en ce point (De antiquis Ecclesiœ ritibus, tom. I, cap. III, art. 2.). Renaudot traite la matière avec assez de solidité, mais sans rattacher ses conclusions à aucun principe général, et il se donne le tort de s'amuser doctement aux dépens de ceux qui ont prétendu, dans leur innocente exagération, que la Liturgie n'avait jamais été, et ne pouvait être célébrée que dans les trois langues du titre de la Croix (Liturgiœ orientales, tom. I, dissertat, praelimin., pag. 40.). Bocquillot discute la question sans élévation, comme toujours, et au point de vue d'un homme qui a devant lui un auditoire protestant auquel il veut surtout fermer la bouche (Liturgie sacrée, livre I, chap. XI, pag. 246-270.).

 

Cependant l'enseignement haut et ferme de Bellarmin et des graves théologiens du XVIe siècle, celui de la Sorbonne, dans sa remarquable censure d'Érasme, en 1526, ne laissait pas de recueillir de temps en temps le suffrage de quelques hommes aussi doctes qu'énergiques. Le grand Cardinal Bona soutint toujours en principe la pratique de l'Église, comme un point de doctrine qui doit être enseigné par affirmation, et non simplement défendu. Sala suivit courageusement son maître dans cette voie. De Merbes appuya sa thèse sur l'esprit même de l'Église, et sur la nature des mystères que renferme et protège la Liturgie. Le P. Honoré de Sainte-Marie se montra intrépide sur ce point, comme sur beaucoup d'autres. Son confrère, Chérubin de Sainte-Marie, ne faillit pas non plus au devoir qu'il s'était imposé d'expliquer franchement la pensée de l'Église sur cette grande question ; mais il faut bien reconnaître que, à partir d'une certaine époque, les auteurs qui ont traité la matière avec une complète aisance, deviennent rares de plus en plus.

 

Il eût été cependant facile de se rendre compte des motifs de l'Église dans l'usage des langues sacrées à l'autel, en se rappelant l'ancienne discipline du secret des mystères. Sans doute, l'Église a modifié ses usages sur ce point ; mais elle ne pouvait abandonner le principe. Elle n'a plus de catéchumènes à instruire graduellement, pour les disposer au baptême ; le même jour peut nous voir naître à la vie naturelle, du sein de nos mères, et à la vie de la grâce sur les fonts baptismaux. Il n'y a plus de pénitents publics à expulser de l'église, au moment où va commencer la célébration du sacrifice ; mais il y a toujours la même profondeur dans les mystères, la même faiblesse, et les mêmes dangers dans le cœur de l'homme courbé vers la terre. C'est un spectacle étrange que celui de ces sectaires qui rêvaient de rendre à l'Église les pénitents publics, le rideau qui voilait l'autel au moment suprême ; qui aspiraient à abolir l'exposition de la divine Eucharistie aux regards des fidèles prosternés, jaloux qu'ils étaient des bénédictions que le Sauveur des hommes répand sur eux, du milieu d'un nuage d'encens ; et qui, en même temps, auraient voulu que le prêtre prononçât à voix haute les redoutables paroles du Canon, et qu'il le fit dans la langue du vulgaire. Contradiction qui n'a pas droit de surprendre dans des hommes voués à la plus obstinée de toutes les erreurs, et qui ne rougissaient pas de s'allier par leurs sympathies à peine dissimulées aux prétendus réformateurs du XVIe siècle. Et les orthodoxes ont tremblé devant eux, et on cherchait à répondre à leurs perfides insinuations, en donnant à l'Église de Dieu l'attitude d'une accusée devant ses juges.

 

Qu'il eût été bien plus à propos de les mettre en face de ces puissants docteurs de l'Église primitive dont ils se prétendaient si faussement les disciples, et dont les oracles les condamnent ! On eût dû rappeler la doctrine de ce savant maître, le fils du martyr Léonide, le grand Origène qui disait, au IIIe siècle, en expliquant un passage du livre des Nombres : "Quand le moment était venu pour les enfants d'Israël de lever le camp, on défaisait le tabernacle. Aaron et les prêtres ses fils, pénétrant dans le Saint des saints, couvraient chaque chose de ses voiles, et la laissant ainsi couverte en la place qu'elle occupait, ils introduisaient les fils de Caath, députés pour cet office, et leur mettaient sur les épaules ce que la main sacerdotale avait voilé. Si vous comprenez le fait historique, élevez-vous maintenant à la splendeur du mystère, et si l'œil de votre âme est pur, contemplez la lumière de la loi spirituelle. Que celui à qui les mystères sont confiés, sache qu'il n'est pas sûr pour lui de les découvrir à ceux auxquels ils ne doivent pas être dévoilés ; mais qu'il les couvre, et les ayant couverts, qu'il les place sur les épaules de ceux qui n'étant pas capables de les contempler, doivent simplement les porter. Or, dans les observances de l'Église, il est beaucoup de choses de cette nature, qu'il faut faire, mais dont la raison n'est pas manifestée à tous. Ces rites couverts et voilés, nous les portons sur nos épaules ; en les accomplissant, nous les recevons du grand Pontife et de ses fils. Ils nous demeurent cachés, à moins que nous n'ayons au milieu de nous Aaron, ou les fils d'Aaron, auxquels seuls il est accordé de les contempler à nu et sans voiles."

 

On aurait bien dû aussi leur rappeler l'enseignement de saint Basile qui, dans son livre du Saint-Esprit, formule si énergiquement la pensée de l'Église sur la nécessité d'environner de mystère les choses saintes : "Moïse, dans sa sagesse, dit-il, savait que les choses familières et faciles à découvrir, sont exposées au mépris ; que celles qui sont rares et isolées du contact, excitent comme naturellement l'admiration et le zèle. A son imitation, les Apôtres et les Pères ont établi, dès le commencement, certains rites de l'Église, et ont conservé la dignité aux mystères, par le secret et le silence ; car ce qui est porté aux oreilles du vulgaire n'est déjà plus un mystère."

