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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SALVE REGINA

14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 12:30

Mais il est temps de révéler au lecteur cette monstrueuse légende qui mettait ainsi en péril les vérités révélées.

 

Les pages que l'on va lire sont belles sans doute, pleines de noblesse et d'une éloquente simplicité : elles sont. pourtant moins énergiques dans les éloges qu'elles donnent au pontife, que certaines pages qu'on peut lire tous les jours dans les écrits de plusieurs historiens, ou publicistes protestants. Voici la légende en son entier.

 

IN   FESTO  S.   GREGORII   VII.   PAPAE   ET CONFESSORIS. 

IN SECUNDO NOCTURNO.  

 

LECTIO IV.

« Gregorius Papa septimus antea Hildebrandus, Soanae  in Etruria natus, doctrina, sanctitate omnique virtutum  genere cum primis nobilis, mirifice universam Dei illustravit Ecclesiam. Cum parvulus ad fabri ligna edolantis pedes, jam litterarum inscius, luderet, ex rejectis tamen segmentis illa Davidici elementa oraculi: Dominabitur a mari usque ad mare, casu formasse narratur,  manum pueri ductante Numine, quo significaretur  ejus fore amplissimam in mundo auctoritatem. Romam  deinde profectus, sub protectione sancti Petri educatus  est. Juvenis Ecclesiae libertatem a laicis oppressam ac  depravatos Ecclesiasticorum mores vehementius dolens,  in Cluniacensi Monasterio, ubi sub Regula sancti Benedicti austerioris vitae observantia eo tempore maxime  vigebat, Monachi habitum induens ,tanto pietatis ardore  divinte Majestati deserviebat, ut a sanctis ejusdem  Coenobii Patribus Prior sit electus. Sed divina Providentia majora de eo disponente in salutem plurimorum,  Cluniaco eductus Hildebrandus, Abbas primum Monasterii sancti Pauli extra muros Urbis electus, ac postmodum Romana; Ecclesias Cardinalis creatus, sub summis  Pontificibus, Leone nono, Victore secundo, Stephano  nono, Nicolao secundo, et Alexandro secundo, praecipuis  muneribus, et legationibus perfunctus est, sanctissimi,  et purissimi consilii vir a Beato Petro Damiani nuncupatus. A Victore Papa secundo Legatus a latere in  Galliam missus, Lugduni Episcopum simoniaca labe  infectum ad sui criminis confessionem miraculo adegit.  Berengarium in concilio Turonensi ad iteratam heeresis  adjurationem compulit. Cadolai quoque schisma sua  virtute compressit. »

 

LECTIO V. 

« Mortuo Alexandro secundo, invitus, et moerens unanimi omnium consensu, decimo  Kalendas Maii, anno Christi millesimo septuagesimo tertio, summus Pontifex  electus, sicut sol effulsit in Domo Dei ; nam potens opere et sermone, Ecclesiasticae disciplinas reparandae, fidei propagandae, libertati Ecclesias restituendae, extirpandis erroribus et corruptelis, tanto studio incubuit, ut ex  apostolorum setate nullus Pontificum fuisse tradatur qui  majores pro Ecclesia Dei labores, molestiasque pertulerit, aut qui pro ejus libertate acrius pugnaverit. Aliquot  Provincias a simoniaca labe expurgavit. Contra Henrici  Imperatoris impios conatus fortis per omnia athleta impavidus permansit, seque pro muro domui Israel ponere  non timuit, ac eumdem Henricum in profundum malorum prolapsum, fidelium communione, regnoque privavit, atque subditos populos fide ei data liberavit. »

 

LECTIO  VI.  

« Dum Missarum solemnia perageret, visa est viris piis  columba e caelo delapsa, humero ejus dextro insidens,  alis extensis caput ejus velare,quo significatum est, Spiritus Sancti afflatu, non humanas prudentias rationibus  ipsum duci in Ecclesia; regimine. Cum ab iniqui Henrici exercitu Romaa gravi obsidione premeretur, excitatum ab hostibus incendium signo crucis extinxit. De  ejus manu tandem a Roberto Guiscardo Duce Northamno ereptus, Casinum se contulit; atque inde Salernum ad dedicandam Ecclesiam sancti Matthad Apostoli  contendit, Cum aliquando in ea civitate sermonem  habuisset ad populum, aerumnis confectus, iri morbum  incidit quo se interiturum praescivit. Postrema morientis  Gregorii verba fuere : Dilexi justitiam, et odivi iniquitatem : propterea morior in exilio. Innumerabilia sunt quae vel fortiter sustinuit, vel multis coactis in Urbe  Synodis sapienter constituit vir vere sanctus, criminum  vindex, et acerrimus Ecclesiœ defensor. Exactis itaque  in Pontificatu annis duodecim, migravit in caelum,  anno salutis millesime octogesimo quinto, pluribus in  vita, et post mortem miraculis clarus, ejusque sacrum  corpus in Cathedrali Basilica Salernitana est honorifice  conditum. »

 

L'oraison qui complète et résume l'office de saint Grégoire VII, au missel et au bréviaire, est ainsi conçue : 

Deus in te sperantium fortitudo, qui Beatum Gregorium Confessorem tuum atque Pontificem, pro tuenda Ecclesiœ libertate virtute constantiœ roborasti ; da nobis, ejus exemplo et intercessione, omnia adversantia fortiter superare.

 

Maintenant que nous avons mis sous les yeux du lecteur cette pièce si fameuse, avant d'entrer dans le récit des événements qui suivirent sa promulgation, nous nous permettrons quelques réflexions sur la portée de ce manifeste pontifical.

 

Que suit-il du récit que nous venons de lire des actes et des vertus d'un pape du XIe siècle ? Cela veut-il dire que Rome se prépare à fondre, comme l'aigle, sur les États européens, a disposer arbitrairement de la couronne des princes qui les gouvernent, en un mot, à ébranler le monde entier du bruit de ses foudres ? Nous qui vivons un siècle après l'apparition de cette redoutable légende, trouvons-nous beaucoup d'exemples depuis lors de cette omnipotence temporelle des pontifes du moyen âge, exercée par Benoît XIII, ou ses successeurs ? Nous semble-t-il que la couronne de France, pays où la légende a été proscrite, ait été l'objet de moins d'attaques que celle des souverains dans les Etats desquels elle a été admise par le clergé ? Et si par hasard, chez nous, depuis cette époque, les rois ont souffert la mort, l'exil, ou l'humiliation, est-ce Rome qui s'est montrée envers eux si impitoyable ? Ne perdons pas ce point de vue dans les diverses parties du récit qui va commencer. Beaucoup de gens vont jeter les hauts cris, comme si la puissance royale était au moment d'expirer dans l'univers entier, par le seul fait de la légende. La haine de Rome les aveugle : et Dieu les a donnés en spectacle à notre siècle, qui sait enfin que Rome n'en veut pas à la puissance des monarques ; qui semble même comprendre que si, dans les âges catholiques, elle exerça effectivement une influence temporelle sur la société, elle fut alors l'unique sauvegarde de la liberté des peuples, comme le plus solide appui de l'autorité dont elle réprimait les excès. La légende est donc tout simplement le bouclier sous lequel Rome met à couvert son honneur compromis par tant de sophismes et de déclamations. Par ce manifeste solennel, elle neutralise le mouvement aveugle qui entraîne certaines écoles sur les pas de ces auteurs hétérodoxes qui n'ont souci de l'honneur des pontifes romains, mais ont, au contraire, tout à gagner, s'ils les peuvent faire considérer comme des violateurs des lois divines et de l'ordre naturel de la société.

 

L'office de saint Grégoire VII parvint en France, peu après sa publication à Rome, comme il arrive encore aujourd'hui, quand le souverain Pontife impose de nouveaux offices ; seulement à cette époque où l'usage de la Liturgie romaine était encore presque universel en France, les décrets de ce genre devaient occuper davantage et les ecclésiastiques et les fidèles qu'il n'arrive maintenant. Comme aujourd'hui, l'office était imprimé sur une feuille volante destinée à être jointe au bréviaire, en attendant son insertion en sa place dans la prochaine édition de celui-ci. Les Nouvelles ecclésiastiques, journal du Jansénisme, signalent la librairie Coignard fils, à l'enseigne du Livre d'or, comme ayant eu l'audace de tenir en vente, à Paris, le feuillet in-8° qui recelait la légende. "Dès que parut cette légende, dit le républicain Grégoire, elle excita I'horreur de tous les hommes attachés  aux libertés gallicanes". (Essai sur les libertés de l'Église gallicane, page 99.)

 

A peine le parlement de Paris, juge souverain en matières liturgiques, eut-il connaissance de cette séditieuse manifestation des prétentions romaines, qu'il se réunit pour rendre, le 20 juillet 1729, sur les conclusions de l'avocat général Gilbert de Voisins, le même qui devait, sept ans plus tard, prendre sous sa protection le Bréviaire parisien de Vigier et Mésenguy, un arrêt portant suppression de la feuille contenant l'office de saint Grégoire VII, avec défense d'en faire aucun usage public, sous peine de saisie du temporel. Nous citerons seulement quelques phrases du réquisitoire; elles suffiront pour constater l'esprit de la première magistrature du royaume, dans cette circonstance mémorable. L'avocat général, déguisant mal la haine dont lui et son corps étaient animés contre Rome, veut faire croire que, par le seul fait de la publication de l'office de saint Grégoire VII, la nation française est à la veille de secouer le joug de ses anciens rois. Il est vrai que ceci est arrivé avant même la fin du siècle dans lequel parlait l'honorable magistrat ; mais il est fort douteux que la légende y ait été pour quelque chose.

« On savait assez, dit l'avocat général, que Grégoire VII  si célèbre par ses différends avec l'empereur Henri, est  celui qu'on a vu porter le plus loin ses prétentions ambitieuses, inouïes dans les premiers siècles de l'Église, qui causèrent de si longs troubles, et allumèrent des guerres  si cruelles de son temps.

« Mais, qu'il soit permis de le dire, ajoute-t-il, on  n'avait pas lieu de s'attendre de voir entrer dans son  éloge, et célébrer dans un office ecclésiastique, l'excès  où le conduisirent enfin des principes si dangereux.  Est-ce donc le chef-d'œuvre de son zèle, d'avoir entrepris de priver un Roi de sa couronne et de délier ses  sujets du . serment de fidélité ? Et pouvons-nous voir  sans douleur, qu'on appuie sur un fait si digne d'être  enseveli dans l'oubli, les titres qu'on lui donne de  défenseur de l'Église, de restaurateur de sa liberté, de rempart de la Maison d'Israël ?

« Pourquoi faut-il que les vestiges d'une entreprise,  dont le temps semblait affaiblir la mémoire, reparaissent aujourd'hui jusque sous, nos yeux, qu'ils viennent  encore exciter notre devoir et notre zèle ? Souffririons-nous qu'à la faveur de ce prétendu supplément du Bréviaire romain, on mît dans les mains des fidèles, dans la  bouche des ministres de la religion, jusqu'au milieu  de nos saints temples et de la solennité du culte divin,  ce qui tend à ébranler les principes inviolables et sacrés  de l'attachement des sujets à leur souverain ? »

 

Nous avons puisé une partie des pièces que nous devons citer en ce chapitre, dans un recueil publié en 1743 sur toute cette affaire. Il est intitulé : L'Avocat du Diable, Mémoires historiques et critiques sur la vie et sur la légende du Pape Grégoire VII, avec des Mémoires du même goût sur la bulle de canonisation de Vincent de Paul, instituteur des Pères de la Mission et des Filles de la charité (trois volumes in-12). L'auteur est Adam, curé de Saint-Barthélemi de Paris, appelant fameux. Il est remarquable que les jansénistes poursuivaient de la même haine saint Vincent de Paul et saint Grégoire VII ; comme pour faire mieux comprendre aux gens distraits que la même Église romaine, qui produit des Vincent de Paul pour le soulagement des misères corporelles de l'humanité, est aussi celle qui produit, suivant le besoin, des Grégoire VII pour remettre la société chrétienne sur ses véritables bases.

 

Le 24 du même mois de juillet, Daniel-Charles-Gabriel de Caylus, évêque d'Auxerre, qui venait de donner, en 1726, le nouveau bréviaire dont nous avons parlé, fidèle à l'impulsion de la magistrature, signala son zèle contre la légende, dans un mandement épiscopal adressé au clergé et aux fidèles de son diocèse. Appelant de la constitution Unigenitus, il s'était déjà essayé dans la résistance au Saint-Siège : il saisit donc avec empressement l'occasion d'outrager cette Rome, dont il ne portait le joug qu'en frémissant. Du reste, aussi zélé pour le pouvoir absolu et inamissible du prince temporel, que haineux envers l'autorité Apostolique, il donna, comme tous ceux de ses confrères dont nous citerons ci-dessous des extraits de mandement, le plus solennel démenti à certains écrivains de notre temps, qui s'obstinent à voir dans la secte de Port-Royal la première manifestation des idées soi-disant libérales.  

« Ce n'est qu'avec peine, dit le Prélat, que nous rappelons ici le souvenir des entreprises de Grégoire VII. Il  serait à souhaiter que ses successeurs eussent fait a connaître, par leur conduite, qu'ils étaient très éloignés de les approuver, et encore plus de les renouveler..... Nous serions dispensés par là de prendre de nouvelles  précautions pour nous y opposer et en démontrer l'injustice. Nous les regarderions comme une tache effacée,  et nous n'aurions garde d'aller rechercher dans l'histoire  ecclésiastique des faits qui ne sont propres qu'à déshonorer leurs auteurs, et que la sainte Eglise désavouera  toujours.

« Mais nous ne pouvons nous taire, continue M. d'Auxerre ;  ce que nous devons à l'Église universelle, au roi très-chrétien, à l'État, aux fidèles de notre diocèse et à nous-même, nous force de parler à l'occasion de l'office de  Grégoire VII.

« Ne nous arrêtons pas à remarquer ici que la sainteté  de Grégoire VII n'est point reconnue dans l'Église ;  qu'il ne paraît pas qu'on ait fait pour lui, à Rome, ce qui  s'observe dans la canonisation des saints, et que l'histoire  de son pontificat est difficile à accorder avec l'idée d'une  sainteté formée sur l'esprit et sur les règles de l'Évangile,  et digne de la vénération et du culte public des fidèles.

« Tenons-nous donc, poursuit le Prélat, inviolablement  attachés à la doctrine de la sainte antiquité, qui apprend  aux sujets que personne ne peut les dispenser de la  fidélité qu'ils doivent à leurs légitimes souverains, et  qu'il n'y a ni crainte, ni menace qui doive les empêcher  de remplir ce devoir, que la loi de Dieu leur impose ;  et aux papes comme aux évêques, qu'ils n'ont pas le  pouvoir de donner ni d'ôter les royaumes, et que, quant  au temporel, les rois ne leur sont point soumis et ne  dépendent pas d'eux, mais de Dieu seul. »

 

Assurément, c'est un grand avantage pour les souverains de ne dépendre ni du pape ni des évêques ; mais quand l'évêque d'Auxerre leur garantit qu'ils ne dépendent ici-bas que de Dieu, il exprime son désir, sans doute, mais non ce qui existe réellement; car il n'est point d'homme ici-bas qui ne se soit rencontré, et souvent même, face à face avec son supérieur. Si les rois d'aujourd'hui n'ont plus à craindre la puissance du pape (et cependant voyez comme plusieurs la redoutent encore, cette Rome désarmée), ils ont, en revanche, de dures querelles et contestations à vider avec les peuples, qui à coup sûr sont moins justes et plus intéressés dans l'affaire que ne le seraient les pontifes romains.

 

Quoi qu'il en soit, M. d'Auxerre termine son mandement en déclarant que, pour remplir toute justice, en donnant au roi de nouvelles preuves de sa fidélité et de son zèle pour la sûreté de sa personne sacrée, et pour la tranquillité de son royaume, qui pourraient être encore exposés aux derniers malheurs, si les maximes autorisées par l'office du pape Grégoire VII trouvaient créance dans les esprits, il défend à toutes les communautés et personnes séculières et régulières de l'un et de l'autre sexe de son diocèse, se disant exemptes ou non exemptes, qui se servent du Bréviaire romain, ou qui reçoivent les offices des nouveaux saints qu'on insère dans ce bréviaire, de réciter soit en public, soit en particulier, l'office imprimé, etc.

 

Ainsi, le Pape enjoint à toute l'Église de réciter l'office de saint Grégoire VII, et il se trouve un évêque qui défend à ses diocésains de se soumettre à cette injonction. Évidemment, l'un des deux est dans son tort ; car autrement que deviendrait une société qui renfermerait dans son sein des pouvoirs contradictoires, et néanmoins toujours légitimes, dans tous les cas ?

