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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






Yahad-In Unum

   

Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

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SALVE REGINA

18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 11:30

Ce qui vint après fut la constitution civile du clergé, élaborée dans les arsenaux de cette compagnie.

 

Il n'est point de notre sujet de faire ici l'histoire du schisme constitutionnel. Nous nous hâtons d'arriver à l'année 1797. Elle est fameuse dans les fastes du jansénisme, par le conciliabule que tinrent, à Notre-Dame de Paris, les tristes restes du clergé intrus, décimé par l'apostasie, le supplice et même la conversion de plusieurs de ses membres. Ils étaient, de compte fait, vingt-neuf évêques sans compter six procureurs d'évêques absents, et les députés du second ordre, le tout sous la présidence du citoyen Claude Lecoz, évêque métropolitain d'Ille-et-Vilaine. Convoquée pour relever les ruines de l'Église avortée de 1791, l'assemblée des Évêques réunis (c'est ainsi qu'ils s'intitulent dans leurs propres actes), devait nécessairement s'occuper des progrès de la Liturgie. On a vu que Ricci ne s'en était pas fait faute dans son synode de Pistoie, digne précédent des prétendus conciles de 1797 et 1801.

 

Déjà, dans le journal de la secte, il avait été question de réunir la France dans une seule liturgie, et les livres de Vigier et Mésenguy avaient été mis en avant, comme dignes à tous égards de servir d'expression aux besoins religieux de l'Église gallicane régénérée. Le concile de 1797, dans sa Lettre synodique aux pères et mères et autres chargés de l'éducation de la jeunesse, avait témoigné de sa vénération pour les auteurs de la récente Liturgie parisienne, en recommandant, comme Ricci, parmi les livres les plus intéressants pour la foi et les mœurs, l'Année chrétienne de Le Tourneux et l'Exposition de la doctrine chrétienne de Mésenguy. Toutefois, les évêques réunis ne bornèrent pas leur sollicitude à recommander solennellement la mémoire et les écrits des réformateurs liturgistes parisiens ; ils s'occupèrent de dresser plusieurs décrets sur la matière du culte divin. Le premier commençait ainsi : "Le concile national, considérant qu'il importe d'écarter du culte public les abus contraires à la religion, et de rappeler sans cesse les pasteurs à l'observation des saintes règles, décrète : Article Ier. Les messes simultanées sont défendues". Nous venons de montrer le but de cette défense dans le plan des antiliturgistes ; observons seulement ici ce zèle à copier Joseph II et Léopold, bien remarquable dans les évêques républicains.

 

Au second décret, on lit : "Article III. Dans la rédaction d'un rituel uniforme pour l'Église gallicane, l'administration des sacrements sera en langue française. Les formules sacramentelles seront en latin. — Article IV. Dans les diocèses où les dialectes particuliers sont en usage, les pasteurs sont invités à redoubler leurs efforts pour répandre la connaissance de la langue nationale". C'était, comme l'on voit, marcher à grands pas vers la sécularisation du culte. On jugera encore de l'esprit progressif des pères, par ces paroles du citoyen Grégoire, sur les opérations du concile : "Un pays où l'on écrit tant (l'Allemagne), est un pays où on lit beaucoup, où conséquemment la masse des lumières fera bientôt explosion. Les Actes du Congrès d'Ems, les écrits de M. Dalberg, coadjuteur de Mayence ; l'excellent Traité de la tolérance, par M. de Trautmansdorf, évêque de Kœnigsgrats, la magnifique Instruction pastorale de M. de Colloredo, archevêque actuel de Saltzbourg, touchant l'abolition des pompes religieuses inutiles, l'exhortation à la lecture de la Bible, l'introduction d'un recueil de cantiques en allemand, etc., etc., sont autant de monuments qui attestent la marche de l'esprit public dans cette contrée, vers une amélioration dans l'ordre des choses religieuses"(Compte rendu par le citoyen Grégoire, au concile national, des travaux des évêques réunis, page 64.).

 

Ainsi le masque était levé de toutes parts ; le temps des ménagements était passé, et les antiliturgistes s'entendaient et s'avouaient par toute l'Europe.

 

Trois ans après, en 1801, à la veille du fameux concordat, l'église de Notre-Dame vit encore réunis dans son sein les pontifes de l'Église constitutionnelle, dans leur second et dernier concile. Entre autres choses qui occupèrent la sollicitude des prélats, dans ce moment suprême, le projet d'une liturgie universelle pour l'Église gallicane revint sur le tapis, et Grégoire lut un long rapport sur cet objet, dans lequel il fit entrer, à sa manière accoutumée, une immense quantité d'anecdotes grotesques et de détails superficiels, sans rapport les uns avec les autres, mais de manière à faire preuve de cette érudition superficielle et mal digérée qui fait le fond de tous ses écrits. Il ne manqua pas d'insulter, comme inconvenante, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, dont il attribua l'invention à un protestant (Actes du second concile national de France, tome II, page 158.) ; déclama contre les messes privées ; reprocha au Bréviaire romain de dire à la sainte Vierge : Solve vincla reis, et aux apôtres : Qui coelum verbo clauditis ; dit, en parlant de saint Grégoire VII : "Pour le repos du monde et l'honneur de la religion, que le ciel nous préserve de pareils saints ! se plaignit que Rome n'eût pas encore canonisé Gerson et Clément XIV ; réclama en faveur de la prétention de réciter le Canon à haute voix ; répéta les fadaises accoutumées sur l'omission du mot animas dans l'oraison de saint Pierre ; proposa l'admission du tam-tam chinois, pour remplacer l'orgue, etc., etc.. (Actes du second concile national de France, tome II)

 

De tout ceci, Grégoire concluait à l'établissement d'une liturgie universelle pour toute l'Église gallicane. Il est curieux d'insérer ici les motifs qu'il allègue de cette proposition. On y verra un schismatique affectant le langage de l'orthodoxie, et s'agitant pour se créer un fantôme d'unité, en la manière que nous avons dit ailleurs, au sujet du patriarche melchite de Constantinople, qui, dès le XIIe siècle, était venu à bout d'abolir toute autre Liturgie que la sienne dans les patriarcats qui reconnaissaient son autorité. Quelle leçon nouvelle et inattendue pour ceux qui persisteraient à regarder la variété des Liturgies comme un perfectionnement !

 

" Dans l'Église de Jésus-Christ, dit Grégoire, tout doit se rapporter à l'unité" ; c'est donc entrer dans son esprit que d'adopter une même manière de célébrer les saints offices et d'administrer les sacrements. L'identité des formules est un des moyens les plus propres à garantir l'identité de la foi, selon le principe du Pape saint Célestin : Legem credendi lex statuat supplicandi.

 

" Quand les vérités à croire, les vertus à pratiquer sont invariables, pourquoi la méthode d'enseignement est-elle si variée ? Pourquoi cette multitude d'eucologes, d'offices divins, de catéchismes qui, lorsqu'un individu passe d'un diocèse dans un autre, dérangent pour lui et pour ceux qui doivent le diriger, tout le plan des instructions publiques et domestiques ? Si des erreurs et des vices à combattre exigent, dans certains cantons, une instruction plus étendue, ne peut-on pas en faire l'objet d'un travail particulier, sans intervertir l'ordonnance d'un plan général ? Toutes les villes et les provinces, renonçant à leurs privilèges civils ou politiques, ont désiré se fondre dans l'unité constitutionnelle, pour être régies parles mêmes lois. En ramenant à l'unité le code civil, le système monétaire, les poids et les mesures, etc., on a fait un grand pas pour donner à la nation un caractère homogène ; mais rien ne peut y contribuer plus puissamment que l'uniformité du culte public et de l'enseignement religieux : vous aurez bien mérité de la religion et de la patrie, par des opérations analogues pour la France ecclésiastique." (Actes du second concile national de France, tome II)

 

Non seulement Grégoire entendait ramener en France l'unité liturgique, mais, entraîné par les nécessités de la situation, il ne faisait plus un doute de l'obligation de retenir la langue latine. Les essais du concile de 1797 n'avaient pas été heureux. On craignait le scandale des fidèles, et une division se préparait à éclater sur ce point entre les divers membres du clergé constitutionnel. En effet, et pour en finir avec toute cette lie du parti janséniste et antiliturgiste, le citoyen Duplan, prêtre de l'église de Gentilly, près Paris, ayant, dès 1798, imaginé de faire chanter les vêpres en français, mais sur le ton ordinaire des psaumes (Annales de la Religion, tome VII, 18 Thermidor an VI.), un des évêques réunis qui se permit de répondre à l'invitation que Duplan lui avait faite d'assister à cet office, fut vivement blâmé par plusieurs de ses collègues. En 1799, Royer, évêque de la Seine, en vint même jusqu'à condamner l'usage d'administrer les sacrements en français, ainsi qu'on le pratiquait déjà dans la cathédrale de Versailles.

 

Mais le plus étrange de tout ceci fut ce qui arriva à Ponsignon, prêtre du Doubs, qui avait été chargé, par le concile de 1797, du soin de travailler; au rituel. Ce véritable homme de progrès n'avait pas cru pouvoir mieux faire que de rédiger tout simplement un sacramentaire français, et il attendait en patience les témoignages de haute satisfaction des Pères du concile, lorsque tout à coup il se vit attaqué dans le journal de la secte par Saurine, évêque des Landes, qui exhalait son mécontentement dans une dissertation expresse contre l'usage de la langue vulgaire dans la Liturgie. Bientôt les Annales publièrent l'adhésion de Royer, évêque de la Seine, et de Desbois, évêque de la Somme, à la dissertation de Saurine, et enregistrèrent peu après les protestations, dans le même sens, de Lecoz, Villa, Font, Blampoix, Delcher, Becherel, Demandre, Prudhomme, Etienne, Aubert, Reymond, Flavigny, Berdolet et Nogaret, évêques d'Ille-et-Vilaine, des Pyrénées-Orientales, de l'Ariège, de l'Aube, de la Haute-Loire, de la Manche, du Doubs, de la Sarthe, de Vaucluse, de l'Isère, de la Haute-Saône, du Haut-Rhin et de la Lozère. Ce fut en vain que Ponsignon répliqua et chercha à démasquer la conduite pleine de contradiction de ces Pères du concile de 1797, qui reculaient devant leurs propres principes ; l'Église constitutionnelle se renia elle-même en expirant. Les forces lui manquèrent pour s'élever jusqu'à la triste et sacrilège audace de sa digne alliée, l'Église d'Utrecht.

 

Détournons enfin nos regards de cet ignoble spectacle, et considérons les Pontifes romains fidèles à la garde du dépôt séculaire de la Liturgie romaine, et présidant aux accroissements qu'elle devait prendre dans le cours des cinquante dernières années du XVIIIe siècle.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.

 

l'abbé Grégoire

Henri Grégoire, dit l'abbé Grégoire, écclésiastique et homme politique pendant la révolution française

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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 11:30

Nous aurons ailleurs l'occasion de parler de la fête du Sacré-Cœur de Jésus ; toutefois, les nécessités de notre récit nous obligent à toucher ici quelque chose des circonstances de son institution.

