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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SALVE REGINA

6 février 2012 1 06 /02 /février /2012 12:30

Sur la liste si peu nombreuse des réclamants contre la destruction de toutes les traditions liturgiques, nous inscrirons à la fin de ce chapitre, à côté de Languet et de Saint-Albin, Belzunce, évêque de Marseille ; de Fumel, évêque de Lodève ; les séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; les abbés Regnault et Gaillande, et surtout ce courageux jésuite, le P. Hongnant, qui confessa, malgré la rage du parlement, ces pures traditions romaines dont sa société, toujours fidèle aux enseignements de saint Ignace, ne s'est jamais départie. Nous ne parlons point de Robinet, qui a eu trop de part à l'innovation, à Rouen et ailleurs, pour être recevable à la condamner à Paris.

 

Le lecteur a vu, sans doute avec satisfaction, dans le chapitre précédent, les manifestations de l'esprit catholique, en France, à l'occasion des nouveautés qui se produisaient de toutes parts dans la Liturgie.

 

Toutefois, une chose doit étonner, c'est que de pareilles réclamations, inspirées par des intentions si droites et revêtues de toute l'énergie nécessaire, n'aient fait tout au plus que ralentir la marche de l'innovation, sans la suspendre. Pour se rendre compte de ce fait, il ne faut que se rappeler les considérations dont nous avons fait précéder notre chapitre XVII. La déviation était universelle dans les doctrines admises par la plupart des catholiques français, et l'innovation liturgique, destinée à devenir un si puissant moyen d'accroître cette déviation, n'en était d'autre part que le résultat.

 

Ainsi, tandis que certains jansénistes donnaient plus ou moins ouvertement la main aux calvinistes, il y avait des fauteurs de la même secte qui n'embrassaient que partiellement ses doctrines, et plusieurs même qui ne sympathisaient expressément avec elle que sur des points relatifs aux institutions ecclésiastiques, lesquels n'avaient encore fourni matière à aucune condamnation de la part du Saint-Siège. Ces derniers vivaient assez en paix avec les catholiques sincères qui adhéraient aux bulles et formulaires, quoique ceux-ci se crussent en droit de leur reprocher une certaine hardiesse  de sentiment  dans des choses qu'ils regardaient pourtant comme libres. Mais les uns comme les autres gardaient au fond de leur esprit une conviction, savoir : que l'Église des premiers siècles avait joui d'une perfection qui a manqué aux suivants ; que les institutions ecclésiastiques du moyen âge étaient le résultat de principes moins purs que celles de l'âge primitif ; qu'il y avait quelque chose à faire pour mettre les habitudes religieuses plus en harmonie avec les besoins de la société ; enfin, tranchons le mot, que Rome, qui doit être suivie pourtant, était en arrière du mouvement que la France du XVIIIe siècle avait conçu et préparé. Ces idées, nous les trouvons traduites avec plus ou moins de ménagements dans toutes les œuvres de l'autorité ecclésiastique, depuis la moitié du XVIIe siècle, jusqu'à la veille de la grande catastrophe qui signala la fin du XVIIIe siècle et ouvrit les yeux d'un si grand nombre de personnes.

 

Cette liberté de juger les institutions actuelles de l'Église, liberté d'autant plus inquiétante qu'elle avait pour base les trop fameuses maximes qui nous isolaient sur plusieurs points du reste de la catholicité, affaiblissait dans l'opinion non seulement l'autorité du Saint-Siège, mais même celle de l'Église dispersée qui avait jugé avec Rome dans l'affaire de Jansénius et de Quesnel ; et c'est ce qui nous explique comment des évêques non jansénistes, tels que François de Harlay et Charles de Vintimille, employaient publiquement des jansénistes à des missions de haute confiance, comme le remaniement de la Liturgie, et toléraient les autres à la communion in divinis, pourvu qu'ils fussent simplement réfractaires aux bulles, mais non pas séditieux. Il est vrai que l'Église de France renfermait des évêques plus francs dans leur orthodoxie, plus jaloux d'imiter, quant à la fuite des hérétiques, cette antiquité dont on parlait tant : mais parmi ceux-là il s'en trouvait qui, tout en protestant que jamais un hérétique ne recevrait d'eux la commission de travailler sur la Liturgie, tout en fermant leur diocèse au bréviaire de Paris, songeaient néanmoins à remettre à neuf la Liturgie, sans se demander à eux-mêmes si ce n'était pas donner une atteinte au principe traditionnel qui fait la seule force de l'Église, et briser un des derniers liens extérieurs qui rattachaient l'Église de France au Siège apostolique. Il va sans dire que les bréviaires renouvelés par des prélats animés d'un zèle sincère pour la doctrine de la bulle, devaient renfermer une confession énergique des dogmes attaqués par les nouvelles erreurs, et, par là, contraster grandement avec les nouveaux livres parisiens ; mais, encore une fois, quelle étrange contradiction que celle de rompre avec la tradition sur tant de points, pour la faire triompher sur un seul !

 

Le premier bréviaire qui se distingue par cette bizarrerie est celui d'Amiens, publié en 1746 par l'évêque Louis-François d'Orléans de La Motte. Ce vénérable prélat, qui se montra toujours si zélé pour la pureté de la foi dans son diocèse, auquel il donna d'ailleurs l'exemple de toutes les vertus, avait sacrifié aussi à cet amour universel des nouveautés liturgiques qui transportait son siècle. Pendant que les jansénistes s'attachaient à faire disparaître les formes romaines de la Liturgie, parce qu'ils les trouvaient incompatibles avec leurs maximes, il crut apercevoir du danger dans un certain nombre de formules du Bréviaire romain, à raison des erreurs du moment, et, sans prendre l'avis du Saint-Siège, ou plutôt oubliant que les formules qui reposent sur la tradition sont inviolables, et que quand on parviendrait à les supprimer dans un diocèse particulier, l'Église, en tous lieux, ne cesserait pas pour cela de leur prêter son universelle autorité, il osa, dans son zèle, supprimer une grande partie des collectes des dimanches après la Pentecôte. Cette proscription tomba sur celles dans lesquelles il est parlé de la puissance de la grâce. Le prélat craignait qu'on n'en abusât auprès de son peuple : mais, malgré ses intentions toujours droites, il n'en donnait pas moins une leçon indirecte à l'Église romaine, leçon dont elle pouvait d'autant moins profiter qu'elle est inviolablement attachée à ces belles prières composées par les Léon et les Gélase, sanctionnées par une tradition solennelle, et dont, après tout, les hérétiques n'abuseront ni plus ni moins qu'ils n'abusent des Écritures. Une entreprise aussi hardie prêtait le flanc aux jansénistes, et ils ne manquèrent pas de la signaler dans les Nouvelles Ecclésiastiques (13 Février 1758). Au reste, c'était la première fois que, dans l'Église, la vérité se défendait par un moyen analogue à ceux que les sectaires ont si souvent employés pour la combattre : mais tel était le jugement de Dieu sur l'innovation liturgique du XVIIIe siècle, qu'elle devait être tantôt exploitée par des hérétiques, tantôt favorisée par des catholiques, et toujours au détriment du respect dû au langage de l'Église.

 

Dans les nouveaux livres d'Amiens, on avait cherché à dissimuler les intentions qui avaient amené la suppression des collectes dont nous parlons, en rédigeant le missel sur un nouveau plan. On avait pris pour base de chaque messe des dimanches, la leçon de l'évangile au missel romain, et, pour le reste, on avait cherché à mettre toutes les autres formules en rapport avec cette leçon qui devenait ainsi le centre obligé de chaque messe. Les introït, graduels,  offertoires, communions,  épîtres même, tout avait été bouleversé, renouvelé, suivant le besoin. Par suite de cet arrangement, on conçoit tout de suite que les collectes avaient pu aisément être sacrifiées, et sans qu'on eût trop le droit de s'en plaindre, pour peu qu'on accordât le principe (quelques-unes de ces collectes avaient été simplement transposées d'un dimanche à l'autre ; mais un grand nombre, et des plus belles, avaient été entièrement biffées ; on peut voir entre autres les messes des dimanches 5e, 6 e, 7 e, 14 e, 15 e, 16 e, 17 e, 18 e, 19 e, 20 e, 21 e, 22 e, 24 e, après la Pentecôte.). Mais ce principe, inouï jusqu'alors, était en lui-même si contraire à toute tradition, que le Missel de Vintimille lui-même était là pour réclamer contre, ainsi que nous l'avons remarqué au chapitre précédent. Nous retrouverons ailleurs encore en action le système du Missel amiénois ; mais le lecteur ne pourra sans doute s'empêcher de trouver bizarre ce privilège accordé à la leçon de l'évangile des dimanches, aux dépens des autres leçons choisies par la même autorité et dans une antiquité non moins reculée. Bien plus, n'est-ce pas une chose triste de voir de ses yeux que le pieux Louis de La Motte, en remuant ainsi arbitrairement la Liturgie de son Église, plaçait sous un rapport son missel au-dessous même de celui de l’Église anglicane, qui a jugé à propos de conserver dans la Liturgie des dimanches, non seulement les évangiles du missel romain, mais aussi les épîtres et surtout les collectes. Et nunc intelligite !

 

Quant à l'aspect général des nouveaux livres d'Amiens, il était semblable en tout à celui du nouveau parisien. La réforme du psautier avait été faite dans le même sens. Le calendrier, le propre du temps, le propre des saints, les communs, tout, en un mot, présentait les mêmes analogies à la surface : si l'on pénétrait plus avant, on trouvait, il est vrai, de nombreuses marques des intentions catholiques qui avaient présidé au choix ou à la rédaction des différentes pièces. Enfin, ces livres étaient aussi bons qu'ils pouvaient l'être, pourvu qu'on passât condamnation sur le fait de leur existence et sur les résultats déplorables qu'ils étaient appelés à produire, tout aussi bien que les autres, en aidant à la destruction des traditions dans le culte divin, et, par là, à la ruine des anciennes mœurs catholiques.

 

L'année 1744, qui précéda de deux ans celle de la publication du nouveau Bréviaire d'Amiens, avait été remarquable dans les fastes de la Liturgie française, par un fait du même genre que celui que nous venons de raconter, et qui eut des suites plus étendues encore. Ce fut en cette année que le docteur Urbain Robinet publia son Breviarium ecclesiasticum. Les intentions qui le portèrent à marcher ainsi sur les traces de Foinard, étaient pures, sans aucun doute. Il voulait opposer un corps de Liturgie, rédigé dans un sens tout catholique, au Bréviaire de Vigier et Mésenguy, contre lequel nous avons dit qu'il avait énergiquement réclamé.

 

Au reste, sur les principes généraux de l'innovation liturgique, c'était toujours la même doctrine ; toujours la manie de refaire le langage de l'Église à la mesure d'un siècle en particulier et des idées d'un simple docteur ; l'Écriture sainte admise comme matière unique des antiennes, versets et répons ; la réduction du bréviaire à une forme plus abrégée. Sous ces divers aspects, nous livrons Robinet au jugement sévère de la postérité, avec tous les autres faiseurs de l'époque.

 

Mais, ces réserves une fois faites, il faut reconnaître dans ce docteur un de ces honnêtes catholiques qui subissaient la loi que le siècle leur avait faite, et qui, tout en voyant clairement qu'on devait embrasser avec soumission les jugements du Saint-Siège sur les nouvelles erreurs, ne comprenaient pas également que c'était un mal de se séparer de l'unité et de l'universalité, dans une chose qui tient de si près aux entrailles du catholicisme que la Liturgie.

 

La carrière de Robinet, comme compositeur liturgiste, avait commencé de bonne heure. Nous l'avons vu, dès 1728, rédiger le Bréviaire de Rouen, le même qui est encore aujourd'hui en usage dans cette métropole. Les Nouvelles ecclésiastiques insinuent que ce docteur n'aurait marqué une si vive opposition au Bréviaire de Vigier et de Mésenguy, que par dépit de n'avoir pas été choisi pour composer la nouvelle Liturgie parisienne. C'est une pure calomnie. Robinet, sans doute, n'eût pas été fâché de se voir chargé d'une mission aussi honorable, mais son zèle bien connu pour la pureté de la foi suffit pour expliquer l'ardeur avec laquelle il joignit ses réclamations à celles qui se firent entendre, lors de l'invasion du jansénisme dans les nouveaux livres de Paris. Quoi qu'il en soit, Robinet, jugeant qu'il y avait quelque chose à faire pour arrêter les progrès du Bréviaire de Vigier et Mésenguy, et voulant aussi donner au public ses idées sur un plan de liturgie, fit paraître son Breviarium ecclesiasticum. On trouvait dans ce livre une partie des choses que contenait le Bréviaire de Rouen de 1728, avec un grand nombre d'additions et quelques variétés dans le plan général. Les hymnes qui étaient de la composition de Robinet lui-même dans le Bréviaire de Rouen, avaient été avantageusement retouchées, et on en remarquait plusieurs nouvelles. Nous ne faisons aucune difficulté de placer Robinet à côté de Coffin, en qualité d'hymnographe, avec cette différence que le docteur, à notre avis, l'emporte sur le principal du collège de Beauvais, sous le rapport de l'onction, autant que sous celui de l'orthodoxie. Les plus belles hymnes de Robinet sont celles de Noël : Jam terra mutetur polo, et Umbra sepultis lux oritur nova ; de l'Ascension : Christe, quem sedes revocant paternœ ; de saint Pierre : Petre, bisseni caput es senatus ; des Saints de l'Ancien Testament : Antiqui canimus lumina fœderis ; de la Présentation de la Sainte Vierge : Quam pulchre graditur filia principis ! En faisant ainsi l'éloge des hymnes de Robinet, nous n'entendons nullement approuver l'usage qu'on en a fait en les introduisant dans l'office, en place de celles que toute l'Église chantait depuis tant de siècles. 

 

Le Psautier était divisé en la manière du nouveau Bréviaire de Paris.  Les antiennes et les répons étaient toujours tirés de l'Écriture sainte. Le choix des leçons, qui montrait d'ailleurs une rare connaissance de l'Écriture dans l'auteur, était empreint  d'une bizarrerie dont on n'avait point encore vu de preuve. Le célèbre canon de saint Grégoire VII, qui détermine l'ordre dans lequel on lira les livres de l'Écriture dans l'office, et qu'on avait respecté, même dans le nouveau Bréviaire de Paris, était violé de la manière la plus étrange. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, dans le cours   des six  semaines  après l'Epiphanie, Robinet avait placé Tobie,   les Actes des Apôtres et Job. Dans l'office de la plupart des dimanches, le second nocturne, au lieu d'être rempli par un sermon de quelque saint Père, suivant l'usage de tous les bréviaires (à part celui de Rouen), offrait un ou plusieurs passages de la Bible plus ou moins parallèles aux leçons de l'Écriture occurrente qu'on venait de lire au premier nocturne. Le troisième nocturne présentait encore le même sujet développé d'une manière plus ou moins complète, dans les épîtres des Apôtres. On ne trouvait d'homélie des saints Pères que dans la neuvième leçon. Les offices du Propre des saints, que Robinet laissait à neuf leçons, étaient proportionnellement soumis à la même règle. La septième et la huitième leçon étaient de l'Écriture sainte, et la neuvième seulement renfermait l'homélie, à moins que l'office ne fût du nombre de ceux auxquels on lit un sermon en place de la vie du saint.  Enfin, les doubles mineurs  étaient réduits à six leçons ;  c'était  l'idée  de Foinard, et, certes, une des plus étranges qui pût tomber dans l'esprit de ce novateur.

 

Ce n'étaient pas là les seules singularités que présentait le Bréviaire de Robinet, sous le rapport des leçons. Le Docteur avait trouvé moyen de faire lire, même dans l'office férial, plusieurs livres de l'Écriture à la fois. Ainsi, dans l'Avent, le temps pascal, etc., la  troisième leçon était tirée d'un autre livre que les deux premières, dans le but fort louable, sans doute, de faire sentir au prêtre la connexité des divers livres des Écritures, et leur accord sur les même mystères. Quant aux leçons tirées des ouvrages des Pères, jamais aucun bréviaire n'en avait offert un si petit nombre ; mais, en revanche, on y en rencontrait plusieurs que Robinet avait empruntées à l'arien Eusèbe de Césarée. Encore, parmi celles-ci, s'en trouvait-il que l'historien Josèphe aurait pu revendiquer, attendu qu'elles n'avaient d'autre but que d'amener certains passages des Antiquités judaïques. C'étaient là autant de nouveaux produits de l'esprit individuel, au milieu de cette anarchie liturgique.

 

Le calendrier, sans être aussi hardi dans ses suppressions que celui du nouveau parisien, avait avec lui plus d'un rapport. Les fêtes de la Purification et de l'Annonciation de la sainte Vierge avaient souffert les mêmes altérations dans leur titre. Les deux Chaires de saint Pierre étaient réduites à une seule ; toutefois l'octave de saint Pierre et saint Paul, et celle de saint Jean, étaient conservées. Les légendes avaient été rédigées plus ou moins suivant le goût du Bréviaire de Paris. Les communs, l'office de la sainte Vierge, celui des Morts, n'offraient qu'un amas de nouveautés.

 

Tant de défauts ne pouvaient être rachetés par les excellentes intentions de Robinet, par ses hymnes pieuses et orthodoxes, son choix d'antiennes et de répons totalement exempts de jansénisme, ses passages de l'Écriture et des Pères recueillis avec intelligence et bonne foi : car, après tout, un bréviaire n'est pas simplement un recueil de prières et de lectures ; c'est le livre de l'Église, et si jamais il pouvait être permis à un particulier de le compiler, ce devrait être d'abord à la condition de faire cette compilation en harmonie avec des règles fixes et anciennes. Mais telle était sans cesse la préoccupation de ces nouveaux liturgistes, qu'ils  ne voyaient que leur système leur siècle, leur pays.