 

Pour nous qui acceptons les institutions de l'Église comme l'œuvre d'une sagesse surhumaine, nous n'avons garde de descendre à l'excuse sur ses intentions dans les mesures qu'elle a prises pour isoler du vulgaire les prières de la Liturgie. Nous partons donc hardiment de ce fait qu'il y a des langues sacrées et séparées des autres par un choix divin, pour servir d'intermédiaire entre le ciel et la terre. La dignité des trois qui proclamèrent sur le calvaire la royauté du crucifié n'a pas seulement frappé les auteurs mystiques du moyen âge. Joseph de Maistre reconnaît cette consécration (Soirées de Saint-Pétersbourg, tom. II, VIIe entretien.), tout aussi bien que le dévot Honorius d'Autun (Gemma animae, lib. I, cap. XCII.), et l'un et l'autre n'ont fait que répéter ce qu'avait dit, dès le IVe siècle, saint Hilaire de Poitiers. "C'est principalement dans ces trois langues (hébraïque, grecque et latine), dit le saint évêque, que le mystère de la volonté de Dieu est manifesté ; et le ministère de Pilate fut d'écrire par avance, en ces trois langues, que le Seigneur Jésus-Christ est le Roi des Juifs". Dieu avait donc conduit la main du gouverneur romain dans le choix des langues qui parurent sur l'inscription, aussi bien que pour les termes dans lesquels elle était conçue, et son divin Esprit, parlant aux hommes dans les saintes Écritures, devait aussi consacrer trois langues, les mêmes que le peuple juif, réuni des quatre vents du ciel pour la fête de Pâques, put lire sur le titre arboré au-dessus de la tête du Rédempteur.

 

La langue hébraïque, après la captivité de Babylone, se perdit dans le chaldéen qui est une des formes du syriaque. Le même corps d'Écritures sacrées réunit les livres de Moïse, de Samuel, de David, de Salomon et des prophètes, et les livres de Daniel et d'Esdras ; les premiers parlant le pur hébreu ; les seconds donnant une partie de leurs écrits en syro-chaldéen. Le Christ, annoncé par les prophètes, vint enfin, et c'est dans la langue que parlait alors son peuple, dans l'hébreu devenu syro-chaldéen, qu'il prêcha sa doctrine.

 

Mais déjà, avant l'accomplissement des oracles prophétiques, une seconde langue avait été sanctifiée et admise à servir d'organe à l'Esprit-Saint. Non seulement la langue grecque avait été élevée au rang d'interprète de la parole divine, dans la fameuse version des Septante, mais l'Esprit-Saint annonçant déjà l'écoulement futur de la grâce d'adoption vers la gentilité, dictait en grec le livre même de la Sagesse, et le second des Machabées.

 

Le Christ étant descendu pour nous racheter, et son testament en notre faveur étant ouvert par sa mort, selon la pensée de l'Apôtre, le divin Esprit, inspirateur des Écritures, donna dans les trois langues du titre de la Croix les livres de la nouvelle alliance. Saint Matthieu écrivit son Évangile en syriaque, l'hébreu vulgaire de son temps ; Papias, disciple des Apôtres, saint Irénée, saint Pantène, Origène, Eusèbe, saint Athanase, saint Épiphane, saint Jérôme, saint Augustin, nous l'attestent.

 

La langue grecque eut l'honneur de recevoir dans son idiome les Évangiles de saint Luc et de saint Jean, les Actes et les Épîtres des Apôtres, sauf peut-être l'Épître de saint Paul aux Hébreux, qui aurait été écrite dans leur langue. Le christianisme, après avoir été prêché dans Jérusalem, et dans la langue d'Israël, devait s'étendre d'abord aux gentils de la langue grecque.

 

Mais comme le siège du Prince des Apôtres allait être bientôt transféré dans la capitale de la langue latine, et que cette langue était celle de l'empire romain, et destinée à exercer la principauté sur les autres langues sacrées, et par son étendue, et par son usage dans les décisions de la foi, elle ne fut pas non plus dédaignée par l'Esprit-Saint, dans ces jours où les écrivains du Nouveau Testament rédigeaient sous sa dictée la vie et la doctrine du Verbe incarné. Le Liber pontificalis enseigne positivement que saint Marc, composant son Évangile à Rome, sous les yeux de saint Pierre qui le confirma, au rapport d'Eusèbe et de saint Jérôme, l'écrivit dans la langue latine. Saint Grégoire de Nazianze déclare expressément que saint Marc rédigea son Évangile pour les latins (Poema XII, XXI. ) ; n'est-ce pas dire assez clairement qu'il l'écrivit dans leur langue ? C'est aussi la tradition de l'Orient,comme l'atteste la suscription des versions syriaque et arabe.

 

On a objecté que le texte latin de saint Marc ne se trouve plus. Si cet argument avait de la valeur, on devrait nier par là même que saint Matthieu ait écrit son Évangile en hébreu, ou syro-chaldéen, puisque nous ne le possédons plus qu'en grec, depuis bien des siècles, et que la version syriaque de cet Évangile a elle-même été faite sur le grec.

 

Nous croyons donc pouvoir maintenir notre assertion, au moins sous forme de grande probabilité ; mais, quand nous n'aurions aucune preuve que la langue latine ait figuré primitivement dans les Écritures inspirées du Nouveau Testament, il lui resterait encore la gloire d'avoir reçu la première traduction chrétienne des livres saints, dans cette vénérable version Italique qui fut composée au temps des Apôtres, et reçut l'approbation de saint Pierre, comme chef de l'Église ; version qui servit de base à la traduction de saint Jérôme, et qui figure encore d'une manière notable dans la Vulgate actuelle, proclamée par le concile de Trente comme contenant la pure parole de Dieu, pour l'Ancien et le Nouveau Testament.