 

Elle fut d'abord révélée à une humble religieuse, et cette révélation fut le secret du cloître, avant d'être la grande nouvelle dans l'assemblée des fidèles. L'institut vénérable de la Visitation, fondé par saint François de Sales, fut celui que Dieu choisit pour y faire connaître l'œuvre de sa douce puissance, par le moyen de la vénérable Mère Marguerite-Marie Alacoque, comme pour glorifier davantage, par ce moyen, la doctrine du saint évêque de Genève, si éloignée du pharisaïsme de la secte, et il voulut aussi que la servante de Dieu fût aidée dans ce grand œuvre par le P. de la Colombière, jésuite, comme pour manifester sa divine satisfaction à l'égard d'une société dont les membres firent paraître, dans les luttes de la foi, à cette époque de scandales, un courage d'autant plus précieux à l'Église, qu'alors même elle voyait fléchir momentanément plusieurs milices sur la fidélité desquelles elle avait eu droit de compter.

 

Ce fut en 1678, dans le monastère de la Visitation de Moulins, que le culte extérieur du Cœur de Jésus commença ; il ne fut inauguré à Paray même que huit ans plus tard. Depuis, l'Église entière, province par province, l'a reçu, et cette admission libre et successive offre un spectacle plus atterrant peut-être pour les novateurs, que l'adhésion simultanée qu'eût produite un décret apostolique.

 

Enregistrons les principaux faits qui signalèrent cette marche triomphante du culte de l'amour de Jésus-Christ pour les hommes. C'est d'abord la France, principal foyer des manœuvres jansénistes, qui se trouve être à la fois le lieu d'origine et le théâtre principal de l'établissement de la nouvelle fête ; présage heureux des intentions divines qui destinent ce royaume à triompher, au temps marqué, du virus impur qui agite son sein. Or, dès l'année 1688, Charles de Brienne, évêque de Coutances, inaugurait dans son diocèse la fête du Sacré-Cœur de Jésus (nous n'avons point à parler ici de la fête du saint Cœur de Marie. Nous traiterons de cet intéressant sujet en son lieu, dans le corps même de cet ouvrage.). Six ans après, en 1694, le pieux Antoine-Pierre de Grammont, archevêque de Besançon, ordonna que la messe propre de cette fête serait insérée dans le missel de sa métropole. En 1718, François de Villeroy, archevêque de Lyon, en prescrivait la célébration dans son insigne primatiale.

 

Cette fête disparut, comme on devait s'y attendre, devant le Bréviaire de Montazet. Tout le monde sait en quelles circonstances mémorables, Henri de Belzunce, évêque de Marseille, inaugura, en 1720, le culte du Sacré-Cœur de Jésus, au milieu de sa ville désolée. La confiance du prélat fut récompensée par la diminution instantanée, et bientôt la cessation du fléau. Le lecteur se rappelle aussi le zèle que le saint prélat fit paraître quelques années après, au sujet des attaques antiliturgistes de Paris, contre le culte de la sainte Vierge et des saints. A l'exemple de Belzunce, les archevêques d'Aix, d'Arles et d'Avignon, et les évêques de Toulon et de Carpentras, s'empressèrent de donner des mandements pour l'établissement de la fête. En 1729, l'illustre Languet, encore évêque de Soissons, faisait paraître la vie de la vénérable Mère Marguerite-Marie Alacoque, et se plaçait au nombre des plus zélés promoteurs du culte du Sacré-Cœur de Jésus.

 

Cependant le Siège apostolique, dès longtemps sollicité, tardait à sanctionner l'érection de la nouvelle fête. Des obstacles inattendus, au sein de la sacrée congrégation des Rites, s'opposaient à cette approbation, qui avait été postulée dès l'année 1697. En 1726, Constantin Szaniawsky, évêque de Cracovie, adressait à cet effet, à Benoît XIII, une supplique à laquelle souscrivit bientôt Frédéric-Auguste, roi de Pologne. Un refus solennel et fameux, notifié le 30 juillet 1729, par la congrégation des Rites, sur les conclusions de Fontanini, archevêque d'Ancyre, promoteur de la Foi, fut une épreuve sensible pour les adorateurs du Sacré-Cœur de Jésus, et pour les jansénistes l'objet d'un triomphe mal avisé ; car, après tout, il n'y avait rien de si surprenant dans les délais que la prudence du Saint-Siège exigeait avant de statuer sur un objet si important.

 

Les ennemis du Sacré-Cœur de Jésus répandaient les bruits les plus étranges sur la manière dont cette dévotion était pratiquée. Ils osaient dire que c'était au cœur de Jésus-Christ, considéré isolément du reste de sa personne divine, que les adorations s'adressaient ; d'autre part, ils incidentaient sur la question physiologique des fonctions du cœur dans l'organisme humain, prétendant que Rome ne pouvait prononcer en faveur de la nouvelle fête, sans décider, ou préalablement ou simultanément, une thèse de l'ordre purement naturel. Nous aurons ailleurs l'occasion d'entrer dans le fond de la question ; qu'il suffise de dire ici que le refus d'approuver la fête n'entraînait aucune défaveur sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, considérée en elle-même. L'ardeur de la controverse engagée sur la matière, et dans laquelle plusieurs catholiques sincères semblaient pencher vers les préventions que nourrissait le parti janséniste, soit par suite de quelques préjugés, soit aussi parce que des partisans de la fête avaient, quoique innocemment, permis quelques expressions peu exactes ; la nouveauté de cette dévotion qui demandait, comme toute chose récemment introduite, l'épreuve du temps ; l'absence d'un examen sérieux sur les révélations qui avaient accompagné et produit son institution ; c'était plus qu'il n'en fallait pour motiver la résolution de la sacrée congrégation. Toutefois, on continua à Rome de donner des brefs pour l'érection des confréries sous le titre du Sacré-Cœur de Jésus, jusque-là que, dès 1734, on en comptait déjà quatre cent quatre-vingt-sept. Rome même en vit établir une, sous le titre d'archiconfrérie, dans l'église de Saint-Théodore, par bref de Clément XII, du 28 février 1732. On n'eût point accordé ces nombreuses faveurs aux associations réunies sous le vocable du Sacré-Cœur de Jésus, si, au fond, le Siège apostolique n'eût gardé, pour la dévotion elle-même, un fonds de bienveillance. Celui que la Providence avait choisi pour consommer l'œuvre, fut le pieux cardinal Rezzonico, dont le nom vénéré était dès longtemps inscrit au registre de l'archiconfrérie de Saint-Théodore, lorsqu'il fut appelé par l'Esprit-Saint à s'asseoir sur la chaire de Saint-Pierre, où il parut avec tant de force d'âme sous le nom de Clément XIII.

 

Le saint pontife reçut de nouvelles instances de la part des évêques de Pologne, qui demandaient, presqu'à l'unanimité, qu'il fût permis à la chrétienté d'honorer d'un culte public le Cœur du Rédempteur des hommes. C'était assurément un spectacle bien touchant que celui de cette nation héroïque, à la veille d'être effacée du nombre des nations de l'Europe, travaillant à faire jouir la chrétienté des richesses du Cœur du Sauveur des hommes. Ce Cœur, le plus fidèle de tous, ne saurait oublier que les instances de la Pologne sont, avec celles de l'archiconfrérie de Saint-Théodore, les seules mentionnées dans le décret qui vint enfin consoler la piété des fidèles. Plusieurs évêques de France avaient, il est vrai, pris l'initiative en établissant la fête ; mais, quoi qu'il en soit de leur pouvoir en cette matière, il n'y avait là qu'un fait louable, sans doute, et l'Église catholique attendait toujours le jugement de Rome.

 

Il fut rendu le 6 février 1765, et on disait dans les motifs du décret, qu'il était notoire que le culte du Sacré-Cœur de Jésus était déjà répandu dans toutes les parties du monde catholique, encouragé par un grand nombre d'évêques, enrichi d'indulgences par des milliers de brefs apostoliques pour l'érection des confréries devenues innombrables. En conséquence, sur les instances du plus grand nombre des révérendissimes évêques du royaume de Pologne, et sur celles de l’archiconfrérie romaine, la sacrée congrégation, ouïes les conclusions du R. P. Gaétan Forti, promoteur de la foi, déclarait se désister de la résolution prise par elle le 30 juillet 1729, et jugeait devoir condescendre aux prières desdits évêques du royaume de Pologne et de ladite archiconfrérie romaine. Enfin, elle annonçait l'intention de s'occuper de l'office et de la messe, devenus nécessaires pour solenniser la nouvelle fête.

 

L'un et l'autre ne tardèrent pas à paraître, et ils étaient dignes de leur sublime objet, qui est, suivant les termes du décret, de renouveler symboliquement la mémoire de ce divin amour par lequel le Fils unique de Dieu s'est revêtu de la nature humaine, et, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort, a dit qu'il donnait aux hommes l'exemple d'être doux et humble de cœur. Clément XIII, qui confirma le décret de la congrégation des Rites, ne tarda pas à donner de nouvelles preuves de son zèle pour le culte du Cœur de Jésus. Par ses soins, la fête fut célébrée dans toutes les églises de Rome, et faculté générale fut attribuée à tous les ordinaires de l'introduire dans leurs diocèses. Pie VI maintint cette précieuse dévotion, et l'enrichit même de nouvelles Indulgences, lesquelles s'accrurent encore par l'effet de la pieuse munificence de Pie VII, qui, dérogeant à toutes les règles reçues, a statué, par un rescrit du 7 juillet 1815, que les indulgences attachées à la célébration de la fête seraient transférées à tel jour qu'il aurait plu à l'ordinaire de la fixer. Rien n'eût pu exprimer d'une manière plus significative le désir qu'éprouvait le Siège apostolique de voir se propager en tous lieux la nouvelle fête : aussi pouvons-nous dire que, si les rameaux du jansénisme ont cessé de faire ombre au champ du Père de famille, ses racines elles-mêmes, au sein de la terre, s'en vont même se desséchant tous les jours.

 

Le bruit de la sanction apostolique donnée au culte du Cœur de Jésus, vint réjouir les catholiques de France. La pieuse reine Marie Leczinska, dans cette circonstance, ne fit point défaut à sa qualité de fille du royaume orthodoxe. Elle témoigna aux évêques réunis à Paris pour l'assemblée de 1765, le désir de voir la fête introduite dans les diocèses où elle ne l'était pas encore. Ses pieuses intentions furent remplies, et les prélats, après une délibération tenue le 17 juillet, résolurent d'établir dans leurs diocèses respectifs la dévotion et l'office du Sacré-Cœur de Jésus, et d'inviter, par une lettre-circulaire, les autres évêques du royaume d'en faire de même dans les diocèses où cette dévotion et cet office ne sont pas encore établis. Le vertueux roi de Pologne, Stanislas, père de Marie Leczinska, avait, dès 1763, écrit à Claude de Drouas, évêque de Toul, une lettre de félicitation de ce qu'il avait institué la fête dans son diocèse. Tous les évêques du royaume ne se rendirent pas, il est vrai, aux vœux de l'assemblée de 1765 ; mais, parmi ceux qui témoignèrent de leur zèle envers le culte du Sacré-Cœur de Jésus, nous aimons à citer Félix-Henri de Fumel, évêque de Lodève, le même que nous avons vu rétablir le Bréviaire romain dans son diocèse, et faire disparaître le parisien de Vigier et Mésenguy, que son prédécesseur Jean-Georges de Souillac y avait introduit. Le pieux évêque ne se contenta pas d'établir la fête ; il fit paraître un ouvrage spécial pour l'expliquer et la défendre. Christophe de Beaumont, ainsi que nous l'avons rapporté, inséra l'office du Sacré-Cœur de Jésus dans la nouvelle édition des livres parisiens de 1778, et il est à remarquer que le prélat, en fixant la fête au dimanche après l'octave du saint Sacrement, donnait un premier et solennel démenti aux rubriques de Vigier et Mésenguy, si sévères pour maintenir l'inviolabilité du dimanche. Ce fait valait la peine d'être noté.