 

Un seul trait du Bréviaire de Robinet fera voir clairement l'étrange distraction dans laquelle l'auteur était plongé.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES :CHAPITRE XX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE.   —  RÉACTION CONTRE L'ESPRIT JANSÉNISTE DES NOUVELLES LITURGIES. — BRÉVIAIRE D'AMIENS. — ROBINET.— BREVIAIRE DU MANS.— CARACTERE GÉNÉRAL DE L'INNOVATION LITURGIQUE SOUS LE RAPPORT DE LA POÉSIE, DU CHANT ET DE L'ESTHÉTIQUE EN GÉNÉRAL. — JUGEMENTS CONTEMPORAINS SUR CETTE GRAVE REVOLUTION ET  SES  PRODUITS.

 

 

La cathédrale Notre-Dame d'Amiens

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 12:30

Au reste, le nouveau missel n'avait pas su se défendre d'une contradiction éclatante avec les principes mêmes de sa rédaction.

 

Dans la messe du jour de la Pentecôte, on n'avait pas osé remplacer, par un texte biblique, l'antique verset alléluiatique, bien qu'il ne fût que d'une simple composition humaine. Soit défaut d'audace, soit respect invincible, soit injonction de l'autorité supérieure, Mésenguy avait conservé ces grandes et touchantes paroles : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende !

 

Avec cette seule exception, nous sommes en mesure de réclamer, ligne par ligne, tout l'Antiphonaire de saint Grégoire. Y a-t-il, par hasard, moins de piété ou d'autorité dans les autres formules si arbitrairement sacrifiées ? Il nous semble que si, dans la Liturgie régénérée, on peut encore chanter sans inconvenance : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda, etc., on pourrait bien aussi chanter, pour honorer la Mère de Dieu, l'introït suivant : 

Salve, sancta Parens, enixa puerpera Regem qui cœlum terramque regit in sœcula sœculorum !

 

Et le graduel : 

Benedicta et venerabilis es, Virgo Maria, quœ sine tactu pudoris inventa es Mater Salvatoris.

 

Et l’alléluia : 

Assumpta est Maria in cœlum : gaudet exercitus Angelorum.

 

Et le trait : 

Gaude, Maria Virgo, cunctas haereses sola interemisti, quœ Gabrielis Archangeli dictis credidisti, etc.

 

Et cet autre alléluia : 

Virga Jesse floruit; Virgo Deum et hominem genuit : pacem Deus reddidit, in se reconcilians ima summis.

 

Et l'offertoire : 

Felix namque es, sacra Virgo Maria, et omni laude dignissima : quia ex te ortus est sol justitiœ, Christus Deus nos ter.

 

Et la communion : 

Beata viscera Mariœ Virginis quœ portaverunt œterni Patris Filium !

 

Mais, qu'est-il besoin d'insister sur la contradiction d'avoir conservé le verset alléluiatique de la Pentecôte, quand nous avons si ample matière à un argument ad hominem, bien autrement embarrassant ? Le nouveau missel était rempli de proses nouvelles, pour toutes les fêtes possibles. Ces compositions n'étaient pourtant ni tirées de l'Écriture sainte, ni empruntées aux anciennes Liturgies. Elles étaient à la fois une parole humaine et une parole nouvelle. Bien plus, on ne s'était pas contenté de faire des proses nouvelles ; une des anciennes avait été retouchée d'après les idées modernes. Ainsi on ne lisait plus la première strophe de la prose des morts, comme autrefois :

 

Dies irœ, dies illa,

Solvet seclum in favilla,

Teste David cum sibylla.

 

Mais bien :

 

Dies irœ, dies illa,

Crucis expandens vexilla,

Solvet seclum in favilla.

 

Après la fameuse censure de la Sorbonne contre les jésuites auteurs des Mémoires de la Chine, Mésenguy ne pouvait plus souffrir qu'on chantât,dans l'Église de Paris, un verset de séquence dans lequel était invoqué le témoignage d'une sibylle des gentils à côté des oracles du peuple juif. Il est, en effet, bien étonnant que l'Église romaine et le reste de l'Occident s'obstinent à chanter toujours cette strophe, même après le jugement souverain de la Sorbonne !

 

Mésenguy avait trouvé l'occasion de faire une autre justice dans le Dies irœ. On y confondait encore, en dépit des progrès de la critique, sainte Marie-Madeleine avec Marie, sœur de Lazare : Qui Mariam absolvisti ;

 

Mésenguy voulut que Ton chantât et l'on a chanté depuis : 

Peccatricem absolvisti !

 

Mais revenons à la lettre pastorale : " C'est donc à ces  sources si pures, et principalement dans les sacramentaires de l'Église romaine qui est la Mère et la Maîtresse  des autres, que nous avons puisé les oraisons de notre  missel. On peut même dire que ce n'est pas sans une  conduite de la divine  Providence qu'a eu lieu,  pour  notre grande consolation et celle de notre troupeau, la  découverte récente du plus ancien de tous les sacramentaires de l'Église romaine, qui avait été inconnu depuis  plusieurs siècles. Ce livre d'or, écrit sur un manuscrit  en parchemin de plus de mille ans, a été publié à l'imprimerie Vaticane, sous les auspices du Souverain Pontife Clément. XII, qui conduit aujourd'hui,   avec non  moins de sainteté que de sagesse, la barque de saint  Pierre.  C'est à ce monument considérable que nous  avons emprunté un grand nombre de prières qui respirent une piété excellente et rappellent, pour le style  et la doctrine, saint Léon le Grand, à qui on les attribue comme à leur auteur très certain."

Nous  avons déjà dit un  mot de ce prétendu Sacramentaire de saint Léon, qui parut en 1735, à la tête du quatrième tome de l'édition du Liber pontificalis, dit d'Anastase, par Bianchini. Nous y reviendrons dans notre prochain volume. Mais ce manuscrit eût-il été réellement le Sacramentaire de saint Léon, était-ce, pour l'Église de Paris, une manière bien efficace de témoigner de son accord parfait avec la Mère et la Maîtresse des Églises, que de répudier le missel qu'elle promulgue et garantit de son autorité, pour s'en fabriquer un nouveau, dans la composition duquel on ferait entrer quelques lambeaux d'un ancien sacramentaire qui a été l'objet d'une réforme il y a tant de siècles ? Ce n'est pas  que  nous désapprouvions dans une Eglise qui, comme celle de Paris, se trouve en droit de reformer sa liturgie, qu'on prenne dans les anciens sacramentaires certaines prières bien approuvées, pour enrichir encore le romain d'aujourd'hui ; mais cette conduite est toute différente de celle qu'on a tenue. On s'est débarrassé du missel romain, qui est le Sacramentaire et l'Antiphonaire grégoriens combinés, et ensuite, parmi les pièces anciennes que l'on a consenti à recevoir de nouveau, on a daigné remonter jusqu'au prétendu Sacramentaire léonien, conservant même la plupart des oraisons de saint Gélase et de saint Grégoire, parce qu'on le jugeait ainsi à propos. C'est une manière de procéder fort large ; mais il ne faudrait pas lui donner la couleur d'un zèle pour la liturgie romaine. Clément XII, en faisant les frais du quatrième tome de l'Anastase de Bianchini, comme ses prédécesseurs avaient fait les frais des trois premiers, n'avait pas, assurément, la pensée que le sacramentaire tel quel, publié parmi plusieurs autres monuments dans ce volume, dût fournir à l'Église de Paris un prétexte de se débarrasser du Missel romain que les Harlay et les Noailles avaient encore respecté.

 

" Nous avons largement distribué dans tout notre missel ces richesses liturgiques ; d'où il est arrivé qu'en  plusieurs endroits de ce missel, on trouvera des collectes différentes des oraisons qu'on aura récitées dans  le bréviaire ; inconvénient léger et même nul en soi. Il  nous eût semblé plus fâcheux de priver notre Église  de tant d'excellentes prières des anciens Pères."

On dira ce qu'on voudra, mais ce n'en est pas moins une chose inouïe dans la Liturgie, que la discordance de l'oraison des heures avec la collecte de la messe, dans un même office. Ce défaut d'harmonie qu'on voudrait excuser ici ne montre que trop la précipitation avec laquelle les nouveaux livres furent fabriqués. Jamais cette Liturgie romaine dont on s'est défait si cavalièrement ne fournit d'exemple de ces anomalies, parce que les choses du culte divin sont toujours disposées à Rome avec le sérieux, la gravité, la lenteur, qui seuls peuvent faire éviter de pareilles fautes.

 

La lettre pastorale contient ensuite ces paroles remarquables : " Cependant,  nous voulons vous avertir  que, dans plusieurs oraisons des anciens sacramentaires, il a été fait certains changements, soit dans le but de les  abréger, soit dans celui d'ôter l'obscurité et d'aplanir le  style, soit enfin pour les accommoder à la forme spéciale des collectes, secrètes et postcommunions. Cet  exemple nous était donné par toutes les églises de tous  les temps, dans les livres desquelles on rencontre beaucoup de prières transférées d'une Liturgie dans une  autre, et qui ont subi quelques légers changements dans  les paroles, tout en conservant le même sens. Nous  avons pensé que la même chose nous était permise, à  la même condition, à savoir, que le changement ne tomberait pas sur le fond des choses, mais seulement sur  les expressions. Nous pouvons affirmer que les vérités  du dogme catholique, exprimées dans ces prières, ont  été religieusement conservées par nous dans toute leur  intégrité et inviolabilité."

Voilà donc un évêque catholique réduit à affirmer solennellement à son clergé, en tête d'un missel, qu'il n'a pas altéré frauduleusement le dépôt de la tradition sur les vérités catholiques ! Que s'était-il donc passé qui nécessitât cette humiliante déclaration ? quel événement avait excité à un si haut point les susceptibilités du clergé orthodoxe, que le pasteur fût ainsi obligé de courir au-devant, sans nul souci des convenances les plus sacrées ? Cette déclaration sans exemple avait pour but de prévenir de nouvelles réclamations dans le genre de celles qui s'étaient élevées sur le bréviaire, et, dans le fait, l'on doit convenir que le missel était généralement plus pur que le bréviaire, bien qu'il renfermât encore une somme immense de nouveautés. On a dû remarquer plus haut que l'archevêque, en parlant de la commission pour le missel, ne s'était pas borné, comme dans la lettre pastorale du bréviaire, à désigner en termes généraux les hommes sages et érudits auxquels il avait confié cette délicate opération, mais qu'il avoue simplement le concours de plusieurs chanoines de la métropole. C'était mettre totalement hors de cause la coopération de Mésenguy, de Boursier et leurs semblables.

 

On trouvait encore, dans les clauses de la promulgation du missel, une particularité qui faisait voir que le prélat avait eu en vue de ménager sur plus d'un point les susceptibilités catholiques. Le lecteur doit se rappeler que la lettre pastorale sur le bréviaire déclarait ce livre obligatoire pour toutes les églises, monastères, collèges, communautés, ordres, enfin pour tous les clercs astreints à l'office divin, sans exception aucune ; la lettre pastorale du missel, beaucoup moins absolue, n'exigeait cette soumission que de ceux qui, par le droit et la coutume, sont tenus de célébrer et réciter l'office parisien.

 

Nous ne nous appesantirons pas davantage, pour le moment, sur les particularités de ce nouveau missel ; il nous suffira ici d'en avoir exposé le plan, d'après la lettre pastorale qui lui sert comme de préface. Au reste, nous le répétons, ce livre était en soi moins répréhensible que le bréviaire. Les réclamations des catholiques avaient du moins eu l'avantage de réprimer l'audace de la secte qui s'était vue à la veille de triompher par la Liturgie. Toutefois, soit lassitude, soit découragement, les répugnances se calmèrent peu à peu : le Bréviaire et le Missel de Vintimille s'implantèrent profondément, et c'en fut fait de la Liturgie romaine dans l'Église de Paris.

 

Bien plus, cette Église que Dieu, dans ses conseils impénétrables, avait ainsi soumise à la dure humiliation de voir des mains hérétiques élaborer les offices divins qu'elle aurait désormais à célébrer, eut le triste honneur d'entraîner grand nombre d'autres Églises du royaume, dans la malheureuse voie où on l'avait poussée. Déjà l'exemple qu'elle avait donné au temps  de François de Harlay avait été contagieux ; celui qu'elle offrit au temps de Charles de Vintimille eut bien d'autres conséquences. Trente ans après l'apparition du Bréviaire de 1736, la Liturgie romaine avait disparu des trois quarts de nos cathédrales, et, sur ce nombre, cinquante et plus s'étaient déclarées pour l'œuvre des Vigier et des Mésenguy. La sainte Église de Lyon était de ce nombre.

 

Quel événement donc que l'apparition des livres de Vintimille ! Comment n'a-t-il pas laissé plus de place dans l'histoire ? C'est que l'indifférence, le mépris, l'oubli même du passé était la grande maladie qui travaillait les hommes du XVIIIe siècle ; et cependant, quand les jansénistes et les philosophes eurent totalement miné la société religieuse et civile, beaucoup d'honnêtes gens s'étonnèrent de voir crouler pêle-mêle, en un instant, tant d'institutions que les mœurs ne soutenaient plus. Le récit de cette catastrophe n'est pas de notre sujet : nous avons seulement à raconter comment une des formes principales de la civilisation religieuse du moyen âge, la forme liturgique, a péri en France ; poursuivons notre histoire.

 

Il serait par trop minutieux d'enregistrer ici successivement les divers diocèses qui acceptèrent tour à tour les nouveaux livres parisiens. Il suffira de dire que partout où cette adoption eut lieu, on fondit le calendrier et le propre diocésains avec ceux de Paris, et qu'on mit en tête du bréviaire et du missel le titre diocésain, le nom de l'évêque qui faisait cette adoption, et une lettre pastorale composée d'ordinaire sur le modèle de celle de Vintimille. Les premières Églises qui entrèrent dans cette voie, furent celles de Blois, d'Évreux et de Séez. On fit dans ces diocèses quelques légères rectifications au bréviaire, et même les Nouvelles ecclésiastiques se plaignent amèrement qu'à Évreux on ait osé changer quelque chose dans la fameuse strophe de l'hymne de Santeul, pour l'office des évangélistes. Elle avait été mise ainsi : 

Insculpta saxo lex vetus

Prœcepta, non vi res dabat ,

Inscripta cordi lex nova

Dat posse quidquid prœcipit.

 

On avait donc adouci le dernier vers : Quidquid jubet dat exequi ; mais les trois premiers exprimaient encore les propositions de Quesnel, 6, 7 et 8.

 

Le nouveau Bréviaire de Paris fut aussi adopté, en 1764, par les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, dits de la congrégation de France. Nous ne ferions que mentionner simplement ce fait, si une des circonstances de son accomplissement n'offrait matière à une observation très grave. Le P. Charles-François de Lorme, abbé de Sainte-Geneviève et général de la congrégation, avait placé en tête du bréviaire, suivant l'usage, une lettre pastorale adressée à tous les abbés, prieurs, curés et chanoines de sa juridiction, et, dans cette pièce, il rendait compte des motifs qui avaient présidé à la rédaction de ce nouveau Bréviaire de Paris, qui allait devenir désormais celui des chanoines réguliers de la congrégation de France. Après avoir parlé de la correction du Bréviaire romain par saint Pie V, et du mérite de cette œuvre pour le temps où elle fut accomplie, l'abbé de Sainte-Geneviève en venait au détail des inconvénients qui avaient porté plusieurs évêques de France à renoncer à ce bréviaire :

" Autant il était vrai, dit la Lettre pastorale, que le  Bréviaire romain l'emporte sur tous les autres, autant  on devait regretter que cette œuvre n'eût pas atteint sa  perfection, moins par la faute de ses auteurs que par le  malheur des temps. Il y était resté beaucoup de choses  qui, soumises depuis à un examen sévère, ont été trouvées incertaines et même fausses. Il s'y était introduit  plusieurs choses contraires aux maximes de notre église gallicane."

 

La voilà donc révélée par un témoin grave et contemporain, l'intention qu'on a eue en se défaisant du Bréviaire romain, d'aider à l'établissement du gallicanisme. Certes, un pareil aveu n'était plus nécessaire après les faits que nous avons rapportés : mais il ne laisse pas que de réjouir grandement, surtout à cause de la naïveté avec laquelle il est produit.

 

Tandis que le désir de consolider les maximes de notre Église gallicane portait une grande partie du clergé du royaume à rejeter le Bréviaire romain, l'esprit catholique, dont nous avons vu les résistances à Paris, se révoltait dans d'autres diocèses. Nous avons malheureusement peu de faits à citer ; mais c'est une raison de plus de les arracher à l'oubli. Nous dirons donc qu'à Marseille, l'héroïque évêque Henri de Belzunce adressa un mandement à son peuple, pour l'engager à redoubler de zèle dans le culte de la sainte Vierge et des saints, qui était menacé par de téméraires innovations. Des considérations de haute convenance l'empêchèrent d'expliquer plus clairement les attentats qu'il avait en vue ; mais des curés, tels que ceux des Accoules et de Saint-Martin, crurent pouvoir annoncer en chaire, à leurs peuples, que le prélat avait voulu signaler le récent Bréviaire de Paris, et l'on ne tarda pas à entendre retentir, dans les Nouvelles ecclésiastiques, tous les sifflets du parti contre l'illustre prélat à qui la secte n'a jamais pardonné son zèle ardent contre les dogmes jansénistes.