 

Mais les trois langues sacrées rendues ainsi dépositaires des oracles divins, à l'origine du christianisme, ne s'enrichirent que successivement, au moyen des versions, de la totalité de cet incomparable trésor.

 

La langue grecque si répandue dans tout l'empire romain, fut probablement la première à posséder une traduction complète. Déjà elle avait tous les livres de l'Ancien Testament, et, parmi ces livres, celui de la Sagesse et le second des Machabées lui appartenaient en propre. D'un autre côté, les auteurs sacrés du Nouveau Testament, l'avaient dotée de la presque universalité de leurs écrits divins. Restait à traduire du syro-chaldéen l'Évangile de saint Matthieu, et peut-être l’Epître aux Hébreux ; ce travail ne dut pas se faire longtemps attendre.

 

La langue latine eut de bonne heure sa version Italique, comme nous venons de le remarquer, et si l'Évangile latin de saint Marc disparut bientôt, de même que l'Évangile hébreu ou syro-chaldéen de saint Matthieu, il fut facile de le suppléer, en traduisant sur la version grecque.

 

Quant à la langue des Juifs, ou plutôt de la Syrie, qui se lisait la première sur le titre de la Croix, comme celle de la nation au milieu de laquelle le Fils de l'homme était arboré sur l'arbre du salut, elle ne tarda pas longtemps à jouir d'une traduction des saintes Écritures. La version latine faite au premier siècle étant surtout destinée à l'Occident, la version grecque, quoique composée dans une langue très répandue même en Orient, n'étant pas d'un usage assez général, il devenait nécessaire de traduire les livres saints dans la langue syriaque, dont le syro-chaldéen n'était d'ailleurs qu'une branche assez peu étendue. Pour les livres de l'ancien Testament, les plus savants exégètes, tels que Walton, Leusden, Kennicott, Jahn, en placent la version dès le premier, ou au plus tard dès le second siècle ; il est naturel de rapporter à la même époque la traduction du nouveau Testament. Les Églises avaient plus besoin encore des saints Évangiles et des autres écrits apostoliques que des livres de l'ancienne Alliance. Cette version était propre à tous les pays de la langue syriaque, dont le règne s'étendait depuis la Méditerranée et la Judée, jusqu'à la Médie, la Suziane et le golfe Persique.

 

Voilà donc les trois premières versions des saintes Écritures, syriaque, grecque et latine, en possession des Églises de tous les pays auxquels le christianisme fut primitivement annoncé.

 

Mais rien n'arrête la marche de l'Évangile ; la prédication étend bientôt à d'autres peuples la bonne nouvelle du salut.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE III : DE LA LANGUE DES LIVRES LITURGIQUES. 

 

Evangéliaire d'Henri le Lion

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 12:30

Mais considérons la question dans sa réalité

 

Nous n'avons point envie d'ébranler un fait acquis à la science, et reconnu même par de savants protestants, bien qu'il pèse sur eux de tout son poids, à raison des conséquences qu'en tirent les docteurs catholiques. La discipline du secret a existé dans l'âge primitif du christianisme; on en trouve encore la preuve jusque dans le Ve siècle, par des passages évidents de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, de Théodoret, de saint Cyrille d'Alexandrie ; mais ce serait une grave erreur de penser que l'arcane fut toujours si absolu qu'il n'y fut jamais dérogé. Le motif de cette discipline est admirablement rendu par saint -Cyrille de Jérusalem : "C'est, dit-il, dans la crainte que ceux qui ne comprennent pas ne soient blessés par les mystères, ou qu'ils ne les tournent en dérision". Cependant cette loi n'a pas empêché, au IIe siècle, saint Justin, écrivant sous les yeux du Pontife romain, d'exposer dans sa première Apologie, adressée aux empereurs, les mystères du Baptême, de l'Eucharistie et du Sacrifice chrétien, avec une clarté et une étendue qui l'emportent sur ce que nous trouvons de plus complet dans les écrits de cette époque destinés aux fidèles.

 

Saint Cyrille monta sur le siège de Jérusalem en 350, époque à laquelle la discipline du secret était dans toute sa vigueur. Étant encore simple prêtre et préposé à l'instruction des catéchumènes, il prononça dans l'église ses célèbres Catéchèses. Tout le monde sait que les dix-huit premières de ces Catéchèses sont adressées aux non baptisés ; cependant saint Cyrille, sans doute d'après l'ordre de son évêque, explique les mystères et le Symbole lui-même à ses auditeurs avec une plénitude qui aurait droit de surprendre, si l'on ne savait qu'il n'est pas de loi si générale qu'on n'y puisse trouver des dérogations.

 

Maintenant, s'agit-il même d'une dérogation à la loi de l'arcane, dans le fait de l'existence des livres liturgiques ? A la réflexion, on n'y verra qu'une confirmation du fait même de cette loi. Ces livres existaient ; mais ils étaient secrets. Nous pouvons même accorder, si on l'exige, qu'ils ne paraissaient pas toujours à l'autel ; ils servaient à appuyer la mémoire du prêtre, à conserver pur le dépôt de la tradition, à prévenir les altérations auxquelles il pouvait être exposé sans ce secours. Il n'était pas nécessaire que les exemplaires en fussent nombreux, le vulgaire ne les lisait pas ; ils n'étaient pas écrits pour lui. Comment les Pères eussent-ils invoqué le témoignage de livres qui n'avaient pas cours ? Il nous semble que tout se concilie sans difficulté à ce point de vue.