 

La publication de cet office dans le diocèse de Paris, outre les clameurs obligées du gazetier ecclésiastique, occasionna un double scandale. On vit les marguilliers de Saint-André-des-Arts faire opposition à leur curé, pour empêcher la célébration de la fête dans cette paroisse, et le grand tribunal liturgique de France, le Parlement de Paris, saisi de l'affaire, donna, le 11 juin 1776, un arrêt portant défense de célébrer la fête. Ce fut le dernier que cette cour rendit en matière liturgique.

 

Ce qui vint après fut la constitution civile du clergé, élaborée dans les arsenaux de cette compagnie.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.

 

Sainte Marguerite-Marie Alacocque.

Apparition du Sacré-Cœur à Sainte Marguerite-Marie, ancien couvent de la Visitation de Nancy

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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 11:30

Si nous en venons à l'Eucharistie, considérée comme nourriture du chrétien, nous la voyons poursuivie sous ce rapport avec le même acharnement par les antiliturgistes.

 

Ici, comme toujours, les théories viennent de France ; l'application brutale et audacieuse aura lieu dans d'autres pays. Le livre de la Fréquente Communion, d'Antoine Arnauld, le Rituel d'Alet, ces deux productions du parti qui ont exercé et exercent encore sourdement une si grande influence sur la pratique des sacrements en France, donnent, comme l'on sait, pour maxime fondamentale, que la communion est la récompense d'une piété avancée et non d'une vertu commençante. Qui oserait calculer jusqu'à quel degré cette maxime toute seule a produit la désertion de la table sainte ! Les novateurs d'Italie, toutefois, ne s'arrêteront pas là ; ils s'appliqueront à fatiguer la piété des fidèles, en décrétant qu'on ne devra plus communier les fidèles qu'avec des hosties consacrées à la messe même à laquelle ils auront assisté, ou du moins qu'on ne devra plus administrer la communion hors le temps de la messe ; double ruse qui, étant bien conduite, suffira pour priver de la communion un grand nombre de personnes, à raison des embarras et des prétextes qu'il est facile d'alléguer dans une grande église. C'était dans le même but que le Missel de Troyes supprimait les prières qui, dans le rite actuel de l'Église, accompagnent l'administration de l'Eucharistie. Le docteur Petitpied et ses pareils prétendaient par là faire considérer la communion des fidèles comme une partie inséparable de la messe ; d'où il serait facile de conclure, avec Luther, que les messes où personne ne communie sont contraires à l'institution de l'Eucharistie, tandis que, d'autre part, étant certain que les fidèles ne doivent communier que quand ils en sont dignes, ce qui n'arrive guère, le sacrement divin, mémorial de la Passion du Sauveur, centre de la religion et nourriture de l'Église, se trouve à peu près réduit à l'état d'abstraction. Et voilà les œuvres de la secte qui, comme un chancre, s'était glissée parmi nous. Nous le demandons, n'avait-elle pas pris, sous l'inspiration de Satan, tous les moyens de faire périr dans ses racines l'arbre qu'elle désespérait d'abattre ?

 

Telle fut la rage des novateurs sur ce dernier point, qu'il devint nécessaire que Benoît XIV publiât une constitution adressée aux évêques de toute l'Italie, pour décider solennellement que, quelque louable que soit l'intention de participer, par la communion, au sacrifice même auquel on assiste, il n'y a pour les prêtres aucune sorte d'obligation de distribuer, infra ipsam actionem, la communion à tous ceux qui la demandent. Cette constitution est du 13 novembre 1742. La question avait été violemment agitée, d'abord dans le diocèse de Crêma, par Joseph Guerrieri, chanoine de la cathédrale, qui enseigna publiquement qu'on devait improuver la coutume de communier les fidèles avec des particules consacrées à une messe précédente. Il fut bientôt suivi par Michel-Marie Nannaroni, dominicain, qui enseigna la même doctrine dans un catéchisme spécial sur la communion, qu'il fit paraître à Naples en 1770. Nannaroni ne tarda pas d'être réfuté dans une Dissertation théologico-critique, publiée à Naples en 1774, par Joseph-Marie Elefante, aussi dominicain, et abjura bientôt son sentiment. Enfin, on vit paraître, à Pavie, en 1779, une Dissertation de incruenti novœ legis sacrificii communione, dont l'auteur était un servite, nommé Charles-Marie Traversari. Elle était dans le sens des novateurs, et ne tarda pas d'être mise à l'Index, ainsi que le livre de Nannaroni. On peut lire, sur cette controverse, l'ouvrage de Benoît Vulpi, sous ce titre : Storia della celebre controversia di Crema sopra il pubblico divin diratto alla communione Eucaristica nella Messa, con una dissertazione sullo stesso argumento. Venise, 1790.

 

Mais la bénignité et l'humanité de notre Dieu et Sauveur ont apparu, et nous avons été préservés. Ces hommes, qui voulaient nous faire oublier que Dieu a tant aimé le monde, ont été confondus, et aujourd'hui, comme Caïn, ils sont marqués au front, ceux qui voulaient substituer dans le cœur des fidèles la terreur à la charité. Arrière donc ces doctrines fatales qui, réduisant tout le christianisme au dogme de la prédestination interprété par une raison sauvage, ne se pouvaient compléter que par le rigorisme d'une morale impraticable, ni s'exprimer au dehors que par les formes sèches et prosaïques d'une Liturgie dont la Synagogue elle-même eût détesté la froideur. De même qu'à l'apparition de ces erreurs manichéennes et rationalistes en même temps, qui niaient la chair et pour qui la divine Eucharistie était une chose impure ou une idolâtrie, le Sauveur ordonna à son Église de proclamer avec une pompe nouvelle le mystère de son Corps, par la fête, la procession et l'exposition du saint Sacrement ; ainsi, quand l'audace pharisaïque des antiliturgistes, n'osant s'attaquer à la réalité de ce Corps divin, s'appliquait avec une infernale opiniâtreté à montrer dans le Fils de Dieu celui qui juge le monde et non celui qui le sauve, à écarter de ses autels les chrétiens effrayés au bruit de cette affreuse maxime, que le sang de la Rédemption n'a point été répandu pour tous, le Sauveur des hommes daigne calmer ces terreurs en invitant les fidèles à se reposer sur son Cœur, c'est-à-dire sur son amour, en permettant qu'ils honorent d'un culte spécial le divin organe de la charité dans la personne de l'Homme-Dieu. Il ne fallait pas moins pour rassurer les chrétiens épouvantés de la dureté des préceptes, de la difficulté du salut, de la rigueur des décrets dont on leur disait qu'ils étaient l'objet. Le culte du Sacré-Cœur de Jésus fut donc la forme que devait prendre et que prit, en en effet, l'espérance chrétienne échappée au naufrage. Elle se jeta dans le Cœur de Celui qui a dit lui-même être venu pour les pécheurs et non pour les justes, et qui n'abandonne Jérusalem que parce qu'elle n'a pas voulu connaître le temps de sa visite.

 

Grande fut la colère du jansénisme, à la nouvelle que toutes ses tentatives allaient échouer contre la confiance que les peuples mettraient dans le Cœur de leur Sauveur. Ces sectaires qui, pour perfectionner l'homme, voulaient commencer par lui arracher le cœur, voyant que le Cœur de l'Homme-Dieu, à la fois symbole et organe de son amour, recevait les adorations de la chrétienté, se prirent à nier le cœur dans l'homme, pour le nier ensuite dans le Christ lui-même.

 

Donnant un brutal démenti à l'humanité tout entière, qui plaça toujours dans le cœur le siège des affections, ils ne craignirent point de poursuivre ce noble organe jusque dans la poitrine de l'Homme-Dieu. Nous avons vu comment Ricci appela le Cœur de Jésus-Christ un petit morceau de chair (un pezzetto di carne) ; Grégoire n'y reconnut qu'un muscle ; un de ses amis, digne de lui, Veiluva, chanoine d'Asti, ne voit dans un tableau du Sacré-Cœur qu'un grand foie tout rayonnant. Mais à ces blasphèmes ignobles et furibonds, il était facile de voir que la secte se sentait atteinte dans le principe même de son existence. L'amour chasse dehors la crainte, a dit le disciple bien-aimé, celui qui, dans la Cène, se reposa sur le Cœur du Sauveur ; le culte du Sacré-Cœur de Jésus chasse dehors l'affreux destin, idole implacable, que la secte avait substitué à la douce image de Celui qui aime toutes les œuvres de ses mains, et veut que tous les hommes soient sauvés.

 

Nous aurons ailleurs l'occasion de parler de la fête du Sacré-Cœur de Jésus ; toutefois, les nécessités de notre récit nous obligent à toucher ici quelque chose des circonstances de son institution.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.     

 

La Cène, Jaume Baço Jacomart

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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 11:30

Ajoutons encore un trait pour faire connaître ces dignes coryphées de l'hérésie antiliturgiste.

 

Franzesi, évêque de Montepulciano, dans un mémoire contre la prétention des novateurs, de réduire à un seul les autels de chaque église, avait osé faire remarquer que le grand-duc lui-même, qui poussait avec tant de chaleur l'adoption de cette mesure, faisait alors bâtir des églises, à plusieurs autels. Ricci et ses deux dignes collègues répondirent à cette objection : "Que prétend donc le théologien (consulteur du prélat), par cette assertion vague et téméraire ? Que le souverain s'est contredit, ou qu'il a changé d'opinion ? Ce serait un sacrilège d'en avoir la pensée". Voilà ce que la secte antiliturgiste sait faire de la liberté ecclésiastique et de la dignité humaine. Considérons maintenant ce qu'elle voudrait faire du catholicisme lui-même.

 

Nous pourrions nous contenter de renvoyer le lecteur au XIVe chapitre de cette histoire, dans lequel nous avons traité de l’Hérésie antiliturgiste et de la réforme protestante du XVIe siècle, dans ses rapports avec la Liturgie ; mais, comme il est utile de déduire les enseignements qui résultent du récit que nous avons fait dans les chapitres précédents, nous nous arrêterons quelques instants à résumer le système des ennemis de la foi catholique, tel qu'il apparaît dans l'ensemble des lois et règlements à l'aide desquels ils ont espéré étouffer cette divine foi. C'est l'esprit protestant lâchement caché sous des dehors catholiques que nous voulons démasquer, et notre intention est de faire voir ce que ces perfides pharisiens ont tenté pour anéantir, autant qu'il était en eux, l'adorable mystère de la très sainte-Eucharistie.

 

Auparavant, si le temps et l'espace nous le permettaient, nous aimerions à montrer en détail toute la portée des embûches qu'ils ont tendues à la foi des peuples, dans ce qui touche le culte de la glorieuse Vierge Marie et des saints. Nous dirions comment ils les ont livrés, ces peuples sans défense, au souffle glacé du rationalisme, en expulsant de la Liturgie, et, partant, de la mémoire des fidèles, la plupart des miracles et des dons merveilleux accordés aux saints, sous le vain prétexte des droits de la critique ; comme s'il suffisait de la volonté d'un pédant pour faire reconnaître comme incontestables les stupides affirmations du pyrrhonisme historique. Nous dirions comment ils ont retranché du bréviaire, et bientôt des Vies même des saints, le récit des actes de vertu extraordinaire inspirés par l'Esprit de Dieu à ses membres, sous la futile apparence que ces faits ne seraient pas imitables ; comme si l'Esprit de Dieu, dans les livres qu'il a dictés lui-même, n'avait pas accumulé pour sa gloire les actes les plus extraordinaires, aussi bien que les actes les plus vulgaires en apparence.