 

Ceci se passait quelques mois après l'apparition du Bréviaire de Vintimille. En 1762, un fait du même genre consola les amis des saines doctrines liturgiques. Jean-Georges de Souillac, évêque de Lodève, augustinien zélé, avait été du nombre des prélats qui les premiers adoptèrent le nouveau parisien. Il eut pour successeur, en 1750, un évêque célèbre pour la pureté de sa doctrine, et dont nous aurons prochainement occasion de parler. Ce prélat était Félix-Henri de Fumel. Un des premiers actes de son autorité fut de rétablir le Bréviaire romain et de supprimer le parisien qu'il avait trouvé en vigueur. Cet acte de courage lui attira, comme à Belzunce, les injures du parti ; mais de pareils outrages de la part des hérétiques sont la plus noble récompense que puisse ambitionner un évêque.

 

Tirons maintenant les conclusions qui résultent, pour la doctrine liturgique, des faits exposés dans ce chapitre.

 

D'abord, sur les douze caractères que nous avons signalés dans les œuvres de la secte antiliturgique, dix sont visibles dans les divers produits de la grande révolution que nous venons de raconter.

 

1° Eloignement pour les formules traditionnelles. Foinard, Grancolas, dans leurs Projets ; les Bréviaire et Missel de Paris de 1736, etc. Partout, on crie qu'il faut prier Dieu avec ses propres paroles : Deum de suo rogare.

 

2° En conséquence, remplacement des formules de style ecclésiastique par des passages de la Bible. C'est l'intention expressément avouée et mise à exécution. C'est le génie de l'œuvre tout entière.

 

3° Fabrication de formules nouvelles. Les hymnes de Coffin, dont nous avons relevé quelques traits. La Préface de la Toussaint, par Boursier. Une immense quantité de proses nouvelles.

 

4° Contradiction des principes avec les faits, rendue patente dans ces milliers  de nouveautés introduites par des gens qui ne parlent que de rétablir la vénérable antiquité, et qui non seulement fabriquent de nouvelles hymnes, de nouvelles proses, de nouvelles oraisons, de nouvelles préfaces, mais, de plus, débarrassent le Bréviaire et le Missel d'une immense quantité de pièces grégoriennes non seulement anciennes, mais empruntées à l'Ecriture sainte elle-même.

 

5° Affaiblissement de cet esprit de prière appelé Onction dans le catholicisme. Tout le monde convient que les nouveaux bréviaires, avec tout leur art, ne valent pas, pour la piété, les anciens livres. Continuelle attention, de la part de Vigier et Mésenguy, à introduire dans leur œuvre des phrases bibliques à double sens, comme autant de mots d'ordre pour le parti : ce serait un grand miracle qu'il fût demeuré beaucoup d'onction dans tout cela.

 

6° Diminution du culte de la sainte Vierge et des saints. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les projets de Foinard et de Grancolas, qui sont réalisés dans le Calendrier et le Propre des Saints du nouveau parisien, pour se convaincre que telle a été l'intention. Les résultats sont venus ensuite, et on ne doit pas s'en étonner..

 

7° Abréviation de l'office et diminution de la prière publique. On a vu avec quelle impudeur Foinard l'avait affiché jusque sur le titre de son livre. Dans les nouveaux bréviaires, rien n'a été épargné pour cela.

 

8° Atteintes portées à l'autorité du Saint-Siège. Qu'on se rappelle la collecte de saint Damase, la réunion des deux chaires de saint Pierre en une seule, l'extinction de l'octave de la fête même du prince des apôtres, etc.

 

9° Développement du presbytérianisme dans l'innovation liturgique, œuvre de simples prêtres, à laquelle ont pris part notable de simples acolytes, des laïques même : sujet de grande déconsidération pour la hiérarchie, et bientôt pour tout l'ordre ecclésiastique.

 

10° Intervention de la puissance séculière dans l'affaire du nouveau Bréviaire de Paris. Sentences contre un prêtre dont les sentiments n'étaient que catholiques. Nulle réclamation de l'autorité compétente contre un si énorme scandale.

 

C'est donc une déplorable forme liturgique que celle à laquelle sont devenues applicables, et en si grand nombre, les notes auxquelles on reconnaît la secte antiliturgiste. En outre, c'est une chose bien étrange que le remaniement total de la Liturgie ait eu pour auteurs et promoteurs des hérétiques jansénistes, séparés de la communion, même extérieure, de l'Église, tels que Le Brun Desmarettes, Coffin et Boursier, et d'autres non moins déclarés, appelants des jugements de l'Église, et, malgré cela, par une inexplicable contradiction, honorés de la confiance des prélats qui avaient promulgué ces mêmes jugements.

 

C'est aussi un fait bien instructif que celui d'un archevêque de Paris obligé d'admettre de nombreux cartons dans un bréviaire dont il a garanti l'excellence dans une lettre pastorale, et réduit à protester, deux ans après, en tête d'un missel, qu'il y a maintenu la foi dans sa pureté, et qu'en retouchant le style de certaines oraisons, il n'a point altéré la doctrine catholique qu'elles renfermaient.

 

C'est une chose bien humiliante, qu'en donnant la liste des réformateurs de la Liturgie, il nous faille ajouter, aux noms de Sainte-Beuve, Le Tourneux, de Vert, Santeul, Ledieu, Ellies Dupin, Beaudoin, Bossuet, évêque de Troyes, Petitpied et Jubé, tous jansénistes, ou fauteurs de cette hérésie, ceux de Caylus, évêque d'Auxerre, Le Brun Desmarettes, Vigier, Mésenguy, Cofin et Boursier, tous fameux à divers degrés pour leur zèle et leur indulgence envers la secte. Nous serions injuste de ne pas leur adjoindre l'intrépide champion du nouveau Bréviaire parisien, l'avocat général Gilbert de Voisins, dont nous signalerons encore, au chapitre suivant, le zèle pour les maximes françaises sur  la Liturgie. Notre impartialité nous oblige, tout en laissant les docteurs Foinard et Grancolas au rang des hommes les plus téméraires qui aient jamais écrit sur les rites sacrés, à ne pas les faire figurer expressément sur la liste des partisans ou fauteurs du jansénisme. Il est prouvé que Grancolas, du moins, avait accepté sans arrière-pensée les jugements de l'Église.

 

Sur la liste si peu nombreuse des réclamants contre la destruction de toutes les traditions liturgiques, nous inscrirons à la fin de ce chapitre, à côté de Languet et de Saint-Albin, Belzunce, évêque de Marseille ; de Fumel, évêque de Lodève ; les séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; les abbés Regnault et Gaillande, et surtout ce courageux jésuite, le P. Hongnant, qui confessa, malgré la rage du parlement, ces pures traditions romaines dont sa société, toujours fidèle aux enseignements de saint Ignace, ne s'est jamais départie. Nous ne parlons point de Robinet, qui a eu trop de part à l'innovation, à Rouen et ailleurs, pour être recevable à la condamner à Paris.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE. 

 

Mgr de Belzunce 

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31 janvier 2012 2 31 /01 /janvier /2012 12:30

Il était plus aisé de condamner au feu la pièce qu'on vient de lire que de la réfuter.

 

On ne pouvait refuser à son auteur le zèle de la foi, la connaissance de la matière ; on était obligé de convenir que c'était un homme dévoué à son archevêque, attaché à la hiérarchie, un digne compagnon de Languet dans la guerre contre les antiliturgistes. Nonobstant toutes ces raisons, l'archevêque résolut de maintenir le bréviaire avec les corrections ; on pensa que le temps calmerait cette agitation.

 

Cependant on eut la prudence de ne rien faire contre les deux Lettres et la Remontrance. Il n'eût pas été facile, en effet, de rédiger une censure contre ces pièces vraiment orthodoxes, et d'ailleurs, c'eût été accroître la déconsidération du bréviaire, en provoquant une réplique ; peut-être même le Siège apostolique eût-il été contraint d'intervenir dans cette question épineuse. Quant à l'opposition des séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas, elle dut céder enfin devant l'injonction expresse de la Lettre pastorale, surtout depuis les cartons mis au bréviaire qui, tout en attestant l'impure origine de ce livre, donnaient à l'autorité diocésaine une raison de plus de presser l'acceptation de la nouvelle Liturgie.

 

Ainsi l'œuvre de Vigier, Mésenguy et Coffin, s'implanta pour de longues années dans l'Église de Paris, et par suite dans une grande partie du royaume. Les jansénistes, quoique mortifiés par les cartons, se rangèrent autour du bréviaire, et trouvèrent des éloges pour l'archevêque Vintimille qui demeurait, malgré tout, le patron de leur œuvre. Rien n'est plus curieux que le langage des Nouvelles ecclésiastiques sur ce prélat : tour à tour la feuille janséniste gémit de son aveuglement et exalte son zèle providentiel dans la publication du bréviaire.

 

Cependant, si on n'osait censurer, à l'archevêché, les Lettres sur le nouveau bréviaire, ce bréviaire ne demeura pas néanmoins tout à fait sans apologie. Le P. Vigier entreprit une défense de son travail, sous le point de vue de l'orthodoxie. Son intention était de prouver que le bréviaire renfermait un nombre suffisant de textes favorables au dogme catholique de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, au culte de la sainte Vierge et à la primauté du Siège apostolique. Quand il en eût été ainsi, cette démonstration n'eût pas infirmé les reproches des catholiques sur la suppression de tant de choses respectables, sur la frauduleuse insertion d'un si grand nombre de particularités suspectes, reproches d'autant plus fondés, que les cartons étaient là pour attester l'existence du mal. Il n'en demeurait pas moins évident que le bréviaire était une œuvre janséniste, par ses auteurs, son esprit et son exécution ; que les cartons n'avaient atteint, après tout, qu'une faible portion des choses répréhensibles, soit comme exprimant   des ambiguïtés sur  le dogme,   soit comme renversant, en tant d'endroits, les plus sacrées des traditions liturgiques.

 

D'ailleurs, pour qui connaît l'histoire du jansénisme, rien n'est moins étonnant que ce soin qu'avaient eu les rédacteurs du bréviaire, d'insérer dans leur œuvre un certain nombre de textes qu'on aurait à faire valoir, en cas d'attaque. Vigier était placé tout à son aise pour remplir ce personnage : il n'avait point appelé de la bulle comme Mésenguy et Coffin ; mais, d'un autre côté, il ne la regardait que comme simple règle de police. Dans cette heureuse situation, sa conscience ne lui défendait point de glisser dans son bréviaire ses sympathies janséniennes ; et du moment que des réclamations s'élèveraient, il pouvait, sans contradiction, en présence du public,revoir son œuvre, la bulle Unigenitus en main, et soutenir la thèse de la non-contrariété du bréviaire avec cette bulle.

 

Cependant, le parti ne s'accommodait pas trop de cette condescendance de Vigier. Les Nouvelles ecclésiastiques expriment hautement leur mécontentement sur l'Apologie :  "Tout ce que nous pouvons dire de cet écrit, dit le  gazetier, c'est que, malgré la protection dont M. l'archevêque a jugé à propos de l'honorer, le public (ce public est principalement celui du journal) ne  lui a pas fait un accueil bien favorable. Il se sent partout de l'étrange contrainte où l'on est, lorsqu'en recevant la constitution Unigenitus, on se trouve obligé de  défendre les Vérités que cette même constitution condamne, et cette malheureuse nécessité y a répandu d'un  bout à l'autre une teinture de molinisme qui a fait dire  à plus d'un lecteur que cette apologie fait peu d'honneur au bréviaire, qui n'en avait pas besoin et qui se  défend assez par lui-même. En un mot, on sait que  ceux qui ont eu le plus de part à la composition du  nouveau Bréviaire de Paris,  n'ont point goûté cette première Lettre". (Nouvelles ecclésiastiques. 24 novembre 1736.)

 

Ces collègues de Vigier, qui furent mécontents de l'apologie du bréviaire, n'étaient autres que Mésenguy et Coffin, auxquels leur caractère officiel d'appelants interdisait toute rétractation même apparente. Vigier était donc comme l'intermédiaire entre le nouveau bréviaire et les catholiques. L'Apologie qu'il avait publiée consistait en trois Lettres de M. l'abbé * * à un de ses amis, en réponse aux libelles qui ont paru contre le nouveau Bréviaire de Paris. Ces trois Lettres, qui forment ensemble cinquante-quatre pages in-4°, sont datées des 1er et 15 octobre, et du 30 décembre 1736, et parurent avec approbation et privilège du roi.

 

Le courageux Père Hongnant avait publié, vers la fin de la même année, une troisième Lettre sur le nouveau Bréviaire, dans laquelle il s'efforçait de renverser les subterfuges de Vigier et de faire voir que l'Apologie, pas plus que les cartons, ne parviendrait à faire du bréviaire une œuvre catholique. Nous ignorons si cette troisième Lettre obtint, comme les deux précédentes, les honneurs d'une condamnation au Parlement de Paris. Quoi qu'il en soit, la controverse demeura close pour le moment et le bréviaire resta, comme sont restées beaucoup d'autres choses, que le XVIIe et le XVIIIe siècle ont vues naître, et que le nôtre, peut-être, ne transmettra pas à ceux qui doivent le suivre.

 

Le bréviaire étant inauguré, il devenait nécessaire de donner un nouveau missel qui reproduisît le même système. On sent que le Missel de Harlay, revu par le cardinal de Noailles, était encore trop conforme à la Liturgie romaine pour se plier au calendrier et aux autres innovations du moderne bréviaire ; or il fallait un rédacteur au nouveau missel. L'acolyte Mésenguy fut choisi pour ce grand travail, sans doute par la protection de l'abbé d'Harcourt, qui disposait totalement de la confiance de l'archevêque, dans tout ce qui tenait à la Liturgie. Ce fut, au reste, une étrange influence que celle de Mésenguy dans toute cette opération. Il était auteur en partie du nouveau bréviaire, et, quand on forma la commission pour juger des réclamations que ce livre avait excitées, on ne lui avait pas fait l'honneur de le convoquer. Sans doute, sa qualité d'appelant et d'hérétique notoire avait exigé qu'on rendît du moins cet hommage à la pudeur publique. Maintenant qu'il s'agit d'un livre plus important, plus sacré encore que le bréviaire, du missel, du Sacramentaire de l'Église de Paris, on vient chercher cet homme, cet hérétique, étranger même au caractère de prêtre ; ce sera lui qui déterminera, pour cette Église, les prières, les rites, les mystères avec lesquels les prêtres, désormais, auront à célébrer le grand sacrifice. Au reste, cette confiance inouïe donnée à un hérétique par un prélat catholique, Mésenguy continua d'en jouir pendant toute la durée de l'épiscopat de Charles de Vintimille ; car, en 1745, peu avant la mort de l'archevêque, il présida à la nouvelle édition du bréviaire et aux changements, d'ailleurs assez légers, qui y furent faits.

 

Il paraît que Mésenguy avait, depuis plusieurs années, commencé le travail du missel, car ce livre fut en état de paraître dès 1738, et fut annoncé par une Lettre pastorale de l'archevêque, en date du 11 mars. Nous allons parcourir cette pièce importante, qui fut placée en tête du missel lui-même.

 

Elle commence par  des réflexions sur   la dignité   du sacrifice de la messe, considéré sous ses différents rapports,  et arrive bientôt à parler des efforts tentés dans plusieurs diocèses de France pour la correction et le perfectionnement des missels. On rappelle ensuite les travaux des archevêques de Harlay et de Noailles, qui ont cependant encore laissé beaucoup à désirer pour l'entière perfection de ce livre ; mais le nouveau missel est rédigé d'après des principes totalement conformes à ceux que suivirent ces deux prélats dans leur réforme liturgique : c'était assez dire que la partie romaine avait presque entièrement disparu.

 

La Lettre pastorale déclare ensuite que le nouveau bréviaire ayant rendu nécessaire un nouveau missel, l'archevêque s'est fait aider dans ce travail par plusieurs chanoines de la métropole. A leur tête naturellement le doyen, l'abbé d'Harcourt, qui ne travaillait pas par lui-même, mais par son protégé, Mésenguy. Nous ignorons quels sont les autres chanoines désignés ici, et la mesure de leur influence dans la composition du missel.

 

Venant au détail des modifications introduites dans ce livre, l'archevêque parle ainsi :

" On ne trouvera presque  aucun changement dans les évangiles et les épîtres des  dimanches et des fériés, non plus que dans ceux des  fêtes chômées par le peuple. On a fait davantage de  changements dans les pièces chantées aux messes du  propre du temps ; en sorte, toutefois, que nous avons  retenu ce qu'il y avait de meilleur en ce genre dans le  missel précédent, nous réservant quelquefois de le placer plus à propos."

Charles de Vintimille confesse ici, sans scrupule, une des plus graves infractions faites à la Liturgie, sous le point de vue de la popularité du culte divin. Sans parler ici des graduels, versets alléluiatiques, offertoires et communions, choisis par saint Grégoire et ses prédécesseurs, et qu'il eût pourtant été fort à propos de ne pas perdre, à une époque surtout où l'on se piquait si fort d'un zèle éclairé pour l'antiquité, n'était-ce pas une grande faute d'oser violemment changer, dans un grand nombre de messes, les introït eux-mêmes, qui, de toute antiquité, servaient à distinguer entre eux les divers dimanches de l'année ? Comment désormais lire et comprendre nos chroniques nationales, les chartes et les diplômes de nos ancêtres, dans lesquels les dimanches sont sans cesse désignés par les premières paroles de cette solennelle antienne ? Il faudra donc, et c'est à quoi on est réduit aujourd'hui, que le prêtre lui-même ne puisse plus expliquer ces monuments, s'il ne s'est muni d'un Missel romain, à l'effet de comprendre des choses que le peuple lui-même savait autrefois ?