 

Généralement, les critiques d'une certaine époque ont trop souvent perdu de vue les bibliothèques et archives qui existaient auprès des églises et dans lesquelles se conservaient les titres de ces églises, leurs annales, les actes des martyrs, les formules des mystères. On supposait donc la civilisation chrétienne bien peu avancée, si on croyait que cette nouvelle société, dont le passé était déjà si glorieux, n'avait rien fait pour en conserver la mémoire. Les traditions écrites se gardaient dans ces asiles sacrés, et la magnifique confession de foi de l'Église de Néocésarée n'était pas le seul monument confié au secret fidèle et conservateur de ces merveilleuses archives. Lorsque le travail de nos confrères, sur les écrits de saint Denys l'Aréopagite sera en état de voir le jour, nous espérons que la question des bibliothèques des églises sous les persécutions, en recevra quelques développements.

 

Les PP. Le Brun et Pien pensent trouver un argument contre notre thèse dans les édits des empereurs païens qui condamnaient au feu les livres saints. S'il eût existé dans les églises d'autres livres que les saintes Ecritures, il en eût été fait mention, disent-ils, soit dans les édits, soit dans les monuments qui nous restent des persécutions.

 

La faiblesse de cette objection est évidente. Les livres liturgiques étaient peu nombreux, leur existence était secrète ; quelle nécessité d'en faire mention expresse dans les édits ? D'autre part, nous avons la preuve que les Actes des martyrs conservés dans les archives des Eglises furent brûlés en grand nombre sous la persécution de Dioclétien ; cependant saint Augustin ne parle que des Ecritures saintes dans le passage cité par nos adversaires, et ne fait aucune mention de ces documents comme ayant été livrés par les évêques traditeurs. Il n'est donc pas étonnant que, dans les quelques lignes citées, il ne soit pas question des Liturgies. Quant aux preuves du fait de la destruction violente des livres différents des saintes Écritures et conservés cependant dans les bibliothèques des Églises, on peut consulter Baronius, dans ses notes sur le Martyrologe romain, François Bianchini, dans la préface de sa belle édition d'Anastase, et le VIIIe chapitre du premier volume de nos Origines de l'Église romaine.

 

Une autre objection qu'on nous oppose est que les Liturgies les plus anciennes, et qui portent les noms de saint Jacques, de saint Marc et de saint Basile, ne contiennent pas les prières pour les pénitents, ni le renvoi qu'on avait coutume de faire de ces pénitents, à un certain moment de la Messe. Elles n'ont donc été écrites qu'après l'abrogation de la pénitence publique par Nectaire, patriarche de Constantinople, qui mourut en 397. Si le renvoi des pénitents eût été dans les Liturgies, on l'y verrait encore, comme on y voit celui des catéchumènes.

 

Nous observerons d'abord que le renvoi des pénitents, précédé de la prière qu'on faisait sur eux, se trouve en toutes lettres dans la Liturgie contenue au livre VIII des Constitutions apostoliques, qui étaient déjà compilées en 325, ainsi que nous l'avons prouvé tout à l'heure par les plus imposantes autorités. Comme nous convenons volontiers que le texte précis de la plupart des Liturgies des quatre premiers siècles n'est pas parvenu jusqu'à nous, nous ne voyons pas qu'on puisse arguer, contre notre sentiment, des choses qui se trouvent ou ne se trouvent pas dans les Liturgies de saint Jacques, de saint Marc et saint Basile. Si le renvoi des pénitents ne s'y trouve plus, quoiqu'on y lise encore celui des catéchumènes, il n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque nous savons par un grand nombre de sermons et de traités des Pères, que la séparation et le renvoi de ces derniers avait encore lieu, fort avant dans le Ve siècle, et peut-être jusqu'au VIe. L'ordonnance de Nectaire sur la pénitence publique a donc peu de portée dans la question.

 

Enfin, on nous oppose la Décrétale de saint Innocent Ier, adressée à Decentius, évêque d'Eugubium, en 416. Entre autres questions que cet évêque avait posées au Pape, il y en avait une relative à l'endroit de la Messe où l'on doit placer le baiser de paix. Saint Innocent répond catégoriquement aux autres questions ; mais, sur celle-ci, il s'excuse de donner des détails circonstanciés, à cause du secret des mystères, et remet ses explications au temps où il pourra conférer de vive voix avec le prélat. On voudrait en conclure que le Canon de la Messe n'était pas encore écrit à Rome en 416.

 

Il était cependant facile de comprendre que cette Décrétale étant destinée à être rendue publique, à raison des autres dispositions qu'elle contenait, le Pontife ne jugeât pas à propos d'y insérer des choses qui étaient alors réservées à la connaissance des prêtres seuls. Les livres liturgiques étaient sans doute écrits au IXe siècle, puisque l'on consent à les faire remonter jusqu'au Ve. Or voici qu'en 866, le pape saint Nicolas Ier, dans une réponse aux évêques de Bulgarie, leur déclare qu'il ne leur enverra le Missel que par les mains d'un évêque, ne jugeant pas convenable que des laïques en soient porteurs.

 

La Décrétale de saint Innocent fournit sans doute un argument en faveur de la loi. de l'arcane ; mais elle n'établit en aucune façon que les Églises de cette époque ne possédassent pas, dans leurs archives secrètes, les livres contenant les prières du sacrifice et celles des sacrements. Quand il n'y eût eu au monde qu'une seule Église obligée à conserver certaines et inviolables les formules sacrées, cette Église devait être, sans contredit, celle de Rome, puisqu'elle était consultée de toutes parts, et qu'un si grand nombre d'autres, principalement dans l'Occident, étaient les filles de son apostolat, et les sujettes de sa juridiction patriarcale. Dom Mabillon a prouvé que l'Église gallicane, avant l'introduction des livres grégoriens, n'avait pas d'autre Canon de la messe que celui de l'Église romaine. La communication d'une prière aussi longue et aussi importante avait-elle pu se faire autrement que par la voie de l'écriture ?