 

Le mandement de l'évêque d'Auxerre fut incontinent suivi d'un autre, publié le 3i juillet, par Charles-Joachim Colbert, évêque de Montpellier, si fameux par le catéchisme auquel il a donné son nom, et par son obstination dans les principes des appelants. On se rappelle, sans doute, son zèle à faire adopter dans son diocèse le nouveau Bréviaire de Paris, et la courageuse opposition du chapitre à cette mesure. Nous ne fatiguerons point le lecteur de toutes les déclamations que ce mandement renferme contre lès prétentions romaines; nous extrairons seulement les qualifications qu'il applique à un acte du souverain Pontife. La Légende de saint Grégoire VII est condamnée comme "renfermant une doctrine séditieuse, contraire à la parole de Dieu, tendante au schisme, dérogeante à l'autorité souveraine des rois, et capable d'empêcher la conversion des princes infidèles et hérétiques". Il en défend l'usage, sous les  peines   de droit ; ordonne, sous les mêmes peines, qu'on en porte les exemplaires à son secrétariat, et il exhorte son clergé à demeurer inviolablement attaché à la doctrine des quatre articles de l'assemblée de 1682.

 

Ce n'était pas assez encore. Le 16 août, parut le mandement publié sur la même matière par Henri-Charles de Coislin, évêque de Metz, connu aussi par son attachement aux principes de la secte qui troublait  alors l'Église de France, et qui avait mis sa plus chère espérance dans les doctrines de la Déclaration de 1682.

 

Après un sombre tableau des malheurs qui ne manquèrent pas d'ensanglanter le monde, chaque fois qu'il arriva à un souverain Pontife de faire usage de l'autorité spirituelle, pour venger certains grands crimes sociaux, tableau qu'on pourrait comparer, avec assez d'avantage, à ceux qu'on rencontre de temps en temps dans l’ Essai sur les Mœurs, de Voltaire ; même intelligence de l'histoire, même équité envers l'Église : l'évêque de Metz ajoute, avec une gravité solennelle :  "L'expérience de tant d'événements funestes, qui avaient pris leur source dans les entreprises de Grégoire VII, semblait avoir depuis longtemps arrêté le cours de cet embrasement : mais il en a paru depuis une étincelle qui serait capable de le rallumer, si chacun de ceux que le Père céleste a mis à la garde de sa maison n'accourait, pour en prévenir la communication dans la portion du troupeau qui lui a été confiée."

 

Ainsi, il est bien démontré que c'est le pape qui met le feu à l'Église, tandis que Messieurs d'Auxerre, de Montpellier, de Metz, et plus tard Messieurs de Verdun, de Troyes, de Castres, et d'autres encore, font tout ce qu'ils peuvent pour l'éteindre.

« Il vient de se répandre, dit encore l'évêque de Metz, une feuille imprimée pour servir de supplément au Bréviaire romain, et dans cette feuille qui contient un office consacré à la mémoire de Grégoire VII, les prélats et les premiers magistrats du royaume ont aperçu ce qu'il y a de plus capable d'inspirer l'excès des prétentions ultra-montaines. On lit dans la cinquième leçon de cet office, que ce pape résista courageusement, etc.

« La connaissance que nous avons, nos très chers frères, de votre zèle pour la personne du Roi, et de votre fidèle attachement au service de Sa Majesté, et à l'obéissance que vous devez à vos souverains, ne nous laisse aucun lieu de douter que vous ne soyez touchés aussi sensiblement que nous l'avons été, en voyant dans ce peu de paroles un dessein ferme de proposer au clergé et aux peuples, comme un éloge destiné à rendre croyable la sainteté d'un pape, ce qui, suivant les principes de la foi et les lumières de la raison, ne devrait servir qu'à la condamnation de son gouvernement.

« Votre piété, sans doute, s'est sentie d'autant plus blessée, que cet étonnant office a été rendu public, sous les apparences d'une autorité empruntée de celle du Saint-Siège. Mais cette vue ne doit point alarmer votre vénération pour ce premier siège de l'Église.

« Le saint pontife, que la Providence a placé sur la Chaire de saint Pierre, n'a eu nulle part à la composition, encore moins à la publication de cet artificieux ouvrage. Il a appris, dans l'école de ce chef des Apôtres, le respect et l'obéissance qui est due aux souverains. Il préfère à cet égard les instructions et l'exemple de saint Grégoire le Grand, à la conduite et aux entreprises de Grégoire VII L'humilité du serviteur des serviteurs de Dieu éloigne de son cœur les pensées de maître des sceptres et des couronnes ; et sa sagesse est trop éclairée, pour ne pas voir qu'une prétention si mal fondée n'est capable que d'aigrir les princes et d’indisposer les peuples. »

 

On ne disconviendra pas que ces leçons données au chef de l'Église, par un  simple évêque, ne dussent produire un très grand effet sur les peuples auxquels était adressé le mandement ; quant à Benoît XIII lui-même, que M. de Metz appelle un saint pontife, jugement que l'histoire a du moins confirmé, il ne parut pas fort disposé à laisser croire que les actes les plus importants de son gouvernement s'accomplissaient à son insu.

 

Nous verrons bientôt l'énergique réponse qu'il fit à ces insolentes provocations.

 

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXI : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU DIX-HUITIÈME SIECLE. — AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII

 

Benedict XIII

Bust of Pope Benedict XIII, by Pietro Bracci, Palazzo Venezia, Rome

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 12:30

Nous venons d'entendre le témoignage des historiens contemporains, sur l'opinion de sainteté qui environnait Grégoire VII durant sa vie, et après sa mort ; suivons maintenant à travers les siècles les différentes manifestations de cette persuasion qui, plus tard, devaient motiver le jugement infaillible du Saint-Siège.

 

Soixante-dix ans s'étaient à peine écoulés depuis le jour où le glorieux athlète de l'Eglise expirait dans l'exil, que déjà un de ses successeurs qui a laissé une mémoire vénérable, Anastase IV, plaçait son image parmi celles des Saints, sur la mosaïque de la chapelle de Saint-Nicolas, au palais patriarcal de Latran.

 

Le corps de Grégoire avait été enseveli par les soins de Robert Guiscart, ou de Roger, son fils, dans un tombeau de marbre, et placé dans la cathédrale de Salerne, déjà célèbre comme possédant les reliques de l'apôtre et évangéliste saint Matthieu. Orderic Vital, historien du XIe siècle, que nous avons cité plus haut, parle de l'affluence des pèlerins au tombeau du saint pape, et des grâces de santé que l'on y recevait. Une chronique, rédigée par ordre de Cencius Savelli, camérier apostolique, qui fut pape en 1216, sous le nom d'Honorius III, atteste pour son temps la continuation du  culte de saint Grégoire VII et des prodiges opérés par son intercession ; et lorsque, vers la fin du même siècle, Jean de Procida dota et fit décorer avec magnificence la chapelle dite de Saint-Michel, dans la cathédrale de Salerne, il est naturel de penser, avec Papebrock, qu'il avait en vue de manifester sa dévotion envers le pontife qui reposait dans cette même chapelle, où il était l'objet du culte des peuples attirés par le bruit des merveilles qui s'y opéraient.

 

Le corps de saint Grégoire VII continuait toujours d'être l'objet de la vénération des habitants de Salerne, sans pourtant que cette vénération se répandît beaucoup au dehors de la province du royaume de Naples où est située cette ville, lorsqu'en 1574, le cardinal Marc-Antoine Marsile Colonna monta sur le siège qu'avait occupé saint Alphane, l'ami de notre saint pontife. La Providence avait dessein de se servir de lui pour accroître encore le culte jusque-là décerné au serviteur de Dieu, et pour en préparer les développements. Le prélat fit l'ouverture du tombeau, et il y trouva les précieux restes du saint pontife conservés presque en entier, avec les ornements pontificaux dont on l'avait revêtu lors de sa sépulture. C'est ce qu'il atteste par une inscription qui se lit encore dans la cathédrale de Salerne, et qui est conçue en ces termes :

Gregorio VII Soanensi P. O. M. Ecclesiasticœ libertatis vindici acerrimo, assertori constantissimo : qui dum Rom. Pontifias auctoritatem, adversus Henrici perfîdiam strenne tuetur, Salerni sancte decubuit, anno Domini M LXXXV, VIII Kal. Junii. Marais Antonius Colamna Marsilius, Bononiensis, Archiepiscopus Salerni tamis,   cum    illius  corpus, post quingentos circiter annos, sacris amictum et fere integrum reperisset, ne tanti Pontificis sepulchrum memoria diutius careret. Gregorio XIII Bononiense sedente. Anno Domini MDLXXVIII. Pridie Kalendas Quintilis.

 

Le pieux cardinal mourut en 1582, et n'eut pas la consolation de voir consommée l'œuvre de la canonisation du saint pontife. Elle eut lieu deux ans après, par l'autorité de Grégoire XIII, qui inséra le nom de Grégoire VII au Martyrologe romain, avec cet éloge : Salerni, Depositio B. Gregorii Papœ septimi qui Alexandro secundo succedens, ecclesiasticam Libertatem a superbia principum suo tempore vindicavit, et viriliter Pontificia auctoritate defendit.

 

Cette sorte de canonisation, sans procès préalable, est distincte de la canonisation appelée formelle, et est désignée sous le nom d’équipollente. Elle a lieu lorsque le souverain Pontife décerne le culte public à un personnage déjà en possession d'honneurs religieux que lui rend la piété des fidèles, en même temps que l'héroïsme de ses vertus et la vérité de ses œuvres miraculeuses sont certifiés par le témoignage d'historiens dignes de foi. Cette canonisation a la même autorité que la canonisation formelle, et outre que le culte de presque tous les saints qui ont vécu dans l'Église avant l'institution des procédures aujourd'hui en usage, ne repose que sur un jugement du même genre, il est un grand nombre de saints parmi ceux qui ont fleuri dans l'Église,depuis que le Siège apostolique s'est réservé les causes de canonisation, qui n'ont cependant été inscrits au catalogue des saints que de cette manière équipollente ; tels sont, par exemple, saint Romuald, saint Norbert, saint Bruno, saint Pierre Nolasque, saint Raymond Nonnat, saint Ferdinand III, saint Jean de Matha, sainte Marguerite d'Ecosse, saint Etienne de Hongrie, etc. L'ignorance des règles de l'Église romaine a donc pu seule faire dire à certains auteurs jansénistes et non jansénistes, que saint Grégoire VII était honoré par l'Église, sans avoir été canonisé, puisque l'on en devrait dire autant des illustres saints que nous venons de nommer : conséquence à laquelle, sans doute, ces auteurs se refuseraient.

 

Quant à ce que l'on a prétendu, que Grégoire XIII avait voulu diriger l'effet de cette canonisation contre Henri de Bourbon,qui poursuivait alors la couronne de France, recommandant ainsi la mémoire d'un pontife qui avait foulé sous ses pieds un autre Henri, aussi quatrième du nom, il semble qu'il n'est pas besoin de recourir à cette explication. La translation du corps de saint Grégoire VII, par l'archevêque de Salerne, dans un moment où Grégoire XIII s'occupait de l'édition du martyrologe, était suffisante, avec la possession du culte antérieur, pour engager ce dernier pape à définir enfin la sainteté du glorieux confesseur de Salerne.

 

Sixte-Quint, successeur de Grégoire XIII, fit quelque changement à la formule consacrée par son prédécesseur à notre saint pape,  dans  le martyrologe ;  il adopta cette phrase qui est restée dans l'édition de Benoît XIV, et les suivantes : Salerni, DepositioB. Gregorii Papce septimi, ecclesiasticœ libertatis propugnatoris ac defensoris acerrimi.

 

Bientôt après, sous Clément VIII, en 1505, le corps de saint Grégoire VII fut tiré du sépulcre que lui avait consacré le cardinal Colonna, et placé sous un autel, toujours dans la même chapelle de Saint-Michel. Il paraît même que ce fut alors, Mario Bolognini étant archevêque, que le chef fut séparé du reste du corps pour être renfermé dans un reliquaire spécial.

 

Sous le, pontificat du même Clément VIII, Baronius fit paraître le onzième tome de ses Annales, où il célébra et vengea tout à la fois, avec son éloquente érudition, la mémoire de saint Grégoire VII. Un peu avant lui, Bellarmin, dans ses controverses, et spécialement au livre quatrième, de Romano Pontifice, avait eu pareillement l'occasion de faire cette grande justice. Ainsi, les deux plus illustres écrivains du catholicisme, à cette époque de géants, se montraient préoccupés de la gloire du saint pontife : mais jusque-là les hérétiques seuls s'étaient levés pour la flétrir.

 

Du moment où le nom de saint Grégoire VII fut inséré au martyrologe, le chapitre de la cathédrale de Salerne, que le saint pape avait autrefois comblé de privilèges, accordant à ses membres la chape rouge et la mitre, fut autorisé à célébrer solennellement son office. Mais d'abord il ne fut récité que suivant le rite commun des confesseurs pontifes, jusqu'à ce qu'en 1609, à la prière du même chapitre et de l'archevêque Jean Beltramini, Paul V, par un bref qui commence ainsi : Domini Jesu Christi, accorda un office propre dont les Leçons se retrouvent en grande partie dans celles qui furent publiées, en 1728, par Benoît XIII, et dont  nous  allons bientôt parler.

 

L'archevêque Beltramini fit, vers le même temps, ériger une statue remarquable du saint pape dans la cathédrale de Salerne, et, ayant été transféré à un autre siège, il eut pour successeur le cardinal Lucius San Severino, non moins zélé que lui pour la garde du saint dépôt confié à son Église. Il en donna une preuve solennelle en 1614, faisant construire un nouvel autel à saint Grégoire VII, et y plaçant solennellement son corps ; ce que l'on doit compter pour la troisième translation de ces précieuses reliques : la première par le cardinal Marsile Colonna; la seconde par Mario Bolognini ; enfin, celle dont nous parlons ici, accomplie par le cardinal San Severino, laquelle est attestée par une inscription conçue en ces termes, qu'il fit placer dans la cathédrale de Salerne : Ego Lucius Sanseverinus, Archiepiscopus Salernitanus, altare hoc in honorent B. Gregorii Papae VII consecravi ; ejusque sacrum corpus in eo inclusi ; prcesentibus, annum unum, anniversaria deinceps consécrations die, ipsum pie visitantibus, quadraginta dies verœ indulgentiae de Ecclesiœ more, concessi. A. D. MDCXIV, die IV mensis Maii.

 

Ce fut peut-être  à  cette occasion, ou du moins peu auparavant, qu'un bras du saint pape fut distrait pour être donné à la ville de Soana, en Toscane, patrie de saint Grégoire VII, laquelle avait député deux ambassadeurs vers le chapitre de la cathédrale de Salerne, avec les lettres de recommandation du Grand-Duc, qui joignait ses instances à celles de la ville.

 

Vers la même époque, le savant jésuite Jacques Gretser, dont les immenses travaux ne sont point assez appréciés aujourd'hui, publia une docte apologie des actions et de la personne de saint Grégoire VII. Dans cette importante discussion, il n'allègue pas moins de cinquante écrivains à l'appui des éloges qu'il donne au Pontife, et le venge d'une manière victorieuse des imputations qu'avaient lancées contre lui et les schismatiques du XIe siècle, et les hérétiques du XVIe.

 

Vers le milieu du XVIIe siècle, Alexandre VII établit l'office de saint Grégoire VII dans les basiliques de Rome, sans cependant l'insérer encore au Bréviaire de l'Église romaine. Mais ce siècle devait être fameux par les attaques portées au saint pontife, non plus seulement de la part des protestants, mais de la part des juristes, et surtout des théologiens et canonistes gallicans. Nous nous contenterons de rappeler le trop fameux Edmond Richer, dans son livre de Ecclesiastica et politica potestate ; Ellies Dupin, dans son Traité de la puissance ecclésiastique, et  Bossuet, dans sa Défense de la déclaration de 1682, ouvrage dont le grave et impartial Benoît XIV a dit :  Il serait impossible de trouver un livre qui soit  plus opposé à la doctrine reçue en tous lieux, excepté en  France, sur l'infaillibilité du Souverain Pontife, définissant ex Cathedra, sur sa supériorité à l'égard de  tout concile œcuménique, sur le domaine indirect a qu'il a sur les droits temporels des souverains,  quand l'avantage de la Religion et de l'Eglise le  demande."

 

Cependant, de tous les auteurs gallicans du dix-septième siècle qui écrivirent contre saint Grégoire VII, celui dont la hardiesse fit le plus d'éclat à raison du châtiment qui lui fut infligé par le Saint-Siège, est le P. Noël Alexandre. Il avait publié les dix premiers siècles de son Histoire ecclésiastique, et mérité jusque-là les éloges du pape Innocent XI, qui occupait alors la Chaire de saint Pierre, et qui avait daigné lui faire parvenir le témoignage le plus flatteur de sa satisfaction pour l'érudition et l'orthodoxie qui, jusqu'alors, avait présidé à cette œuvre. Arrivé aux événements du XIe siècle, Noël Alexandre consacra deux dissertations à faire ressortir les torts qu'avait eus, selon lui, un pontife déjà placé sur les autels. Innocent XI, celui qui n'avait pas fléchi devant le grand roi, crut devoir manifester énergiquement l'indignation que lui inspirait une semblable conduite de la part d'un religieux. Il rendit un décret, en date du 13 juillet 1684, par lequel il condamnait  le volume  qui renfermait  ces dissertations, et, afin de témoigner plus énergiquement encore le déplaisir que le Saint-Siège avait ressenti, tous les écrits du même auteur furent proscrits, avec défense de les lire, retenir, ou imprimer, sous peine d'excommunication. Ce fut ainsi qu'un Pontife, déclaré Vénérable par la congrégation des Rites, à cause de ses grandes vertus, se montra jaloux de l'honneur de son saint prédécesseur, dont la mémoire allait bientôt être en butte à de nouveaux outrages, en attendant les honneurs que lui réservait le XIXe siècle.