 

Qu'il est pourtant triste de voir l'ardeur avec laquelle, à cette époque,on se ruait sur tout ce qui pouvait creuser un abîme entre le présent et le passé ! Au reste, sous ce rapport, comme sous les autres, on était tombé dans toutes les contradictions où entraîne d'ordinaire une conduite arbitraire. Ainsi, on avait daigné conserver les introït : Ad te levavi, du premier dimanche de l'Avent ; Dominus dixit ad me, de Noël, à la messe de minuit ; Invocabit, Reminiscere, Oculi, Lœtare, des quatre dimanches de carême ; Judica me, de la Passion ; Domine, ne longe, du dimanche des Rameaux ; Quasi modo, de l'octave de Pâques, et quelques autres encore des dimanches après la Pentecôte. On avait retranché Populus Sion, du second dimanche de l'Avent ; le fameux Gaudete, du troisième dimanche ; Rorate, qui est au quatrième ; Dum medium, au dimanche dans l'octave de Noël ; In excelso throno, au dimanche dans l'octave de l'Epiphanie ; Omnis terra, au deuxième dimanche après cette fête ; Adorate Dominum, au troisième et suivants ; Resurrexi, au jour même de Pâques ; Misericordia, au second dimanche après Pâques ; Jubilate, au troisième ; Exaudi, Domine, au dimanche dans l'octave de l'Ascension ; Factus est Dominus, au second dimanche après la Pentecôte ; Exaudi,  Domine, au cinquième ; Omnes gentes, au septième ; Suscepimus, Deus, au huitième ; Ecce Deus adjuvat me, au neuvième ; Deus in loco, au onzième ; Deus in adjutorium, au douzième ; Protector noster, au quatorzième ; Inclina, au quinzième ; Justus es, au dix-septième ; Da pacem, au dix-huitième ; Salus populi, au dix-neuvième ; Omnia quae fecisti, au vingtième ; Si iniquitates, au vingt-deuxième ; Dicit Dominus, aux vingt-troisième et vingt-quatrième.

 

Outre ces suppressions, plusieurs des introït conservés avaient été transposés d'un dimanche à l'autre ; ce qui n'était propre qu'à accroître la confusion et à rendre de plus en plus impraticable l'étude des chroniques et des diplômes. Ainsi, le Gaudete du troisième dimanche de l'Avent, se trouvait transplanté au vingt-quatrième après la Pentecôte, le Vocem jucunditatis, du cinquième dimanche après Pâques, était anticipé au troisième, etc. Nous ne parlons pas des introït du propre des saints ; comme ils ne sont pas employés ordinairement dans le style de l'Europe du moyen âge, leur suppression n'offensait que les convenances liturgiques. Quant à ce que disait la Lettre pastorale, qu'on avait conservé les épîtres et les évangiles des fêtes chômées par le peuple, il eût fallu dire : moins l'évangile de la fête de saint Pierre et saint Paul. Cet évangile avait disparu, avec son fameux texte : Tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo. Ecclesiam meam, pour faire place au passage du XXIe chapitre de saint Jean, où Jésus-Christ dit à saint Pierre : Pasce oves meas ; texte important, sans doute, pour l'autorité du Saint-Siège, mais moins clair, moins populaire, moins étendu que Tu es Petrus, qu'on avait lu pendant mille ans, ce jour-là, à Paris comme à Rome.

 

La lettre pastorale continue : " Nous avons choisi les  passages de l'Écriture qui nous ont semblé les plus propres à exciter la piété, les plus faciles à mettre en chant et les plus en rapport avec les lectures sacrées qui se  font à la messe. Cependant, nous ne nous sommes point tellement enchaînés à une méthode quelconque que nous  ne nous soyons proposés, par-dessus tout, de rechercher ce qui pouvait élever le cœur à Dieu et l'aider à  concevoir le feu sacré de la foi, de l'espérance et de la charité."

Saint Grégoire s'était bien aussi proposé la même fin dans le choix des pièces de son antiphonaire, et passait même pour y avoir réussi. Il est étonnant que le XVIIIe siècle ait eu cette surabondance d'onction et d'esprit de prière, et qu'un janséniste, comme l'acolyte Mésenguy, ait été appelé à devenir ainsi, pour l'Église de Paris, l'organe de l'Esprit-Saint. Nous devons seulement remarquer ici que, dans ce nouveau missel, on avait conservé généralement un plus grand nombre de formes romaines que dans le bréviaire, par exemple, la presque totalité des épîtres et des évangiles, et que si on avait suivi le système de mettre les parties chantées en rapport avec ces lectures, en substituant de nouveaux introït, graduels, etc., quand les anciens ne s'harmonisaient pas, on n'avait pas cependant pressé, avec la dernière exagération, l'application de cette méthode. Nous aurons bientôt à signaler d'autres missels fabriqués sur un plan bien plus rigoureux.

 

Reprenons la lettre pastorale : " La même raison nous a portés à ajouter plusieurs préfaces propres qui manquaient, savoir, pour l'Avent et  certaines solennités plus considérables, comme la Fête-Dieu, la Dédicace, la Toussaint et autres. Ainsi, nous  sommes-nous efforcés de nous rapprocher, autant que  nous avons pu, de l'ancienne coutume de l'Église  romaine, qui avait autrefois presque autant de préfaces  propres que de messes, comme cela est encore d'usage  aujourd'hui dans les Églises du rite ambrosien."

Pourquoi donc n'avoir pas pris dans les anciens sacramentaires les préfaces de l'Avent, de la Dédicace,  de la Toussaint, de saint Denys même ? Pourquoi en faire rédiger de si longues, de si lourdes, par des docteurs de Sorbonne dont le style a si peu de rapport avec la phrase châtiée et cadencée de saint Léon et de saint Gélase ? Pourquoi, surtout, admettre à l'honneur de composer des prières d'un usage si sacré, un hérétique comme le docteur Laurent-François Boursier, expulsé de la Sorbonne en 1720, pour avoir écrit contre le concile d'Embrun ? C'est à un pareil homme que l'Eglise de Paris doit la préface de la Toussaint, qui se chante aussi à la fête du patron. Dans cette préface, Boursier dit à Dieu qu'en couronnant les mérites des Saints, il couronne ses propres dons, eorum coronando merita, coronas dona tua ; expression très catholique dans un sens, et très janséniste dans un autre. Nous manquerions à notre devoir d'historien liturgiste, si nous ne disions ici que Boursier mourut le 17 février 1749, sur la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sans avoir rétracté son appel. Le curé de cette paroisse, quoique opposé à l'appel, s'étant montré moins ferme sur la foi que ne le fut plus tard, à l'égard de Coffin, celui de Saint-Étienne-du-Mont, et ayant cru pouvoir administrer les sacrements à Boursier, fut exilé à Senlis, en punition de cet acte de schisme, par l'archevêque de Beaumont. Et on a continué depuis à chanter la préface de Boursier !

 

" Nous avons apporté le même soin, continue la Lettre  pastorale,aux oraisons qui sont propres à chaque messe,  et qui tiennent un rang considérable dans la Liturgie ;  nous voulons parler des collectes, secrètes et postcommunions. Nous avons tiré des anciens sacramentaires la  plupart de ces oraisons si remplies de l'onction de la  piété. Nous en avons inséré quelques nouvelles, en très petit nombre, composées autant que possible sur le modèle des anciennes, et formées en grande partie des  paroles mêmes des sacramentaires. En effet, si, comme nous en avertit saint Célestin, la règle de la foi dérive  de celle de la prière, avec quelle pieuse et affectueuse  vénération ne devons-nous pas embrasser ces formules  de prières   que  nous ont laissées, par tradition,  ces  antiques témoins de la doctrine chrétienne, ces docteurs  excellents de la vénérable antiquité ! Nous voulons parler de ces hommes saints, dans lesquels habitait l'Esprit  d'intelligence et de prière,  les Léon, les Gélase, les  Grégoire, les Hilaire, les Ambroise, les Salvien,  les  Léandre, les Isidore.  Quelle imposante et sainte nuée  de témoins ! C'est par leur autorité, que, dans ces anciens temps, on avait la même foi que  nous professons aujourd'hui ; que les   mêmes vérités  catholiques ont été, depuis les siècles les plus reculés,  crues et défendues à Rome, à Milan, dans les Gaules, en  Espagne, en un mot dans tout l'Occident."

Cette doctrine liturgique de la lettre pastorale est, il est vrai, celle de tous les siècles chrétiens ; mais pourquoi faut-il qu'elle ne soit ici qu'une contradiction de plus ? En effet, si l’on doit embrasser avec une pieuse et affectueuse vénération ces formules de prières que nous ont laissées par tradition ces antiques témoins de la doctrine chrétienne,  ces docteurs excellents de la vénérable antiquité, comment justifier le missel en tête duquel on lit ces belles paroles, puisqu'il est clair comme le jour qu'un nombre considérable de formules de ce genre sont abolies par le seul fait de sa publication ? Si saint Célestin doit être loué d'avoir dit que la règle de la foi dérive de celle de la prière, pourquoi cette règle de la foi ne dérive-t-elle pas tout aussi pure des paroles d'une prière appelée introït ou graduel, que de celles d'une prière appelée collecte ou postcommunion ? Bien plus, ces introït, ces graduels, étant destinés à être chantés par le chœur des prêtres,  auquel s'unit la voix du peuple, n'aideront-ils pas plus puissamment encore à la perpétuité du dogme ? ne rendront-ils pas plus solennel et plus éclatant le témoignage des siècles, que ces oraisons que la seule voix de l'officiant fait retentir au fond du sanctuaire ?

 

Si l'on reconnaît que l'Esprit d'intelligence et de prière a animé les Pères de la Liturgie, les Grégoire et les Ambroise, par exemple, comment se justifiera-t-on d'avoir expulsé leurs hymnes du bréviaire ? Si les traditions liturgiques de l'Église de Milan et de celle d'Espagne sont dignes de notre respect, n'est-ce pas, après cela, se condamner soi-même que de rejeter les formules chantées de style ecclésiastique, quand on sait (et on doit le savoir) que les bréviaires et les missels de ces Églises gardent avec honneur la plupart de ces mêmes pièces de la Liturgie romaine que François de Harlay, Le Tourneux, de Vert, Vigier et Mésenguy ont si lestement effacées ? Est-il permis de parler de la Liturgie de l'Église des Léandreet des Isidore, et d'oublier le fameux canon du quatrième concile de Tolède, que nous avons cité ailleurs, et dans lequel sont si expressément condamnés ceux qui veulent chasser des offices divins les formules de composition humaine, pour ne chanter que des paroles de l'Écriture ?

 

Au reste, le nouveau missel n'avait pas su se défendre d'une contradiction éclatante avec les principes mêmes de sa rédaction.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

François Philippe Mésenguy

François Philippe Mésenguy

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 12:30

Un arrêt du Parlement de Paris, rendu le 8 juin, sur le réquisitoire de l'avocat général Gilbert de Voisins, condamnait la Lettre sur le nouveau bréviaire à être lacérée et brûlée, au pied du Grand-Escalier, par la main du bourreau. C'était sous de pareils auspices que s'annonçait la nouvelle Liturgie.

 

Cependant une réaction se préparait à l'archevêché. Charles de Vintimille, inquiété par les réclamations des deux grands vicaires, mû aussi par les remontrances du cardinal de Fleury, résolut de faire droit, au moins en quelque chose, aux plaintes qui arrivaient de tous côtés de la part des prêtres les plus vénérables et d'ailleurs les plus attachés à sa personne.

 

Rejeter avec éclat un bréviaire qu'on avait annoncé au diocèse avec tant de solennité, était un parti bien fort et qu'on ne pouvait guère espérer d'un vieillard qui, d'ailleurs, eût trouvé sur ce point une vive opposition dans la majorité de son conseil. Dans le courant du mois de juillet, le prélat réunit une commission composée de l'abbé d'Harcourt, doyen de Notre-Dame, le même qui avait fait choix de Vigier pour la rédaction du bréviaire ; l'abbé Couet, autrefois grand vicaire du cardinal de Noailles, et connu pour ses liaisons avec la secte à laquelle avait si longtemps appartenu cet archevêque ; les abbés de Romigny, Joly de Fleury, de La Chasse, et enfin le Père Vigier lui-même. On n'avait pas, sans doute, osé inviter Mésenguy ; les deux grands vicaires, Robinet et Regnauld, n'avaient pas non plus été convoqués.

 

Dans cette réunion, l'archevêque proposa la question de savoir ce qu'il pouvait y avoir à faire dans la conjoncture délicate où l'on se trouvait. Les abbés d'Harcourt et Joly de Fleury, et avec eux le P. Vigier, étaient d'avis qu'on passât outre, sans se préoccuper des plaintes .qui s'étaient élevées. Les abbés de La Chasse et de Romigny se retranchèrent dans le silence sur l'objet de la délibération. Enfin, l'abbé Couet, qui, si l'on en croit les Nouvelles ecclésiastiques, pensait au fond comme l'abbé d'Harcourt et les deux autres, étant effrayé des suites de cette affaire, conseilla à l'archevêque une demi-mesure qui consisterait à maintenir le bréviaire, en plaçant des cartons dans les endroits qui avaient le plus révolté les partisans de la bulle. Cet avis fut adopté. (Nouvelles ecclésiastiques, 28  juillet  173. Ami  de  la  Religion. Ibidem.)

 

On commença donc de suite une nouvelle édition du bréviaire, toujours sous la même date de 1736, et on prit des mesures pour arrêter le débit de la première dont les exemplaires, par suite de cette mesure, sont devenus extrêmement rares. Au reste, on ne fit que cinquante cartons environ, et les corrections ne furent pas très nombreuses. La plus remarquable fut la suppression de l'Ave, maris stella, arrangé par Coffin, et le rétablissement de cette hymne dans son ancienne forme. On rétablit l'homélie de saint Jean Chrysostome, qui avait été supprimée dans l'office de saint Jacques le Majeur. On fit disparaître le canon du troisième concile de Tolède, placé à prime du Mardi de la quatrième semaine de carême, etc.

 

Il était aisé de voir que ces légers changements, par lesquels on voulait donner quelque satisfaction aux catholiques, n'atteignaient point le fond du bréviaire lui-même, et laissaient même sans correction plusieurs des passages qui avaient excité des réclamations  spéciales. Il  fut impossible d'obtenir d'avantage. Mais aussi de quelle défaveur devait être marquée, aux yeux de la postérité, une œuvre liturgique composée pour une grande Église, promulguée par le premier pasteur, et qui, après cette promulgation, était soumise à l'humiliante insertion de cartons jugés nécessaires pour apaiser le scandale qu'elle produisait dans le peuple fidèle. Que ceux qui nous ont suivi dans toute cette longue histoire des formes du culte divin, disent s'ils ont jusqu'ici rencontré rien de semblable !

 

Le courageux auteur de la Lettre sur le nouveau bréviaire, ne jugeant pas que la censure du parlement eût, pour sa conscience de prêtre et de religieux, une valeur réelle, et espérant encore ouvrir les yeux du prélat qui venait d'attester si hautement que sa religion avait été surprise, crut devoir lui adresser une Remontrance pleine de respect, qui était en même temps une Seconde Lettre sur le nouveau bréviaire. Cette brochure, de douze pages in-4°, éprouva, de la part des magistrats du parlement, toujours fidèles à leur rôle d'arbitres de la Liturgie, le même sort que la précédente (elle fut condamnée au feu par arrêt du 20 août 1736).

 

Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en donnant ici cette pièce en entier. Ils y admireront le zèle de la foi et la liberté sacerdotale admirablement conciliés avec les souverains égards dus à un personnage tel que Charles de Vintimille : 

 

« Monseigneur,

« Ce n'est point ici le langage de l'indocilité et de l'orgueilleuse révolte que vous allez entendre. Enfant respectueux de l'Église qui demande pour première vertu  la soumission, je ne sus jamais qu'obéir ; j'eus toujours  pour elle et pour les oints du Seigneur, nos pères et  nos maîtres, ce tendre respect et cette docilité entière  qui caractérisent le vrai fidèle, et jamais je ne tremperai ma plume dans le fiel amer que présente l'erreur ou la  séduction.

« Si j'ose aujourd'hui vous faire d'humbles représentations et me plaindre de vous-même à vous-même,  c'est l'intérêt de votre gloire qui m'inspire, c'est le zèle  de cette religion que vous aimez, que vous soutenez,  que vous avez toujours si glorieusement défendue. Daignez un moment jeter les yeux sur ces réflexions simples  et naïves. Que le titre ordinairement odieux de Remontrance, sous lequel je l'annonce, ne me ferme point,  chez Votre Grandeur, une entrée qui ne fut jamais  refusée à personne.

« Il en est de différentes espèces, selon la différence des  motifs qui font agir, d'intérêt ou de fanatisme. Quoi  qu'il en soit, daignez lire celle-ci avec cette bonté ordinaire qui nous charme. Si par hasard elle n'est appuyée sur aucun fondement solide, qu'importe à votre gloire !  Regardez-la avec ce noble mépris dont on doit payer  un téméraire délire ; tout le public se joindra bientôt à  vous. Mais si je suis assez heureux pour parler le langage de la raison et de l'équité, de la religion et de la  piété, il est de votre droiture et de votre grandeur d'âme  de ne pas fermer les yeux à la lumière que j'ose prendre  la liberté de vous présenter. Vous prévenez peut-être  déjà ma pensée. Dans tout le cours d'une longue carrière, il n'est qu'une seule démarche qui n'ait pas  obtenu le suffrage de l'approbation publique dont je  vois toutes les autres marquées. Sans doute qu'elle seule  peut arracher nos plaintes et suspendre pour un moment les justes éloges que vous doivent tous ceux qui  savent discerner le vrai mérite. Cependant, quand il  faut m'expliquer, je sens qu'il me faut faire un violent  effort. Au nom seul de bréviaire, je crains de vous contrister, et l'idée de votre peine suffit pour m'accabler  moi-même de douleur. Mais enfin c'est un crime de se taire dans ces circonstances, et peut-être un jour me  saurez-vous gré de la liberté que je prends. Il faut lever  ce voile qu'on tâche de vous mettre sur les yeux, pour  vous empêcher de voir ce que tout le monde aperçoit.