 

Nous croyons donc avoir établi solidement notre proposition, et nous regardons comme un fait acquis à la science l'existence des livres liturgiques dans l'âge primitif de l'Église, au moins à partir du IIe siècle. Il suit de là que les formes du style liturgique, si importantes pour les mystères qu'elles expriment et qu'elles contiennent, ont été fixées dans un temps voisin de celui des Apôtres ; que les obsécrations, les oraisons, les postulations et les actions de grâces que prescrit saint Paul ont été déterminées de bonne heure, et sont arrivées jusqu'à nous, au moyen de simples additions, ou de légères modifications qui n'en ont pas altéré substantiellement le sens et la forme. Dans l'Église romaine, par exemple, saint Pie V a fait le moins de changements qu'il a été possible à l'œuvre de saint Grégoire : saint Grégoire ne fit guère qu'abréger le Sacramentaire de saint Gélase ; le Liber pontificalis réduit le travail liturgique de saint Gélase à l'addition de nouvelles oraisons et de nouvelles préfaces au fonds ancien. Saint Léon composa quelques pièces qui manquaient au Sacramentaire, et ajouta quatre mots au Canon. Au delà nous entrevoyons vaguement une action de saint Damase sur la Liturgie, dans le IVe siècle, sans qu'on puisse la préciser par des témoignages tant soit peu clairs et autorisés ; il faut donc descendre au delà du IVe siècle, sans qu'un seul nom arrive jusqu'à nous qui assume l'honneur d'avoir rédigé soit le Canon de la messe, soit le corps immense de ces oraisons et de ces préfaces dont quelques-unes, comme nous l'avons vu, attestent l'âge des martyrs. Pourrait-on ne pas comprendre la valeur imposante de cette voix qui traverse les siècles, plus forte, plus nourrie à mesure qu'elle approche de nous, mais proclamant, dès le premier âge, les mêmes dogmes, les mêmes espérances, la même confession, sous des termes analogues ?

 

Ce que nous disons de la Liturgie romaine peut se dire pareillement de la Liturgie ambrosienne. On ne peut douter que saint Ambroise n'ait travaillé aux livres de l'Église de Milan; mais il est tout aussi certain que ces livres existaient avant lui, et qu'il n'a fait que les corriger et les compléter pour son temps. La Liturgie de saint Jacques, qui est la plus ancienne de celles de l'Orient, et dont le fond appartient très probablement à cet apôtre, se trouve pour le style, pour l'esprit et souvent pour les expressions, former le fond de celles qui furent rédigées plus tard dans ces contrées.

 

La conséquence de tous les faits établis dans ce chapitre est donc favorable à l'autorité des formules liturgiques sur lesquelles, comme nous l'avons prouvé, repose la science de la Liturgie.

 

Écrite de bonne heure, la tradition nous est arrivée plus sûrement ; rédigées en regard des formules antiques, les formules plus récentes nous en reproduisent les traits et souvent la teneur même.

 

C'est ce que nous avons voulu établir.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE II : DE L'ANTIQUITÉ DES LIVRES LITURGIQUES

 

Tympanum (detail) by ROMANESQUE SCULPTOR, French

Tympanum, Abbaye Sainte-Marie d'Arles-sur-Tech

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 12:30

Nous voici donc arrivés, en descendant, jusqu'au IIIe siècle, et nous avons encore d'autres arguments à produire.

 

En 261, Paul de Samosate, évêque d'Antioche, ennemi de la divinité du Verbe, est condamné par un concile tenu dans sa ville épiscopale. Entre autres charges qui pèsent sur lui, et qui sont énumérées dans la lettre synodale dont Eusèbe rapporte des fragments, on lui reproche d'avoir "aboli les Cantiques qu'on avait coutume de chanter en l'honneur du Seigneur Jésus-Christ, sous prétexte qu'ils étaient nouveaux, et composés par des hommes qui avaient vécu à une époque récente". Ces chants liturgiques n'étaient-ils donc écrits nulle part ? et si le peuple les exécutait en choeur avec les prêtres, faut-il croire que défense était faite de les avoir par écrit ?

 

Saint Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néocésarée, assistait à ce concile d'Antioche, et mourut peu après. Il gouvernait son Eglise depuis l'an 232, et il avait composé pour elle une Liturgie. L'Église de Néocésarée conserva si fidèlement les formules sacrées que son saint évêque avait rédigées, que, dans le IVe siècle, saint Basile en appelait aux paroles de cette Liturgie, pour attester la foi de saint Grégoire dans la divinité du Saint-Esprit. "Les Églises de cette contrée, dit-il, n'ont voulu ajouter ni une seule action, ni une seule parole, ni un seul rite mystique, à la forme qu'il leur a laissée. C'est ce qui fait que beaucoup de leurs usages semblent imparfaits aujourd'hui, par suite de l'ancienneté de leur institution. Les évêques qui lui ont succédé dans le gouvernement de ces Églises, n'ont voulu admettre jusqu'ici aucune des formes qui ont été instituées depuis lui". Or, comment cette Liturgie eût-elle pu se maintenir ainsi sans alliage, dans plusieurs Églises de Cappadoce, pendant un siècle, si elle n'eût pas été écrite ? Cette exemption de toute addition, comme de toute altération, ne montre-t-elle pas jusqu'à l'évidence que le saint évêque avait confié son œuvre à l'écriture, et que ce texte était souvent consulté, pour arrêter l'esprit de changement et de nouveauté ?

 

Il en est donc de la Liturgie de saint Grégoire le Thaumaturge, comme de cette célèbre exposition de foi qu'il reçut dans une vision, des mains de saint Jean l'Évangéliste, qui lui était apparu avec la sainte Vierge. Cette exposition de foi, trop oubliée aujourd'hui, était écrite aussi, et se gardait dans le trésor de l'Église de Néocésarée ; cependant il y a bien des siècles que le souvenir s'en fût perdu, si saint Grégoire de Nysse n'eût pris la peine de nous en transmettre une copie.