 

Au reste, Noël Alexandre n'attendit pas longtemps la réfutation de ses thèses gallicanes ; un religieux, dominicain comme lui, François d'Enghiel, publia peu après un livre très solide, au jugement de Benoît XIV, et intitulé : Auctoritas Sedis Apostolicœ pro Gregorio Papa VII vindicata, adversus Natalem Alexandrum Ordinis Prœdicatorum Doctorem Theologum.

 

Dom Mabillon, dans la publication des Acta sanctorum Ordinis sancti Benedicti, eut aussi à produire la vie et les actes de notre saint pape. Le deuxième tome du VIe siècle bénédictin parut en 1701 ; mais l'illustre éditeur sut franchir ce pas devenu difficile, sans manquer ni à la prudence ni à la fidélité de l'historien catholique.

 

Cependant Clément XI, à la prière du cardinal Gabrielli, dont la conduite avait été si ferme dans l'affaire de la Régale, accorda, en 1705, à l'ordre de Cîteaux le privilège de faire l'office de saint Grégoire VII, et cinq ans après, le même pontife concéda la même grâce à l'ordre de Saint-Benoît, sur les instances du procureur général de la congrégation du Mont-Cassin. Ces différentes concessions d'office ne firent aucun bruit ; mais lorsque, par un décret du 25 septembre 1728, Benoît XIII eut ordonné d'insérer la fête de saint Grégoire VII au missel et au bréviaire, et enjoint à toutes les églises du monde de la célébrer, un grand orage s'éleva dans plusieurs États de l'Europe, et particulièrement en France.

 

Il est évident, sans doute, que dans l'établissement de cette fête et la promulgation universelle de la Légende si remarquable qui devait se lire dans l'office, Rome se proposait un but ; nous n'avons garde d'en disconvenir. Mais nous dirons, en premier lieu, que c'est un assez beau spectacle pour nous, hommes de ce siècle, de voir au moment où d'absurdes préjugés commençaient à éclipser toute vérité historique sur le moyen âge, où une philosophie menteuse et sans intelligence foulait aux pieds les plus salutaires enseignements du passé ; de voir, disons-nous, Rome arracher par un acte courageux à ce naufrage universel, le nom vénérable d'un héros de l'humanité, en qui le siècle suivant devait saluer, avec enthousiasme, le vengeur de la civilisation et le conservateur des libertés publiques, aussi bien que des libertés ecclésiastiques. C'était là, certes, un progrès, et d'autant plus méritoire que le Pontife qui s'en portait l'auteur ne pouvait ignorer que l'autorité du Saint-Siège, déjà si affaiblie, allait encore devenir à cette occasion même l'objet de nouvelles attaques.

 

Nous dirons en second lieu, et sans détour, que Rome avait bien, par cet acte, quelque intention de pourvoir à son honneur outragé dans la fameuse Déclaration de l'Assemblée du Clergé de 1682, et dans tout ce qui s'en était suivi en France de la part des deux autorités. Le roi Louis XIV avait, il est vrai, promis de révoquer son édit pour l'enseignement des quatre Articles, et, tant qu'il avait vécu, on avait tenu à l'exécution de cet engagement, qui, joint à la lettre de réparation des évêques de l'assemblée du pape, avait été la condition nécessaire de l'institution canonique des prélats nommés depuis plus de dix ans aux sièges vacants. Mais déjà les promesses n'étaient plus exécutées ; les universités faisaient chaque jour soutenir dans leur sein des thèses dans lesquelles les doctrines romaines étaient attaquées, l'autorité apostolique circonscrite dans des bornes arbitraires, la conduite des plus saints papes taxée de violence aveugle, et signalée comme contraire au droit naturel et divin.

 

Il était temps que la grande voix du Siège apostolique se fît entendre, et qu'elle protestât du moins contre l'audace sans cesse croissante de ces docteurs toujours prêts à restreindre les limites du pouvoir spirituel, en même temps qu'ils enseignaient avec tant de complaisance l’inamissibilité du pouvoir royal. Heureusement l'Église a eu de tout temps, dans sa Liturgie, un moyen de répression contre les entreprises téméraires qu'on a osées sur sa doctrine ou contre son honneur. Ce qu'elle confesse dans la prière universelle, devient règle pour ses enfants, et comme nous l'avons fait voir dans cette histoire, si quelques-uns ont cherché à s'isoler des formules qu'elle consacre, c'est qu'ils sentaient avec quelle irréfragable autorité elle impose, dans ce bréviaire, dans ce missel si odieux, ses jugements sur les doctrines, sur les personnes et sur les institutions. Benoît XIII eut donc intention, en étendant à l'Église universelle l'office de saint Grégoire VII, de faire un contrepoids aux envahissements du gallicanisme qui, de jour en jour, augmentaient de danger et d'importance, à raison surtout des efforts d'une secte puissante et opiniâtre qui menaçait de plus en plus l'existence de la foi catholique au sein du royaume de France. Si Rome laissait flétrir plus longtemps la mémoire des plus saints pontifes des siècles passés, elle donnait gain de cause à ces hommes audacieux qui criaient sur les toits qu'elle avait renouvelé ses prévarications, et qu'Innocent X,   Alexandre VII, Clément XI, n'étaient ni plus ni moins coupables  que Grégoire VII, Innocent III   et tant d'autres.

 

Écoutez plutôt un des fidèles organes de la secte :

" Au premier coup d'œil, on saisit la connexité de doctrine entre les brefs d'Innocent XI et d'Alexandre VIII,  contre l'assemblée de 1682 ; la Proposition quatre-vingt-onze, concernant l'excommunication, censurée par la  Bulle Unigenitus, et cette légende contraire aux vérités  révélées qui enjoignent aux papes comme aux autres  individus de la société, la soumission à l'autorité  civile." (Grégoire.  Essai historique  sur les Libertés  de l'Église gallicane, page 98.)

 

Mais il est temps de révéler au lecteur cette monstrueuse légende qui mettait ainsi en péril les vérités révélées.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXI : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU DIX-HUITIÈME SIECLE. — AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII

 

Bulle Unigenitus de Clément XI

Bulle Unigenitus de Clément XI condamnant le jansénisme, 8 septembre 1713

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11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 12:30

Telle fut la situation fausse dans laquelle les novateurs placèrent la Liturgie en France, qu'on les entendit eux-mêmes rendre témoignage contre leur œuvre, et s'unir aux partisans de l'antiquité qui regrettaient la perte des livres grégoriens.

 

Nous plaçons ici un épisode liturgique du plus haut intérêt pour l'histoire que nous écrivons. L'affaire de la légende de saint Grégoire VII est tout aussi ignorée aujourd'hui que la plupart des faits qu'on a lus dans les précédents chapitres, et nous ne donnerions au lecteur qu'une connaissance imparfaite du siècle que nous avons à faire connaître sous le rapport liturgique, si nous passions sous silence un fait d'une si haute portée.

 

Cet épisode étant d'une dimension considérable, nous l'avons entièrement détaché du récit principal, qu'il eût entravé d'une manière gênante ; nous ne doutons pas cependant que la grande scène que nous allons dérouler n'intéresse ceux qui auront eu le courage de nous suivre jusqu'ici.

 

Un des noms les plus glorieux de l'histoire est sans contredit aujourd'hui le nom du grand pontife saint Grégoire VII. Une justice tardive, mais éclatante, a été rendue à ce héros de l'Église et de l'humanité, et l'on peut même dire que sa gloire croît encore tous les jours. Pour aider à mettre dans toute son évidence ce phénomène providentiel, nous avons voulu, dans le présent chapitre, raconter une faible partie des outrages que ce grand homme, que cet admirable saint a essuyés, non de la part des protestants et des philosophes du dernier siècle (ceci serait moins instructif), mais de la part de plusieurs qui, prétendant appartenir toujours à l'Église romaine, n'ont pas craint de récuser, comme intéressé, l'auguste jugement par lequel elle inscrivait au rang des saints et proposait à la vénération universelle, ce pontife véritablement apostolique.

 

Il est bon que certains faits caractéristiques d'une époque, et propres à montrer en action certains principes, soient impartialement enregistrés et publiés, dans la crainte que ces mêmes faits, venant à se perdre, les leçons importantes qu'on en peut tirer ne soient en même temps perdues. Que si quelque défaveur devait, de nos jours encore, poursuivre celui qui ose plaider une pareille cause nous l'acceptons d'office, tout indigne que nous en sommes, et nous nous levons sans crainte pour venger celui qui,avec son auguste prédécesseur saint Grégoire Ier, est et demeurera le plus grand des Papes que l'ordre bénédictin ait fourni à l'Église.

 

Nous oserons dire ici quelque chose des motifs personnels qui nous obligent à défendre et à honorer la mémoire de saint Grégoire VII. Si nos lecteurs se souviennent que ce grand Pontife, moine de Saint-Pierre-de-Cluny, est une des gloires de la France bénédictine, qu'avant de monter sur la Chaire de saint Pierre, il occupa le siège abbatial de l'insigne monastère de Saint-Paul extra mœnia Urbis, ils comprendront la nature des sentiments que nous dûmes éprouver lorsqu'en 1837, appelé, malgré notre indignité, par le souverain Pontife Grégoire XVI, successeur de Grégoire VII et enfant de saint Benoît, à recueillir la succession des abbés de Cluny, nous émettions notre profession solennelle entre les mains de l'abbé de Saint-Paul, successeur, lui aussi, de l'héroïque Hildebrand. Puisse le glorieux Pontife, devenu si particulièrement notre père, allumer dans notre faible cœur quelques étincelles de son ardent amour pour l'Église de Jésus-Christ, et nous donner quelque part à cette complète abnégation avec laquelle il la servit toujours ! 

 

Nous ne donnerons point ici l'histoire de saint Grégoire VII. Elle est écrite partout ; dans ses admirables lettres conservées en si grand nombre par les soins d'une Providence toute particulière ; dans ses œuvres généreuses qui ont sauvé l'Église, et sur lesquelles elle s'appuie encore aujourd'hui ; dans les récits pleins d'admiration et, certes, aussi de désintéressement que lui consacrent aujourd'hui tant d'écrivains non suspects. Tout le monde la sait aujourd'hui cette histoire. Nous nous proposons donc seulement ici de traiter la question liturgique de saint Grégoire VII, c'est-à-dire, le culte décerné par l'Église à cet illustre pontife, et les divers incidents qui se sont rencontrés dans son établissement et dans son progrès.

 

L'idée de la haute sainteté de Grégoire VII était déjà répandue en son vivant, et ne fit que s'accroître après sa mort. En vain les schismatiques fauteurs de l'empereur Henri IV, ayant à leur tête le fougueux Bennon, archi-prêtre cardinal de l'antipape Guibert, s'efforcèrent de flétrir sa mémoire : en vain, pour expliquer la supériorité de son génie, ils l'accusèrent d'avoir commerce avec Satan, au point, disaient-ils, que lorsqu'il agitait ses manches, des étincelles de feu tombaient avec abondance ; en vain, ils le traitèrent de faux prophète et l'accusèrent de n'avoir point assez ménagé l'empereur ; le silence qu'ils gardent sur ses mœurs n'en atteste que plus énergiquement, suivant la remarque de Fleury lui-même (Hist. ecclés., livre 63, XXIV.), l'intégrité morale du saint pape et la haute estime qu'on faisait de sa vertu.

 

Du reste, le témoignage des hommes pieux qui l'avaient connu ne manqua point à sa défense. Le courageux saint Anselme de Lucques, son ami fidèle, vengea sa mémoire dans le livre qu'il a dirigé contre l'anti pape Guibert. Saint Pierre Damien, qui l'avait connu durant de longues années, le qualifie un homme très pur et très saint dans ses conseils. Saint Alphane, archevêque de Salerne, dans une Ode remplie de la plus mâle poésie, le compare aux saints Apôtres. Le B. Victor III qui, après avoir professé comme lui la règle de saint Benoît, fut son successeur sur la Chaire de saint Pierre, atteste qu'il illustra l'Église du Christ autant par ses exemples que par ses vertus. Saint Anselme, archevêque de Cantorbéry ; saint Gébehard, archevêque de Salzbourg, et un autre saint Gébehard, évêque de Constance, tous personnages contemporains, s'unissent à ceux que nous venons de nommer avec un accord admirable ; en sorte que l'on trouverait difficilement un saint dont la sainteté soit attestée par un si grand nombre de saints contemporains. Il semble que la sagesse divine, prévoyant les outrages dont il devait être l'objet, se soit plu à entourer son nom des plus augustes témoignages, préparant ainsi à l'avance la meilleure de toutes les réponses aux blasphèmes qui devaient plus tard être proférés.

 

Consultons maintenant les historiens contemporains de Grégoire VII, et recueillons les expressions par lesquelles ils terminent le récit de ses travaux et de ses tribulations. Le premier que nous citerons est Paul, chanoine de Bernried, qui écrivit, vers 1131, la vie du saint pape :

" Ainsi, dit-il, rempli de la grâce septiforme, l'esprit du  septième Grégoire qui avait repris le monde et ses  princes sur le péché, l'injustice et le jugement, fortifié  de la nourriture divine qu'il venait de recevoir, s'élançant dans la voie céleste, et porté, comme Elie, sur le  char de feu à cause de son zèle pour les intérêts divins, dans le jour même consacré à la mémoire d'Urbain, son prédécesseur, augmenta d'une manière excellente l'allégresse de ce saint pontife et celle de tous les Bienheureux qui, avec le Christ, se réjouissent dans la gloire  du ciel ; en même temps qu'il laissait abîmée, dans une  douleur profonde, l'Eglise qui poursuit sur la terre  son pèlerinage."

 

« A la mort de Grégoire, dit Bertold, également contemporain, dans sa chronique, les fidèles des deux  sexes furent dans le deuil, mais principalement les  pauvres ; car il était le très-zélé docteur de la religion  catholique, et le défenseur le plus intrépide de la liberté  ecclésiastique. Il ne voulut pas que l'ordre du clergé  restât avili aux mains des laïques, mais qu'il occupât,  au contraire, le premier rang, par la sainteté des mœurs  comme par sa dignité sacrée."

 

« Cependant, dit le poète Domnizone, témoin de  l'événement, des cris de douleur se font entendre; ils  sont causés par le trépas du pontife Grégoire, que le  Seigneur Christ vient d'enlever aux cieux, sept jours  avant la fin de mai. Les moines le pleurent, parce qu'il  était moine lui-même ; les clercs sont dans les larmes,  et plongés dans le deuil sont aussi les laïques dont la  foi est pure de tout contact avec les schismatiques."

 

Hugues de Flavigny, dans sa précieuse Chronique, termine ainsi l'histoire de notre grand pontife, qui l'avait honoré de son amitié : "Ainsi, martyr et confesseur, l'an de l'Incarnation du Seigneur mil quatre-vingt-cinq, il rendit son âme au Créateur."

 

Tel apparaît le jugement des contemporains de Grégoire dans les diverses relations qu'ils nous ont laissées de sa vie et de ses actes. Il est clair, d'après cela, que la vénération publique ne devait pas tarder à se manifester envers lui, et à préparer les bases de ce culte immémorial que plus tard le Siège apostolique devait reconnaître et sanctionner.

 

Au reste, les prodiges qui, plus d'une fois pendant sa vie, avaient rehaussé la grandeur de ses actions, éclataient encore à son tombeau. Paul de Bernried les rapporte avec toute l'autorité et aussi la simplicité d'un témoin oculaire. Lambert de Schafnabourg, qui ne conduit sa chronique que jusqu'à la quatrième année de Grégoire, atteste l'existence de faits miraculeux qui servaient, dit-il, puissamment à confondre les ennemis du saint pontife. Orderic Vital, dans son Histoire ecclésiastique, parle, comme d'un fait avéré, de la guérison de plusieurs lépreux au moyen de l'eau qui avait touché le corps de Grégoire. Enfin, on peut voir sur cet article la discussion assez brève, mais lumineuse, de Benoît XIV, en son traité de la Canonisation des Saints.

 

Mais croirait-on que des écrivains catholiques aient pu se rencontrer, dans ce siècle même, qui ont tiré scandale des épreuves par lesquelles la divine justice purifia l'âme de son serviteur, et dont la foi vacillante n'a pas vu toute la portée de ces adversités précieuses qui, en sauvant la sainte cause de la liberté de l'Église, assuraient au pontife expirant la récompense et la mémoire des martyrs. J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité ; c'est pourquoi je meurs dans l'exil ! disait Grégoire sur son lit de mort. Mais le Sauveur lui-même, qui avait passé en faisant le bien, et guérissant toute langueur et toute infirmité, ne s'est-il pas senti abandonné de son Père, au point qu'il criait : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous délaissé ? Cependant ses ennemis, témoins de son agonie, disaient en branlant la tête : S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la Croix. Ils croyaient peut-être que le salut du monde pouvait s'opérer sans l'immolation de la Victime. Ceux dont nous parlons ne savaient pas non plus apparemment que la liberté ecclésiastique ne pouvait être sauvée sans qu'il en coûtât la vie et l'honneur de son défenseur. Grégoire devait succomber pour le salut de plusieurs ; son nom devait donc être maudit ; car le disciple n'est point au-dessus du maître (Matth., X, 24.).