« Apprenez donc de moi ce que pense tout le public  catholique ; j'ose protester devant Dieu que tous vos  bons diocésains s'expliquent ici par ma plume, et qu'en  lisant ce qu'elle vous trace, vous lisez les sentiments de  leurs cœurs.

« Oui, Monseigneur, le bréviaire que vous leur avez  mis entre les mains ne convient ni à leur religion, ni à  la vôtre. Il détruit ce que vous leur enseignez et ce qu'ils croient. Et que faut-il donc enfin pour vous le persuader ? Tout parle contre lui : son histoire abrégée suffira  pour la conviction la plus sensible et la plus palpable.

« Le père de cet ouvrage informe est un prêtre de l'Oratoire, zélé par goût autant que par état pour un parti  qu'il aurait autrement défendu que par la composition  d'un bréviaire, s'il avait eu plus de lumières et de  talents. Il s'est associé depuis, pour la composition des  hymnes, un prétendu poëte plus connu par son appel  au futur concile que par ses poésies, plus occupé à  fomenter les nouvelles erreurs dans son collège, qu'à y  faire fleurir les bonnes moeurs et les belles-lettres.

« Il y a plus de quinze ans que ce fruit conçu dans les  ténèbres était en état de paraître ; mais il fallait trouver  un protecteur à l'ombre duquel il pût impunément  braver le grand jour, et quels efforts n'a-t-on pas mis  en œuvre pour la réussite de ce projet ? L'ouvrage était  à peine achevé, qu'on s'adresse à feu Monseigneur le  Cardinal de Noailles pour le lui faire adopter ; mais  nous savons que ce prélat le rejeta avec mécontentement, et qu'il ne voulut point souffrir qu'on lui en parlât. Feu Monseigneur de Lorraine, évêque de Bayeux,  se montra plus favorable au bréviaire; il désira d'en introduire l'usage dans son Église, mais le soulèvement  de tout son chapitre et de tout son diocèse contre lui,  l'empêcha de tenter l'entreprise, et Son Altesse ne crut  pas que son nom ni sa dignité pussent mettre l'ouvrage  à couvert de la censure publique. Se serait-on persuadé  (et qu'on juge par ce seul trait des intrigues du parti)  qu'un bréviaire ainsi proscrit dût être un jour à l'abri  d'un nom aussi respectable et aussi cher à l'Église que  l'est celui de Vintimille ?

« Voilà, dis-je, un violent préjugé fondé sur la qualité  des auteurs et capable de jeter sur cette production un  soupçon plus que légitime, soupçon qui se tourne en  preuve convaincante par les événements qui précédèrent  et qui ont suivi l'édition.

« Accuser indifféremment tous les examinateurs, c'est  ce que l'équité ne nous permet pas. Il y avait parmi eux  des catholiques, et des catholiques décidés. En quel  nombre ? Monseigneur, vous le savez ; mais enfin la  conduite qu'ils ont tenue, ou que l'on a tenue à leur  égard, montre ce qu'ils ont pensé. Vous le savez, Monseigneur, la crainte de contrister V. G. m'empêche de  la lui remettre devant les yeux. En vain voudrait-on  rendre garants de cet ouvrage ces hommes respectables  et si dignes de votre confiance. Le public sait que tous  (je ne comprends point parmi eux feu M. Couet, dont  toute la fonction a été d'encenser en toute occasion  et le nouveau bréviaire et son auteur, et dont le  suffrage devait rendre l'ouvrage suspect) ont fait plusieurs fois, quoique inutilement, de très importantes  représentations, tant sur les auteurs que sur le fond  et la forme de ce bréviaire. Tout Paris sait qu'on  n'eut presque aucun égard à leurs réflexions ; de sorte  qu'à proprement parler, on peut dire que tous les approbateurs du bréviaire ont été ou les auteurs mêmes,  ou des hommes connus pour être partisans de l'erreur.

« Combien d'autres représentations Votre Grandeur  n'a-t-elle pas reçues de tous les côtés ? Elle a plusieurs  fois témoigné qu'elle en était fatiguée ; tristes, mais trop  sûrs garants du bruit que devait faire l'édition, et des  alarmes qu'elle causerait. Elles sont parvenues jusqu'à  vous, Monseigneur, et ce sont des faits que vous ne pouvez dissimuler. Vous n'ignorez pas que l'acceptation du  bréviaire par vos bons diocésains, est un sacrifice forcé  de leur soumission au poids de votre autorité. Le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet n'a point caché  ses justes répugnances ; mais le curé ayant voulu absolument qu'il fût chanté dans son église, il n'a pas été  possible de lui résister.

« Les prélats qui vous avaient promis de se joindre à  vous commencèrent à se dégager d'une parole que leur  conscience ne leur permettait pas de garder. M. l'Évêque  de Valence comptait d'adopter le nouveau bréviaire ; il a a changé de résolution et s'en est assez nettement déclaré.  Le chapitre de Lodève était près de l'accepter de la main  de son évêque ; aujourd'hui il est déterminé à ne jamais  souffrir que le diocèse en soit infecté, et ce changement  est le fruit de la lecture que quelques-uns d'entre eux  en ont fait.

« M. l'Evêque de La Rochelle a avancé dix mille livres ;  mais on ne doute point qu'il ne les sacrifie généreusement, plutôt que de faire un présent si funeste à ses diocésains.

« Tandis que les catholiques, par des plaintes et des démarches publiques, montrent l'idée qu'ils ont conçue du nouveau bréviaire, les sectateurs des nouvelles opinions triomphent publiquement. M. de Montpellier s'en  est déclaré le protecteur ; il met tout en œuvre pour le  faire recevoir par son chapitre très orthodoxe, qui n'en veut pas.

« Les plaintes des uns, le triomphe des autres, font un argument dont un magistrat éclairé a senti toute la force. Voici comment il s'en est expliqué :

« Si Monseigneur l'Archevêque, disait-il, me parlait de  son bréviaire, je lui demanderais : Quels sont ceux qui  réclament contre ce nouveau bréviaire ? Ce sont tous les  bons catholiques, tous ceux qui sont connus par leur  soumission à l'Église, par leur attachement sincère à  votre personne et à votre autorité, et qui, depuis votre  arrivée à Paris, n'ont cessé de la défendre contre les.  novateurs. Qui sont maintenant ceux qui en prennent  la défense, qui sont empressés à le faire chanter, qui  disent que c'est un coup du ciel que ce bréviaire paraisse  sous votre nom ? Ce sont ceux qui sont révoltés contre  l'Église et ses décisions, ceux qui n'ont cessé de vous  déchirer dans leurs libelles, ceux qui ont tout mis en  œuvre pour noircir votre réputation et déshonorer votre  épiscopat, ceux, en un mot, que vous avez toujours paru  regarder comme hérétiques. Il ne vous convient pas de  vous déclarer ni contre les premiers, ni en faveur des  derniers ; et cependant c'est ce que vous paraissez faire,  lorsque vous soutenez le bréviaire et que vous vous  engagez à le soutenir toujours ; vous donnez lieu aux  Appelants de dire, comme ils le disent en effet, que  vous tournez de leur côté.

« Telles étaient, Monseigneur, les réflexions de ce magistrat dont vous estimez la religion, la droiture et les  lumières.

« Voilà, ce me semble, pour toutes les personnes non  prévenues, des preuves assez solides ; mais on n'aurait  pas absolument besoin de tous ces arguments étrangers,  puisque l'ouvrage dont il s'agit porte dans lui-même sa  condamnation, pour quiconque se donne la peine de  l'examiner. L'auteur de la Lettre sur le bréviaire démontre qu'il ne peut être que l'ouvrage du parti, et  qu'à ce seul titre, il nous doit être odieux. Persuadera-t-on jamais, en effet, que des catholiques aient pu faire  les indignes retranchements qu'il cite des passages formels et décisifs contre les nouvelles erreurs ? Il est vrai  qu'il ne parle que de peu de substitutions perverses où  le dogme soit directement attaqué. Quelles que puissent  être les raisons qui l'ont empêché d'entrer dans un plus  long détail, ce n'est pas la faute du bréviaire qui s'en  trouve rempli.

« Vous-même, oui, Monseigneur, Votre Grandeur elle-même s'est  déclarée contre cet ouvrage d'une manière non équivoque. Les mouvements qu'elle se donne pour le corriger, s'il était possible, ces cartons qu'elle fait apposer  de toutes parts et qui se multiplient par la recherche  des erreurs, sont autant de témoins irréprochables, qui  justifient nos plaintes et condamnent hautement le bréviaire.

« Réunissons à présent toutes ces preuves : n'en  résulte-t-il pas, dans les esprits les plus prévenus, que  tout parle effectivement contre le bréviaire ? La qualité  des auteurs justement suspects, la difficulté qu'ils ont eue à lui trouver un patron, la division des examinateurs, la multitude des représentations, les plaintes des  catholiques et l'approbation de leurs adversaires, la  lecture du bréviaire lui-même et votre propre conduite,  en faut-il davantage pour me faire dire avec justice qu'il  ne convient ni à vous, ni à vos diocésains ? et peut-il  y avoir des préjugés assez forts qui ne tombent à la  vue de preuves si lumineuses ?

« Je ne vois rien qui semble parler en sa faveur que  l'arrêt du parlement par lequel on a prétendu flétrir la  Lettre qui l'attaque; mais j'ose ici vous le demander à  vous-même, Monseigneur, et m'en rapporter aux secrets  sentiments de votre coeur ; si l'opposition que vous trouvez au bréviaire doit vous causer quelques inquiétudes,  cet arrêt sera-t-il capable de les apaiser ?

« Combien de réflexions judicieuses qu'il ne m'est pas  permis de mettre ici dans leur jour, doivent se présenter  à votre esprit pour balancer l'autorité d'un pareil jugement ! N'a-t-on pas vu souvent ?..... Mais je m'arrête, j'oubliais que le respect doit conduire ma plume, et qu'il  est des vérités sur lesquelles il ne m'appartient pas de  m'expliquer. Au moins, n'avez-vous pas sans doute  oublié que l'avocat général qui paraît aujourd'hui  prendre votre défense, est le même qui, plus d'une fois, éleva la voix dans lé parlement pour flétrir vos ouvrages  et les couvrir, s'il était possible, d'une éternelle ignominie ? Si les coups qu'il porte contre la Lettre ont quelque poids, ils eurent le même effet contre vos mandements, et approuver aujourd'hui son ministère, c'est  souscrire à votre condamnation. Non, son plaidoyer, ni  l'arrêt qui le suit, ne calmeront point les inquiétudes  d'un prélat véritablement orthodoxe qui ne reconnaît  que l'Église seule pour juge en matière de foi et de  religion.

« J'ajoute, qu'à ne consulter que l'arrêt lui-même, le  bréviaire n'est jamais justifié. J'ai en main le réquisitoire  de M. Gilbert de Voisins. Que dit-il ? et que condamne-t-il ? Entre-t-il dans le fond des matières ? examine-t-il  les preuves sur lesquelles la Lettre forme ses accusations ? Il n'avait garde. Le brillant obscur dont il a coutume d'envelopper ses tortueuses périodes, n'aurait pu  répandre aucun nuage sur l'évidence des preuves et  des raisons de l'auteur de la Lettre.

« Il s'arrête précisément au détail minutieux de quelques  phrases un peu fortes qu'il accable d'épithètes plus fortes  encore, mais qui, dans le vrai, ne signifient rien, puisqu'enfin, avant que de condamner ces expressions prétendues trop fortes, il faut prouver qu'elles portent à faux ; ce qu'il ne fait pas. Le principal motif qu'il  apporte pour le condamner,  est l'affectation singulière des qualités d'hérétiques et de catholiques appliquées à  ceux qui vivent dans le sein d'une même Église ; c'est-à-dire, Monseigneur, qu'il en veut autant à Votre Grandeur. qu'à  l'auteur de la Lettre, puisque vous avez fait la même  distinction dans vos mandements, c'est-à-dire qu'en feignant de vous défendre, il vous attaque véritablement ;  c'est-à-dire qu'il flétrit de nouveau vos mandements avec  la Lettre; c'est-à-dire, en un mot, que son réquisitoire  vous est aussi injurieux qu'il pourrait l'être à l'auteur  inconnu.

« Il est donc incontestable qu'en recueillant les voix  différentes, il s'élève un espèce de cri général contre le  nouveau bréviaire ; vouloir se cacher cette vérité, c'est  se mettre sur les yeux un bandeau volontaire, pour ne  pas apercevoir un objet réel qui blesse la vue. Or, dans  de telles circonstances généralement avouées, comment  convient-il à Votre Grandeur de se comporter ? C'est ce qui doit  faire l'objet de ses plus sérieuses réflexions, et je m'en  rapporterai volontiers à la décision de sa piété rendue à  elle-même et débarrassée des conseils de la molle condescendance. C'est à ce tribunal que j'en appelle, et je  m'assure du triomphe de ma cause. Il n'y a que deux  partis à prendre : l'un, de corriger le bréviaire et d'en  retrancher tout ce qui peut blesser la délicatesse catholique ; l'autre, de le repousser absolument et de le tenir comme non  avenu.

« Il paraît que c'est au premier parti que Votre Grandeur s'en est  tenue (car on n'est pas venu à bout de lui cacher tout  l'artifice de ce mystère d'iniquité) ; mais ce qu'il y a de  personnes autorisées dans votre diocèse vous proteste  ici, par mon ministère, que vous tentez une chose impossible. Malgré la déclamation non prouvée de l'avocat  général, il demeure constant parmi eux que tout le bréviaire est une masse d'un levain corrompu, de laquelle  on n'exprimera jamais un suc salutaire dont les catholiques veuillent se nourrir. Comment, en effet, rétablir  tous les retranchements des fêtes, des octaves, des prières  à la sainte Vierge et de cette immensité de textes de  l'Écriture et des Saints Pères, que les auteurs ont sacrifiés  aux mânes de Jansénius et de Quesnel ? Comment effacer  des hymnes, des leçons, des capitules, des répons, des  oraisons, cette multitude de phrases captieuses, équivoques, mal sonnantes, pour ne pas dire hétérodoxes,  sous lesquelles on a eu l'adresse d'insinuer des erreurs  si souvent condamnées ? Il faudrait absolument repétrir,  refondre toute cette masse impure, c'est-à-dire, qu'il n'en  coûterait pas davantage pour refaire un nouveau bréviaire.

« La chose fût-elle possible, ce qui n'est pas, croyez- vous, Monseigneur, que les vrais catholiques trouveront jamais du goût à réciter un bréviaire composé par  des ennemis de l'Église leur Mère? Non, nous ne voulons point de leurs présents ; nos lèvres ne souffriront  qu'avec peine des prières dont les auteurs ne furent pas  nos défenseurs; et le triste souvenir que nous les tenons  d'appelants et de fauteurs d'hérésie, sera capable de  troubler la dévotion de nos temples et de répandre  l'amertume sur la sainte gaieté de nos plus belles fêtes.  Le dirai-je, Monseigneur ? nous craignons de prononcer des blasphèmes, en ne récitant que des paroles respectables et uniquement tirées de nos saintes Écritures.  Un passage isolé, détaché de ce qui le précède et de ce  qui le suit, souvent ne présente par lui-même aucun  sens ; mais l'union artificieuse de plusieurs de ces passages leur donne souvent un sens tout à fait étranger,  et c'est ainsi que la parole de Dieu dans la bouche des  hérétiques devient le langage de l'erreur. Par exemple,  comparer l'état présent de l'Église à l'état d'Israël  séduit par Jéroboam, faire entendre qu'il ne la faut  plus chercher que dans un petit nombre d'élus que la Grâce du Seigneur s'est réservé, n'est-ce pas le langage  familier de tous les hérétiques ? Attendre que le prophète Élie vienne soutenir la foi du petit troupeau persécuté, n'est-ce pas le fanatisme dominant de nos jours ?  Des paroles tirées des saints Livres présentent toutes  ces horreurs dans plusieurs répons et plusieurs versets  de l'office du Dimanche après la Pentecôte. Dirait t-on que ce n'est pas là le sens naturel des paroles citées  dans le bréviaire? Qu'importe, si les catholiques ne  peuvent douter que ce ne soit là le sens qu'on a voulu  leur présenter ? Les traits de cette nature sont sans  nombre.

« Reste donc, Monseigneur (ici je sens qu'il faut me  faire une nouvelle violence ; c'est avec peine que  l'amour de la vérité l'emporte sur le respect), reste  donc, puisqu'il faut le dire, de reconnaître généreusement que vous avez été trompé, et de proscrire hautement un ouvrage qu'une confiance bien excusable dans  un prélat accablé de tant d'occupations vous a fait  adopter.

« S'il n'y avait que ce premier pas à faire, je crois aisément que Votre Grandeur n'y trouverait point de difficulté ; une  âme élevée comme la vôtre est au-dessus de cette faiblesse orgueilleuse qu'un glorieux aveu fait rougir.  Vous savez qu'il n'appartient qu'à l'élévation d'un noble  génie de se croire sujet à l'erreur, et que ce qui sépare  le grand homme d'avec l'homme faible n'est pas de ne  commettre aucune faute, mais de savoir l'avouer et  la réparer. L'immortel archevêque de Cambrai ne  s'est jamais tant distingué par la sublime beauté de ses  ouvrages, que par l'humble aveu qu'il a fait en chaire  de s'être trompé. Et son nom ne serait pas si glorieux  dans les fastes de l'Église, s'il avait toujours été à couvert de tout reproche.