 

Vers 220, florissait le grand docteur saint Hippolyte, évêque et martyr. Sur la liste imposante de ses écrits, que porte encore gravée sa chaire de marbre, contemporaine, que l'on conserve dans la bibliothèque du Vatican, on lit ces paroles qu'on a traduit de Donis, ou Muneribus ecclesiasticis apostolica traditio. Il suffit en effet de se rappeler le sens donné au mot Xapismata dans saint Paul, et dans les auteurs de la plus haute tradition, pour comprendre qu'il est ici question d'un livre sur les mystères, dans lequel se trouvaient rassemblées les traditions apostoliques qui en concernent la célébration. C'est ce qui a porté plusieurs érudits à regarder saint Hippolyte comme le collecteur des Constitutions apostoliques dont nous avons parlé plus haut. Albert Fabricius n'a pas fait difficulté d'insérer ces Constitutions, dont le VIIe et le VIIIe livre ne sont pour ainsi dire qu'un recueil de formules liturgiques, dans son édition de saint Hippolyte. Il l'a fait d'après un manuscrit de la Bibliothèque impériale de Vienne, et d'après un autre d'Oxford. Quoi qu'il en soit, que saint Hippolyte ait rédigé lui-même des formules pour l'administration des dons célestes, ou qu'il les ait seulement compilées d'après la tradition apostolique, nous lisons sur le même marbre qui nous a fourni l'indication que nous venons de recueillir, la désignation d'un autre travail qui semble aussi appartenir à la Liturgie, paroles qu'on explique ainsi : Odœ in diversas Scripturae partes. Ces chants ne semblent-ils pas assez clairement destinés au service divin ?

 

Au milieu du second siècle vivait le philosophe Celse, qui écrivit contre le christianisme, et fut réfuté dans la suite, avec tant de logique et de vigueur, par Origène. Il existait des livres liturgiques écrits, dès le temps de l'astucieux épicurien dont nous ne possédons plus l'ouvrage que par fragments. En effet, il dit "avoir vu entre les mains de certains prêtres chrétiens des livres barbares, dans lesquels il était question des noms et des prestiges des démons" (Origenes contra Celsum, lib. VI, n. 40.). Il est évident que le philosophe fait ici allusion aux formules d'exorcismes employées sur les catéchumènes et sur les possédés. Origène, dans sa réponse, ne conteste pas l'existence de ces livres entre les mains des prêtres, mais se contente de répondre que, protégés par leurs prières, les chrétiens sont plus forts que les magiciens et les démons (Ibid.).

 

Nous approchons maintenant de l'époque apostolique, et nous convenons volontiers que les arguments positifs nous manquent désormais pour démontrer l'existence de livres liturgiques ; mais la pénurie des monuments se fait sentir pour d'autres questions bien autrement importantes que celles dont nous traitons en ce moment.

 

Nous voici du moins fort loin du Ve siècle et fort près des Apôtres ; c'est tout ce que nous avons prétendu dans cette excursion. Toutefois, nous enregistrerons encore trois témoignages dont la valeur n'est sans doute qu'indirecte, mais qui ne laissent pas d'avoir quelque poids dans ces temps primitifs : ils prouvent du moins qu'il y avait dès lors des prières fixes pour la Liturgie.

 

Le premier de ces témoins que nous produirons est le philosophe Lucien, qui vivait au IIe siècle. Dans le dialogue Philopatris qu'on lui a quelquefois contesté, mais pour le remonter jusqu'au premier siècle du christianisme, entre autres diatribes sur la nouvelle religion, l'auteur lance ses sarcasmes sur les prières liturgiques. Un des interlocuteurs décrit une assemblée chrétienne, et, après divers détails, il mentionne une des prières qu'on y prononçait. Cette prière commençait par le nom du Père, et finissait par un chant dans lequel on récitait un grand nombre de noms : Precationem incipientem a Patre, et in hymno multorum nominum finientem (paroles de Tryphon,vers la fin du dialogue.). Il est facile de reconnaître dans ces paroles une allusion aux formes de la Liturgie primitive, qui s'ouvrait par l'Oraison dominicale, et se terminait par ces longues prières dans lesquelles on récitait les noms de ceux pour lesquels on offrait. Voilà bien, sans doute, un ordre fixe, une stabilité de formules, une publicité de rites dont la première condition était de reposer sur un texte précis.

 

Dans les premières années du IIe siècle, Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, écrit à Trajan pour l'engager à modérer la persécution. Décrivant les réunions religieuses des chrétiens, il dit à l'empereur qu'ils ont coutume de s'assembler à jour fixe, avant le lever du jour, et qu'ils chantent ensemble des hymnes au Christ, comme à un Dieu : Soliti statuto die ante lucem convenire, carmenque Christo, quasi Deo, dicere secum invicem (Lib. X, ep. XCVII.). Cette expression carmen dicere, au jugement de Vossius et de Brisson qui en citent de nombreux exemples, signifie des chants solennels et exécutés avec ordre. Ainsi, la gravité des prières qui se récitaient dans les assemblées chrétiennes était arrivée à la connaissance de Pline. Ne devons-nous pas voir encore dans ce fait l'existence de formes positives, selon lesquelles ces prières étaient composées et exécutées ?

 

Enfin, le plus illustre martyr de la persécution que Pline engageait Trajan à modérer, saint Ignace, second successeur de saint Pierre sur le siège d'Antioche, dans sa lettre à l'Église de Magnésie, parle des assemblées saintes de manière à faire comprendre que de bonne heure toutes les mesures ont dû être prises par les évêques, pour donner aux prières de l'Église l'ordre et la décence qu'elles exigent : "Ne jugez conforme à la raison, dit-il, que ce qui aura été ordonné par l'évêque. Réunissez-vous pour prier dans le même lieu ; que la prière soit commune : Ne quidquam videatur vobis rationi consentaneum, praeter episcopi judicium. Omnes ad orandum in eumdem convenite : sit una communis precatio. (Ad Magnesianos, n. VII.). Et comment cette prière eût-elle pu être commune, si sa composition eût été remise aux hasards plus ou moins surnaturels de l'improvisation du pontife ou du prêtre ?