 

Qu'on ne nous dise donc plus : "La cause de Grégoire VII n'était pas celle de Dieu car ses entreprises hardies ne reçurent point la consécration du succès". Nous, nous répondrons par ces paroles du grand Baronius, qui terminent le récit de la mort sublime de notre héros : 

" Ainsi, c'est par des persécutions sans fin, des angoisses  de tout genre, souvent même par le  meurtre de ses prêtres, que l'Église reçoit une heureuse paix, que la  liberté ecclésiastique s'acquiert et se consolide, que le  salut des âmes est opéré. Ainsi, le Christ a instruit ses  pontifes à combattre et à vaincre, lui dont les souffrances et les infirmités font la force et le courage des  fidèles, lui dont la mort est leur vie. Je me trompe, ou  l'expérience des siècles a démontré jusqu'au temps présent que c'est aux travaux de Grégoire qu'il faut rapporter et les investitures des églises arrachées aux mains  des Princes, et la libre élection des pontifes romains  restituée, et la discipline ecclésiastique relevée de ses  ruines, et tant d'autres avantages innombrables assurés  à l'Église."

 

Oui, certes, Grégoire a été vaincu suivant la chair ; comme le Fils de l'Homme, il s'est vu n'ayant pas où reposer sa tête ; il s'est éteint dans l'humiliation, tellement que les hommes l'ont réputé frappé de la main de Dieu ; mais pour lui aussi, la mort, d'abord victorieuse, est demeurée ensevelie dans son triomphe. Son nom, sa gloire, ses mérites ont inspiré, ont soutenu dans la défense laborieuse des libertés ecclésiastiques, non seulement l'incomparable Thomas de Cantorbéry, dans sa lutte contre un roi d'Angleterre, mais tant d'illustres papes qui ont su se poser comme un rempart pour la maison d'Israël ; Pascal II contre l'empereur Henri V ; Innocent IV contre Frédéric II ; Boniface VIII contre Philippe le Bel ; Grégoire XIII, Sixte-Quint, Grégoire XIV et Clément VIII, contre Henri de Bourbon ; Innocent XI contre LouisXIV ; Clément XIII contre les cours de Madrid, de Lisbonne, de Naples, de Parme ; Pie VII contre Napoléon ; Grégoire XVI contre Frédéric-Guillaume.

 

Nous venons d'entendre le témoignage des historiens contemporains, sur l'opinion de sainteté qui environnait Grégoire VII durant sa vie, et après sa mort ; suivons maintenant à travers les siècles les différentes manifestations de cette persuasion qui, plus tard, devaient motiver le jugement infaillible du Saint-Siège.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXI : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU DIX-HUITIÈME SIECLE. — AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII

 

Gregorius Papa VII

Gregorius Papa VII - initiale ornée - Registrum

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10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 12:30

C'est assez parler des nouveaux livres de chant par lesquels furent remplacées les mélodies grégoriennes ; nous n'ajouterons plus qu'un mot au sujet du trop fameux plain-chant figuré, que nous avons signalé ailleurs à l'animadversion de nos lecteurs, et qui prit une nouvelle vogue à cette époque de débâcle universelle des anciennes traditions sur le chant.

 

On vit éclore une immense quantité de compositions en ce genre ; d'abord des centaines de proses nouvelles, fades pour la plupart, quand elles n'étaient pas de pures chansonnettes, à la façon de la Régence.

 

Cette époque produisit aussi l’insipide recueil connu sous le nom de la Feillée, qui est encore regardé comme le type du beau musical dans plusieurs de nos séminaires de province. Nous nous bornerons à insérer ici le jugement de Rousseau sur cette ignoble et bâtarde musique dont le charme malencontreux a si tristement contribué à distraire les chantres français de la perte désolante du répertoire grégorien :

" Les modes du plain-chant, tels qu'ils nous ont été transmis dans les anciens  chants ecclésiastiques ,  y conservent une beauté de  caractère et une variété d'affections bien sensibles aux  connaisseurs non prévenus, et qui ont conservé quelque  jugement d'oreille pour les systèmes mélodieux établis  sur des principes différents des nôtres : mais on peut  dire qu'il n'y a rien de plus ridicule et de plus plat  que ces plains-chants accommodés à la moderne, pretintaillés des ornements de notre musique, et modulés sur  les cordes de nos modes : comme si l'on pouvait jamais  marier notre système harmonique avec celui des modes  anciens, qui est établi sur des principes différents. On  doit savoir gré aux évêques, prévôts et chantres qui s'opposent à ce barbare mélange, et désirer, pour le progrès et la perfection d'un art qui n'est pas, à beaucoup  près, au point où on croit l'avoir mis, que ces précieux  restes de l'antiquité soient fidèlement transmis à ceux  qui auront assez de talent et d'autorité pour en enrichir  le système moderne." (J.-J. Rousseau. Dictionnaire de Musique, tome II, page 96.)

 

Nous avons dit ailleurs que tous les arts sont tributaires de la Liturgie, et qu'ils prêtent à l'envi leur secours à ses pompes sublimes. On vient de voir ce que l'innovation du dix-huitième siècle sut faire du chant ecclésiastique ; les autres arts suivirent la Liturgie dans sa dégradation.

 

Déjà nous avons signalé une décadence dans la dernière moitié du dix-septième siècle ; elle fut plus  profonde et plus humiliante encore quand les églises de France, en si grand nombre, eurent abjuré les traditions antiques de la Liturgie, pour  se  créer des formes dans le goût du siècle. La peinture religieuse, que le dix-septième siècle avait vue descendre de Le Sueur à Poussin et à Mignard, s'abrita sous les ateliers de Boucher et de son école, et on vit les mêmes pinceaux qui décoraient le boudoir des Pompadour et des Dubarri, au temps des petits vers de l'abbé de Bernis, dégrader, par les grimaces de l'afféterie et la mollesse des poses, la sévère majesté et le suave mysticisme des sujets catholiques.

 

La statuaire, non moins appauvrie et tout aussi matérialisée, n'avait plus, pour représenter Marie, que les attitudes niaises de la Vierge de Bouchardon, ou la grasse et forte prestance que Bridan a su donner à la Reine des Anges jusque dans sa céleste Assomption.

 

Mais comment de pareilles œuvres (et nous citons ici, par  pudeur, ce que  cette  époque produisit de moins grossier),   comment de pareilles  œuvres  pouvaient-elles être acceptées pour l'ornement des  églises, par les graves personnages qui se délectaient dans ces nouveaux bréviaires si sévèrement expurgés de toutes les licences charnelles du Bréviaire romain ? C'est ici qu'il faut admirer les jugements de Dieu. Il est écrit que  quiconque s'élève indiscrètement par l'esprit tombera dans la chair ;  c'est la loi universelle. Seulement, comme les partisans de l'innovation ne sentirent pas toute l'étendue de leur faute, à raison de leur complète impuissance sur les choses de la poésie, Dieu, en permettant que le sens du beau s'éteignît en eux, et les livrant à la merci des artistes dégradés du siècle  de   Louis XV,   ne permit pas qu'ils eussent la conscience des profanations  qu'ils leur laissèrent accomplir. Ils se livrèrent si complètement et avec une telle abnégation à ces artistes de chair, que le Bréviaire parisien de 1736 lui-même montra sur son frontispice d'ignobles courtisanes affublées des attributs de la Religion. On avait même trouvé moyen de les varier à chacun des quatre volumes, comme pour montrer la richesse du pinceau abruti de ce temps-là. Le Missel de 1738 offrait aussi à son frontispice une virago lourdement  assise sur des nuages et chargée pareillement de représenter la Religion. La collection de ces diverses  gravures deviendra précieuse un jour, et  comme  monument de  l'horrible familiarité avec laquelle les artistes d'alors traitaient les sujets religieux, et  comme preuve de  l'indifférence du clergé pour tout ce qui tenait aux arts dans leurs rapports mêmes avec le culte divin. Mais nous devons signaler, comme le dernier effort du scandale, le frontispice du Missel de Chartres de  1782, dans lequel la  Vierge immaculée, qui fait la gloire de cette ville et de son ineffable cathédrale, a été outragée avec  une impudeur qui nous interdit toute description.

 

Cette indifférence pour la forme, dont nous venons de signaler quelques-uns des désolants effets, entraîna aussi, dans les missels et bréviaires nouveaux, la suppression de ces riches et nombreuses gravures qui ornaient jusque-là ces livres,  à  l'endroit  de   l'office  des fêtes   solennelles. L'usage   s'en   était conservé jusqu'au dix-huitième siècle, comme un souvenir des riches miniatures qui animaient les anciens missels et antiphonaires.   Le nouveau Missel parisien de 1738 avait encore les images des fêtes,  mais composées de nouveau par les artistes du temps.  Dans la seconde  moitié  du   dix-huitième siècle,   les  missels du reste de la France gardèrent à grande peine un frontispice gravé, et la plupart se bornèrent au  Crucifix, dont on n'osa pourtant déshériter la première page du Canon ; heureux encore quand on ne s'avisa pas, comme au parisien de 1738, de rapprocher les bras de Jésus-Christ au-dessus de sa tête, pour l'empêcher d'embrasser tous les hommes. On sait que c'était un symbole cher aux jansénistes, et quelle influence ce parti exerçait, en France, sur le culte divin à cette époque.

 

Pour l'architecture, le plus divin des arts liturgiques, on s'imagine bien quel dut être son sort, dans ce malheureux âge. Il déchut encore de ce qu'il avait été à la fin du dix-septième siècle.  On n'éleva plus de dômes comme celui des Invalides ; car l'église italienne, avec le luxe de ses peintures et de ses marbres, bien que déplacée sous notre climat froid et brumeux, est toujours, quoi qu'on en dise, une église chrétienne. Saint-Sulpice si muet, si nu, si dépourvu d'âme et de mystères, se trouva bientôt trop mystique. Louis XV posa la première pierre de deux nouvelles églises. L'une, Sainte-Geneviève, dut recevoir une coupole ; mais à condition que le portique du Panthéon d'Agrippa, bâti devant la porte, donnerait le change aux passants, en leur annonçant un temple païen. L'autre, qu'on doit ouvrir incessamment, semble préparée pour Minerve ; Louis XV avait entendu la dédier à sainte Marie-Magdeleine ;  il est vrai cependant que le plan primitif était totalement différent de celui qu'on a adopté de nos jours. Qu'est-il  besoin de parler de Saint-Philippe-du-Roule,  qu'on bâtit un peu plus tard, sur le modèle parfait d'un temple antique, et de tant d'autres églises qui n'ont ni le caractère païen ni le caractère chrétien ! Mais tel était l'oubli des traditions sacrées, que pas une voix ne s'éleva, pas une réclamation n'eut lieu ; tant la religion, telle que la comprenaient  les  Français, était   devenue étrangère à la forme ; tant était profonde la scission qu'on avait faite avec les siècles de foi !

 

De là vint aussi cette dégradation des habits sacerdotaux, mais surtout du surplis, dont les manches, déjà fendues et renvoyées par derrière, vers le milieu du dix-septième siècle, s'allongèrent et se séparèrent entièrement, du corps du surplis lui-même, au dix-huitième siècle, et prirent le nom d'ailes, en attendant que le dix-neuvième s'amusât à les plisser de cette façon ridicule et incommode qu'elles ont de nos jours. Quant au bonnet de chœur qui, au commencement du règne de Louis XIII, était encore tel en France que dans les autres églises de la catholicité, le dix-septième siècle, en finissant, avait effacé la saillie de la partie supérieure, et l'avait allongé d'un tiers ; en attendant que le dix-huitième siècle, appointissant cette partie supérieure et allongeant encore le corps du bonnet, préparât cette coiffure ridicule  et gênante qui, de nos jours,  affectant la forme d'un éteignoir, compromet la gravité des fonctions sacerdotales, et fournit gratuitement aux esprits forts l'occasion de déclamer contre le mauvais goût de l'Église catholique.

 

Cet oubli de l'esthétique religieuse de la part du clergé, devait aussi être attribué à l'esprit rationaliste dont Claude de Vert, organe de son siècle,   s'était fait  l'apôtre.   Aux yeux d'une religion spiritualiste, il n'y a  qu'une seule chose qui puisse relever la  forme, c'est le mysticisme. Mais quand on a ôté aux cérémonies leur objet propre, qui est de sanctifier la nature visible en la faisant servir à signifier expressément les mystères du monde visible, il est facile de concevoir comment le clergé, privé d'ailleurs de l'élément poétique de l'ancienne Liturgie, peut en venir à l'indifférence sur l'art dans ses rapports avec le culte. C'est la raison inverse de ce qui arrivait au moyen âge, alors que le catholicisme spiritualisait la nature matérielle, comme il divinisait la science par le contact de la théologie, et sanctifiait  le gouvernement de la société par les conséquences de la royauté du Christ.

 

Nous pourrions étendre beaucoup ces considérations ; mais l'occasion se présentera d'y revenir.

 

Maintenant, nous allons recueillir quelques jugements contemporains sut les nouvelles liturgies françaises, et montrer que les illustres prélats, Languet, de Saint-Albin, de Belzunce, de Fumel etc. ne furent pas les seuls, au dix-huitième siècle, à réclamer en faveur des traditions et à juger avec sévérité l'œuvre des réformateurs.

 

Le premier que nous avons à produire est, le croirait-on ? Foinard lui-même : il sera d'autant moins suspect. Dans son Projet d'un nouveau Bréviaire, ayant à s'expliquer sur les nouveaux essais liturgiques tentés avant 1720, il les flétrit par ces observations qui ne s'appliquent pas moins aux bréviaires des années suivantes :

" Il ne paraît pas, dit-il, que ce soit l'onction qui  domine dans les nouveaux bréviaires. On y a, à la  vérité, travaillé beaucoup pour l'esprit, mais il semble  qu'on n'y a pas autant travaillé pour le cœur". Plus loin, il ajoute ces paroles remarquables : "Ne  pourrait-on pas dire que l'on a fait la plupart des  antiennes dans les nouveaux bréviaires, seulement  pour être lues des yeux par curiosité et hors l'office."

 

Ecoutons maintenant l'abbé Robinet, auteur des Bréviaires de Rouen, du Mans, Carcassonne et Cahors. Voici un aveu qui n'est pas sans prix : "Ceux qui ont composé le Bréviaire romain, dit-il, ont mieux connu qu'on ne  fait de nos jours le goût de la prière et les paroles qui  y conviennent."

 

Le témoignage qui vient après celui de Robinet, dans l'ordre des temps, est celui de Collet, dans son Traité de l'Office divin, dont la première édition est de 1763. Parlant de certains ecclésiastiques qui se faisaient autoriser par leurs évêques à dire d'autres bréviaires que celui qu'on suivait dans leur diocèse, sous le prétexte que les nouveaux bréviaires étaient mieux faits, il montre la futilité de ces sortes de caprices :

" L'Écriture, dit-il, les  psaumes, la plupart des homélies, sont les mêmes dans  tous les bréviaires. Si, pour nourrir sa dévotion, on a  besoin des légendes, ou de quelques autres semblables  morceaux, d'un bréviaire étranger, on peut s'en faire  une lecture spirituelle. Mais combien d'antiennes paraissent la plus belle chose du monde, quand elles sont détachées ; et la plus pitoyable, quand on les rapproche  de la source !" (Collet. Traité de l'Office divin, page 92.)

 

Plus loin, il ajoute ces paroles pleines de sens et de franchise :

" Un jeune prêtre dira tout haut qu'il récite avec plus de piété le Bréviaire de Paris que celui de son diocèse : mais il dira tout bas que celui de son diocèse est beaucoup plus long que celui de Paris, et que, quoiqu'on ne changeât ni versets, ni répons, il retournerait au sien, si on le rendait beaucoup plus court que celui où il trouve tant de matière à sa dévotion. Après tout, et nous l'avons déjà dit, la vraie piété ne méconnaît point l'ordre. Une pensée commune lui sert d'aliment : moins elle frappe l'esprit, plus elle touche le cœur. Les antiennes de l'office de saint Martin ne sont, je crois, tirées que de Sulpice Sévère. En est-il une seule qui ne puisse servir de méditation pendant une année ? Quelle force de sentiment dans ces paroles : Oculis ac manibus in cœlum semper intentus, invictum ab oratione spiritum non relaxabat.... Domine, si adhuc. populo tuo sum necessarius, non recuso laborem... O virum ineffabilem, nec labore victum, nec morte vincendum; qui nec mori timuit, nec vivere recusavit, etc.."

 

L’Ami de la Religion, dans son vingt-sixième tome déjà cité par nous plusieurs fois, et la Biographie universelle, mentionnent un doyen du chapitre de la cathédrale de Montauban, nommé Bertrand de la Tour, homme fort attaché au Saint-Siège et zélé pour le bien de l'Église, qui lors de la publication du Bréviaire de Montauban par l'évêque Anne-François de Breteuil, en 1772, attaqua l'innovation liturgique et publia, sur les nouveaux bréviaires, un recueil en XXI articles, formant en tout 397 pages in-4°. L'auteur y traite spécialement des Bréviaires de Paris, de Montauban et de Cahors. Nos recherches pour nous procurer ce recueil ont été jusqu'ici infructueuses ; nous nous bornerons donc à insérer ici le jugement de l'Ami de la Religion, qui nous dit que : " l'Abbé de la Tour n'est pas généralement favorable aux nouveaux bréviaires, et regrette qu'on s'écarte de la simplicité du romain."