« Le second  doit vous  coûter beaucoup plus,   sans doute, parce qu'il entraîne après lui de fâcheux embarras. Les frais sont faits ; la dépense est énorme ; où  trouver des fonds pour rembourser le libraire, et l'indemniser de ses avances ? Je conviens que cet article souffre difficulté. Il faudra se donner des mouvements,  lever bien des obstacles et de différentes espèces ; mais enfin la chose doit-elle être regardée comme impossible ? Les fonds de charité, d'honneur et de bienséance,  sont-ils donc épuisés dans la plus riche capitale du monde ? ou n'y a-t-il aucune voie à quelque accommodément ? Je conviens encore que, malgré les ressources  du zèle et de l'ingénieuse piété, différents particuliers  pourront souffrir quelque perte ; mais fût-elle fort au-dessus de ce qu'elle pourrait être en effet, des intérêts  purement humains peuvent-ils arrêter ou suspendre une  démarche prouvée nécessaire à la religion ?

« Rendez-vous donc, Monseigneur, à ce qu'elle vous  demande aujourd'hui. Toujours vous vous fîtes un devoir capital d'être docile à sa voix et de vous conduire  selon la sainteté de ses maximes. Il n'est qu'un seul  trait dans une longue suite d'années qui ne soit pas à  couvert de la critique ; trait cependant qui sera marqué  dans les fastes de l'Église, trait qui pourra défigurer le  glorieux portrait qu'on y fera de votre personne : hâtez-vous de l'effacer. Vous avez toujours été un de ces murs  d'airain, une de ces colonnes inébranlables que la religion oppose à l'hérésie. Vous êtes encore aujourd'hui  son ornement et son appui ; c'est un éloge que la malignité et l'envie ne peuvent vous refuser, et auquel je  suis le premier à souscrire. Vous soutiendrez jusqu'à  la fin ce noble caractère : vous vous souviendrez de ces beaux sentiments tracés avec tant d'énergie dans la  lettre que vous écriviez au roi, quelque temps après que  vous eûtes pris le gouvernement de cette Eglise : Je ferai  mon devoir (disiez-vous), je le ferai avec le zèle et la fermeté d'un évêque, qui, après avoir vieilli dans  l'épiscopat, n'est pas venu dans la capitale pour trahir son ministère et pour le déshonorer à la fin de ses  jours ; jours précieux, Monseigneur, pour lesquels je me trouverais heureux de sacrifier les miens inutiles  au monde, et qui s'avancent, hélas ! pour notre malheur, a à pas trop précipités. Il faudra paraître devant ce Juge  redoutable qui trouve des iniquités jusque dans ses  Saints. Vous porterez à son tribunal des œuvres de  salut et des vertus dignes d'un zélé ministre du Dieu  vivant dont vous avez soutenu les autels, mais vous y  rendrez compte aussi de ce qui fait le Sujet de cette  humble Remontrance.

« Au nom du Dieu que nous  servons, au nom de cette religion que nous suivons,  examinez sérieusement et pesez dès à présent, au poids  sacré du sanctuaire, ce que vous voudriez avoir fait  dans ce moment terrible et décisif, où la vérité pure  brillera sans nuage et débarrassée de toutes les préventions humaines. »

 

Il était plus aisé de condamner au feu la pièce qu'on vient de lire que de la réfuter.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

Frontispice des Nouvelles écclésiastiques

Frontispice des Nouvelles écclésiastiques, année 1763, En foulant ses ennemis cruels Elie régale les cieux

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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 12:30

Il nous semble que nous en avons dit assez pour dévoiler l'intention expresse qu'avaient eue les auteurs du nouveau bréviaire de diminuer le culte de la sainte Vierge. Montrons maintenant ce qu'ils avaient fait contre l'autorité du Siège apostolique.

 

D'abord, jusqu'à la publication du nouveau bréviaire, l'Église de Paris avait célébré, avec toute l'Église, au 18 janvier, la Chaire de saint Pierre à Rome, et au 22 février, la Chaire du même apôtre à Antioche, pour honorer le souverain Pontificat qui avait eu son siège successivement dans ces deux villes. C'était trop pour Vigier et Mésenguy, d'employer deux jours de l'année à la confession d'un dogme aussi odieux à la secte que l'est celui de la principauté papale. Ils avaient donc réuni les deux Chaires en un même jour, et brisé encore sur ce point avec Rome et toutes les Églises qui la suivent. L'invitatoire des matines était aussi fort remarquable. En place de l'ancien qui était ainsi conçu : Tu es Pastor ovium, Princeps Apostolorum, tibi tradidit Deus claves regni cœlorum, on avait substitué celui-ci : Caput corporis Ecclesiœ Dominum, venite adoremus. Certes, un calviniste n'aurait garde de se scandaliser d'un tel invitatoire. Mais il faut avouer qu'il est par trop fort d'avoir été choisir le jour de la Chaire de saint Pierre, chef de l'Église, pour s'en venir taire dans l'invitatoire l'objet de la fête, ou plutôt pour donner le change sur cet objet. On reconnaît là le même génie qui a créé la fameuse oraison de saint Damase : Nullum primum nisi Christum sequentes, etc.

 

Au reste, cet office de la Chaire de saint Pierre était remarquable par une hymne de Coffin, dont une strophe donnait prise à une juste critique et excita des réclamations.  La voici ; le poète s'adresse  à  saint Pierre :

 

Cœlestis intus te Pater addocet,

Hinc voce certa progenitum Deo

Parente Christum confiteris

Ingenito similem parenti.

 

Il est évident, par l'Évangile, que saint Pierre n'a point parlé de la sorte. Il n'a point dit que Jésus-Christ fût simplement semblable à son Père ; les ariens le voulaient ainsi, mais le concile de Nicée condamna cette manière de parler et obligea les fidèles à confesser explicitement l'unité de substance dans le Père et le Fils. On conçoit que le Principal du Collège de Beauvais, quoique fort zélé pour la Délectation relativement victorieuse, ne fût pas un très fort théologien. Rien ne l'obligeait à cela : mais on n'était pas obligé non plus de l'aller chercher pour composer dans le Bréviaire de Paris les hymnes destinées à remplacer celles que la tradition et l'autorité de tant d'Églises, jointes au Siège apostolique, ont consacrées. Sur ce point, comme sur tous les autres, nous sommes en droit d'exiger, des nouvelles Liturgies, une doctrine plus pure, une autorité plus grande, un caractère plus élevé ; autrement, toute cette levée de boucliers contre la Mère Eglise est un scandale, et rien de plus.

 

On avait procédé aussi par suppression pour affaiblir la dignité du Saint-Siège. C'était peu que François de Harlay eût fait  descendre la fête de saint Pierre au degré de solennel mineur ; le nouveau bréviaire, enchérissant  sur cette témérité, la dépouillait de son octave. Le beau sermon de saint Léon, au second nocturne, l'homélie de saint Jérôme, au troisième, avaient été sacrifiés. On cherchait en vain une autre homélie de saint Léon, sur la dignité du Prince des Apôtres, qui se trouvait au samedi des Quatre-Temps du carême. L'évangile même auquel se rapportait cette homélie avait disparu. Dans la légende de l'office de saint Grégoire le Grand, on avait retranché les paroles dans lesquelles ce grand pape se plaint de l'outrage fait à saint Pierre par Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui s'arrogeait  le  titre d'évêque œcuménique. On a vu plus haut que plusieurs saints papes avaient été effacés du calendrier, ou réduits à une mémoire. Au reste, la secte, en cela, ne faisait rien d'extraordinaire :  on sait quelle haine elle porta dans tous les temps au Siège apostolique.

 

Si, après avoir reconnu quelques-unes des nombreuses preuves du  système suivi au nouveau bréviaire, dans le but de comprimer la piété catholique et de favoriser les erreurs du temps, le lecteur vient à jeter   un coup  d'oeil sur l'ensemble de cette Liturgie, il ne saurait manquer d'être choqué par les nouveautés les plus étranges qui s'y rencontrent de toutes parts.

 

Le Psautier n'est plus distribué  suivant l'antique  division, qui datait pourtant du IVe siècle. On voit que l'amour de l'antiquité qui transporte  tous nos modernes liturgistes, ne les a pas laissés insensibles aux avantages d'un bréviaire rendu plus court par une distribution moins pénible du Psautier.  Nous le répétons, nous sommes loin de blâmer l'intention si louable de procurer la récitation hebdomadaire du Psautier ; mais   les  rédacteurs   du  nouveau  bréviaire  avaient-ils réussi à donner une solution convenable de ce grand problème liturgique ? Il nous semble qu'un travail si grave appartenait, avant tout, à des mains catholiques ; il intéresse de trop près l'esprit de prière que les hérétiques  ne peuvent connaître. En outre, ne devait-on pas, même en s'écartant de l'antiquité dans ce nouveau partage des cantiques du roi-prophète, suivre le génie de l'ancienne division et en conserver les mystères ? Dans ce cas, on n'eût point imaginé, par exemple, de dire les psaumes de matines en nombre impair, dans les jours de férié, ce qui est contraire aux traditions de l'Église tout entière. Était-il donc nécessaire de supprimer en masse les belles hymnes du Psautier romain, qui sont toutes des premiers siècles de l’Église et si remplies d'onction et de lumière ? Il va sans dire que Coffin avait fait les frais de toutes les nouvelles, et quant à la division du Psautier lui-même, elle était, à peu de chose près, celle de Foinard, dans son Breviarium Ecclesiasticum. Au IVe siècle, saint Damase et saint Jérôme s'étaient unis pour déterminer la division liturgique du Psautier. L'Église de Paris, quatorze siècles après, voulant donner une nouvelle face à cette grande œuvre, se recommandait à Vigier, à Mésenguy, à Coffin, lesquels, pour toute tradition, consultaient le docteur Foinard !

 

Parlerons-nous des absolutions et des bénédictions qu'on avait empruntées à l'Écriture sainte, et dont la longueur, la phrase obscure contrastaient si fortement avec les anciennes qui étaient de style ecclésiastique, cadencées et si propres au chant ? Nous avons cité plus haut celle de prime, comme un monument des intentions des rédacteurs. Le défaut de clarté que nous signalons se faisait remarquer principalement dans la bénédiction des complies. Dans la Liturgie romaine, elle est ainsi conçue : Benedicat et custodiat nos omnipotens et misericors Dominas, Pater, et Filius, et Spiritus Sanctus. Rien de plus simple et de plus touchant que ce souhait de paix sur l'assemblée des fidèles : Que Dieu nous bénisse, qu'il nous garde durant cette nuit : Dieu puissant qui nous gardera, Dieu miséricordieux qui nous bénira, le Père, le Fils, le Saint-Esprit ! Écoutons maintenant Vigier et Mésenguy : Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei et communicatio Sancti Spiritus sit cum omnibus vobis ! On voit tout de suite l'intention des Docteurs. D'abord la Grâce ; toujours la Grâce; puis un texte de l'Ecriture sainte, un texte qui renferme les trois personnes de la sainte Trinité. Voilà leur pensée, l'objet de leur triomphe. Nous dirons d'abord qu'il faut avoir une terrible peur de la tradition ou une bien violente antipathie contre elle,  pour   la   poursuivre, à coups d'Écriture sainte, jusque dans une bénédiction de deux lignes.

 

Ensuite, le texte biblique qui remplace la formule romaine est-il donc si propre à remplir le but qu'on se propose ? Un théologien trouvera sans doute le mystère de la Trinité dans cette phrase de l'apôtre ; mais les simples fidèles, accoutumés à faire le signe de la croix pendant que le prêtre prononçait ces mots : Pater, et Filius, et Spiritus Sanctus, comment feront-ils désormais ? Voici une formule dans laquelle on commence par nommer Jésus-Christ, sans la dénomination de Fils ; vient ensuite le nom de Dieu, sans la qualité de Père, et placé d'ailleurs au second rang, après le Fils ; enfin le Saint-Esprit, avec le mot communicatio qui n'est pas des plus clairs. Il nous semble que l'Église romaine, quoiqu'elle ne parle pas si souvent de la Grâce, s'entend mieux encore à instruire et à édifier le peuple fidèle. Ce procédé d'examen auquel nous venons de soumettre la bénédiction parisienne des complies, peut être appliqué avec facilité, et presque toujours avec un résultat aussi favorable à la Liturgie romaine, dans les nombreuses occasions où les nouveaux livres ont remplacé les formules grégoriennes.

 

Le propre du temps, dans le nouveau bréviaire, ne présentait pas un seul office qui n'eût été refait, et même, la plupart du temps, en entier. Les fêtes de Noël (si on excepte quelques antiennes et un répons), de Pâques, de la Pentecôte, n'étaient plus célébrées par les mêmes chants. L'avent, le carême, le temps pascal, avaient vu sacrifier leurs innombrables répons, antiennes, versets, leçons ; à peine une centième partie avait été conservée. Mais ce qui était le plus grave et en même temps le plus affligeant pour la piété catholique, c'est que l'office des trois derniers jours de la semaine sainte avait été entièrement refondu et présentait, dans sa presque totalité, un aspect différent de cet imposant corps de psalmodie et de chants qui remontait aux premiers siècles, et auquel se conforment chaque année les diverses églises et monastères qui ont le privilège d'user, le reste du temps, d'une Liturgie particulière. N'avait-on pas aussi le droit de regarder comme un attentat contre le divin Sacrement de l'Eucharistie, la suppression de cet admirable office du Saint-Sacrement, dont la composition forme une des principales gloires du Docteur angélique ? Ne serait-il pas humiliant pour l'Église de Paris de répudier saint Thomas d'Aquin, pour accepter en place Vigier et Mésenguy ? Par grâce singulière, on avait pourtant gardé les hymnes.

 

Le propre des saints, comme on doit déjà le conclure de ce que nous avons dit, présentait un aspect non moins affligeant. Les réductions faites au calendrier l'avaient appauvri dans la même proportion. Les légendes, dépouillées d'une partie de leurs miracles et de leurs récits pieux ; les anciens offices propres de la sainte Croix, de la Toussaint, de saint André, sainte Lucie, sainte Agnès, sainte Agathe, saint Laurent, saint Martin, sainte Cécile, saint Clément, etc., supprimés malgré leur ineffable mélodie ; et les octaves, non seulement de saint Pierre et de saint Paul, mais de saint Jean-Baptiste et de saint Martin, anéanties ; la plupart des offices réduits à trois leçons, afin de rendre l'office plus court : voilà quelques-unes des graves innovations qui choquaient tout d'abord la vue dans le nouveau propre des saints.

 

Les communs n'étaient pas moins modernisés. Dans l’ancien bréviaire, cependant, ils étaient presque entièrement formés des paroles de l'Écriture sainte, et c'était à cette même source que François de Harlay avait été chercher les antiennes et les répons dont il avait jugé à propos de les augmenter. Dans l'œuvre de Vigier et Mésenguy, tout avait été renouvelé, antiennes, répons, versets, hymnes, capitules, etc. ; à peine avait-on fait grâce à deux ou trois textes qui, encore, avaient été changés de place. De nouveaux communs avaient été ajoutés ; ce que nous ne voulons pourtant pas blâmer en soi ; mais une grave et déplorable mesure était la suppression du titre de confesseur, qui, cependant, occupe une si grande place dans le partage des différents communs.

 

L'office de Beata in Sabbato, le petit office de la sainte Vierge lui-même, déjà défiguré par François de Harlay, avait reçu le dernier coup dans le nouveau bréviaire. Hors les psaumes qu'on avait conservés, c'était à peine s'ils conservaient quelque rapport avec les mêmes offices tels que le peuple chrétien a coutume de les réciter et de les chanter.

 

Les prières de la recommandation de l'âme avaient été tronquées, et les parties considérables qu'on avait fait disparaître et qui étaient remarquables par une si merveilleuse onction et par un langage tout céleste, avaient été remplacées, suivant l'usage, par des versets et des lectures de la Bible. L'office des morts, si ancien, si primitif, se montrait refait sur un nouveau plan. La plupart des antiennes avaient disparu ; les sublimes répons de matines, à l'exception d'un seul, ne se trouvaient plus. Ce nouveau Bréviaire de Paris n'avait pas même fait grâce à ces répons attribués à Maurice de Sully, que l'Église de Paris avait eu, disait-on, la gloire de donner à l'Église romaine. On avait été jusqu'à faire un nouveau Libera avec des morceaux du Psaume LXVIII. L'office de laudes avait été abrégé d'un tiers. Cependant, les morts qui ne sont plus en voie de profiter des avantages d'une prière plus courte, les morts qui sont si vite oubliés, auraient bien eu droit qu'on fit pour eux quelque exception dans cette mesure générale d'abréviation liturgique.

 

Enfin, dans le nouveau bréviaire tout entier, il n'y avait que deux articles sur lesquels eût été conserve fidèlement l'ancienne forme. C'étaient la Bénédiction de la Table et l'Itinéraire. On avait été tolérant jusque laisser, dans la première, les paroles Mensœ cœlestis participes, etc., et Ad Cœnam perpetuae vitœ, etc. ; et, dans le second, l'antienne tout aussi peu biblique In viam pacis. Etait-ce oubli, ou préméditation ? Nous ne saurions le dire ; mais nous avons dû faire cette remarque pour compléter ce coup d'œil général sur l'œuvre de Vigier et de Mésenguy.