 

Tout le monde est en état de comprendre qu'il n'y a pas loin d'une forme liturgique déterminée à une forme liturgique écrite ; nous arrêterons donc ici nos investigations pour la recherche des livres liturgiques dans les quatre premiers siècles : c'est au lecteur à juger de leur résultat. Nous lui devons maintenant l'exposé des objections de nos adversaires, en observant toutefois préalablement que des difficultés négatives ne peuvent rien contre des faits.

 

Le P. Le Brun et le P. Pien se fondent sur ce que Tertullien, dans le livre de Corona militis, affirme que nous ne connaissons que par une tradition non écrite les formules des sacrements et la manière de les administrer. Il énumère divers rites, et conclut ainsi : "Si vous de mandez une loi écrite pour ces pratiques, et pour plusieurs autres, vous n'en trouverez point : c'est la tradition qui vous fournit ce supplément, la coutume qui le confirme, la foi qui le fait observer". Donc, concluent ces deux savants auteurs, il n'y avait pas de livres liturgiques écrits ; autrement Tertullien les aurait cités.

 

A cela nous répondons que le terme de loi écrite, employé ici par Tertullien n'a point le sens de formules liturgiques consignées sur le papier. Toute son argumentation nous prouve évidemment qu'il traite, dans ce passage, de la tradition par comparaison avec l’Écriture sainte. La Liturgie écrite ou non écrite est toujours la simple tradition, ses formules ne sont pas inspirées, et le raisonnement de Tertullien reste debout, quand bien même les Liturgies de cette époque eussent été écrites.

 

Nos adversaires ajoutent : " Saint Cyprien voulant prouver contre les Aquariens que l'on doit employer du vin et non de l'eau seulement pour le saint Sacrifice, mais que le vin doit être mêlé d'eau dans le calice, n'invoque d'autre autorité que la loi évangélique et la tradition du Seigneur. S'il eût existé une Liturgie écrite, assurément saint Cyprien l'eût appelée en témoignage". Cette difficulté ne saurait être sérieuse. Saint Cyprien en appelle, il est vrai, à la tradition ; mais il ne dit pas que cette tradition ne fût pas écrite. Eût-elle été consignée dans quelque livre liturgique conservé dans l'archive de l'Église de Carthage, elle ne perdait pas pour cela sa qualité de tradition, et pouvait tout aussi légitimement être alléguée que si elle fût restée purement orale.

 

L'argument tiré de saint Basile n'est pas plus redoutable, quoiqu'il offre une apparence plus spécieuse. Voici les paroles du saint Docteur : "Quel est celui des Saints qui nous a laissé par écrit les paroles d'invocation qui se prononcent quand on offre le pain de l'eucharistie et le calice de bénédiction ? Nous ne nous contentons pas de ce que rapporte l’Apôtre ou l'Évangile; mais nous récitons, avant et après, d'autres paroles, comme ayant beaucoup d'importance pour le mystère, et ces paroles, nous les avons reçues de la tradition, sans écriture. Nous consacrons l'eau du baptême, l'huile de l'onction, et celui-là même qui vient d'être baptisé : où est-ce écrit ? Ces rites ne viennent-ils pas d'une tradition silencieuse et secrète ? L'onction avec l'huile, quel passage écrit nous l'a enseigné ? De faire trois immersions, dans quel endroit de l'Ecriture l'avons-nous appris ? Les autres choses qui se font au baptême , comme de renoncer à Satan et à ses anges, où trouvons-nous cela écrit ? Ne le tenons-nous pas de cette tradition non publiée et secrète, de cette doctrine que nos pères ont garantie par le silence et la discrétion ?"

 

Nous convenons volontiers que ce passage de saint Basile est admirable pour prouver l'existence d'une tradition divine et apostolique qui complète l'enseignement des Écritures sur le Sacrifice et les Sacrements ; mais il ne prouve aucunement que ces traditions, qui ne nous ont point été laissées écrites par les Saints, c'est-à-dire par les écrivains sacrés, n'aient pas été écrites depuis, et cela sans perdre leur qualité traditionnelle. Aujourd'hui que les missels et les rituels existent imprimés de toutes parts, nous sommes à même de tenir le même langage. Quant au secret qui environnait du temps de saint Basile les formules liturgiques et les isolait du contact vulgaire, il existait encore en France, il y a trois siècles. Jusqu'à cette époque le Canon de la messe n'était jamais mis entre les mains des simples fidèles ; bien moins encore eût-on osé le traduire en langue vulgaire. Saint Basile eût pu dire alors au milieu de nous ce qu'il disait dans Césarée. Cependant, il y avait plus de mille ans, de l'aveu des Pères Pien et Le Brun, que les Liturgies étaient écrites, et cent ans qu'elles étaient imprimées.

 

Comment les Liturgies auraient-elles été écrites, disent encore nos savants adversaires, quand le Symbole des Apôtres lui-même ne l'était pas encore ? Saint Jérôme l'atteste positivement quand il dit : "Le Symbole de notre foi et de notre espérance, qui nous a été donné par les Apôtres, ne s'écrit point par l'encre et sur le papier ; mais c'est sur les tablettes vivantes de notre cœur que se trouve consignée cette formule dans laquelle tout le mystère du dogme, qui commence par la confession de la Trinité et vient ensuite à l'unité de l'Église, se conclut par la Résurrection de la chair". Saint Augustin s'exprime avec non moins de force : "Chaque jour récitez le Symbole en votre particulier : personne ne l'écrit pour le lire ; on ne l'écrit que pour le repasser, dans la crainte que l'oubli n'efface ce que l'application a fait retenir. Que votre mémoire vous serve donc de livre."