 

Nous dirions comment il était inévitable au peuple d'oublier les actions, les mérites, les services et jusqu'au nom des saints patrons, du moment qu'on abolissait les antiques répons et antiennes où ces noms sacrés, avec les merveilles qu'ils rappellent, étaient consignés et si souvent embellis par les plus gracieuses mélodies, pour mettre en place quelques phrases de la Bible, bien froides, bien décousues ; comme si des paroles générales tirées de l'Écriture sainte, et amenées, à grands frais pour célébrer tel saint auquel elles n'avaient pas plus de rapport qu'à tel autre saint, pouvaient servir dans un degré quelconque à maintenir des traditions.

 

Nous dirions comment la guerre qu'on a faite jusqu'à nos jours dans une grande partie de l'Europe catholique, aux images miraculeuses, aux sanctuaires révérés, aux pèlerinages, aux processions extraordinaires, était une hostilité flagrante contre le Seigneur et contre ses christs, Nolite tangere christos meos. (Psalm. CIV, 15.) ; puisque, si le Concile de Trente enseigne qu'il ne faut pas croire qu'il y ait dans les images une vertu qui vienne d'elles, on n'en doit pas conclure que cette auguste assemblée ait voulu contester à Dieu le droit de choisir certains lieux de ce monde qui est à lui, pour y manifester plus directement sa gloire dans la Vierge Marie, ou dans les saints.

 

Nous dirions qu'en supprimant avec violence les fêtes populaires dans lesquelles les habitants des villes et des campagnes se livraient à une joie, quelquefois abusive, nous en convenons, Joseph II, Léopold, Jérôme de Collorédo, Ricci, etc., voulaient bien plus éteindre les influences religieuses puisées dans le culte des saints, que favoriser, ainsi qu'ils le prétendaient, la réforme des mœurs et l'avancement des saines doctrines de l'économie politique ; comme si les mœurs étaient meilleures et la nation plus heureuse, quand le motif des réjouissances publiques ne provient plus d'une source religieuse, mais tout simplement des habitudes grossières d'un peuple inaccessible d'ailleurs à l'idée de morale qui ne lui vient pas par l'organe de la religion.

 

Nous dirions enfin qu'on a grandement nui à la foi des peuples qui tire un si puissant accroissement de la vénération des saints, en répétant sur tous les tons, et avec toute l'exagération de Port-Royal, que la sainte Vierge et les saints repoussent tout hommage de la part de ceux qui n'imitent pas leurs vertus ; qu'il est inutile de songer à leur plaire par des prières, des vœux, des chants, des démonstrations extérieures, si l'on n'est pas déjà vivant de la vie de la grâce et de la sainteté ; comme si la simple louange n'était pas déjà un acte surnaturel et excellent de la religion ; comme si celui qui rend hommage à la sainteté ne protestait pas déjà contre le péché qui est dans son cœur ; comme si tout acte religieux, pour n'être pas parfait, n'était pas un acte conforme à l'ordre ; comme si, enfin, la miséricordieuse Mère du Sauveur et les Amis de Dieu ne devaient pas se trouver inclinés à demander à Dieu l'entière conversion de ces pauvres âmes qui, trop charnelles encore dans leurs espérances et leurs vœux, n'ont jusqu'ici compris, comme la Samaritaine, que dans un sens matériel, cette eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle ! Le fait est que depuis le triomphe de toutes ces théories perfectionnées, nous ne connaissons plus la vie des saints, et qu'après un siècle et demi de rationalisme, la simple explication des légendes de nos vitraux et de notre antique peinture et statuaire catholique est devenue l'objet d'une science. Dieu fasse que cette science ne soit pas de longue durée, par notre retour aux antiques traditions de la foi de nos pères, aux livres vénérables qui l'ont gardée toujours vierge et pure, tandis que nous allions boire à d'autres sources !

 

Mais arrêtons-nous à considérer l'outrage insigne dont l'adorable mystère de l'Eucharistie a été l'objet au sein même de plusieurs nations catholiques. C'est ici qu'éclate la malice de satan. Nous avons montré ailleurs comment les albigeois et les vaudois parvenaient à éluder la divine miséricorde du Sauveur présent sous les espèces eucharistiques, en prêchant partout que le prêtre, s'il n'est en état de grâce, ne consacre pas ; d'où il s'ensuivait que Dieu seul connaissant le cœur de l'homme, le fidèle n'aurait pu croire à la présence du Christ dans l'hostie qu'il recevait à la communion, qu'autant qu'il eût été associé à la science même de Dieu. Nos antiliturgistes n'osèrent non plus nier la divine Eucharistie; mais comme elle est l'objet de la foi des fidèles, le sacrifice propitiatoire du salut du monde, la nourriture vivifiante du chrétien sur la terre, il leur sembla bon de la poursuivre sous ce triple rapport. En effet, s'ils eussent été jaloux de voir le Sauveur des hommes recueillir l'hommage de la piété publique dans le mystère de son amour, pourquoi ces édits, ces décrets synodaux pour interdire l'exposition du saint Sacrement, pour éteindre les lumières qui se consumaient, en signe populaire de joie et d'amour, sur l'autel ; pour enjoindre de se servir du ciboire qui voile l'hostie, plutôt que de l'ostensoir qui la montre et l'entoure d'une couronne radieuse, vrai triomphe pour la piété ? Pourquoi tant d'écrits, de règlements hostiles au rite de l'exposition du saint Sacrement, dans divers pays, mesures dont les motifs semblent puisés dans le livre condamné du trop fameux J.-B. Thiers ? Pourquoi avoir humilié à un degré inférieur, dans un si grand nombre de nouveaux bréviaires et missels, la fête du Corps du Seigneur, qui, jusqu'alors, était mise au rang des plus grandes solennités ? Quel siècle, quels hommes que ceux qui trouvèrent qu'il y avait en cela de l'excès !

 

Quant au sacrifice eucharistique lui-même, que n'ont pas fait les antiliturgistes, pour en amoindrir la notion dans l'esprit des peuples ? L'autel les gêne ; ils voudraient n'y voir plus qu'une table. Ils en ôteront, comme à Troyes et à Asnières, la croix et les chandeliers ; les reliques et les fleurs, comme en Toscane, poursuivant ainsi le Christ jusque dans ses saints, et voulant que l'autel de Dieu soit nu et glacé comme leur cœur. Autour de cet autel, sur les dons sacrés, des rites augustes, apostoliques, mosaïques même, s'accomplissent ; ils en conserveront une partie, après les avoir purgés de tout symbolisme, pour qu'ils ne soient plus que des usages vulgaires et vides de réalité. Une langue sacrée environnait comme d'un nuage la majesté de cet autel et des mystères qu'il porte ; on préparera l'abolition de cet usage vénérable, en initiant le vulgaire aux plus profondes merveilles du sanctuaire par des traductions, en invitant le prêtre, au nom d'une chimérique antiquité, à rompre le silence du canon, en attendant qu'en certains temps et en certains lieux, on ose décliner enfin la prétention qu'on a de proclamer, comme Calvin, la langue vulgaire. Déjà, n'a-t-on pas fait admettre que la Bible seule doit fournir la matière des offices divins, aux dépens de la tradition ? Ne l'a-t-on pas mise en pièces à coups de ciseaux, pour en faire une mosaïque à l'aide de laquelle on décrira telles figures que l'on voudra ?

 

Mais, pour en revenir au divin sacrifice, voyez avec quelle affectation on répète cette vérité incontestable en elle-même, mais dont il est si facile d'abuser à cette époque de calvinisme déguisé, que le peuple offre avec le prêtre, afin d'étayer d'autant ce laïcisme, frère du presbytérianisme, qui apparut peu d'années après, avec un si éclatant triomphe, dans la constitution civile du clergé. Toutefois, ce n'est point encore assez pour la secte. Elle peut insulter le sacrifice catholique, mais elle ne peut l'abolir. Dès lors, toute son adresse tendra à en rendre la célébration plus rare. D'abord, elle inculquera au prêtre timoré qui, par le plus étrange travers, s'en vient mettre sa conscience à la disposition de quelqu'un de ses adeptes, elle lui inculquera (Du Guet, Traité sur les dispositions pour offrir les saints mystères, page 32.) qu'il y aurait de l'imprudence à un prêtre, même pieux, de célébrer la messe plus de trois ou quatre fois par semaine. Que si, enfin, il ose monter à l'autel, il trouvera jusque dans le missel la condamnation de sa témérité ; car la secte a souillé jusqu'au missel.

 

Bientôt, soutenue dans son audace par les Joseph II et les Léopold, on la verra interdire la célébration simultanée des messes dans une même église ; elle ira même jusqu'à réduire le nombre des autels à un seul. Éclairée par les prescriptions de Ricci, elle trouvera un nouveau moyen de restreindre encore l'oblation de ce sacrifice qui lui est si odieux : ce sera en rétablissant l'usage de l'Église primitive, suivant lequel tous les prêtres d'une église concélébreraient à une seule messe. Quant aux réguliers, on saura bien les y forcer, en ne tolérant qu'un prêtre ou deux dans chaque monastère : d'ailleurs, les églises des réguliers seront interdites au peuple.

 

Enfin, et nous achèverons par ce dernier trait, afin d'empêcher la célébration de la messe plus efficacement encore, le synode de Pistoie enseignera dogmatiquement que c'est une erreur de penser que le sacrifice de la messe profite davantage à celui pour lequel le prêtre a l'intention particulière de l'offrir. Que lui importe de mentir à la tradition catholique, si par là il est à même de porter à la foi du sacrifice dans l'esprit des peuples, une atteinte digne de Calvin ?

 

Si nous en venons à l'Eucharistie, considérée comme nourriture du chrétien, nous la voyons poursuivie sous ce rapport avec le même acharnement par les antiliturgistes.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.

 

SAINT NORBERT, Marten Pepijn, Cathédrale Notre-Dame d'Anvers

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 19:00

Mais voyons plus avant l'œuvre du synode et ses glorieux efforts pour s'élever dans la réforme liturgique à la hauteur des vues de Joseph II et de son digne frère.

 

Observons d'abord que les Pères du concile diocésain, comme ils s'appellent, sont d'avis qu'on évite dans les églises les décorations trop pariées et trop précieuses, parce qu'elles attirent les sens et entraînent l’âme à l'amour des choses inférieures ; sur quoi les Pères déclarent embrasser la doctrine de l'instruction pastorale de Jérôme de Collorédo, archevêque de Salzbourg.

 

Dans le chapitre sur la réforme des réguliers, ils émettent le vœu que ceux-ci n'aient point d'églises ouvertes au public ; qu'on y diminue les offices divins, et qu'il n'y soit célébré qu'une, ou, tout au plus, deux messes par jour, les autres prêtres se bornant à concélébrer.