 

Le nouveau bréviaire étant tel que nous venons de le décrire, son apparition ne pouvait manquer d'exciter un soulèvement dans la portion du clergé qui s'était formellement déclarée contre les nouvelles erreurs. Le séminaire de Saint-Sulpice qui, dès 1680, n'avait renoncé au Bréviaire romain pour accepter celui de François de Harlay, qu'après une résistance consciencieuse et sur l'injonction expresse de cet archevêque, protestait contre la nouvelle Liturgie avec une franchise digne de l'inviolable orthodoxie qu'il avait toujours fait paraître. Le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet témoignait les mêmes répugnances ; plusieurs curés, entre autres Parquet, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, manifestaient hautement leur indignation. Le conseil même de l'archevêque était divisé. Les abbés Robinet et Regnauld, grands vicaires du prélat, n'avaient qu'un même langage contre le bréviaire avec le docteur Gaillande, filleul de Tournely et l'un des plus ardents adversaires du jansénisme.

 

Tout à coup, on vit paraître un écrit énergique intitulé : Lettre sur le nouveau bréviaire, brochure de onze pages in-4°, datée du 25 mars 1736, dans laquelle étaient résumés avec précision et vigueur les motifs de cette opposition dans laquelle se réunissaient les corps et les personnes que Paris et la France entière connaissaient pour être les plus intègres dans la défense des décisions de l'Église contre le jansénisme. Les Nouvelles ecclésiastiques attribuèrent cet écrit à Gaillande ; mais, suivant l'Ami de la Religion, il avait pour auteur le P. Claude-René Hongnant, jésuite, un des rédacteurs des Mémoires de Trévoux.

 

Quoi qu'il en soit, le scandale monta bientôt à son comble, pour le triomphe de la secte, et aussi, par la permission divine, pour l'instruction des catholiques.

 

Pendant que l'archevêché se taisait dans un moment aussi solennel que celui où un prêtre orthodoxe signalait les perfides manœuvres de l'hérésie jusque dans un livre pour lequel on avait surpris l'approbation d'un prélat cassé de vieillesse ; les gens du roi, par suite de leurs vieilles prétentions de juges en matière de Liturgie, prenaient fait et cause pour le nouveau bréviaire, et un arrêt du Parlement de Paris, rendu le 8 juin, sur le réquisitoire de l'avocat général Gilbert de Voisins, condamnait la Lettre sur le nouveau bréviaire à être lacérée et brûlée, au pied du Grand-Escalier, par la main du bourreau.

 

C'était sous de pareils auspices que s'annonçait la nouvelle Liturgie.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

Bibliothèque nationale de France, département Droit, éco 

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19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 12:30

Si maintenant nous considérons la manière dont le nouveau bréviaire avait traité le culte des saints, on dirait que les auteurs avaient pris à tâche d'enchérir sur les témérités de François de Harlay.

 

Déjà, nous avons vu combien le système de la prépondérance du dimanche sur toutes les fêtes occurrentes, à moins qu'elles ne fussent du premier degré, système admis dans tous les nouveaux bréviaires et dans celui de Paris en particulier, enlevait de solennité au culte des saints ; combien, sous couleur de rétablir les usages de l'antiquité, il était en contradiction avec l'Église romaine, à qui il appartient d'instruire les autres Églises par ses usages.

 

Encore on ne s'était pas borné à établir une règle aussi défavorable au culte des saints, le calendrier avait subi les plus graves réductions. En janvier,on avait supprimé les octaves de saint Etienne, de saint Jean, des saints Innocents et même de sainte Geneviève, la fête de sainte Émérentienne et l'antique Commémoration de sainte Agnès, au 28, qui est regardée comme un des plus précieux monuments liturgiques du calendrier grégorien,

 

En février, la Chaire de saint Pierre à Antioche avait disparu. En mars, saint Aubin n'avait plus qu'une simple mémoire. En avril, la fête de saint Vital était retranchée, le culte de saint Georges et de saint Eutrope était réduit à une commémoration. En mai, on avait effacé les saints Alexandre, Éventien et Théodule, sainte Domitille, la Translation de saint Nicolas, saint Urbain, les saints Cantius, Gantianus et Cantianilla. En. juin, on ne retrouvait plus les saints Basilide, Cyrinus, Nabor et Nazaire, les saints Modeste et Crescence, les saints Marc et Marcellien, ni les octaves de saint Jean-Baptiste et de saint Pierre et saint Paul. En juillet, étaient effacés saint Thibault, les saints Processe et Martinien saint Alexis, sainte Marguerite, sainte Praxède, les saints Abdon et Sennen. En août, avaient disparu sainte Suzanne, saint Cassien, saint Eusèbe, saint Agapet, les saints Timothée et Apollinaire, et les saints Félix et Adaucte. Le mois de septembre ne présentait d'autre suppression que celle de saint Nicomède. Saint Marc et saint Callixte, papes, avaient été retranchés, au mois d'octobre. En novembre, on avait ôté les Quatre Couronnés, saint Théodore, l'octave de saint Martin, saint Mennas, sainte Félicité, sainte Geneviève du Miracle des Ardents ; saint Martin, pape, était réduit à une simple commémoration. Décembre, enfin, avait vu disparaître sainte Barbe et l'octave de la Conception ; saint Thomas de Cantorbéry était transféré au mois de juillet, et saint Sylvestre réduit à une simple mémoire.

 

L'Église de Paris, comme l'on voit, en acceptant le nouveau bréviaire, se privait, de gaieté de cœur, d'un grand nombre de protecteurs, et il est difficile d'exprimer quel avantage elle pouvait tirer d'une si étrange épuration du calendrier. Nous allons examiner en détail quelques-unes de ces suppressions, mais nous ne pouvons dès à présent nous empêcher de signaler comme déplorable le système d'après lequel on privait l'Eglise de Paris de deux fêtes de sa glorieuse patronne. En outre, parmi ces divers saints sacrifiés à l'antipathie janséniste, si la plupart, tirant leur origine du calendrier romain, rappelaient d'une manière trop expresse la source à laquelle l'Église de Paris, durant neuf siècles, avait puisé sa Liturgie, plusieurs de ces saints qui appartiennent exclusivement à la France, comme saint Aubin, saint Eutrope, saint Thibault, n'en avaient pas moins été honteusement expulsés. On remarquait aussi que le nouveau calendrier ne renfermait presque aucun des saints nouvellement canonisés, quoiqu'ils eussent bien autant de droit aux hommages de l'Église de Paris que ceux des premiers siècles. Mais cette fécondité de l'épouse du Christ qui lui fait produire en chaque siècle des fils dignes de sa jeunesse, démentait trop fortement le système de la secte sur la vieillesse de l'Église, et pouvait devenir gênante dans ses conséquences.

 

Un bouleversement notable avait eu lieu dans le calendrier des mois de mars et d'avril. On cherchait en vain à leurs jours propres saint Thomas d'Aquin, saint Grégoire le Grand, saint Joseph, saint Joachim, saint Benoît, sainte Marie Égyptienne, saint Léon le Grand. Le désir de donner plus de tristesse au temps du carême, avait porté nos réformateurs à les rejeter à d'autres jours, choisis presque toujours arbitrairement. Par là les églises, les corporations placées sous le patronage de ces saints, se voyaient frustrées de leurs traditions les plus chères ; les fidèles, qui ne pouvaient rien comprendre aux motifs d'une semblable mesure, se trouvaient pareillement dans l'embarras pour connaître le jour auquel ils célébreraient désormais les saints qui étaient l'objet de leur dévotion particulière. S'ils sortaient du diocèse de  Paris pour  aller dans   un autre, ils retrouvaient leurs saints bien-aimés aux mêmes jours auxquels ils avaient eu coutume de les célébrer : comment expliqueraient-ils ces variations inouïes jusqu'alors ? Et plût à Dieu que les nouvelles Liturgies n'eussent contribué, que par ce seul endroit, à dépopulariser en France les choses de la religion !

 

Si maintenant nous examinons la manière dont les offices des saints en eux-mêmes avaient été traités dans le nouveau bréviaire, nous sommes bien obligé de dire qu'on avait encore enchéri sur le Bréviaire de Harlay. La censure de la Sorbonne, contre le Bréviaire d'Orléans de 1548, était applicable de mot à mot aux nouveaux offices. Des fêtes de neuf Leçons avaient été réduites à trois, et des fêtes de trois Leçons n'avaient plus qu'une simple mémoire. La plupart du temps, on avait retranché les miracles des saints. Plusieurs traits importants pour l'édification avaient été élagués, comme le récit des jeûnes, des macérations des saints, les fondations et dotations d'églises faites par eux. On avait supprimé leurs hymnes propres, leurs antiennes, etc. Ainsi parlait l'Université de Paris, en 1548, et elle ajoutait que ces changements étaient une chose imprudente, téméraire, scandaleuse, et qui donnait même quelque lieu de soupçonner l'envie de favoriser les hérétiques.

 

Il faudrait un volume entier pour relever toutes les intentions qui ont présidé à la rédaction du corps des légendes des saints, dans le nouveau bréviaire. C'est là que l'art des réticences est porté à la perfection, que la nouvelle critique s'exerce dans toute son audace et aussi dans toute sa sécheresse. Nous aurons le loisir d'y revenir jour par jour, dans l'explication générale de l'office divin ; mais nous ne pouvons mieux qualifier toutes ces légendes, qu'en disant qu'elles forment, pour l'esprit et  la couleur, un abrégé exact des Vies des saints, malheureusement trop répandues, de l'acolyte Mésenguy, qui n'avait ainsi qu'à mettre en latin, en le rétrécissant encore, son propre ouvrage.

 

La lettre pastorale nous dit qu'on a  évité  tout ce qui pourrait nourrir, à l'égard des saints, une stérile admiration, et comme nous l'avons remarqué à ce propos, cette crainte a été cause que l'on a gardé le silence sur les stigmates de saint François. C'est sans doute dans une semblable intention que, dans la vie du même patriarche, on avait retranché les célèbres paroles par  lesquelles il exhorte, en mourant, ses disciples à garder la pauvreté, la patience et la foi de la sainte Église romaine. On ne saurait croire jusqu'à quel degré cette manie d'effacer, de cacher, de dissimuler les traditions sur les saints, était parvenue. Quel homme, par exemple, en lisant ces paroles au sujet de la mère de saint Dominique, hunc mater dum utero gestaret quœdam vidisse per quietem traditur, penserait que cette illustre femme vit un chien tenant dans sa gueule un flambeau, pour embraser le monde ? Tout ce magnifique symbolisme est rendu par nos  faiseurs  dans ce seul mot : Quœdam. Nous citons ce trait entre mille.

 

Réunissez deux clercs, dont l'un récite   le Bréviaire  de Vintimille et l'autre le Bréviaire romain : supposons qu'ils ne connaissent l'un et l'autre la vie des saints que par les leçons de leur bréviaire. Qu'ils aient maintenant l'un et l'autre à s'expliquer du haut de la chaire sur les actions, les vertus, les miracles, les attributs des saints.   Le premier ne pourra rendre raison que d'un petit  nombre  de faits et de traditions ; le second sera à même de dispenser avec munificence un trésor de lumière et d'édification. Quand la foi est vive dans un pays, le culte des saints, la connaissance de leurs actions et des merveilles que Dieu a opérées en eux, y sont populaires ; quand cette dévotion diminue, la vraie piété  s'éteint,  le rationalisme  envahit tout. Or, c'est dans les églises que le culte des saints se nourrit et se réchauffe ; c'est dans les hymnes et les antiennes séculaires qu'il se conserve. Gardée à la fois par les chants de l'autel et les vitraux du sanctuaire, la légende sacrée ne s'efface pas et protège la foi des générations.

 

Quand donc reverrons-nous les merveilles des siècles catholiques ? Sera-ce quand nous aurons beaucoup de cathédrales rebâties dans le style du XIIIe siècle, beaucoup de pastiches des arts du moyen âge ? Non, ce sera quand nous aurons réappris la vie des saints, quand nous comprendrons leurs héroïques vertus, quand nos cœurs auront retrouvé cette foi naïve qui faisait qu'on était en repos sur ses besoins spirituels et corporels, quand on avait prié devant la châsse qui renfermait les ossements de ces amis de Dieu. Ces temps doivent-ils revenir pour nous ? Nous ne savons ; mais nous tenons pour assuré que si l'antique vénération des saints doit de nouveau consoler notre patrie, les légendes du Bréviaire de Paris auront alors disparu du livre des prières du prêtre.

 

Quant à la manière dont le culte de la sainte Vierge, ce culte que les théologiens, à cause de son excellence propre, nomment hyperdulie, avait été traité dans le nouveau bréviaire, nous n'en pouvons parler qu'avec un profond sentiment de tristesse. On peut dire que c'est là la grande plaie des nouveaux bréviaires, et les gens les plus bienveillants, ou, si l'on veut, les mieux prévenus, sont bien obligés de convenir que les rédacteurs ont eu l'intention expresse de diminuer les manifestations de la piété catholique envers la Mère de Dieu. Nous avons raconté les attentats sanctionnés par François de Harlay, dans le bréviaire de 1680 ; mais du moins, dans ce livre, on avait gardé des mesures : on n'en gardait plus dans le Bréviaire de 1736. Voici d'abord comment avaient été déshonorées les hymnes les plus chères à la piété catholique.

 

Commençons par l'Ave, maris Stella. Cet admirable cantique qui fait la joie et la consolation de l'Église, exprime avec assurance le pouvoir de Celle qui n'a besoin que de demander à son Fils pour obtenir, et qui nous sauve par sa prière, comme Lui par sa miséricorde. L'Église demande ses besoins à Marie, parce qu'elle peut les soulager, en les exposant maternellement au Sauveur :

 

Sumat per te preces

Qui pro nobis natus

Tulit esse tuus.

 

Jaloux de ce pouvoir de recommandation accordé à une pure créature, le farouche jansénisme avait en horreur cette hymne si tendre. Chargé de la réformer, il se livre à cette oeuvre avec joie ; il se gardera bien de la remplacer par une autre. Il aime mieux la corriger, la rendre chrétienne, faire la leçon à l'Église romaine et à toutes celles qui la suivent, insulter enfin l'idolâtrie papiste dans ses derniers et plus sacrés retranchements ; pour démentir les expressions de la piété catholique, le poète, d'ordinaire si exact sur le mètre, n'avait pas été exigeant cette fois, les fautes contre la quantité abondent dans ces strophes de nouvelle et janséniste fabrique. Mais nous devons dire la vérité et faire connaître les hommes qui disposaient alors de la Liturgie. 

 

Passons maintenant à une autre hymne de la sainte Vierge, non moins maltraitée par Coffin. C'est celle où l'Église appelle Marie la Mère de la grâce et de la miséricorde, et demande pour ses enfants la faveur d'être reçus par Elle au moment de leur mort.

 

La doxologie est, à peu de chose près, la même. Ce titre de Mère de miséricorde, que l'amour et la reconnaissance du peuple fidèle ont donné à Marie, était encore effacé de l'hymne de compiles : Virgo, Dei Genitrix. La troisième strophe ainsi conçue :

 

Te Matrem pietatis

Opem te flagitat orbis :

Subvenias famulis,

O benedicta, tuis ;

 

avait été totalement supprimée et remplacée par celle-ci :

 

Suscipe quos pia plebs

Tibi pendere certat honores :

Annue, sollicita

Quant prece poscit opem.

 

Si on n'avait pas osé supprimer les antiennes à la sainte Vierge : Alma Redemptoris ; — Ave, Regina cœlorum ; — Regina cœli, lœtare, et Salve, Regina ; on avait du moins trouvé moyen de les priver de leurs Versets si populaires et si vénérables, Angelus Domini ; Post Partum, Virgo ; — Dignare me laudare te ; — Gaude et lœtare, et même Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix. Ces Versets avaient fait place à des phrases bibliques dont la plupart n'offraient qu'un sens accommodatice et très froid.

 

Pour ce qui est des fêtes mêmes de la sainte Vierge, on était à même de voir, à leur occasion, le plan de la secte se développer sur une plus grande échelle. D'abord, l'office du jour de la Circoncision, octave de Noël, qui jusqu'alors avait été en grande partie employé à célébrer la divine Maternité de Marie, avait perdu les dernières traces de cette coutume grégorienne à laquelle le Bréviaire de Harlay lui-même si peu favorable au culte de la sainte Vierge, n'avait pas cru pouvoir déroger. Non seulement les fameuses antiennes O admirabile commercium — Quando natus es — Rubum quem viderat — Germinavit— Ecce Maria — Mirabile mysterium — Magnum hœreditatis mysterium, qui sont au nombre des plus précieux monuments de la foi de l'Église au mystère de l'Incarnation, ayant été composées dans l'Eglise romaine à l'époque des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine, avaient disparu jusqu'à la dernière syllabe ; mais, parmi les textes des saintes Écritures qu'on avait mis à la place, rien ne rappelait la mémoire de l'antique solennité qui consacrait depuis tant de siècles le jour des Calendes de Janvier au culte de la Mère de Dieu.

 

Le deuxième jour de février, quarantième du divin Enfantement, continuait d'être désigné sous ce nom : Présentation  du Seigneur   et   Purification  de la   sainte Vierge. Cette hardiesse, qui avait passé du Bréviaire de Cluny dans la plupart des autres bréviaires français, de 1680 à 1736, se faisait aussi remarquer dans le nouveau calendrier, Du moins, la désignation de  cette fête était encore remarquable par le nom de Marie, qui continuait toujours d'être exclu du titre de la fête de l’Annonciation. C'était toujours Annunciatio Dominica, l’Annonciation de Notre-Seigneur, que bientôt, dans d'autres Diocèses, on appela  l'Annonciation  et l'Incarnation   de  Notre Seigneur, ou l'Annonciation de l'Incarnation de Notre-Seigneur.   La   France presque tout entière était   donc destinée à perdre cette magnifique solennité de la Mère de Dieu, qui lui fut si chère à ce titre dans le passé, et que l'Église romaine regarde encore et regardera toujours comme le fondement de la gloire de Celle qui, seule, a détruit toutes les hérésies dans le monde entier.