 

On pourrait d'abord faire observer que la brièveté du Symbole des Apôtres n'a aucune proportion avec la longueur des formules liturgiques de la messe et des Sacrements. Le premier pouvait être simplement confié à la mémoire, sans qu'il s'ensuive pour cela que les secondes dussent absolument demeurer soumises au même péril d'altération. Mais si on examine la portée des paroles de ces deux saints docteurs, on y trouve tout autre chose que ce que nos deux savants liturgistes y ont vu. Il est évident que saint Jérôme fait allusion aux paroles de saint Paul dans la seconde Épître aux Corinthiens (II Cor., III, 3.), où l'Apôtre a pour but de mettre en parallèle la dignité des deux lois, la judaïque écrite sur la pierre, la chrétienne reçue et conservée au fond des cœurs. Quant à saint Augustin, il ne saurait nous être objecté, puisqu'il accorde positivement que l'on peut écrire le Symbole, pour aider la mémoire. Il n'y avait donc pas de loi absolue qui le défendît.

 

Nous convenons volontiers que, dans les premiers siècles, le Symbole se donnait d'une manière orale ; mais cette règle générale n'était pas absolue. Les Pères eux-mêmes, sur les témoignages desquels nous établissons l'existence de la discipline du secret ou de l'arcane, nous fournissent d'incontestables exceptions ; les circonstances décidaient de tout en cette matière. Parmi les Pères qui citent en totalité ou en partie le Symbole dans leurs écrits publics, nous citerons Tertullien, de virginibus velandis ; saint Cyrille de Jérusalem, dans ses Catéchèses ; saint Basile, dans son livre de fidei confessione ; Rufin d'Aquilée, dans son commentaire spécial sur le Symbole lui-même, etc.

 

S'il eût existé, dans les quatre premiers siècles, des livres liturgiques écrits, comment se fait-il, disent encore les Pères Pien et Le Brun, que les saints Docteurs n'y aient pas fait appel en réfutant les hérétiques ; tandis qu'à partir du Ve siècle, ces livres sont allégués si fréquemment dans les controverses, quand on veut constater la foi de l'Église ? Nous répondrons d'abord que les auteurs de cette époque, lorsqu'ils en appellent à la tradition et à la coutume sur les saints mystères, entendent toujours, comme en conviennent nos adversaires, la coutume et la tradition liturgiques. Mais pourquoi ne citent-ils aucun texte précis ? D'abord, nous accorderons qu'à l'époque où régnait la discipline du secret, les livres liturgiques étaient rares, qu'on les tenait cachés avec soin ; que, destinés seulement à aider la mémoire des prêtres et des pontifes, leur teneur était peu connue des fidèles ; elle ne pouvait donc être révélée sans inconvénient dans des écrits publics.

 

Mais il y a plus. On doit reconnaître que s'il existait à cette époque des livres liturgiques écrits, comme nous croyons l'avoir démontré, ces livres appartenaient plutôt à chaque Église particulière qu'ils n'étaient d'usage universel. L'anglican Bingham, qui cependant est favorable à la thèse de nos adversaires, reconnaît ce fait quand il dit : "La liberté que chaque Évêque avait de former sa liturgie pour son Église, est l'unique raison pour laquelle aucune de ces liturgies n'est arrivée jusqu'à nous complète et entière, n'ayant été composées que pour l'usage de ces Églises particulières. Destinées au service de ces Églises, on ne se mettait pas beaucoup en peine de les communiquer et de les faire parvenir à la connaissance des autres Églises, non plus que de les conserver entières, ou de les faire passer à la postérité, puisque leur usage n'était pas strictement obligatoire, et qu'on avait la liberté d'en composer d'autres à volonté". (Bingham, Orig. Eccles., Iib. XIII, cap. V, de orig. et usu Liturg. in statis prec. formulis, § 3.)

 

Comment alors les Pères en eussent-ils appelé à des textes qui ne réunissaient pas au moins des fractions considérables de l'Église dans une même profession littérale ? Il était donc plus naturel d'en appeler à la tradition et à la coutume, dont ces livres étaient l'expression variée. Mais, à la paix de l'Église, on sentit la nécessité de donner plus de corps à l'argument de tradition et de coutume, en exigeant, comme nous l'avons prouvé ailleurs, l'approbation des conciles pour les prières liturgiques ; on astreignit les Églises d'une même province à la profession des mêmes rites et des mêmes formules, et peu à peu les prélats des grands sièges arrivèrent à ranger sous les lois de la liturgie de leur Église toutes celles qu'ils tenaient sous leur juridiction. C'est la raison pour laquelle les textes positifs de la Liturgie ont été depuis lors si fréquemment allégués dans les controverses ; ils avaient une plus grande publicité, et régnaient sur un plus grand nombre d'Églises.

 

Mais, disent encore nos illustres contradicteurs, que faites-vous de l'arcane, du secret des mystères, si les formules sacrées étaient confiées à l'écriture ? Nous serions peut-être en droit de répondre : Que faites-vous de la tradition, si, lorsqu'elle est d'une nature aussi délicate que le sont les rites pour la célébration du Sacrifice et pour l'administration des Sacrements, vous pensez qu'elle n'a pas dû avoir d'autre asile que la mémoire des hommes exposés à la routine, aux infirmités de l'intelligence, aux caprices de l'esprit particulier, aux séductions de tant d'hérésies séduisantes et subtiles ?

 

Mais considérons la question dans sa réalité

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : DEUXIÈME PARTIE : LES LIVRES DE LA LITURGIE ; CHAPITRE II : DE L'ANTIQUITÉ DES LIVRES LITURGIQUES.

 

Cathédrale de Naumburg

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