 

Dans la même session, il plaît aux Pères d'abolir les processions qui avaient lieu pour visiter quelque image, de la sainte Vierge ou d'un saint, et de prescrire aux curés de la campagne de restreindre le plus possible la longueur et la durée de celles des Rogations. Le but de ces suppressions, disent-ils, est d'empêcher les rassemblements tumultueux et indécents, et les repas qui accompagnaient ces processions. Quant aux fêtes, les Pères se plaignent de ce que, par leur multiplicité, elles sont aux riches une occasion d'oisiveté, et aux pauvres une source de misère, et sont résolus de s'adresser à S. A. S. le Grand-Duc, pour obtenir une réduction dans le nombre de ces jours consacrés aux devoirs religieux. C'est, sans doute, pour honorer en Léopold la qualité de prince de la Liturgie, que les Pères décrètent qu'on ajoutera désormais au Canon ces paroles : Et pro Magno Duce nostro N. On voit que l'esprit des antiliturgistes est partout le même, en Italie comme ailleurs : la seconde majesté profite toujours des dépouilles de la première.

 

" Pour ce qui regarde les pratiques extérieures de la dévotion envers la sainte Vierge et les autres saints, disent les Pères, nous voulons qu'on enlève toute ombre de superstition, comme serait d'attribuer une certaine efficacité à un nombre déterminé de prières et de salutations dont, la plupart du temps, on ne suit pas le sens, et généralement à tout autre acte, ou objet extérieur ou matériel."

 

Après cette flétrissure infligée au rosaire et aux diverses couronnes ou chapelets approuvés et recommandés par le Saint-Siège, les réformateurs de Pistoie devaient naturellement en venir à poursuivre les images. C'est pourquoi, immédiatement après, ils enjoignent d'enlever des églises toutes les images qui représentent de faux dogmes, celles par exemple du Cœur de Jésus, et celles qui sont aux simples une occasion d'erreur, comme les images de l’incompréhensible Trinité. On enlèvera de même celles dans lesquelles il paraît que le peuple a mis une confiance singulière, ou reconnaît quelque vertu spéciale. Le synode ordonne pareillement de déraciner la pernicieuse coutume qui distingue certaines images de la Vierge par des titres et noms particuliers, la plupart du temps vains et puérils , comme aussi celle de couvrir d'un voile certaines images ; ce qui, en faisant supposer au peuple qu'elles auraient une vertu spéciale, contribue encore à anéantir toute l'utilité et la fin des images.

 

La réforme dans le culte de la sainte Vierge et des saints n'était pour le synode qu'une conséquence de la réforme à laquelle, toujours à la remorque de Joseph II, il avait cru devoir soumettre le culte même du saint Sacrement et le sacrifice de la messe.

 

Ainsi, les Pères du concile diocésain décrétèrent qu'on rétablira l'antique usage de n'avoir qu'un seul autel dans la même église. On ne placera sur cet autel ni reliquaires, ni fleurs. La participation à la victime, disent-ils un peu plus loin, est une partie essentielle du sacrifice ; toutefois, on veut bien ne pas condamner comme illicites les messes auxquelles les assistants ne communient pas sacramentellement. En effet, cette hardiesse aurait semblé par trop luthérienne ; mais on déclare qu'excepté dans les cas de grave nécessité, les fidèles ne pourront communier qu'avec des hosties consacrées à la messe même à laquelle ils auront assisté.

 

Quant à la langue à employer dans la célébration des saints mystères, on découvre les intentions du synode dans ces paroles expressives : Le saint Synode désirerait qu'on réduisît les rites de la Liturgie à une plus grande simplicité ; qu'on l'exposât en langue vulgaire, et qu'on la proférât toujours à haute voix ; car, ajoutent plus loin les Pères avec Quesnel leur patron : "Ce serait agir contre la pratique apostolique et contre les intentions de Dieu, que de ne pas procurer au simple peuple les moyens les plus faciles pour, unir sa voix à celle de toute l'Église." Ailleurs, on enseigne que c'est une erreur condamnable de croire qu'il soit en la volonté du Prêtre d'appliquer le fruit spécial du sacrifice à qui il veut.

 

Quant à la vénération à rendre au mystère de l'Eucharistie, le synode ordonne de réduire l'exposition du saint Sacrement à la seule fête et octave du Corpus Domini, excepté dans la cathédrale où l'exposition sera permise une fois le mois ; dans les autres églises, aux jours de dimanche et de fête ; on donnera seulement la bénédiction avec le ciboire. Le nombre des cierges allumés en présence du saint Sacrement exposé dans l'octave du Corpus Domini, ne pourra excéder trente à la cathédrale et vingt-quatre dans les paroisses.

 

Ailleurs, les antiliturgistes de Pistoie poursuivent la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et à la Passion de Notre-Seigneur, sous l'affectation d'une orthodoxie dont la prétention est surtout ridicule dans des hérétiques. Attendu, disent-ils, que ce serait une erreur dès longtemps anathématisée dans l'Église que d'adorer en Jésus-Christ l'humanité, la chair ou toute portion de cette chair, séparément de la divinité, ou avec une séparation sophistique ; ainsi serait-ce également une erreur d'adresser à cette humanité nos prières, au moyen d'une semblable division ou abstraction. C'est pourquoi, souscrivant pleinement à la lettre pastorale de notre évêque, du 3 juin 1781, sur la dévotion nouvelle au Cœur de Jésus, nous rejetons cette dévotion et les autres semblables, comme nouvelles et erronées, ou tout au moins comme dangereuses". Quant au mystère de la Passion, dit le synode, s'il doit particulièrement occuper notre piété, il faut aussi dégager cette piété elle-même de toutes les inutiles et dangereuses matérialités auxquelles ont voulu l'assujettir les dévots superstitieux des derniers siècles. L'esprit de componction et de ferveur ne peut pas certainement être attaché à un nombre déterminé de stations, à des réflexions arbitraires, souvent fausses, plus souvent encore capricieuses, et toujours périlleuses.

 

On voit que nos réformateurs du catholicisme allaient vite en besogne, et que si, à la façon des novateurs français, la refonte des livres liturgiques sur un plan janséniste leur paraissait un moyen important d'avancer l'œuvre, ils voulaient mener de front, à la manière de Joseph II, la réduction extérieure des formes du culte catholique. Ils s'étaient trompés en prenant ainsi l'Italie pour l'Allemagne ; car si c'était un avantage pour la Toscane d'être régie par un prince de la maison d'Autriche, c'était du moins une grande faiblesse de jugement dans Léopold, que de vouloir régir les populations au rebours de leur génie et de leurs habitudes.

 

Le synode de Pistoie fut imité par ceux que présidèrent peu après dans leurs diocèses, Sciarelli, évêque de Colle, et Marani, évêque d'Arezzo, lesquels tinrent à honneur de marcher à la suite de Ricci et de ses curés. Dès lors, le parti janséniste ne put contenir la joie de son triomphe, et le grand-duc se crut assuré de la victoire sur les préjugés surannés d'un catholicisme bigot. Dès le 26 janvier 1786, voulant s'assurer de la coopération du clergé dans la réforme religieuse qu'il projetait, il avait adressé à tous les prélats de son duché cinquante-sept articles de consultation. Les principaux de ces articles roulaient sur la réforme indispensable du bréviaire et du missel ; sur l'abolition de toute aumône pour les messes ; sur la réduction du luxe des temples ; sur la défense de célébrer plus d'une messe par jour dans chaque église ; sur l'examen à faire de toutes les reliques ; sur le dévoilement des images couvertes ; sur l'administration des sacrements en langue vulgaire ; sur l'instruction à donner au peuple touchant la communion des saints et les suffrages pour les défunts ; sur l'urgence de soumettre les réguliers aux ordinaires, etc., etc. On y insistait spécialement sur la nécessité de tenir des synodes diocésains, à l'aide desquels Léopold espérait faire pénétrer dans le clergé du second ordre les maximes qu'il lui tardait tant de voir adoptées par ses évêques. Ces Points ecclésiastiques (Punti ecclesiastici) avec les réponses des archevêques et évêques de Toscane furent publiés à Florence, en 1787. On voit au frontispice du livre le portrait du grand-duc soutenu par la Renommée et entouré de figures allégoriques de la Justice, du Commerce, de l'Abondance et du Temps. Au-dessous, est un génie qui tient un livre ouvert, sur lequel est écrit en grandes lettres et en français, le mot : Encyclopédie. C'était sans doute assez pour montrer les intentions ultérieures des antiliturgistes.

 

Le voltairien de Potter, qui nous a conservé de précieux détails dans ses ignobles Mémoires de Scipion de Ricci, nous apprend en détail quelle fut la réponse des évêques de Toscane aux cinquante-sept Points. Ricci, dont les influences avaient été pour beaucoup dans les résolutions de Léopold, et qui se préparait à tenir son synode, fit telle réponse qu'on pouvait souhaiter ; en quoi il fut imité par Sciarelli, évêque de Colle ; Pannilini, évêque de Chiusi, et Santi, évêque de Soana. Marani et Ciribi, évêques dArezzo et de Cortone, s'expliquèrent dans le même sens, mais avec plus de modération. Les autres prélats, Martini, archevêque de Florence ; Costaguti, Vannucci, Pecci, Vincenti, Bonaccini, évêques de Borgo San-Sepolcro, Massa, Montalcino, Pescia, et Volterra, se déclarèrent avec courage, dans leurs réponses, contre les innovations proposées ; mais nous devons une mention spéciale aux intrépides prélats Franceschi et Borghesi, archevêques de Pise et de Sienne; Mancini, Fazzi, Franci et Franzesi, évêques de Fiesole, San-Miniato, Grosseto et Montepulciano, qui manifestèrent par les termes les plus énergiques, dans leurs réponses, toute l'horreur que leur inspiraient les propositions antiliturgistes qu'on avait osé leur faire.

 

Ce fut après la réception de ces diverses lettres, et aussi après la célébration des synodes de Pistoie, de Colle et d'Arezzo, les seuls dont Léopold put obtenir la tenue, que ce prince convoqua une assemblée générale des évêques de Toscane,qui s'ouvrit à Florence le 23 avril 1787. S'il l'on en croit les Mémoires de Ricci, les prélats qui s'étaient montrés si fermes dans leur réponse aux Points ecclésiastiques, auraient manifesté, dans l'assemblée, une moindre opposition aux volontés du grand-duc, sur certains points de doctrine liturgique, notamment sur la réforme du Bréviaire et du Missel romains, dont les trois archevêques auraient accepté la commission. L'auteur des Mémoires sur l'Histoire ecclésiastique, au XVIIIe siècle, ajoute même qu'il fut arrêté qu'on traduirait le rituel en italien, pour ce qui concerne l'administration des sacrements, excepté les paroles sacramentelles qui se diraient toujours en latin. Quoi qu'il en soit, de Potter est obligé de convenir que des réclamations violentes s'élevèrent à toutes les séances, de la part des évêques, contre les principaux fauteurs de l'innovation, Ricci, Sciarelli, Pannilini et Santi. Et, d'ailleurs, la discussion roula sur un grand nombre d'autres articles de droits ecclésiastique, à l'occasion desquels la majorité se montra animée de la plus courageuse énergie pour les droits du Saint-Siège. L'assemblée tint sa dix-neuvième et dernière session, le 5 juin 1787, et s'étant présentée à l'audience du grand-duc, elle reçut les témoignages les plus significatifs de mécontentement de la part du prince, pour le peu d'harmonie qui avait régné dans son sein, pour l’esprit de préjugé et de parti qui avait constamment guidé le plus grand nombre des prélats. Léopold, toujours poussé par le parti janséniste, décréta plusieurs édits propres à accroître et à consolider le scandale. "Sans aucun égard pour la Cour de Rome, dit de Potter, on soumit le clergé régulier aux ordinaires ; on déclara qu'à l'avenir la doctrine de saint Augustin devrait être suivie dans l'enseignement ecclésiastique ; on ordonna la réforme des missels et des bréviaires, etc..