 

Nous n'avons pas d'autres témoignages d'auteurs français du dix-huitième siècle à produire contre les nouveautés dont nous faisons l'histoire ; mais ces quelques lignes prouveront du moins que la révolution ne s'accomplit pas sans réclamations de la part de plusieurs personnes zélées qui unirent leurs voix à celles des illustres prélats dont nous venons de rappeler les noms. Les aveux de Foinard et de Robinet ne laissent pas non plus d'avoir leur mérite. Si, d'un autre côté, nous voulons rechercher quels jugements on porta, dans les pays étrangers, sur les graves changements que le dix-huitième siècle vit s'introduire dans le culte divin, chez les Français, nous avons peine à rassembler quelques témoignages exprimant ce jugement. La raison en est claire ; d'abord, parce que les étrangers ne sont pas obligés d'être au fait de toutes les fantaisies qui nous passent dans l'esprit ; ensuite, parce que, entendant parler d'usages liturgiques particuliers à la France, et n'ayant, la plupart, jamais eu entre les mains les nouveaux livres, ils s'imaginent, ainsi que nous avons été à portée de le voir nous-mêmes chez plusieurs personnes d'un haut mérite, et à Rome même, que ces usages sont, non seulement antérieurs à la Bulle de saint Pie V, mais remontent à l'antiquité la plus reculée.

 

Néanmoins , nous sommes en mesure de produire l'avis de trois savants  étrangers, deux italiens et un espagnol.

 

Le premier est l'immortel Lambertini, depuis pape sous le nom de Benoît XIV. Dans son grand ouvrage de la Canonisation des Saints, il juge les nouveaux bréviaires sous le rapport de la compétence des évêques qui les ont promulgués, et reprend sévèrement Percin de Montgaillard, évêque de Saint-Pons, Grancolas et Pontas, d'avoir soutenu d'une manière absolue qu'il est au pouvoir des évêques de changer et de réformer le bréviaire, sans distinction des diocèses où le Bréviaire romain a été suivi et de ceux dans lesquels la Bulle de saint Pie V n'a point été reçue. Cette question ayant rapport principalement au droit de la Liturgie, nous réservons l'explication et le développement de ce passage de Benoît XIV, pour la partie de notre ouvrage où nous devons traiter spécialement cette matière.

 

Catalani, dans son savant commentaire pontifical romain, publié en 1736, s'exprime avec une sévérité que nous ne saurions traduire, au sujet des évêques qui eurent le  malheur de donner  leur confiance à des hérétiques, pour rédiger le bréviaire de leurs églises : Jam praesertim pro auctoritate breviarii Romani plura possent afferri testimonia quibus abunde ostendi posset, quanta fuerit nuper quorumdam episcoporum insignis audacia atque insolentia, dum illud, inconsulto Romano pontifice, non modo immutarunt, sed et fœdarunt, hœreticisque ansam dederunt constabiliendi suas pravas sententias.

 

Enfin, l'illustre jésuite espagnol, Faustin Arevalo, dans la curieuse dissertation de Hymnis ecclesiasticis qu'il a placée en tête de son Hymnodia Hispanica, après avoir rapporté la doctrine de Benoît XIV sur le droit des évêques en matière de Liturgie, ajoute :

" J'ai feuilleté plusieurs de ces nouveaux bréviaires français, et j'y ai trouvé  beaucoup de choses qui m'ont semblé dignes d'approbation et de louanges ; cependant ces choses ne m'ont  point fait prendre en dégoût le Bréviaire romain ; j'ai  même commencé à l'en estimer davantage, depuis que  j'ai parcouru plusieurs de ces divers bréviaires, et je  ne sais comment il se fait que les parties les plus excellentes dans ces derniers sont tirés du Bréviaire romain  lui-même, ou composées sur son modèle."

 

Le langage d'Arevalo est un peu moins doux sur les nouveaux bréviaires, dans cette critique des hymnes de Santeul que nous avons placée à la fin du présent volume.  Il a paru en France, dit-il, dans le cours de ce siècle,  tant de nouveaux bréviaires, et on indique dans le  Mercure de  France, dans le Journal de Dinouart et dans la Bibliotheca ritualis de Zaccaria, un si grand  nombre d'opuscules et de dissertations sur des offices  particuliers, des formes d'heures canoniales, des litanies  et des hymnes récentes à la Vierge, qu'on serait tenté  de craindre qu'en France, de même que les femmes inventent sans cesse de nouvelles modes pour leurs habits,  ainsi les prêtres inventent chaque année de nouveaux  bréviaires qui leur plaisent par le seul attrait de la nouveauté."

 

Mais il est temps de mettre fin à ce chapitre par les conclusions suivantes :

 

1° Tel fut donc le bouleversement des idées au dix-huitième siècle, qu'on vit des prélats combattre des hérétiques, et en même temps, par un zèle inexplicable, porter atteinte à la tradition dans les prières sacrées du missel ; confesser que l'Église a une voix qui lui est propre, et faire taire cette voix pour donner la parole à quelque docteur sans autorité.

 

2° Telle fut la naïve outrecuidance des nouveaux liturgistes, qu'ils ne se proposèrent rien moins, et ils en convenaient, que de ramener l'Église de leur temps au véritable esprit de la prière ; que de purger la Liturgie des choses peu châtiées, peu exactes, peu mesurées, plates, difficiles à prendre dans un bon sens, que l'Église, dans les pieux mouvements de son inspiration, avait malencontreusement fabriquées ou adoptées.

 

3° Telle fut, par le plus juste de tous les jugements, la barbarie dans laquelle tombèrent les Français sur les choses du culte divin, l'harmonie liturgique étant détruite, que la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture, qui sont les arts tributaires de la Liturgie, la suivirent dans une décadence qui n'a fait que s'accroître avec les années.

 

4° Telle fut la situation fausse dans laquelle les novateurs placèrent la Liturgie en France, qu'on les entendit eux-mêmes rendre témoignage contre leur œuvre, et s'unir aux partisans de l'antiquité qui regrettaient la perte des livres grégoriens.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — RÉACTION CONTRE L'ESPRIT JANSÉNISTE DES NOUVELLES LITURGIES. — BRÉVIAIRE D'AMIENS. — ROBINET.— BREVIAIRE DU MANS.— CARACTERE GÉNÉRAL DE L'INNOVATION LITURGIQUE SOUS LE RAPPORT DE LA POÉSIE, DU CHANT ET DE L'ESTHÉTIQUE EN GÉNÉRAL. — JUGEMENTS CONTEMPORAINS SUR CETTE GRAVE REVOLUTION ET SES PRODUITS

 

J.-J. Rousseau. Dictionnaire de Musique

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 12:30

Nous n'étendrons pas davantage ces considérations sur l'innovation liturgique sous le rapport littéraire, puisque nous devons traiter de la langue et du style de la Liturgie, dans une des divisions de cet ouvrage. Passons aux influences de la révolution liturgique sur le chant.

 

C'est encore ici une des plaies les plus profondes que nous ayons à signaler.

 

On peut envisager la question sous le rapport purement esthétique de l'art, et sous celui bien autrement grave du sentiment catholique. Nous dénoncerons d'abord les barbares antiliturgistes du dix-huitième siècle, comme ayant privé notre patrie d'une des plus admirables gloires de la catholicité. On a vu ailleurs comment le dernier débris des richesses de la musique antique avait été déposé par les pontifes romains, et principalement par saint Grégoire, dans le double répertoire connu sous le nom d'Antiphonaire et de Responsorial romain. Ce recueil, formé de plusieurs milliers de pièces, la plupart d'un caractère fort et mélodieux, avait accompagné tous les siècles chrétiens dans la manifestation de leurs joies et de leurs douleurs ; de lui étaient sortis les inspirations de Palestrina et des autres grands artistes catholiques ; enfin, c'était un sublime spectacle pour la postérité, que ce génie de conservation inné dans l'Église catholique, au moyen duquel la fameuse musique des Grecs, l'harmonie des temps antiques, arrivait ainsi épurée, corrigée, devenue chrétienne, aux barbares oreilles des Occidentaux qu'elle avait tant contribué à adoucir et à civiliser.

 

Or, de la publication des nouveaux bréviaires et missels dans lesquels les anciennes formules étaient presque en totalité remplacées par d'autres toutes nouvelles, devait matériellement s'ensuivre la suppression de toutes ces antiques mélodies, la perte, par conséquent, de plusieurs milliers de morceaux antiques, dont un grand nombre était remarquable par un caractère noble et original.

 

Voilà, certes, un acte de vandalisme s'il en fut jamais, et qu'on ne s'est pas encore avisé de reprocher à ce dix-huitième siècle qui avait la rage de tout détruire. Et quelle excuse donnait-on pour justifier une si monstrueuse destruction ? D'un côté, les faiseurs liturgistes, comme Foinard, disaient que rien ne serait plus aisé que de transporter les motifs des anciens répons, antiennes, etc. sur les nouvelles formules, et nous avons vu comment ils s'entendaient à préparer le thème du compositeur. D'autre part, il y avait des forgeurs de plain-chant qui croyaient bonnement qu'en ne sortant point matériellement du caractère des huit modes grégoriens dans la composition de nouveaux chants, on suffirait à tout ; comme si ce n'était rien que de perdre une immense quantité de pièces des  cinquième  et sixième siècles, vraies réminiscences des airs antiques ; comme si, pour être parfaitement dans les règles de la tonalité grégorienne, on était assuré de l'inspiration ; car, encore une fois, il fallait faire mieux  que  les   Romains, ou  ne pas  s'en mêler.

 

Ce fut, certes, une grande pitié de voir successivement nos cathédrales oublier les vénérables cantiques dont la beauté avait si fort ravi l'oreille de Charlemagne, qu'il en avait fait,  de concert avec les pontifes romains, un des plus puissants instruments de civilisation pour son vaste empire, et d'entendre résonner à grand bruit un torrent de nouvelles pièces sans mélodie, sans originalité, aussi prosaïques, pour l'ordinaire, que les paroles qu'elles recouvraient. On avait calqué, il est vrai, un certain nombre de morceaux grégoriens, et plusieurs même assez heureusement ; quelques pièces nouvelles avaient de l'invention ; mais la masse était d'une brutalité effrayante, et la meilleure  preuve, c'est qu'il était impossible de retenir par coeur ces chants nouveaux, tandis que   la mémoire du peuple était le répertoire vivant du plus grand nombre des chants romains. Assurément, pour faire passer ces assommantes mélodies, ce n'était pas trop des serpents, des basses et du contrepoint, sous le bruit desquels disparaissait  presque entièrement  le fond ; tandis que le técit  grégorien,  vif,   animé, souvent  syllabique,  étant déclamé avec sentiment, même à l'unisson, produisait de si grands effets et se gravait si avant,  avec les pensées qu'il exprimait, dans l'âme des fidèles.

 

Mais la suppression des livres de saint Grégoire n'était pas seulement une perte pour l'art, c'était une calamité pour la foi des peuples. Une seule considération le fera comprendre et dévoilera en même temps la responsabilité de ceux qui osèrent un tel attentat. Les offices divins ne sont utiles au peuple qu'autant qu'ils l'intéressent. Si le peuple chante avec les prêtres, on peut dire qu'il assiste avec plaisir au service divin. Mais, si le peuple a chanté dans les offices, et qu'il vienne tout d'un, coup à garder le silence, à laisser la voix du prêtre retentir seule, on peut dire aussi que la religion a grandement perdu de son attrait sur ce peuple. C'est pourtant là ce qu'on a fait dans la plus grande partie de la France ; aussi le peuple a-t-il, peu à peu, déserté les églises désormais muettes pour lui, du jour où il ne pouvait plus joindre sa voix à celle du prêtre. Et cela est si vrai, que si, dans nos églises toutes retentissantes des chants modernes, le peuple paraît quelquefois disposé à joindre sa voix à celle du clergé, c'est dans les moments où l'on exécute, et souvent encore en les défigurant, quelques-unes des anciennes pièces romaines, comme Victimae Paschali — Lauda, Sion — Dies irae, etc.; certains répons ou antiennes du saint Sacrement, etc. Mais, pour les répons nouveaux, les introït, les offertoires, etc., il les écoute sans les remarquer, ou plutôt il les subit passivement, sans y attacher une idée, ni un sentiment quelconque. Allez, au contraire, dans quelqu'une de ces dernières paroisses de la Bretagne qui ont encore, au chœur, l'usage du chant romain, vous entendrez le peuple entier chanter du commencement des offices jusqu'à la fin. Il sait par cœur les faciles mélodies du graduel et de l'antiphonaire. Ce sont là ses grandes jouissances du dimanche, et, durant la semaine, on les lui entend souvent répéter dans ses travaux. Oui, certes, ce sera quelque chose de bien grave que de les lui enlever ; car ce sera diminuer grandement l'intérêt qu'il prend aux offices de l'Église.

 

Si, de ces réflexions affligeantes, nous passons à l'histoire de la révolution opérée dans le chant de nos églises au dix-huitième siècle, nous dirons des choses lamentables. Qu'on se représente l'effroyable tâche qui fut imposée aux compositeurs de plain-chant, du moment que du cerveau de nos docteurs furent éclos des nouveaux bréviaires et missels, et que la typographie, encombrée comme elle ne l'avait jamais été en matière de ce genre, les eut enfin lancés au grand jour. On ne pouvait inaugurer ces chefs-d'oeuvre, sans prendre en même temps les mesures nécessaires pour que tout ce corps de pièces nouvelles pût être chanté dans le chœur des églises cathédrales, collégiales et paroissiales. C'étaient donc des milliers de morceaux qu'il fallait improviser. Qu'on se rappelle maintenant ce que c'est que l'Antiphonaire grégorien. Un résumé de la musique antique, un corps de réminiscences d'airs populaires graves et religieux, une œuvre qui remonte au moins à saint Célestin, recueillie, rectifiée par saint Grégoire, puis par saint Léon II, enrichie encore dans la suite à chaque siècle, présentant une variété merveilleuse de chants, depuis les motifs sévères de la Grèce, jusqu'aux tendres et rêveuses complaintes du moyen âge. Pour remplacer tout cela, qu'avait le dix-huitième siècle ? D'abord, c'était déjà, on ne saurait trop le répéter, une perte immense que celle de tant de morceaux remarquables, populaires et souvent historiques ; mais passons outre. Combien de centaines de musiciens emploiera-t-on pour ce grand œuvre ? Où prendra-t-on des hommes, au siècle de Louis XV, pour suppléer saint Grégoire ? Suffira-t-il de cinquante années pour une pareille tâche ? Hélas ! tant d'hypothèses sont inutiles. En deux ou trois années, tout sera prêt, composé, imprimé, publié, chanté, avec grand tapage de serpents, de basses, de grosses voix. Et veut-on savoir comment on s'y prit, dans plusieurs diocèses, pour couvrir de grosses notes les antiennes à réflexions, les inviolati inveniri in, etc. ? On fit appel aux gens de bonne volonté. Ceux qui conduisaient en grand l'opération, étant, comme on l'a vu, étrangers à tout instinct d'art et de poésie, ne pouvaient être difficiles ni exigeants sur l'article de la mélodie.

 

Laissons parler un savant   auteur   de plain-chant  du   dix-huitième   siècle, Poisson, Curé de Marsangis, dans son  Traité historique et pratique du Plain-chant appelé Grégorien :

" De toutes les églises qui ont donné des bréviaires, les  unes, à la vérité, se sont pressées davantage d'en faire  composer les chants, et les autres moins ; mais chacune  d'elles aspirait à voir finir cet ouvrage, à quelque prix  que ce fût, et cherchait de toutes parts les moyens de  satisfaire l'empressement qu'elle avait de faire usage des nouveaux bréviaires. De là cette foule de gens qui se  sont offerts pour la composition du chant. Tout le monde a prétendu en composer et s'en est cru capable,  On a vu jusqu'à des maîtres d'école qui n'ont pas craint  d'entrer en lice. Parce que leur profession les entretient  dans l'exercice du chant, et qu'en effet ils savent ordinairement mieux chanter que les autres, ils se sont  mêlés aussi de composer.. N'est-il pas étonnant que les  pièces de pareils auteurs aient été adoptées par des  personnes qui, sans doute, n'étaient pas si ignorantes  qu'eux ? Car, pour savoir bien chanter, ces maîtres  n'en ignoraient pas moins la langue latine qui est celle  de l'Église ? et, dès là, chacun voit combien de bévues  un tel inconvénient entraîne nécessairement après  lui....

" On a donc choisi, pour composer les chants nouveaux, ceux que l'on a crus les plus habiles, et l'on s'est  reposé entièrement sur eux de l'exécution de ce grand ouvrage. Une entreprise de si longue haleine demandait  un temps qui lui fût proportionné, et on les pressait.  Pour répondre à l'empressement de ceux qui les avaient  choisis, ils ont hâté leurs travaux. Leurs pièces, à peine  sorties de leurs mains, ont été presque aussitôt chantées que composées. Tout a été reçu sans examen, ou  avec un examen très superficiel et ce n'a été qu'après  l'impression sans en avoir fait l'essai, et qu'après les  avoir autorisées par un usage public, qu'on s'est aperçu de leurs défauts, mais trop tard, et lorsqu'il n'était plus  temps d'y remédier.