 

Au reste, un grand nombre  de fidèles  de France, ceux qui sont membres des pieuses associations que le Siège apostolique a enrichies de ses faveurs, n'ont point cessé de demeurer en union avec les autres Églises, dans la solennité du 25 Mars. Ils sont avertis par l'annonce des indulgences et par de pieux exercices, que cette fête est une fête de Marie. Quand donc elle aura été rendue à notre patrie, cette chère solennité, ces pieuses traditions formeront la vénérable chaîne à l'aide de laquelle on pourra prouver que les vœux et les hommages offerts à la libératrice du genre humain, au jour même où le Verbe s'est fait chair, n'ont point souffert, en France, une interruption totale.

 

L'office de la fête de l'Assomption avait été privé de ses glorieuses antiennes si expressives : Assumpta est Maria in cœliim — Maria Virgo assumpta est — Exaltata est sancta Dei Genitrix. Les voûtes de Notre-Dame, qui les avaient jusqu'alors répétées, même sous l'épiscopat des Harlay et des Noailles, allaient être condamnées à les oublier pour de longues années. On n'entendrait plus lire non plus ces beaux sermons de saint Jean Damascène, déjà mutilés par François de Harlay,qui célébrait avec tant d'amour et de magnificence le triomphe de la Vierge bénie.

 

La Nativité de Marie avait perdu le brillant cortège de ces imposantes et mélodieuses antiennes, dans lesquelles la voix de la sainte Église retentit avec tant d'éclat pour annoncer aux peuples l'aurore du soleil de justice : Nativitas gloriosœ — Nativitas est hodie — Regali ex progenie— Corde et animo — Christo canamus—Cum jucunditate — Nativitas tua, Dei Genitrix Virgo, etc., etc. Des textes de l'Écriture, amenés la plupart dans un sens accommodatice et vides du nom de Marie, avaient remplacé tout cet ensemble de chants séculaires.

 

Et la fête de la Conception, quel soin n'avait-on pas pris de la dégrader ? D'abord, on l'avait maintenue au rang de solennel mineur, auquel l’avait abaissée François de Harlay ; mais, de plus, on avait osé supprimer l'octave de cette grande fête ; cette octave que Louis XIV avait demandée, pour la France, à Clément IX, que, depuis, Innocent XII avait étendue au monde entier, l'Église de Paris ne la célébrerait plus, et elle entraînerait dans cette lamentable défection le plus grand nombre des Églises du royaume !

 

Il nous semble que nous en avons dit assez pour dévoiler l'intention expresse qu'avaient eue les auteurs du nouveau bréviaire de diminuer le culte de la sainte Vierge.

 

Montrons maintenant ce qu'ils avaient fait contre l'autorité du Siège apostolique. 

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

 Les heures de la Vierge complainte du Lévite exilé

Les heures de la Vierge : complainte du Lévite exilé

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18 janvier 2012 3 18 /01 /janvier /2012 12:30

Certes, nous ne nous donnerons pas la peine et nous ne causerons pas au lecteur l'ennui d'une complète énumération des passages scabreux du Bréviaire de Vintimille : cependant nous en signalerons encore quelques-uns.

 

Prenons, par exemple, l'office des vêpres et des complies du dimanche, office populaire, s'il en fut jamais, et voyons comment la secte s'y était prise pour lui donner une couleur nouvelle et conforme à ses vues.

 

Dans la Liturgie romaine, le capitule des vêpres, lecture solennelle après la psalmodie, a pour but de recueillir la prière d'action de grâces du peuple fidèle, dans ce jour du Seigneur dont le repos est à la fois un acte religieux et une consolation, quoi de plus touchant et de plus propre à inspirer la confiance en Dieu, que ces belles paroles de saint Paul : Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater misericordiarum et Deus totius consolationis qui consolatur nos in omni tribulatione nostra.

 

Ne voit-on pas que le choix de ces divines paroles n'a pu être fait que par notre miséricordieuse Mère la sainte Église, qui cherche toujours à nourrir et accroître notre abandon envers notre Père céleste. Elle n'approuve pas qu'on effraye les fidèles en mettant trop souvent sous leurs yeux les terribles mystères de la prédestination et de la réprobation, mystères à l'occasion desquels plusieurs ont fait naufrage dans la foi. La secte janséniste, au contraire, ne voit qu'une chose dans la religion ; elle ne parle que de prédestination, d'efficacité de la grâce, de nullité de la volonté humaine, de pouvoir absolu de Dieu sur cette volonté. Voici donc comment elle a frauduleusement remplacé le sublime capitule que nous venons de lire. Remarquons que le passage qu'elle y a substitué commence à peu près de la même manière, pour atténuer, autant que possible, le fait du changement ; mais lisons jusqu'au bout : Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cœlestibus in Christo, sicut, elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in charitate.

 

Le chrétien qui écoute la lecture du premier de ces deux capitules, entendant dire que Dieu est le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation, si, dans ce seul jour de la semaine, où un peu de loisir lui est donné pour réfléchir sur son âme, il sent en lui-même quelques désirs d'amendement, trouvera dans ces douces paroles un motif de conversion ; il se lèvera, et, comme le prodigue, il ira à son Père. Le pécheur, au contraire, qui entend lire le second capitule et qui sent que dans ce moment il n'est ni saint, ni immaculé, où prendrait-il la force de se relever ? On lui dit que, pour parvenir au salut, il faut avoir été élu en Jésus-Christ avant la création du monde. Quelle garantie aura-t-il de cette élection pour lui-même ? Dans cette incertitude, il ne répondra pas aux avances que la grâce lui faisait au fond de son cœur. Il secouera le joug d'une religion qui désole, au lieu de consoler. On convient assez généralement aujourd'hui que le prédestinationisme plus ou moins triomphant dans la chaire, et le rigorisme de la morale, ont été pour moitié dans les causes de l'irréligion, au XVIIIe siècle.

 

L'hymne de saint Grégoire, Lucis Creator optime, qui suit le capitule, dans l'office des vêpres du Bréviaire romain, et dans laquelle l'Église remercie avec tant de noblesse et d'onction le Créateur, pour le don sublime de la lumière physique, et lui demande la lumière des âmes, avait été supprimée. En place, on lisait une hymne de Coffin, pièce d'un langage élevé et correct, il est vrai ; mais, à la dernière strophe, un vers avait été lancé à dessein. On y demandait à Dieu qu'il veuille nous adapter à toute espèce de bien. Adomne nos apta bonum. Sans doute, cette expression est de saint Paul ; mais il y a longtemps que saint Pierre nous a prévenus que les hérétiques détourneraient les paroles de ce grand Apôtre des Gentils à des sens pervers : Sicut et carissimus frater noster Paulus secundum datam sibi sapientiam scripsit vobis, sicut et in omnibus Epistolis, loquens in eis de his in quibus sunt quaedam difficilia intellectu, quae indocti et instabiles depravant, sicut et caeteras Scripturas, ad suam ipsorum perditionem (II Pet., III, 15, l6.), et ce vers de l'hymne ne rappelle que trop l'affectation avec laquelle le texte dont il a été emprunté a été placé dans la bénédiction du Lecteur, à l'office de prime, en cette manière : Deus pacis aptet nos in omni bono, ut faciamus ejus voluntatem, faciens in nobis quod placeat coram se. Ce sont précisément ces paroles et d'autres semblables que les jansénistes nous objectent, pour établir leur système de l'irrésistibilité de la grâce. On sait bien que l'Écriture est la parole de Dieu ; mais on sait aussi qu'elle est un glaive à deux tranchants qui peut défendre de la mort, ou la donner, suivant la main qui l'emploie.

 

C'est ici le lieu de se rappeler la remarque de Languet sur des textes du même genre dans le Missel de Troyes. Si, au temps de l'hérésie arienne, quelqu'un se fût avisé de composer une antienne avec ces paroles : Pater major me est ; ou, au temps de la Réforme, avec celles-ci : Spiritus est qui vivificat; caro autem non prodest quidquam, n'eût-on pas eu raison de considérer de pareilles antiennes comme hérétiques par suite de leur isolement du contexte sacré ? Cependant, l'Écriture sainte toute seule en eût fourni la matière.

 

A l'office de complies, l'Église romaine met les psaumes sur une antienne tirée de l'un d'eux, et qui est un cri du cœur vers Dieu, au milieu des ombres de la nuit : Miserere mihi, Domine, et exaudi orationem meam ! Le nouveau bréviaire n'avait pas voulu garder cette antienne. C'était pourtant   une  prière,  et  une prière tirée  de l'Écriture sainte. On avait mis en place un verset du psaume XC : Scuto circumdabit te veritas ejus ; non timebis a timore nocturno. Qu'est-ce que cette vérité qui sert de bouclier au fidèle ? quelle est cette nuit dont il ne faut pas craindre les terreurs ? Les écrits du parti ne cessent de parler de l'une et de l'autre. La vérité, c'est la doctrine opposée à la bulle ; la nuit, c'est l'obscurcissement de l'Église.

 

Écoutons-les maintenant, dans le capitule qui vient bientôt après cette antienne : Omnes vos filii lucis estis et filii diei ; non sumus noctis neque tenebrarum; igitur, non dormiamus sicut et cœteri, sed vigilemus et sobrii simus.

 

Toujours même esprit : Les enfants de la lumière, et les enfants des ténèbres ; ne pas dormir comme les autres. Tout cela serait parfait, en d'autres temps, et dans une autre bouche ; mais que l'Église romaine a bien un autre esprit, lorsqu'au lieu de placer ici une froide exhortation, elle s'écrie avec tendresse au nom de ses enfants : Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster !

 

Vient ensuite le R/. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Le nouveau bréviaire l'avait gardé ; mais voyez ici la différence de la véritable mère d'avec celle qui n'en a que le nom. L'Église romaine, afin que chaque fidèle puisse répéter avec confiance ces douces paroles : In manus tuas commendo spiritum meum, émet tout aussitôt le motif qui produit cette confiance dans le cœur du dernier de ses enfants. Tous ont droit d'espérer, car tous ont été rachetés : Redemisti nos, Domine, Deus veritatis. Écoutez maintenant Vigier et Mésenguy : Redemisti me, Domine, Deus veritatis. La rédemption, suivant eux, n'est pas une faveur générale ; le Christ n'est pas mort pour tous. L'Église ne peut donc pas dire : Redemisti nos ! Que si vous leur reprochez l'altération du répons, ils vous diront qu'ils n'ont fait que rétablir le texte sacré ; que dans l'Écriture il y a redemisti me. — Sans doute, et c'est pour cela même que l'Église, interprète de l'Écriture, craignant qu'on tirât de fausses conséquences, avait dit : Redemisti nos. Dans la Liturgie, il arrive sans cesse que des passages de l'Écriture sont interprétés, adaptés pour la nécessité du service divin. Les nouveaux livres ont eux-mêmes retenu un certain nombre de prières dans lesquelles les paroles de l'Écriture ont été modifiées par l'Église. Ils en ont même de nouveaux, composés dans le même goût.

 

Après le répons bref, le Bréviaire romain, toujours attentif à nourrir les fidèles de sentiments affectifs et propres à entretenir la confiance, avait ajouté cette touchante prière dans le verset : Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi ; sub umbra alarum tuarum, protege nos. C'est la même intention que dans le redemisti nos. Le nouveau bréviaire, toujours d'après le même système, individualisant la rédemption et ses conséquences, avait mis sous le même prétexte de l'intégrité du texte sacré : Custodi me, protège me.

 

Mais voici quelque chose de bien plus fort, et en quoi apparaît merveilleusement l'intention des novateurs dans tout cet ensemble. L'Église romaine, après le cantique de Siméon, mettait dans la bouche de ses enfants, prêts à se livrer au repos, une antienne composée de ces touchantes paroles : Salva nos, Domine, vigilantes ; custodi nos dormientes, ut vigilemus cum Christo et requiescamus in pace. Le nouveau bréviaire, après avoir expulsé cette pieuse formule, la remplaçait par ce verset de la Bible : Domine, dabis pacem nobis ; omnia enim opera nostra operatus es nobis. On en voit l'intention. Pendant toute la journée qui va finir, nous n'avons point agi ; c'est la grâce qui a fait nos œuvres. Que le Seigneur maintenant nous donne le repos, comme il nous a donné l'action. Tel était l'office des compiles dans le nouveau bréviaire. Sous le masque de cette exactitude littérale au texte sacré, nos faiseurs, comme les appelle Languet, se sentaient inexpugnables vis-à-vis de gens qui leur avaient accordé ce principe, qu'on devait composer l'office divin avec des passages de l’Écriture : cette dangereuse opinion, ressuscitée depuis un demi-siècle, avait prévalu dans la plupart des esprits. Nous avons vu que tout le zèle de Languet n'avait pu obtenir que la rétractation de l'évêque de Troyes portât sur cet article.

 

Ce n'était pas seulement l'Écriture sainte que les rédacteurs du bréviaire avaient fait servir, à force de la tronquer, au plan criminel qu'ils s'étaient proposé, de faire de la Liturgie un moyen de soutenir le jansénisme. Dans leurs mains, l'antiquité chrétienne, soumise au même système de mutilation, n'était pas une arme moins dangereuse pour l'orthodoxie. Les passages des Pères placés dans les leçons, loin d'être dirigés contre les nouvelles erreurs sur la grâce, ainsi qu'on avait eu soin de le faire en plusieurs endroits du Bréviaire de Harlay, donnaient plutôt à entendre, au moyen de coupures faites à propos, des sens tout opposés à ceux de la vraie doctrine. On avait placé une suite de canons des conciles à l'office de prime, et cette innovation, que d'ailleurs nous sommes loin de blâmer en elle-même, outre qu'elle servait le système de ces docteurs qui depuis tant d'années ne cessaient de redemander l'ancienne discipline, avait été conduite de manière à ce qu'on n'y rencontrât pas une seule citation des décrétales des Pontifes romains, qui ont pourtant dans l'Église une autorité supérieure, pour le moins, à celle d'une infinité de conciles particuliers et même de synodes qu'on y voit cités. On avait trouvé moyen de placer, au mardi de la quatrième semaine de carême, quelques paroles du onzième canon du troisième concile de Tolède, en 589, qui enchérissaient sur la quatre-vingt-septième proposition de Quesnel. Voici le canon : Secundum formam Canonum antiquorum dentur pœnitentiœ, hoc est, ut prias eum quem sut pœnitet facti,, a communione suspensum facial inter reliquos pœnitentes ad manus impositionem crebro recurrere; expleto autem satisfactionis tempore, sicuti sacerdotalis contemplatio probaverit, eum communioni restituat. Voici maintenant la proposition de Quesnel : Modus plenus sapientia, lumine et charitate, est dare animabus tempus portandi eum humilitate, et sentiendi statum peccati, petendi spiritum pœnitentiœ et contritionis, et incipiendi ad minus satisfacere justitiœ Dei, antequam reconcilientur. Il y avait, certes, en tout cela, de quoi faire ouvrir les yeux aux moins clairvoyants.

 

Quant aux hymnes du nouveau bréviaire, elles étaient généralement fort discrètes sur l'article de la grâce. L'intention secrète était aisée à sentir ; mais les mots trahissaient rarement le poète. Coffin, si supérieur à Santeul, excellait à rendre, dans ses strophes, les fortes pensées de l'Épître aux Romains ; son vers cherchait l'écueil avec audace, mais l'évitait avec une prudence infinie. Chacune de ses hymnes, prise vers par vers, était irréprochable pour ce qu'elle disait ; on ne pouvait reprocher à l'ensemble que ce qu'il ne disait pas. Mais ce silence était la plus complète déclaration de guerre, de la part d'une secte qui avait écrit sur son drapeau : Silence, et même Silence respectueux.

 

Nous en avons assez dit sur l'indignité irrémédiable de Coffin à remplir,dans l'Église catholique, le rôle d'hymnographe. Il était notoirement hors l'Eglise : ceci dit tout. Il n'est donc même pas nécessaire de rappeler àson propos les notes fixées par saint Bernard, dans sa fameuse lettre à Guy, abbé de Montier-Ramey, et dont nous avons fait ci-dessus l'application à Santeul. Au reste, ce dernier hymnographe triomphait dans le nouveau bréviaire, à côté de Coffin ; il y avait obtenu une plus large place que dans celui de Harlay. On remarquait surtout son hymne des évangélistes, dans l'office de saint Marc et de saint Luc, et les jansénistes se délectaient dans la fameuse strophe citée plus haut : 

Insculpta saxo lex vetus

Proecepta, non vires dabat :

Inscripta cordi lex nova

Quidquid jubet dat exequi.

 

Pour en finir sur les hymnes du nouveau bréviaire, nous dirons que cette œuvre en renfermait un grand nombre ; ce qui prouvait que si les rédacteurs comme D. de Vert et Le Tourneux, craignaient la parole humaine, dans les antiennes et les répons, comme eux aussi, ils la souffraient bien volontiers dans d'autres compositions. Au reste, on avait retenu un certain nombre d'anciennes hymnes dont plusieurs avaient été retouchées par Coffin ; d'autres enfin appartenaient à Santeul de Saint-Magloire, La Brunetière, Habert, Pétau, Commire, Le Tourneux, Besnault, curé de Saint-Maurice de Sens, etc.

 

Si maintenant nous considérons la manière dont le nouveau bréviaire avait traité le culte des saints, on dirait que les auteurs avaient pris à tâche d'enchérir sur les témérités de François de Harlay.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE. 

 

Les heures de la Vierge, début de complies 

Les heures de la Vierge : début de complies, le couronnement de la Vierge

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