 

Toutefois, ainsi que nous l'avons dit, cette levée de boucliers n'eut pas de suites. La dislocation sociale qui, en France, avait couronné les efforts persévérants du parti anarchiste, ouvrit les yeux de Léopold. Il eut le bon esprit de comprendre que l'évêque du dehors commet un acte impolitique dont le châtiment, tôt ou tard, retombe sur sa tête, toutes les fois que, convié par les sacrilèges flatteries d'un pasteur lâche ou corrompu, il ose mettre la main à l'encensoir. Mais il est facile de comprendre comment les instincts du despotisme ont si souvent conduit les princes à tenter ou à seconder les attentats des antiliturgistes. Les démonstrations liturgiques sont éminemment populaires ; elles tendent à réunir les masses dans le temple catholique, comme dans le centre de leur vie sociale ; elles resserrent le lien qui les attache au sacerdoce. Donc, les ennemis du spiritualisme dans les peuples doivent les avoir en horreur. Et voilà pourquoi chez nous, en ce moment, les ennemis des processions, soi-disant libéraux, se ruent à la suite des Joseph II et des Léopold, monarques du bon plaisir. Heureuse la France de n'avoir pas de ces vils pasteurs dont toute la gloire était d'enchaîner l'Église au marchepied du trône, comme les Ricci, les Pannilini, les Sciarelli !

 

Ajoutons encore un trait pour faire connaître ces dignes coryphées de l'hérésie antiliturgiste. 

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.

 

Incisione del 1786, sinodo diocesano in Pistoia (seminario

Le Synode de Pistoie en 1786

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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 11:30

Mais c'est assez rappeler de tristes souvenirs : puisse du moins l'innovation liturgique du XVIIIe siècle, apparaissant telle qu'elle est, dans ses motifs, dans ses auteurs, dans ses agents, être jugée de nos jours, comme elle le sera par devant tout tribunal qui voudra juger les institutions du catholicisme d'après le génie même du catholicisme ! 

 

L'Église de France est donc arrivée à la veille d'une effroyable persécution ; ses temples vont être fermés par les impies, ses fêtes ont cessé de réunir les peuples, et les nouveaux chants qu'elle a inaugurés, à la veille d'un si grand désastre, n'ont pas eu le temps de remplacer dans la mémoire des fidèles ceux qui retentirent dans les âges de foi. Naguère, cette Église n'avait qu'une voix dans ses temples, et cette voix était celle de toutes les églises de la langue latine ; aujourd'hui, la confusion est survenue ; vingt dialectes, plus discordants les uns que les autres, divisent cette voix et en affaiblissent la force. Prête à descendre aux catacombes, l'Église gallicane a perdu le droit de citer désormais aux peuples la parole des livres de l'autel et du chœur, comme l'oracle de l'antiquité, de la tradition, de l'autorité. En alléguant le texte des nouveaux missels et bréviaires, on ne peut donc plus dire désormais : L'Église dit ceci ; et ce coup fatal, ce n'est point la main d'un ennemi qui l'a porté. Les hommes de nouveautés et de destruction ont trouvé le moyen de faire mouvoir en leur faveur le bras qui ne devait que les foudroyer. Or, voilà ces jurisconsultes, ces mêmes gens du palais qui décrétèrent l'abolition du Bréviaire romain et firent brûler, par la main du bourreau, les remontrances ou réclamations que le zèle de la tradition catholique, aussi bien que de l'unité de confession, dictait à quelques prêtres courageux ; les voilà qui s'apprêtent à mettre au jour la constitution nationale, et non romaine, qu'ils ont préparée au clergé de France. Dans leur attente sacrilège, ils comptent sur les peuples qui, dans beaucoup de provinces, ont déjà commencé à perdre le respect envers leurs pasteurs, à l'occasion des changements introduits dans les formes du culte. Déjà dans de nombreuses paroisses, la dîme a été refusée aux curés qu'une injonction supérieure contraignait de supprimer les anciens livres et d'inaugurer les nouveaux. Mais avant d'étudier les doctrines liturgiques des nouveaux évêques et des nouveaux prêtres de cette monstrueuse agrégation qu'on appela l'Église constitutionnelle, arrêtons-nous à considérer les attaques dont les saines doctrines liturgiques se trouvent être l'objet dans plusieurs pays catholiques.

 

Nous avons tracé ailleurs la théorie d'après laquelle l'hérésie antiliturgiste, c'est-à-dire ennemie de la forme religieuse, a procédé depuis les premiers siècles, et les faits que nous avons produits dans tout le cours de cette histoire ont dû mettre dans un jour complet les intentions des sectateurs de cette doctrine maudite. On a dû remarquer que son caractère principal est de procéder avec astuce, et de ne jamais reculer devant les contradictions dans lesquelles ce système doit souvent l'entraîner. Destinée par sa propre nature à s'attacher comme le chancre à la religion des peuples, elle sait produire ou dissimuler ses progrès en proportion des risques qu'elle pourrait courir d'être extirpée par la main des fidèles et de leurs pasteurs. Souvent, il lui suffira d'exister à l'état de virus caché, et d'attendre la chance d'une éruption ; dans d'autres lieux, au contraire, elle osera tout à coup éclater sans ménagement. Ainsi, en France, elle se glissa sous couleur d'un perfectionnement des prières du culte, d'un plus juste hommage à rendre à l'Écriture sainte dans le service divin, d'une plus parfaite appréciation des droits de la critique ; elle sut flatter l'amour-propre national, les prétentions diocésaines, et au bout d'un siècle, elle avait trouvé moyen de détruire la communion des prières romaines dans les trois quarts de la France, d'anéantir l'œuvre de Charlemagne et de saint Pie V, d'infiltrer de mauvaises doctrines dans les livres de l'autel, enfin de faire agréer, pour rédacteurs de la prière publique, des hommes dont les maximes étaient flétries comme hérétiques par l'Église universelle.

 

C'étaient là sans doute de grands résultats ; mais on n'avait pu y parvenir que par degrés, et sous prétexte de perfectionnement autant littéraire que religieux. Il avait fallu dissimuler le but auquel on tendait, parler beaucoup d'antiquité tout en la violant, et surtout éviter de s'adresser au peuple par des changements trop extérieurs dans les objets visibles ; car la nation, en France, a été et sera toujours catholique avant toutes choses, et plus elle se sentira refoulée à une époque sous le rapport des manifestations religieuses, plus elle y reviendra avec impétuosité, du moment que l'obstacle sera levé.

 

Il en était tout autrement en Allemagne. La réforme de Luther avait été accueillie par acclamation, au XVIe siècle, dans une grande partie des États de cette vaste région, comme l'affranchissement du corps à l'égard des pratiques extérieures et gênantes qu'imposait le catholicisme. Dans les pays demeurés catholiques, le zèle des antiliturgistes du XVIIIe siècle s'inspira de ces favorables commencements, et quand il voulut tenter une explosion, il se garda bien d'aller perdre un temps précieux à falsifier des bréviaires et des missels. Il appliqua tout franchement et tout directement sur les formes, pour ainsi dire, plastiques du culte catholique ses perfides essais de réforme. Il savait le rationalisme allemand moins subtil que l'esprit français, et vit tout d'abord que l'on pouvait bien laisser le Bréviaire romain intact entre les mains d'un clergé qu'on saurait amener peu à peu à ne plus vouloir réciter aucun bréviaire. Les premières atteintes de cet esprit antiliturgiste, au sein même des catholiques, avaient déjà percé dans les canons de ce fameux concile de Cologne de 1536, dont nous avons parlé ailleurs. Mais ce fut bien autre chose, vers la fin du XVIIIe siècle, quand Joseph II s'en vint étayer de l'autorité impériale les plans antiliturgistes que lui suggérait la triple coalition des forces du protestantisme, du jansénisme et de la philosophie. Déjà, on avait miné le catholicisme dans une grande portion du clergé allemand, en dissolvant la notion fondamentale de l'Église, l'autorité du Pontife romain, au moyen des écrits empoisonnés de Fébronius, et plus tard, d'Eybel. Joseph II passant à la pratique, ouvrit, dès 1781, la série de ses règlements sur les matières ecclésiastiques. Il débuta, comme on a toujours fait, par déclarer la guerre aux réguliers, auxquels il enleva l'exemption et les moyens de se perpétuer, en attendant qu'il lui plût de porter la main sur la juridiction épiscopale elle-même. Mais le vrai moyen d'atteindre le catholicisme dans le peuple était de réformer la Liturgie. L'empereur ne s'en fit pas faute, et l'on vit bientôt paraître ces fameux décrets sur le service divin, dont le détail minutieux porta Frédéric II à désigner Joseph sous le nom de mon frère le sacristain. La chose était cependant bien loin d'être plaisante. Les conseillers, de Joseph, et surtout le détestable prince de Kaunitz, dont le nom appartient à cette histoire comme celui d'un des plus grands ennemis de la forme catholique, les conseillers de Joseph, disons-nous,, et sans doute l'empereur lui-même, sentaient parfaitement la portée de ce qu'ils faisaient en préparant l'établissement d'un catholicisme bâtard, qui ne serait ni garanti par des corporations privilégiées, ni régi exclusivement par la hiérarchie, ni basé sur un centre inviolable, ni populaire dans ses démonstrations religieuses.

 

On vit paraître, entre autres, sous la date du 8 mars 1783, un ordre impérial qui défendait de célébrer plus d'une messe à la fois dans la même église. Le 26 avril suivant, fut promulgué un règlement très étendu, dans lequel l'empereur supprimait plusieurs fêtes, abolissait des processions, éteignait des confréries, diminuait les expositions du saint Sacrement, enjoignait de se servir du ciboire au lieu de l'ostensoir dans la plupart des bénédictions, prescrivait l'ordre des offices, déterminait les cérémonies qu'on aurait à conserver et celles qu'on devrait abolir, et fixait enfin jusqu'au nombre des cierges qu'on devrait allumer aux divers offices. Peu après, Joseph fit paraître un décret de même sorte portant injonction de faire disparaître les images les plus vénérées par la dévotion populaire. Cependant, quelque philosophiques et libéraux que voulussent être les règlements de l'empereur, il s'y trouvait dès l'abord une disposition non moins antiphilanthropique qu'antiliturgique. Joseph statuait que l'on ferait désormais dans les églises, les dimanches et fêtes, deux sermons distincts,l'un pour les maîtres, l'autre pour les domestiques ; en quoi il se conformait, sans le savoir peut-être, au génie du calvinisme qui se retrouve plus ou moins au fond de tout système antiliturgiste. Il y a longtemps que l'on a observé, pour la première fois, que le peuple qui se presse avec tant d'enthousiasme sous les voûtes étincelantes d'or d'une église catholique, trouve rarement cette hardiesse dans le temple calviniste. C'est que dans l'Église catholique, la pompe révèle la présence de Dieu qui a fait le pauvre comme le riche, tandis que le prêche protestant offre simplement l'aspect d'une froide et cérémonieuse réunion d'hommes. Pour en revenir aux édits de Joseph II, on sait avec quelle obéissance passive ils furent accueillis dans la plupart des provinces allemandes de l'Empire : mais la Belgique toujours fidèle, la Belgique que le voisinage de la France n'a jamais fait dévier du sentier romain de la Liturgie, prit les armes pour résister aux innovations de Joseph II, et préluda, sous l'étendard de la foi, à ces glorieux efforts qui devaient, quarante ans plus tard, après bien d'autres souffrances, fonder son indépendance et l'établir au rang des nations. Puisse-t-elle n'oublier jamais que le principe de sa liberté politique à l'intérieur et à l'extérieur est la liberté même du catholicisme !