" On vit alors avec regret, ou qu'on s'était trompé dans  le choix des compositeurs de chant, ou qu'on les avait  trop pressés. On ne peut se dissimuler les défauts, sans  nombre et souvent grossiers, d'ouvrages qui naturellement devaient plaire par l'agrément de leur nouveauté, et qui n'avaient pas même ce médiocre avantage.

" Qui pourrait tenir, en effet, contre des fautes aussi  lourdes et aussi révoltantes que celles dont ils sont remplis pour la plupart ? Je veux dire des fautes de quantité, surtout dans le chant des hymnes des phrases confondues par la teneur et la liaison du chant, qui  auraient dû être distinguées, et qui le sont par le sens  naturel du texte ; d'autres mal à propos coupées ;  d'autres aussi mal à propos suspendues ; des chants  absolument contraires à l'esprit des paroles ;  graves, où les paroles demandaient une mélodie légère ;  élevés, où il aurait fallu descendre ; et tant d'autres  irrégularités, presque toutes causées par le défaut d'attention au texte.

« Qui ne serait encore dégoûté d'entendre si souvent  les mêmes chants, beaux à la vérité par eux-mêmes,  mais trop de fois imités, presque toujours estropiés, et  pour l'ordinaire aux dépens du sens exprimé dans  le texte, aux dépens des liaisons et de l'énergie du chant primitif, tels que ceux de tant de Répons, Graduels et d'Alleluias ?

" Que dire encore des expressions outrées et négligées,  des tons forcés, du peu de discernement dans le choix  des modes, sans égard à la lettre ; de l'affectation puérile  de les arranger par nombres suivis, en mettant du premier mode la première antienne et le premier répons  d'un office ; la seconde antienne et le second répons du second mode, comme si tout mode était propre à toutes paroles et à tout sentiment." (Poisson. Traité théorique et pratique du plain-chant appelé Grégorien, pages 4 et 5)

 

Ainsi est jugée l'innovation liturgique sous le rapport du chant, par un homme habile dans la composition, nourri des meilleures traditions, et, d'autre part, plein d'enthousiasme pour la lettre des nouveaux bréviaires. C'est donc un témoin irrécusable que nous produisons ici. Nous n'ajouterons qu'un mot sur les nouvelles compositions de chant, c'est que si l'on était inexcusable de livrer à la merci de la multitude la fabrication des nouveaux chants dans certains diocèses,il n'était pas moins déplorable d'imposer à un seul homme la mission colossale de couvrir de notes de plain-chant trois énormes volumes in-folio. C'est cependant ce qui eut lieu pour le nouveau parisien. On chargea de ce travail herculéen l'abbé Lebeuf, chanoine et sous-chantre de la cathédrale d'Auxerre, homme érudit, laborieux, profond même sur les théories du chant ecclésiastique et versé dans la connaissance des antiquités de ce genre. C'était quelque chose ; mais l'étincelle du génie qui était en lui eût-elle été plus vive encore, devait être étouffée de bonne heure sous les milliers de pièces qu'il lui fallut mettre en état d'être chantées, en dépit de leur nombre et de leur étrange facture. Au reste, il s'acquitta de sa tâche avec bonne foi, et comme il goûtait les anciens chants, il s'efforça d'en introduire les motifs sur plusieurs des nouvelles pièces.

 

" Je n'ai pas toujours eu intention,  dit-il, de donner du neuf. Je me suis proposé de centoniser, comme avait fait saint Grégoire. J'ai déjà dit  que centoniser était puiser de tous côtés et faire un  recueil choisi de tout ce qu'on a ramassé. Tous ceux qui  avaient travaillé avant moi à de semblables ouvrages,  s'ils n'avaient compilé, avaient du moins essayé de parodier ; j'ai eu intention de faire tantôt l'un, tantôt l'autre.

" Le gros et le fond de l'antiphonier de Paris est dans le  goût de l'antiphonier précédent, dont je m'étais rempli dès les années 1703,1704 et suivantes : mais comme Paris est habité par des ecclésiastiques de tout le royaume,  plusieurs s'apercevaient qu'il y avait quelquefois trop  de légèreté ou de sécheresse dans l'antiphonier de  M. de Harlay. J'ai donc rendu plus communes ou plus  fréquentes les mélodies de nos symphoniastes français  des neuvième, dixième et onzième siècles, surtout dans  les répons." (Lebeuf. Traité historique et pratique sur le Chant ecclésiastique, pages 49 et 50).

 

Ces intentions étaient louables et méritent qu'on leur rende justice ; mais les résultats n'ont pas répondu aux intentions. A part du bien petit nombre de morceaux dont une partie encore appartient à l'abbé Chastelain, il faut bien avouer que le Graduel et l'Antiphonaire parisiens sont complètement vides d'intérêt pour le peuple, que les morceaux qui les composent ne sont pas de nature à s'empreindre dans la mémoire, que l'on a grande peine à saisir une mélodie d'ensemble dans les nouveaux répons, introït, offertoires, etc. Les imitations, les fit-on note pour note (ce qui ne saurait être) sont pour l'ordinaire impuissantes à reproduire l'effet des morceaux originaux qui, étant dépourvus de rythme, n'ont dû leur caractère qu'aux sentiments exprimés dans les paroles, aux paroles elles-mêmes, au son des voyelles qui s'y trouvent employées.

 

Ajoutez encore que les syllabes, n'étant pas mesurées, il est comme impossible de trouver deux pièces parfaitement semblables pour le nombre du style : il faut donc retrancher, ou ajouter des notes, et par là même sacrifier l'expression entière de la pièce. Nous avons parlé ailleurs de l’introït de la Toussaint, Accessistis, si heureusement imité par Chastelain, du Gaudeamus romain : Lebeuf a bien rarement approché de ce modèle dans ses imitations, et quant aux morceaux de son invention, on le trouve presque partout pauvre, froid, dépourvu de mélodie. Les nombreux chants d'hymnes qu'il lui fallut composer sont aussi d'une tristesse et d'une monotonie qui montrent qu'il n'avait rien de cette puissance qui suggéra à Chastelain le chant du Stupete gentes. Enfin, Lebeuf ne sut pas affranchir le chant parisien de ces horribles crochets appelés périélèses, qui achèvent de défigurer les rares beautés qui se montrent, parfois, dans sa composition. Peut-on se rappeler sans indignation que le verset alléluia Veni, sancte spiritus, cette tendre et douce mélodie grégorienne qui a été sauvée comme par miracle dans le Missel de Vintimille, est déchirée jusqu'à sept fois par ces crochets ; on eût dit que Lebeuf craignait que cette pièce, si on la laissait à sa propre mélodie, ne fît un contraste par trop énergique avec cet amas de morceaux nouveaux et insignifiants dont elle est encombrée.

 

La fécondité de Lebeuf lui fit une réputation. En 1749, étant plus que sexagénaire, il accepta l'offre qu'on lui fit de mettre en chant la nouvelle Liturgie du diocèse du Mans, et vint à bout, dans l'espace de trois ans, de noter les trois énormes volumes dont elle se compose. Ainsi, le même compositeur était en état de fournir un contingent de six volumes in-folio de plain-chant à l'innovation liturgique ! On remarqua, toutefois, que la dernière œuvre de Lebeuf était encore au-dessous de la première. La lassitude l'avait pris à la peine ; mais on ne dit pas qu'il ait jamais ressenti de remords pour la part si active qu'il prit au vandalisme de son siècle.

 

C'est assez parler des nouveaux livres de chant par lesquels furent remplacées les mélodies grégoriennes ; nous n'ajouterons plus qu'un mot au sujet du trop fameux plain-chant figuré, que nous avons signalé ailleurs à l'animadversion de nos lecteurs, et qui prit une nouvelle vogue à cette époque de débâcle universelle des anciennes traditions sur le chant.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — RÉACTION CONTRE L'ESPRIT JANSÉNISTE DES NOUVELLES LITURGIES. — BRÉVIAIRE D'AMIENS. — ROBINET.— BREVIAIRE DU MANS.— CARACTERE GÉNÉRAL DE L'INNOVATION LITURGIQUE SOUS LE RAPPORT DE LA POÉSIE, DU CHANT ET DE L'ESTHÉTIQUE EN GÉNÉRAL. — JUGEMENTS CONTEMPORAINS SUR CETTE GRAVE REVOLUTION ET SES PRODUITS

 

Jean Lebeuf, Chanoine honoraire d'Auxerre

Jean Lebeuf, Chanoine honoraire d'Auxerre

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 12:30

Nous ne pouvions, ce nous semble, prouver par des faits plus expressifs que sous le point de vue de l'appréciation de la Liturgie antérieure, le sens poétique avait totalement manqué aux auteurs de l'innovation. Montrons maintenant qu'ils en ont été tout aussi dépourvus dans leurs propres compositions.

 

Dans les offices, non seulement de l'Église romaine, mais des Églises ambrosienne, gothique, orientale, les différents chants forment  un  ensemble lyrique et, par conséquent, éloigné de toute progression calculée. Dans les diverses solennités, ces offices ont pour but de célébrer des événements accomplis, et jamais saint Grégoire, ni les autres liturgistes anciens, n'eurent l'intention de les disposer de manière qu'une partie de l'office préparât à l'autre. La plupart du temps, l'objet principal de la solennité éclate dès le début par quelque forte aspiration et vient tout d'abord ouvrir passage à l'enthousiasme que les fidèles gardaient dans leur cœur.

 

Nos graves sorbonistes ne se doutèrent jamais que cette apparence de désordre fût tout simplement la nature même, et une de leurs plus chères préoccupations fut celle de rétablir l'harmonie dans les offices divins, et d'en disposer les diverses parties avec un aussi exact enchaînement que les syllogismes d'une argumentation théologique. Tous les nouveaux bréviaires déposent de cette naïve intention des très sages Maîtres : voyons maintenant leurs théories.

 

Foinard s'est donné la peine de les exposer de sang-froid dans son Projet d'un nouveau Bréviaire, et voici la méthode suivant laquelle il entend à l'avenir faire procéder l'Église. D'abord, dit-il, que tout soit bien lié et se rapporte dans le corps entier de chacun des nouveaux offices (Foinard. Projet d'un nouveau Bréviaire, page 75). Que l'enthousiasme, l'inspiration n'aient rien à y faire. Tout s'enchaînera, sans qu'il y ait le plus petit intervalle à franchir entre les antiennes, les capitules et les répons ; rien ne sera plus tranquille qu'une pareille marche. Malheureusement pour le système de Foinard, non seulement tous les liturgistes ont procédé autrement, mais David et les Prophètes qui avaient pourtant l'Esprit de Dieu, n'ont guère tenu compte de cette allure compassée.

 

Pour en venir à l'application du principe, le curé de Calais déclare que, dans un office en particulier, les antiennes des premières vêpres devront être formées de versets tirés des prophéties sur le mystère, et suivies d'un capitule conçu en forme d'instruction préparatoire. Les matines et les laudes offriront le développement du fait, enfin, les antiennes des secondes vêpres seront composées de réflexions sur la fête. Et comme tout doit être chanté dans l'Église, on chantera des réflexions ; ce qui sera tout aussi propre à l'enthousiasme musical, que le bel ensemble que nous promet Foinard sera conforme aux habitudes lyriques. Aussi, faut-il voir comment le grotesque docteur, transformé en poète, sans le savoir, fait bon marché de l'Église romaine qui, dans la fête de l'Ascension, s'écrie étourdiment dès le début des premières vêpres : Viri Galilœi, quid aspicitis in coelum : hic Jesus qui assumptus est a vobis in cœlum sic veniet, alleluia ! et dans la solennité de l'Assomption : Assumpta est Maria in cœlum, gaudent Angeli, laudantes benedicunt Dominum ; et dans la fête de saint André : Salve, Crux pretiosa! suscipe discipulum ejus qui pependit in te, magister meus Christus. Doit-on s'étonner, après cela, que le siècle qui vit mettre au jour et s'établir d'aussi plates théories, soit devenu le siècle du rationalisme et ait cherché, en finissant, à étouffer pour jamais l'esprit sous la matière ?

 

C'est avec la même ingénuité que Foinard demande qu'on ne fasse plus lire dans les offices divins des passages de l'Écriture qui renferment les imprécations des pharisiens contre le Sauveur. Il signale principalement, dans le Bréviaire romain, le capitule des laudes, dans l'office de la férié, au temps de la Passion : Venite mittamus lignum in panem ejus, et eradamus eum de terra viventium, et nomen ejus non memoretur amplius. Le docteur trouve de l'inconvenance à mettre ces paroles dans la bouche de l'officiant. Il a peur sans doute qu'on ne le prenne au mot, et que le peuple fidèle ne le confonde avec ces prêtres pharisiens qui criaient : Tolle, crucifige.

 

C'est avec une aussi rare intelligence des nécessités de la poésie lyrique, dans les offices divins, que le docteur Robinet, dans la composition de son bréviaire, crut devoir s'interdire tous les passages de l'Ecriture que celui qui récite ne pourrait s'appliquer à lui-même. Son but, tel qu'il l'expose dans une brochure intitulée : Lettre d'un Ecclésiastique à un Curé sur le plan d'un nouveau Bréviaire, est de choisir pour antiennes et pour répons des textes qui, prononcés par ceux qui récitent l’Office, deviennent des mouvements de leur cœur vers Dieu. Un texte ne convient qu'autant qu'il s'accommode aux expressions d'un homme qui croit, qui craint, qui espère ; d'un homme, en un mot, qui exprime ses propres sentiments et qui, en qualité de suppliant, remplit les devoirs essentiels de la prière.

 

Remarquons ici l'aveu précieux du docteur. Le bréviaire est une œuvre si individuelle, qu'on a tout fait pour sa perfection, quand on l'a mis en état de servir d'expression aux sentiments, à la prière personnelle d'un homme. De plus, quel oubli du génie des livres saints, du psautier lui-même, dans lequel on entend tour à tour la voix majestueuse du Père céleste, les soupirs et les chants de triomphe de l'Homme-Dieu, les blasphèmes et les complots des méchants ! Tel est pourtant le système du docteur Robinet, et il en est si content, que, dans son outrecuidance, il ose dire, en parlant de son propre bréviaire : "Il a fallu pour réussir autant de patience que  d'application. Le travail a été adouci par l'espérance que  j'ai conçue de ramener notre siècle au but que l'Église  se propose dans ses offices". Voilà bien, encore, un de ces traits qui prouvent mieux que tout ce que nous pourrions dire, les intentions expresses des réformateurs de la Liturgie : habemus confitentem reum. Ils ne se proposent ni plus ni moins que de ramener leur siècle au but que l'Église se propose dans la Liturgie. Mais qu'est-ce que leur siècle, si ce n'est l'Église de leur temps, puisque ces nouveaux bréviaires qu'ils veulent établir diffèrent totalement, non seulement du Bréviaire romain, mais de tous ceux qui ont été suivis jusqu'alors dans la chrétienté ?

 

Robinet, s'apercevant pourtant que son système de n'employer que des textes formés de prières, appauvrirait par trop son bréviaire, et qu'il lui serait difficile d'en remplir le cadre, eut recours à un expédient ingénieux, mais peu sincère. Il imagina d'assimiler aux textes renfermant des supplications, ceux qui sont en style narratif, et, par là, il décupla ses ressources, puisque tous les livres historiques de la Bible et les passages narratifs des autres livres se trouvaient ainsi à sa disposition. Mais quel étrange prosaïsme que de s'interdire, à plaisir, les grands effets liturgiques que produisent au Bréviaire romain, et même dans le parisien moderne, les antiennes et les répons formés soit des paroles de Jésus-Christ enseignant, souffrant, ou triomphant, soit des sublimes monologues de la divine Sagesse dans l'Ancien Testament ! L'œuvre de Robinet était le produit du génie particulier qui, non content d'avoir jugé la Liturgie de l'Église et de l'avoir trouvée au-dessous d'elle-même, voulait la réhabiliter à lui tout seul, et parler en son nom jusque dans la moindre parcelle de son œuvre humaine et nouvelle. Robinet fut vivement attaqué sur son étrange système, par un anonyme qui composa une brochure sous ce titre : Lettre d'un ancien bénéficier de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, à un chanoine de l'église cathédrale d'Agen sur le nouveau Bréviaire du Mans (34 pages in-12, 1752, sans lieu d'impression).

 

Si donc l’on considère les principes  généraux de la composition liturgique des modernes successeurs de saint Grégoire, on voit que le sens poétique  leur a manqué complètement. Sur les détails, ils y ont paru tout aussi étrangers : car nous ne saurions considérer comme un mérite le style classique et païen d'un grand nombre d'hymnes de Santeul.  Ces  pastiches, d'Horace   sont hors de leur place dans un   bréviaire.   Nous  conviendrons toutefois qu'un nombre considérable des nouveaux répons  et des nouvelles antiennes présente des   accidents  d'une haute poésie ; mais on doit l'attribuer à la divine magnificence des Livres saints, dont les fragments,   si   mutilés qu'ils soient, gardent souvent encore une partie de leur  éclat. C'est donc à l'inspiration de l'écrivain sacré  qu'il faut en faire honneur, et non au goût   de  nos docteurs, qui  en est demeuré totalement innocent.

 

Leur grand principe de composition était, comme on sait, de tirer de l'Écriture sainte tous les matériaux des nouveaux répons et antiennes ; mais, pour cela, il eût été bon de sentir la différence des styles de l'Écriture. Ainsi, il ne pouvait pas être égal de tirer un Répons de Salomon, d'Isaïe, des Psaumes, etc., ou de l'emprunter, par exemple, aux endroits familiers des Épîtres des Apôtres dans lesquels le style s'embarrasse de conjonctions, d'adverbes, d’inversions qui le rendent difficile même pour la simple lecture. La pensée que tous ces centons ne seraient utiles qu'autant qu'on les pourrait mettre en chant, et qu'on ne les plierait aux règles de la musique qu'autant qu'ils en seraient susceptibles, ne leur vint même jamais dans l'esprit (le lecteur a vu, dans la lettre pastorale du missel de Vintimille, qu'on avait fini par s'apercevoir de cette distraction des rédacteurs du bréviaire. Les musiciens avaient sans doute réclamé sur leur impuissance à noter certains répons et antiennes.).

 

Foinard ne trouvait-il pas tout naturel de faire changer des réflexions en antiennes ? Comment aurait-il été frappé des différences du style poétique et musical, avec le style d'une conversation familière ? Comment se serait-il aperçu que toutes les pièces de l’Antiphonaire grégorien ont été choisies suivant les règles dont nous parlons (Foinard et ses successeurs auraient bien dû se demander pourquoi saint Grégoire qui, dans son responsorial, garde inviolablement la coutume d'extraire les répons de matines des livres de l'Écriture occurrente, a dérogé à cet usage durant les semaines après l'Epiphanie où on lit les Épîtres de saint Paul ; mais tous ces grands hommes qui rejetaient si loin l'office romain, comme au-dessous dès besoins de l'Église, s'étaient bien gardés d'y comprendre quelque chose), et que le texte même de l'Écriture a souvent été remanié pour être adapté plus aisément aux nécessités musicales ? Mais le sens avec lequel on juge ces sortes de choses manquait entièrement à ces hommes aussi obtus que profondément pédants.

 

Jamais donc ils ne se doutèrent du prosaïsme de leur compilation, ni de l'impuissance de tous les musiciens du monde à revêtir d'un chant passable ces bouts de versets qu'ils entassaient avec tant de triomphe. Les exemples à citer seraient innombrables ; mais ce n'est pas ici le lieu de nous y appesantir. Nous citerons cependant comme échantillon du nouveau parisien, les antiennes des secondes vêpres de la fête de saint Pierre et de saint Paul. Il est difficile de choisir, dans toute l'Écriture, des passages moins faits pour être chantés, tant pour le ton qui y règne que pour la facture du style. Quand on pense que Vigier et Mésenguy avaient toute l'Écriture à leur disposition, on ne peut s'empêcher de reconnaître leur mauvaise intention, d'aller chercher dans une seule épître la matière de ces cinq antiennes, eux qui savent si bien fouiller la Bible tout entière pour fournir aux diverses parties des nouveaux offices.

 

On voit que, non contents d'avoir supprimé l'antique octave de la fête de saint Pierre, ils ont à cœur de retrancher de son office tout ce qui pourrait exalter l'enthousiasme des fidèles. Voyez plutôt :    

1. Justum arbitror quandiu sum in hoc tabernaculo, suscitare vos in commonitione.

2. Velox est depositio tabernaculi mei, secundum quod et Dominus noster Jesus Christus significavit mihi.

3.  Dabo operam et frequenter habere vos post obitum meum, ut horum memoriam faciatis.

4.  Properantes in adventum diei Domini, satagite immaculati et inviolati ei inveniri in pace.

5.  Domini nostri longanimitatem salutem arbitremini; sicut et carissimus frater noster Paulus, secundum datam sibi sapientiam scripsit vobis.

 

Certes, le ton de ces cinq antiennes n'a rien qui ne soit parfaitement d'accord avec le style de ces réflexions que Foinard voulait placer aux secondes vêpres : mais assurément saint Grégoire lui-même se fût reconnu impuissant à mettre en chant : Justum arbitror — quandiu sum in hoc — secundum quod et — et frequenter habere vos post — immaculati et inviolati ei inveniri in, etc.

 

Un trait choisi entre mille dans le Bréviaire de Robinet, ne sera pas moins propre à réjouir le lecteur. C'est l'antienne solennelle des Laudes du jour même de Noël :

Pastores videntes cognoverunt de verbo quod dictum erat illis de puero hoc.

Après ce puero hoc, il nous semble que nous n'avons plus rien à ajouter pour le moment.

 

Voyons maintenant si, sur le fond, nos modernes liturgistes ont été plus heureux que sur la forme. On sait que leur prétention était de faire que, désormais,  on n'eût plus à prier Dieu qu'avec la parole de Dieu même : Deum de suo rogare. Cela voulait dire que répons, antiennes, versets, tout serait désormais tiré de la Bible. Sur les mystères dont l'accomplissement est rapporté dans les saintes Écritures, on conçoit encore qu'on pourrait trouver, tant bien que mal, un nombre suffisant de textes pour remplir les divers cadres, en bannissant les magnifiques pièces de style ecclésiastique qui exprimaient les mystères d'une manière bien plus précise, ayant souvent été composées contre les hérétiques. Mais quand il s'agirait de l'office des Saints, la Bible pourrait-elle fournir aussi abondamment ? ne serait-elle pas muette souvent dans ces occasions, en sorte qu'il n'y aurait plus d'autre ressource que le sens accommodatice ? Mais ce sens, qui n'est que dans les mots, est-il la parole de Dieu ? Est-ce là Deum de suo rogare ?

 

Ainsi le système croule de lui-même dans toutes les occasions où il s'agit de composer l'office et même le commun de la plupart des saints, à moins que l'on ne veuille étaler des impies maximes générales de morale qui ne sont employées qu'improprement à la louange de ces amis de Dieu. Nos faiseurs sentirent cette indigence de leur système et se mirent à bâtir des offices avec des textes qui semblaient faire allusion aux faits qu'ils voulaient célébrer, mais qui, en réalité, n'y avaient aucun rapport. En cela, ils allaient contre leurs engagements, et bien souvent encore l'irrévérence commise contre la parole sainte rejaillissait sur les saints eux-mêmes, qu'ils avaient prétendu louer mieux que l'Église romaine.

 

Citons quelques exemples ; nous les tirerons du Bréviaire de Robinet qui est suivi, comme nous l'avons dit, dans trois églises de France.

 

Au jour de l'Assomption de la sainte Vierge, l'antienne des premières vêpres est ainsi conçue : Magna eris et nomen tuum nominabitur in universa terra.  Ce prétexte paraît fort beau, et on est tenté d'aller le chercher dans  la source d'où il est tiré, pour en admirer de plus près le merveilleux à-propos. Qu'on aille donc consulter le livre de Judith, chapitre XI, verset 21, suivant l'indication que Robinet en donne lui-même : qu'y trouvera-t-on ? Sont-ce les éloges des anciens de Béthulie à la libératrice de cette ville ? Non ; c'est Holopherne qui parle et qui dit à la pieuse veuve, pour la récompenser de ce qu'il estime être sa trahison : TU IN DOMO NABUCHODONOSOR magna eris, et nomen tuum nominabitur in universa terra. Certes, si l'application de ces paroles à la sainte Vierge n'est pas un blasphème, il faut dire alors que la parole d'Holopherne est la parole de Dieu, et la maison de Nabuchodonosor le royaume des cieux. Que les admirateurs des nouvelles Liturgies nous expliquent ce qu'il faut en croire.

 

Au commun d'un abbé ou d'un moine, le capitule de tierce est ainsi conçu : Descenderunt multi quœrentes judicium et justifiant in desertum, et sederunt ibi, avec l'indication suivante : I Machab., II, 29, Voilà un beau texte : c'est évidemment une prophétie sur l'état monastique. Cependant, si nous cherchons au lieu indiqué, nous voyons tout d'abord que Robinet n'a pas été plus sincère en cet endroit qu'en celui du livre de Judith ; car nous lisons : Et sederunt ibi ipsi, ET FILII EORUM, ET MULIERES EORUM ET PECORA EORUM. Voilà d'étranges moines avec leurs enfants, leurs femmes et leurs bestiaux ! Encore une fois, ce n'est pas là de l’Écriture sainte sur l'état monastique ; c'est une supercherie déplacée et rien autre chose.

 

Voici quelque chose de pis encore ; car Robinet lance une grosse hérésie, sans s'en apercevoir. Du moins, on ne dira pas qu'en cela il abonde dans le sens du gallicanisme. C'est dans l'office de saint Pierre et de saint Paul, au cinquième répons.

R/ Urbs fortitudinis nostrœ Sion ; Salvator ponetur in ea * Munis et antemurale. V/ Tu es Petrus et super hanc petram * Murus et antemurale.

Ainsi, Sion est la cité de notre force, le Sauveur en est la muraille et le rempart ; saint Pierre est la pierre, et sur cette pierre est la muraille et le rempart. Jésus-Christ est donc appuyé sur saint Pierre, et non saint Pierre sur Jésus-Christ. Si le répons n'a pas ce sens, il n'en a aucun. Et tout cela s'appelle : Deum de suo rogare !

 

Disons plutôt que ces hommes, en refaisant ainsi la Liturgie à la mesure de leur propre génie, bien qu'ils n'aient pas senti tout le mal qu'ils nous faisaient, à raison de leur complète ignorance dans les choses du goût, ont fait ce qu'ils ont pu, en France, pour l'extinction totale de la poésie catholique, en y abolissant les antiques chants de la chrétienté et nous jetant en place le décousu prétentieux de leurs antiennes et de leurs répons bibliques.

 

Nous n'étendrons pas davantage ces considérations sur l'innovation liturgique sous le rapport littéraire, puisque nous devons traiter de la langue et du style de la Liturgie, dans une des divisions de cet ouvrage.

 

Passons aux influences de la révolution liturgique sur le chant.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — RÉACTION CONTRE L'ESPRIT JANSÉNISTE DES NOUVELLES LITURGIES. — BRÉVIAIRE D'AMIENS. — ROBINET.— BREVIAIRE DU MANS.— CARACTERE GÉNÉRAL DE L'INNOVATION LITURGIQUE SOUS LE RAPPORT DE LA POÉSIE, DU CHANT ET DE L'ESTHÉTIQUE EN GÉNÉRAL. — JUGEMENTS CONTEMPORAINS SUR CETTE GRAVE REVOLUTION ET SES PRODUITS.

 

Amiens cathédrale Notre-Dame

Maître-Autel, Cathédrale Notre Dame d'Amiens

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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 12:30

Un seul trait du Bréviaire de Robinet fera voir clairement l'étrange distraction dans laquelle l'auteur était plongé.

 

Dans l'office de saint Louis, roi de France, il s'était avisé de composer des répons et des antiennes dans lesquels il supposait que la famille de ce saint Roi demeurerait toujours et gouvernerait à jamais la France. — Domus servi tui, Deus Israël, erit stabilita coram Domino. — Nunc ergo, Domine Deus, benedic domui servi tui ut sit in sempiternum coram te. — Benedictione tua benedicetur domus servi tui. — Domine Deus, verbum quod locutus es super servum tuum et super domum ejus suscita in sempiternum, ut magnificetur nomen tuum. Que signifiait tout ceci ? Dans le cas que la race de saint Louis eût reçu du ciel la promesse solennelle de durer autant que l'Église, ces prières auraient, il est vrai, un sens très beau et très légitime ; mais dans le cas contraire, dont il faut bien admettre au moins la possibilité, les inspirations toutes humaines, toutes mortelles qui avaient produit l'innovation liturgique, pouvaient-elles se trahir d'une manière plus naïve ? C'était, certes, la première fois que les prières de l'Église la laissaient voir inféodée à une dynastie humaine, et si étroitement que, cette dynastie venant à s'éteindre, il deviendrait nécessaire de retoucher le bréviaire. Il est vrai que jusqu'alors de simples particuliers ne s'étaient pas avisés encore de rédiger des prières à l'usage de l'Église.

 

Nous ne signalons ici que quelques particularités du Bréviaire de Robinet ; nous aurons le temps de le considérer en détail dans l'étude générale de l'office divin. Il  nous reste maintenant à raconter sa destinée. Elle fut loin d'atteindre à l'éclat de celle du Bréviaire de Vigier et Mésenguy. Ce dernier était une œuvre du parti, et d'ailleurs, apparaissant aux yeux du public comme le bréviaire de l'Église de Paris, il semblait appelé à conquérir une plus grande considération. Quant à la valeur respective de ces deux bréviaires, puisqu'il faut juger  du mérite d'un  travail de  ce genre comme  d'une  œuvre individuelle, nous pensons que s'il y avait une meilleure doctrine et une science plus variée dans le Bréviaire de Robinet, il y avait aussi moins de formes étranges, plus, d'harmonie, plus de goût dans celui de Vigier et Mésenguy. Le Breviarium ecclesiasticum ne devait donc faire qu'une fortune médiocre. Les seuls diocèses du Mans, de Cahors et de Carcassonne l'adoptèrent ; encore ne fut-il reçu  au Mans qu'à certaines conditions qui sont trop remarquables pour ne pas trouver place dans notre récit.

 

Cette église était alors gouvernée par  un prélat zélé contre le jansénisme, et dont la mémoire est demeurée précieuse devant Dieu et devant les hommes : Charles-Louis de Froullay. 

 

Nous nous tenons d'autant plus obligé à rendre ce trop juste témoignage à la mémoire de ce prélat, que nous habitons un monastère à l'égard duquel il donna l'exemple d'une piété et d'une générosité qu'on peut considérer comme un véritable prodige, à l'époque où il le fit paraître. Il tenait en commende l'abbaye de Saint-Pierre de la Couture du Mans, et avait droit en cette qualité de pourvoir d'un titulaire le prieuré de Solesmes, qui était la principale dépendance de la Couture. La congrégation de Saint-Maur, introduite à Solesmes en 1663, avait en vain cherché à obtenir la réunion de la mense priorale à la mense conventuelle ; tout ce qu'elle avait pu faire avait été de procurer de temps en temps la collation du prieuré à quelques religieux. Mais, à chaque vacance, la commende était toujours sur le point d'envahir de nouveau le monastère. Charles de Froullay voulant user de son autorité pour traiter favorablement le prieuré de Solesmes, sur la requête des moines, envoya au Roi des lettres de consentement à l'extinction du titre prioral et à sa réunion à la mense conventuelle. Louis XV fit expédier, sous la date du 9 février 1753, un brevet que le prieuré, aujourd'hui abbaye de Solesmes, possède encore dans ses archives, et qui autorise le prieur et les moines à poursuivre ladite extinction.

 

Charles-Louis de Froullay, bien qu'il eût subi, comme l'évêque d'Amiens, l'influence de son siècle sur les choses de la Liturgie, plus heureux que ce prélat,  avait goûté  les saintes maximes de l'archevêque Languet sur l'inimitable valeur de la tradition dans les prières de la Liturgie,  et sur le danger qu'il y aurait à considérer l'Écriture sainte comme l'unique élément des sacrés cantiques. Au milieu de la défection générale, il eut le courage de faire entendre sa voix en faveur des antiques formules grégoriennes, et il déposa, dans la lettre pastorale même par laquelle il annonçait à son diocèse le nouveau bréviaire, un témoignage solennel en faveur de la tradition liturgique. Dans cette pièce, qui est du 25 mars 1748, après avoir dit qu'on avait puisé la matière des antiennes et des répons dans les passages des Écritures qui avaient semblé les plus convenables pour rendre les sentiments de la piété, Charles de Froullay ajoutait ces paroles remarquables :

" Mais  comme l'Église emploie de temps en temps sa propre  voix,  pour parler à  son époux  céleste,  nous avons  retenu certaines antiennes qui n'ont pas été extraites  des livres sacrés, mais qu'une piété docte a enfantées  et qu'une tradition sans tache a consacrées. Par leur  secours,  les   dogmes catholiques   cessent de paraître   nouveaux ; les fidèles les sucent avec le lait, et se les  approprient par un usage journalier. Insérés dans des  formules de prières, ces dogmes s'attachent plus fortement au cœur du chrétien, et se transmettent aux générations futures à l'aide de la récitation et du chant."

 

Voilà bien la doctrine du concile de Tolède, la doctrine des   livres   grégoriens,  la   doctrine  de   Languet  contre l'évêque de Troyes. On  conserva donc dans le nouveau Bréviaire manceau quelques traces de l'ancienne Liturgie, et ces traces, si rares qu'elles fussent, plaçaient ce bréviaire dans une classe à part, et demeurèrent comme une réclamation en faveur des usages de l'antiquité, dont la suppression ne serait peut-être pas sans retour. Seul entre tous les nouveaux bréviaires de France, celui de Froullay garda donc plusieurs des magnifiques antiennes de Noël, de la Circoncision, de l'Ascension, de la Trinité, du Saint Sacrement, de l'Assomption, de la Nativité de la sainte Vierge ; les absolutions et bénédictions romaines, etc.