 

Tandis que Joseph II travaillait à déraciner la foi de l'Église romaine dans l'empire, cette mère et maîtresse de toutes les églises n'avait pas à souffrir de moindres atteintes de la part des princes ecclésiastiques de l'Allemagne. Les archevêques électeurs de Cologne, Trêves et Mayence, avec l'archevêque prince de Salzbourg, signaient à Ems, le 25 août 1786, ces trop fameux articles dont le but était d'affranchir, disait-on, la hiérarchie, en anéantissant l'autorité suprême du Siège apostolique. Or, les maximes antiliturgistes avaient pénétré dans le cœur de ces prélats, et s'ils poursuivaient le Christ en son vicaire, ils cherchaient aussi à restreindre son culte dans l'église. L'un deux, Jérôme de Collorédo, archevêque de Salzbourg, avait donné, dès 1782, une instruction pastorale, dans laquelle il s'élevait contre ce qu'il nommait le luxe des églises, déclamait contre la vénération des images, et prétendait, entre autres choses, que le culte des saints n'est pas un point essentiel dans la religion. C'était bien là, comme l'on voit, l'esprit de nos novateurs français, mais fortifié de toute l'audace qu'on pouvait se permettre en Allemagne.

 

Mais ce qui parut le plus étonnant à cette époque, fut l'apparition des mêmes scandales, en Italie, où tout semblait conspirer contre les développements, et même contre les premiers symptômes de l'hérésie antiliturgiste. Cette importation manifesta à la fois les caractères de l'esprit français plus subtil, plus cauteleux, et de l'esprit allemand plus hardi et plus prompt à rompre en visière. On s'expliquera aisément ce double caractère, si on se rappelle les efforts inouïs que les jansénistes français avaient faits pour infiltrer leurs maximes en Italie, et aussi l'influence que devait naturellement exercer sur Léopold, grand-duc de Toscane, l'exemple de son frère Joseph II. Toutefois, avant d'oser réformer le catholicisme dans la portion de l'Italie qui était malheureusement échue à son zèle, Léopold avait besoin de se sentir encouragé par quelque haut personnage ecclésiastique de ses États. Ce personnage fut Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato, l'ami intime du trop fameux professeur Tamburini, le disciple fidèle des appelants français, et l'admirateur fanatique de toutes leurs œuvres, mais spécialement de leurs brillants essais liturgiques.

 

Le 18 septembre 1786, s'ouvrit à Pistoie, sous les auspices du grand-duc, ce trop fameux synode dont les actes firent dans l'Église un éclat si scandaleux, mais aussi, il faut le dire, si promptement effacé. Ricci était venu trop tôt ; peut-être même la mauvaise influence s'était-elle trompée tout à fait sur la contrée où un pareil homme aurait dû naître. Quoi qu'il en soit, le malheureux prélat survécut aux scandales qu'il avait causés, et il a fini ses jours dans la communion de l'Église dont il avait déchiré le sein. Il n'est point de notre sujet de dérouler ici le honteux système de dégradation auquel le synode de Pistoie, dans sa sacrilège outrecuidance, prétendait soumettre tout l'ensemble du catholicisme ; la partie liturgique de ses opérations est la seule que nous ayons le loisir de mettre sous les yeux de nos lecteurs. Ainsi, nous ne nous arrêterons pas à signaler l'audace de cette assemblée, promulguant la doctrine hérétique et condamnée de Baïus et de Quesnel, sur la grâce ; adoptant scandaleusement la déclaration de 1682 contre les droits du Pontife romain ; abolissant l'exemption des réguliers pour étaler ensuite dogmatiquement le plus dégoûtant presbytérianisme ; mais nous citerons d'abord ces mémorables paroles de la session sixième : "Avant tout, nous jugeons devoir coopérer, avec notre a prélat, à la réforme du bréviaire et du missel de notre église, en variant, corrigeant et mettant dans un meilleur ordre les offices divins. Chacun sait que Dieu, qui est la vérité, ne veut pas être honoré par des mensonges ; et d'autre part, que les plus savants et les plus saints personnages, des papes même, ont dans ces derniers temps reconnu dans notre bréviaire, spécialement pour ce qui regarde les leçons des saints, beaucoup de faussetés, et ont confessé la nécessité d'une plus exacte réforme. Quant à ce qui regarde les autres parties du bréviaire, chacun comprend qu'à beaucoup de choses ou peu utiles, ou moins édifiantes, il serait nécessaire d'en substituer d’autres tirées de la Parole de Dieu ou des ouvrages originaux des saints Pères ; mais, sur toutes choses, on devrait disposer le bréviaire lui-même de façon que, dans le cours de l'année, on pût lire tout entière la sainte Écriture."

 

Ainsi donc, nous entendrons les antiliturgistes tenir partout un langage uniforme, de Luther à Ricci, en attendant le tour de nos constitutionnels français. Toujours l'Écriture sainte,en place des prières de la tradition ; toujours la guerre au culte des saints, l'oubli infligé à leurs œuvres merveilleuses, sous le prétexte d'épurer la vérité de toutes les scories apocryphes dont l'ont souillée les légendaires. D'où vient donc cette affectation de copier si servilement les fades déclamations des Foinard, des Grandcolas, des Mésenguy, des Baillet, etc. ? Le digne interprète de Scipion de Ricci, l'éditeur de ses Mémoires, de Potter le voltairien, nous l'explique quand il nous dit, en parlant des plans liturgiques de l'évêque de Pistoie : "Ses amis de France, entre autres les abbés Maultrot, Leroy et Clément, et les Italiens qui professaient les mêmes principes, s'étaient hâtés de lui communiquer leurs idées et leurs lumières pour opérer une réforme complète du bréviaire et du missel." (De Potter. Mémoires de Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato, réformateur du catholicisme en Toscane, sous le règne de Léopold. Tome II, page 220.). Au reste, la prédilection de Ricci pour cette école liturgique paraît assez clairement dans le choix de livres que le synode prescrit aux curés. On se garde bien d'y oublier l'Année chrétienne de Nicolas Le Tourneux, ni l’Exposition de la doctrine chrétienne de Mésenguy. Ces deux chefs-d'œuvre des fameux compilateurs des Bréviaires de Cluny et de Paris, figurent dignement sur le catalogue à côté du rituel d'Alet et des Réflexions morales de Quesnel.

 

Mais voyons plus avant l'œuvre du synode et ses glorieux efforts pour s'élever dans la réforme liturgique à la hauteur des vues de Joseph II et de son digne frère.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE. 

 

Portrait de l'Empereur Joseph II, Anton von Maron

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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 11:30

Mais c'est assez ; il nous en coûterait trop de prolonger cette apologie de l'Église romaine, et nous voulons croire pieusement que Symon de Doncourt, s'il vivait aujourd'hui, serait le premier à réfuter sa propre découverte, dont le résultat final n'a profité jusqu'ici qu'à des hérétiques et des schismatiques. 

 

Les influences de Saint-Sulpice sur la Liturgie parisienne eurent du moins cet avantage, de procurer l'insertion d'un office et d'une messe du Sacré-Cœur de Jésus, dans les nouveaux bréviaire et missel : cet office et cette messe étaient de la composition de Joubert et de Doncourt. Ainsi, une solennelle réclamation contre l'esprit janséniste qui avait inspiré l'œuvre de Vigier et Mésenguy, venait s'implanter au milieu de cette œuvre elle-même. Quelques années auparavant, en 1770, Christophe de Beaumont avait approuvé un office du saint Rosaire qui n'était pas, il est vrai, destiné à être inséré au bréviaire, mais qui pourtant était aussi une réclamation contre cet isolement dans lequel on tenait les catholiques français à l'égard de Rome et de la chrétienté, en leur interdisant la commémoration d'une des plus magnifiques victoires que le nom chrétien, sous les auspices de Marie, et par les efforts du Pontife romain, ait jamais remportée sur le Croissant.

 

Antoine-Eléonor Leclerc de Juigné, qui siégeait saintement et glorieusement dans l'Église de Paris, quand la tempête si longuement et si complaisamment préparée s'en vint mugir avec tant de rage contre les institutions de notre foi, avait senti pareillement la portée des outrages faits à la piété catholique par la Liturgie janséniste. Dans, l'édition du Bréviaire de Paris qu'il préparait, mais qui n'eut pas lieu, il songeait à introduire l'office de Notre-Dame du Mont-Carmel ; mais les temps n'étaient pas accomplis. La route n'était pas parcourue dans son entier; l’heure n'était donc pas venue de revenir sur ses pas. On le vit bien d'ailleurs, quand le même prélat, ayant besoin de huit hymnes nouvelles (Trois pour le commun des prêtres, deux pour le patron, et trois pour sainte Clotilde) pour rendre plus parfaite l'édition de son bréviaire, trouva tout simple de les commander à des littérateurs, comme on ferait d'un discours académique. Lisez plutôt : D'après les intentions de l'Archevêque, le Recteur de l'Université (c'était alors Dumouchel) indiqua un concours pour travailler à ces hymnes, et adressa le 2 décembre 1786, un mandement latin aux professeurs et aux amis de la poésie latine, pour les engager à s'occuper de cet objet. On dit que Luce de Lancival, alors professeur de rhétorique au Collège de Navarre, concourut et obtint le prix pour les hymnes de sainte Clotilde. Cependant, si nous nous en souvenons bien, il nous semble que saint Bernard exige tout autre chose de l'hymnographe chrétien, que la qualité de professeur ou d'ami de la poésie latine. La persécution qui renversa les autels suspendit l'édition du bréviaire projeté ; mais n'eût-il pas été bien déplorable de voir réunis dans le même livre des prières cléricales, les psaumes de David, les cantiques des prophètes et les fantaisies latines d'un personnage érotique qui, après avoir cultivé en auteur du troisième ordre le tragique et le comique du Théâtre-Français, mourut à quarante-quatre ans d'une maladie honteuse (Le nouveau bréviaire de Paris de 1822 renferme trois hymnes de sainte Clotilde, sans nom d'auteur. Ne seraient-elles point celles de Luce de Lancival ? Que d'autres nous le disent. Jusque-là nous nous abstenons) ? Et pourtant, mieux vaut encore pour hymnographe un libertin qu'un hérétique.