 

On y remarquait aussi avec étonnement et édification que, dans cette époque de licence liturgique, lorsque tant de mesures avaient été prises pour diminuer le culte de la sainte Vierge et des Saints, principalement au moyen du privilège affecté au dimanche de ne céder désormais qu'aux fêtes de Notre-Seigneur, ou tout au plus qu'à celles du degré solennel, les rubriques du nouveau Bréviaire manceau portaient que le dimanche céderait à toutes les fêtes du rite double majeur (les seules après tout, qu'on eût conservées à neuf leçons), ce qui maintenait la célébration populaire, non seulement des fêtes moins solennelles de la sainte Vierge, mais de celles des apôtres, de la Sainte-Croix, de plusieurs saints, etc. Il y avait, sous ce rapport, un siècle entier de distance entre le Bréviaire de Froullay et ceux qu'on introduisait journellement dans la plupart des diocèses de France.

 

Sous le point de vue de l'orthodoxie dans les matières de la grâce, le travail de Robinet non seulement était irréprochable, mais en plusieurs endroits le zélé docteur avait su amener des protestations dans le sens des récentes décisions de l'Église. Charles de Froullay avait conservé tous ces détails ; ce qui fut cause que son bréviaire fut violemment attaqué dans les Nouvelles ecclésiastiques (27 février 1751). Les jansénistes  reprochaient surtout certaines strophes des hymnes du psautier, qui sont toutes de la composition du docteur Robinet, et, dans ces strophes, les vers suivants : 

Vires ministras arduis

Non impares laboribus.

 

Et encore ceux-ci :    

Donis secundans gratiœ

Quem lege justus obligas.

 

Mais la manière dont la trop fameuse strophe de Santeul, dans l'hymne des évangélistes, avait été retouchée, causait plus de chagrin encore aux sectaires. Au Mans, on ne s'était pas contenté de la correction d'Évreux; on avait mis : 

Insculpta saxo lex vetus

Præcepta, non vires dabat ;

Inscripta cordi lex nova

Præcepta dat cum viribus.

 

Notre but n'étant point, dans ce coup d'oeil sur l'histoire liturgique, de réunir tous les détails du sujet qui nous occupe, nous nous bornerons à cette brève excursion sur les Bréviaires d'Amiens et du Mans. Elle suffira pour constater le fait d'une réaction courageuse, mais impuissante, contre les efforts de la secte janséniste sur les principes de la Liturgie : malheureusement, comme on le voit, cette réaction n'eut pour théâtre que d'étroites localités, et se paralysa elle-même, parce que ceux qui la dirigeaient convenaient sur la plupart des principes avec leurs adversaires.

 

Suspendons maintenant le récit des événements de la réforme liturgique, et livrons-nous à quelques considérations sur le caractère de cette révolution dans ses rapports avec le goût, la poésie et l'esthétique en général.

 

Chez tous les peuples, et principalement dans la religion chrétienne, les choses du culte divin ont toujours eu une relation intime avec la poésie et les arts : toute révolution qui les concerne a du par conséquent offrir des phénomènes importants à étudier sous le point de vue de la forme.  Tout est poésie dans la Liturgie,  aussi procède-t-elle presque toujours avec le  secours du chant. Si le mètre ne distingue pas toutes ses formules, le nombre, la cadence, la rime même le supplée, et toujours l'enthousiasme   lyrique domine l'œuvre  tout entière.   C'est cet enthousiasme qui éclate dans les répons, après que le chœur a écouté en silence la lecture des leçons, dans les antiennes qui suivent les psaumes et les cantiques,  et réunissent dans un chant à l'unisson les voix jusqu'alors divisées dans un chant alternatif. Ces hommes donc qui s'imposaient la rude tâche de refaire en masse le répertoire des chants chrétiens à l'usage des églises de France, devaient être doués d'un  miraculeux don de poésie et d'une abondance que rien ne pourrait épuiser. C'était là, certes, l'acte d'un grand courage, que de se dévouer à remplacer l'œuvre successive des peuples chrétiens par les simples ressources d'une inspiration unique et individuelle. Leur cœur, comme celui du Prophète, avait sans doute conçu avec plénitude la parole toute-puissante, et ils sentaient, dans  un sacré  délire, que leur diction allait s'élancer rapide comme la plume  de l'écrivain le plus exercé. On ne devait pas moins attendre d'eux,  et la gloire du XVIIIe siècle était à jamais fondée au-dessus de tout ce que  l'on  vit jamais de plus éclatant.  Il en fut néanmoins   autrement. Des hommes impuissants à toute poésie, étrangers par tempérament, par éducation, par système, à ce mens divinior qui nous ravit non seulement dans les écrivains sacrés, mais dans les Pères de l'Église, s'étaient imposé la tâche dont nous parlons, et se mirent à refaire la Liturgie de fond en comble, sans s'être jamais doutés que c'était sur la plus haute poésie qu'ils s'exerçaient.

 

Voyons-les à l'œuvre, mais entendons d'abord leurs jugements sur les monuments de l'ancienne Liturgie. La Providence a permis que quelque chose de leurs théories nous ait été conservé dans le fameux Commentaire de Grancolas sur le Bréviaire romain, ouvrage d'où nous avons déjà extrait son Projet de bréviaire. Voici donc quelques-uns des oracles rendus par ce grave docteur, sur un certain nombre de morceaux caractéristiques de la Liturgie romaine.

 

Dans les matines du jour de Noël, l'Eglise chante les répons suivants en manière d'intermèdes, à la lecture des prophètes :

Hodie nobis cœlorum Rex de Virgine nasci dignatus est, ut hominem perditum ad cœlestia regna revocaret : * Gaudet exercitus angelorum quia salus œterna humano generi apparuit. V/. Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonœ voluntatis. * Gaudet.

Hodie nobis de cœlo pax vera descendit : * Hodie per totum mundum melliflui facti sunt cœli. V/ Hodie illuxit nobis dies redemptionis novœ, reparationis antiquœ, felicitatis œternœ. * Hodie.

O magnum mysterium et admirabile sacramentum ut animalia viderent Dominant nattim, jacentem in prœcepio : * Beata Virgo cujus viscera meruerunt portare Dominum Christum.

 

Les autres répons sont tous sur ce ton d'inspiration tendre et de majestueuse jubilation. Voyons maintenant comment le docteur Grancolas les apprécie.  "Ces répons,  dit-il, sont de pieux mouvements de l'Église en considérant la naissance de Jésus-Christ." Ainsi, Grancolas reconnaît que ces répons sont la parole de l'Église ; c'est la parole de l'Eglise même qu'il s'agit de juger sous le rapport du bon goût. Il continue donc : "Tantôt elle y  loue Dieu qui nous donne son Fils dans sa naissance :  quelquefois elle s'adresse à la sainte Vierge qui l'a mis  au monde. Il aurait été à souhaiter que ces répons et  les antiennes des laudes eussent tous été tirés de l'Écriture, comme le sont les antiennes des matines et des  vêpres. On voit que ceux qui ont composé cet office se  sont abandonnés aux pieux mouvements que leur inspirait ce mystère."

 

Ceux-là, Grancolas vient d'en convenir, sont pourtant l'Église ; c'est elle qui a ressenti, en présence du mystère, ces mouvements d'inspiration qui paraissent si déplacés au grave sorboniste. Sa critique descend ensuite dans le détail :

" On pourrait, dit-il, retoucher le second répons : Melliflui facti sunt cœli, pour  exprimer les biens que le ciel procure au monde en  donnant Jésus-Christ." (Grancolas a peur que les fidèles ne se croient à la veille d'être inondés d'un déluge de miel ) ;  aussi bien que le Verset Dies redemptionis novœ, reparationis antiquœ. N'est-ce pas la faute  qui est ancienne, qui demandait à être réparée ? et  cette réparation s'est faite par la Rédemption." On voit que le Docteur persiste à ne pas vouloir appliquer les règles du style poétique aux prières de la Liturgie, sans doute parce qu'il ne saurait s'imaginer que ce qui n'est pas en vers proprement dits, peut cependant être de la poésie.

 

" Dans le quatrième répons, l'auteur ( c'est probablement l'Église qu'il veut dire ) avait sans doute en but le  bœuf et l'âne, avec lesquels on peint ordinairement la  naissance de Jésus-Christ, ut animalia viderent Dominum natum jacentem in prœsepio. C'est une imagination qui n'a point d'autre fondement qu'un passage  d'Isaïe, qui n'a aucun rapport à la naissance de Jésus-Christ. L'Évangile, ni les anciens n'ont rien dit de ces deux animaux à la crèche ; ce n'est que vers le Ve siècle  qu'on trouve cette application au lieu où Jésus-Christ  est né."

Ici Grancolas fait défaut non seulement au sens poétique, mais, qui pis est, à la science de l'antiquité. Saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Jérôme, le poète Prudence, sont comptés parmi les anciens et sont des Pères du IVe siècle; cependant, ils rendent témoignage sur la tradition du bœuf et de l'âne à la crèche du Messie.

 

Nous citerons ici trois des antiennes de l'octave de Noël, in Circumcisione Domini ; on jugera mieux de l'ingénieuse critique de Grancolas. Elles ont été composées dans l'Église romaine, au temps des hérésies de Nestorius et d'Eutychès, pour confirmer la créance des fidèles, et elles ont été environnées de la plus profonde vénération dans tous les âges. Voici la première : 

O admirabile commercium ! Creator generis humani animatum corpus sumens de Virgine nasci dignatus est, et procedens homo sine semine largitus est nobis suam Deitatem.

 

" Les Pères de l'Oratoire, dit Grancolas qui les  approuve en cela, changent la fin de l'antienne O admirabile, et au lieu de procedens homo sine semine, ils  disent nostrae factus mortalitatis particeps, qui est une expression plus châtiée."

Admirez l'extrême pudeur de Grancolas et des Pères de l'Oratoire. Le siècle de Louis XV était bien choisi pour une semblable expurgation du langage de l'Église !

 

Le Docteur attaque ensuite en homme de goût les deux antiennes suivantes :

Ecce Maria genuit  nobis Salvatorem quem Joannes

videns exclamavit dicens : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi !

Rubum quem viderat Moyses incombustum, conservatam agnovimus tuam laudabilem ; Dei Genitrix, intercede pro nobis.

 

" Cette Antienne  Ecce  Maria...   quem  Joannes...... Cela est bien distant l'un de l'autre, la naissance de  Jésus-Christ par Marie, et sa manifestation par saint  Jean dans la même antienne ; comme aussi rubum,  l'allégorie entre le buisson et la virginité dans une  antienne !"

Ainsi, dix-huit siècles après l'accomplissement, on ne peut, sans un anachronisme qui révolte le docteur, rappeler, en présence du berceau de l'Enfant Jésus, sa touchante qualité d'Agneau de Dieu, ni les rapports qu'il aura avec saint Jean. Grancolas ne se doute pas qu'il attaque ici l'iconographie chrétienne de tous les siècles ; car la peinture catholique n'est qu'un reflet de la Liturgie. Quant à sa répugnance à voir le rapport du buisson qui brûle sans se consumer, avec la virginité de Marie que sa maternité n'altère pas, on ne peut que plaindre de pareils hommes et déplorer le sort de la poésie catholique, livrée à la merci de leur brutalité.

 

Écoutons pourtant encore notre critique : rien ne saurait être plus instructif. C'est à propos de ce beau répons des matines de la Circoncision :

Confirmatum est cor Virginis in quo divina mysteria Angelo nuntiante concepit : tunc speciosum formœ prae filiis hominum castis suscepit visceribus * et benedicta in œternum Deum nobis protulit et hominem.

Grancolas se croit obligé de prévenir qu'il ne faut pas conclure de ces paroles, cor virginis in quo concepit, que Marie aurait conçu le Sauveur dans son cœur et non dans ses entrailles, et il a le courage d'en appeler aux paroles de l'Ange : Concipies in utero.

 

Mais voici quelque chose de plus pitoyable encore. Le huitième   répons du même office est formé de ces gracieuses et nobles paroles :

Nesciens Mater Virgo virum peperit sine dolore Salvatorem sœculorum : ipsum Regem Angelorum sola Virgo lactabat ubere de cœlo pleno.

Qui jamais se serait imaginé qu'il fût besoin d'avertir ceux qui chantent ce répons, que l'allaitement du divin Enfant n'avait pas lieu au moyen d'un canal de communication par lequel le lait serait descendu du ciel au sein de la Vierge ? C'est pourtant contre cette interprétation burlesque et indécente que Grancolas cherche gravement à prévenir son lecteur. Ces délicatesses de poésie et de piété le dégoûtent et le font soupirer sans cesse après le jour où tous ces pieux mouvements seront remplacés par des phrases de la Bible.

 

Notre réformateur liturgique ne montre pas plus d'indulgence pour les inspirations de l'Église sur le mystère de la croix, qu'il n'en a fait paraître sur celui de la naissance du Sauveur. Il dénonce la célèbre strophe : O Crux, ave, spes unica !  Cette expression, dit-il, paraît un peu forte ; on pourrait l'adoucir, en disant : 

" O Christe, nostrae victima 

Salutis, et spes unica : 

Serva pios, per hanc Crucem 

Reisque dele crimina. "

 

C'est tout à fait le système de Coffin, quand il adoucissait l’Ave maris Stella. Heureusement, la strophe de Grancolas n'a été adoptée nulle part. Le sentiment qu'il exprime dans ces vers ne rappelle que trop le mot de Luther dans sa Liturgie : "Nous avons en horreur les fêtes de la Croix". Voici encore des paroles de Grancolas qui témoignent de son opposition au culte des instruments de la Passion du Sauveur : "Ne serait-il pas à propos  de recommander un silence perpétuel sur la couronne  d'épines, les clous, le suaire et autres instruments de la  Passion ; choses inconnues dans la belle antiquité,  et dont on n'a presque point ouï parler avant le  XIIe siècle ?" Ici, au mauvais goût se joint encore l'ignorance, car les monuments les plus graves et les plus anciens déposent en faveur de l'existence et de l'authenticité de la sainte couronne d'épines, des clous, etc. Pour être juste, nous devons dire que Grancolas ajoute :  "On  peut honorer le saint sépulcre et la vraie croix."

 

Parmi les nombreux monuments de l'inspiration liturgique, la chrétienté admire avec transport le beau chant connu sous le nom de Prœconium paschale, et qui, commençant par ces mots : Exultet jam angelica turba cœlorum, éclate avec une si ineffable jubilation, à l'office du Samedi saint. Voici l'avis de Grancolas sur cette magnifique pièce, qui n'a pas, il est vrai, le mérite d'être composée de versets de la Bible : "Cette prière est fort  obscure et très-difficile à expliquer pour lui donner un  bon sens."

 

S'agit-il de l'immortel office du Saint Sacrement, l'œuvre du Docteur angélique, notre critique nous dit avec un imperturbable sang-froid :  "Quand on voudra examiner  de près cet office, on ne trouvera point qu'il mérite de  si grands éloges ; car, outre qu'il ne serait pas difficile  d'en faire un plus exact, c'est que l'hymne Pange, lingua,  est très-plate. On y voit Jésus-Christ appelé fructus ventris generosi ! Le Sacris solemniis est celle où il y  a le plus de feu et d'élévation. Ces hymnes n'ont ni  pieds, ni cadence, et ne sont qu'une pure rime ou rimaille ! La prose Lauda, Sion, serait plus complète, si on en retranchait plusieurs des premières  strophes !"

Nous espérons qu'on nous dispensera d'un commentaire sur ces monstruosités non moins énormes, en fait de poésie, que scandaleuses en fait de Liturgie.

 

Encore un trait : c'est le jugement de Grancolas sur les antiennes à la sainte Vierge, Alma Redemptoris, Ave Regina cœli, Salve Regina.  "Ces antiennes, dit-il, faites  par des moines et ajoutées à leur office, ne méritaient  guère d'entrer dans nos bréviaires, tant pour leurs  expressions assez peu mesurées, que pour leur composition, qui était des plus plates."

 

Telle était la critique littéraire sur la Liturgie, au XVIIIe siècle, non sous la plume de Voltaire, mais sous celle d'un savant docteur de Sorbonne, d'un auteur qui a exercé une influence considérable sur la révolution que nous racontons, d'un auteur dont le livre, fort remarquable d'ailleurs, a obtenu, au siècle dernier, les honneurs d'une traduction latine, en Italie.

 

Nous ne pouvions, ce nous semble, prouver par des faits plus expressifs que sous le point de vue de l'appréciation de la Liturgie antérieure, le sens poétique avait totalement manqué aux auteurs de l'innovation.

 

Montrons maintenant qu'ils en ont été tout aussi dépourvus dans leurs propres compositions.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — RÉACTION CONTRE L'ESPRIT JANSÉNISTE DES NOUVELLES LITURGIES. — BRÉVIAIRE D'AMIENS. — ROBINET.— BREVIAIRE DU MANS.— CARACTERE GÉNÉRAL DE L'INNOVATION LITURGIQUE SOUS LE RAPPORT DE LA POÉSIE, DU CHANT ET DE L'ESTHÉTIQUE EN GÉNÉRAL. — JUGEMENTS CONTEMPORAINS SUR CETTE GRAVE REVOLUTION ET SES PRODUITS.

 

 

Charles-Louis de Froullay, évêque du Mans

Charles-Louis de Froullay, Evêque du Mans, Cathédrale Saint-Julien

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