 

L'archevêque de Juigné, s'il ne renouvela ni le missel, ni le bréviaire, accomplit néanmoins une œuvre liturgique bien grave dans le diocèse de Paris : ce fut la publication d'un nouveau rituel. Nous ne parlerons pas ici du Pastoral, ou recueil dogmatique et moral qui ne concerne que la pratique du saint ministère. Le Rituel proprement dit doit nous occuper uniquement. On remarqua dans la nouvelle édition de ce livre une hardiesse qui dépassait, sous un rapport, tout ce qu'on avait vu jusqu'alors. Sans doute, les jansénistes, auteur des nouveaux livres, s'étaient exercés à mettre du nouveau dans tout l'ensemble de la Liturgie, mais du moins ils ne s'étaient pas avisés de retoucher pour le style les pièces de l'antiquité qu'ils avaient jugé à propos de conserver. Les prières pour l'administration des sacrements n'avaient souffert aucune variation ; et, jusque-là, le XVIIIe siècle ne s'était pas cru en droit de donner des leçons de langue latine à saint Léon et à saint Gélase. Dans le Rituel parisien de 1786, le clergé s'aperçut que l'ensemble de ces vénérables formules avait été soumis à une nouvelle rédaction, sous le prétexte d'y introduire une plus grande élégance ! Ainsi, ce n'étaient plus les hymnes, les antiennes, les répons qui manquaient de dignité et qu'il fallait refaire, au risque de sacrifier la Tradition qui ne se refait pas ; c'était l'enseignement dogmatique des premiers siècles, le plus pur, le plus grave, le plus universel, qui devait disparaître pour faire place aux périodes plus ou moins ronflantes de Louis-François Revers, chanoine de Saint-Honoré ; d'un abbé Plunkett, docteur de Sorbonne ; et enfin d'un abbé Charlier, secrétaire de l'archevêque. Encore un pas, et le Canon de la Messe aurait eu son tour, et on l'aurait vu disparaître pour faire place à des phrases nouvelles, et débarrasser enfin les protestants de l'invincible poids de son témoignage séculaire. Encore un pas, et la raison de ne pas admettre la langue vulgaire dans la Liturgie, tirée de l'immobilité nécessaire des formules mystérieuses, aurait disparu pour jamais. Il fallait des faits semblables pour constater l'étrange déviation que les antiliturgistes avaient opérée de longue main dans l'esprit des catholiques français. Cinquante ans et plus ont dû s'écouler avant que l'on ait songé sérieusement à restituer, dans le Rituel parisien, les formes antiques de la tradition.

 

Les évêques de la province ecclésiastique de Tours se réunirent dans cette ville, en 1780, sous la présidence de l'archevêque François de Conzié. Dans cette assemblée provinciale qui n'eut cependant pas la forme de concile, on décréta la suppression de plusieurs fêtes dont l'observance était générale dans l'Église ; le mardi de la Pentecôte, entre autres. Pour corroborer cette mesure, des lettres patentes du roi furent sollicitées et obtenues. C'était peu cependant pour autoriser une dérogation à la discipline générale, dont les lois ne peuvent être relâchées que par le pouvoir apostolique, le seul qui ait droit de dispenser des canons reçus universellement. En 1801, Bonaparte fut mieux conseillé. Quoi qu'il en soit, dans le mandement qu'ils publièrent en nom collectif, sous la date du 8 mai 1780, pour annoncer aux fidèles les motifs de cette suppression des fêtes, les prélats, faisant allusion à certaines fêtes locales qu'ils avaient cru devoir abolir, proclamaient en ces termes les principes de tous les siècles sur l'unité liturgique : "Les fêtes seront, à l'avenir, uniformément célébrées dans nos différents diocèses. On ne verra plus les travaux permis dans un lieu et interdits dans un autre. Une sainte uniformité, l'image de l'unité de l'Église et l'un des plus beaux ornements du culte public, va se rétablir dans toutes les parties de cette a vaste province."

 

Les Pères du concile de Vannes, rassemblés en 461 sous la présidence de saint Perpetuus, évêque de Tours, n'avaient pas tenu un autre langage : "Il nous a semblé qu'une seule coutume pour les cérémonies saintes et la psalmodie, en sorte que de même que nous n'avons qu'une seule foi, par la confession de la Trinité, nous n'ayons aussi qu'une même règle pour les offices : dans la crainte que la variété d'observances en quelque chose ne donne lieu de croire que notre dévotion présente aussi des différences."

 

Il était naturel que, dans une conjoncture pareille, après avoir parlé de l'uniformité du culte public, image de l’unité de l'Église, l'assemblée de 1780 s'occupât des moyens de faire cesser la discordance de la Liturgie dans la province. L'archevêque convia ses collègues à embrasser le nouveau Bréviaire de Tours, qui n'était, pour le fond, que le parisien de Vigier et Mésenguy ; mais il était difficile qu'après s'être affranchi des règlements du concile de Tours de 1583, qui prescrivaient l'usage du Bréviaire romain de saint Pie V, on consentît à reconnaître l'autorité liturgique du métropolitain. Les évêques du Mans et d'Angers déclarèrent donc s'en tenir à leurs livres ; l'évêque de Nantes se décida pour la liturgie poitevine du lazariste Jacob ; les évêques de Vannes et de Saint-Brieuc conservèrent leur parisien pur et simple. L'évêque de Rennes fut le seul qui se sentit touché du désir d'embrasser les nouveaux usages de la métropole ; encore ne voulut-il recevoir les livres de Tours que dans sa cathédrale, déclarant la Liturgie romaine obligatoire dans le reste du diocèse, comme par le passé. Quant aux évêques de Dol, de Saint-Malo, de Tréguier, de Quimper et de Saint-Pol-de-Léon, ils protestèrent être dans l'intention de maintenir dans leurs églises l'usage de la Liturgie romaine. Nous ajouterons même, sur l'autorité d'un témoin respectable, que les évêques de Saint-Malo et de Saint-Pol-de-Léon, qui n'avaient assisté à l'assemblée que par procureur, écrivirent à l'archevêque : "Nous ne tenons à Rome que par un fil : il ne nous convient pas de le rompre". Honneur donc à ces pontifes dont le cœur épiscopal ne fléchit pas alors que tout cédait à l'entraînement de la nouveauté !

 

En 1782, on imprimait pour l'usage de l'église de Chartres un missel, et en 1783 un bréviaire, et quelques années après, le processionnal du diocèse et celui de la cathédrale. Ces livres, dont le fond était emprunté du nouveau parisien, paraissaient par l'autorité de l’évêque Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac. A partir de cette réforme liturgique, le Bréviaire de l'église des Yves et des Fulbert dissimula comme par honte les saintes et patriotiques traditions sur la Vierge des Druides, et l'on cessa de chanter, sous les voûtes mêmes de Notre-Dame de Chartres, ces doux et gracieux répons dont Fulbert composait les paroles, et dont Robert le Pieux créait la mélodie. Quelques années plus tard, l'auguste cathédrale vit s'accomplir, sous son ombre sacrée, le plus hideux de tous les sacrilèges, quand l'image de la Vierge encore debout sur l'autel profané, transformée en déesse de la Liberté ou de la Raison, parut la tête couverte du bonnet ignoble dont l'abbé Sieyès et ses pareils avaient fait pour la France un symbole de terreur. C'est par degrés sans doute et non tout à coup que de semblables excès deviennent possibles chez un peuple.

 

Nous avons parlé ailleurs du Bréviaire de Sens dont les intentions jansénistes sont dénoncées par l'archevêque Languet. Ce bréviaire reçut son complément en 1785, dans la publication d'un nouveau missel, promulgué par l'autorité du cardinal de Luynes, archevêque de cette métropole. L'auteur de ce missel fut l'abbé Monteau, lazariste, supérieur du séminaire ; son travail est célèbre par la multiplicité des traits d'esprit qui scintillent de toutes parts dans les collectes, secrètes et postcommunions, en sorte qu'on les croirait taillées à facettes. L'abbé Monteau avait cela de particulier, qu'on le jugeait plutôt philosophe que janséniste. Quoi qu'il en soit, il prêta le serment à la constitution civile du clergé, et, ce qui est le plus déplorable, il entraîna dans le schisme, par l'autorité de son exemple, la plus grande partie du clergé du diocèse (Il se rétracta cependant après la Révolution).

 

Nous ne prolongerons pas davantage cette revue fort incomplète des variations liturgiques de nos églises. Le besoin d'en finir avec cette histoire générale de la Liturgie, nous oblige à réserver, pour une autre occasion, les détails que nous avions rassemblés sur les rapports de la Liturgie avec l'art, en France, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il suffira de dire que la dégradation alla toujours en croissant jusqu'à la catastrophe qui vit crouler, en si grand nombre, nos églises modernisées, et engloutit leurs tableaux, leurs statues et leur ameublement dégénérés. L'abbé Lebeuf est encore une merveille, en comparaison des compositeurs de plain-chant que la fin du siècle produisit. Si la première condition, pour exécuter la plupart de ses pièces, est d'être muni d'une vigoureuse paire de poumons, il y a du moins quelque apparence de variété dans ses motifs ; il a centonisé, comme il le dit lui-même. Il en est tout autrement, par exemple, de Jean-Baptiste Fleury, chanoine de la collégiale de Sainte-Magdeleine de Besançon, qui se chargea de composer les chants du nouveau graduel et antiphonaire de ce diocèse. Sa phrase ne manque pas d'une certaine mélodie; mais elle revient sans cesse, molle et commune jusqu'à la nausée. Les mélodies de ses proses portent le même caractère. Il y eut des diocèses où les compositeurs s'exercèrent à refaire, d'après eux-mêmes, les rares pièces de la Liturgie romaine qu'on avait conservées. Ainsi à Amiens, on refit à neuf le Lauda Sion ; à Toul, on refit jusqu'aux grandes antiennes de l'Avent, etc., et Dieu sait quels pitoyables chants on substitua.

 

Au milieu de tant d'innovations, il nous a suffi de choisir quelques traits propres à initier le lecteur aux principes qui les ont toutes produites, et de montrer quelle espèce d'hommes en ont été les promoteurs et les exécutants. C'est donc à dessein que nous nous sommes abstenu, pour le moment, de faire mention des Bréviaires de Reims, Bourges, Besançon, Toul, Clermont, Troyes, Beauvais, Langres, Bayeux, Limoges, qui, avec ceux dont nous avons parlé, savoir, de Vienne, Senez, Lisieux, Narbonne, Meaux, Angers, Sens, Auxerre, Rouen, Orléans, Le Mans, et Amiens, forment à peu près la totalité de ceux que produisit en France la fécondité du XVIIIe siècle.

 

Disons cependant un mot des ordres religieux, bien qu'il nous en coûte d'aborder ce sujet sur lequel nous voudrions n'avoir à produire que des faits conformes au génie traditionnel du catholicisme, dont ces nobles familles ont été constituées les gardiennes. Mais, hélas ! on dut se rappeler cette antique sentence : Optimipessima corruptio, en voyant les tristes fruits de l'innovation liturgique dans le cloître. Nous avons parlé de l'ordre de Cluny et signalé la malheureuse influence de son trop fameux bréviaire. La congrégation de Saint-Vannes, en 1777, se donna à son tour un bréviaire et un missel dans le goût du nouveau parisien. Ils avaient pour auteur dom Anselme Berthod, bibliothécaire de Saint-Vincent de Besançon et ensuite grand prieur de Luxeuil. L'ordre de Prémontré renonça, en 1782, à son beau bréviaire romain-français, pour en prendre un nouveau publié par l'autorité de Lécuy, dernier abbé général de cette grande famille religieuse, et rédigé, ainsi que le nouveau missel, par Rémacle Lissoir, prémontré, abbé de la Val-Dieu, personnage qui avait publié un abrégé en français du livre de Fébronius, et qui, ayant prêté le serment à la constitution civile du clergé, fut curé de Charleville et siégea au conciliabule de Paris, en 1797. Enfin, la congrégation de Saint-Maur eut aussi son bréviaire particulier, publié en 1787, ouvrage beaucoup trop vanté et qui eut pour auteur principal dom Nicolas Foulon, convulsionniste passionné, qui se maria en 1792 et mourut en 1813 après avoir été successivement huissier au conseil des Cinq-Cents, au tribunat et au sénat de l'Empire !

 

Ainsi donc, sur cent trente églises, la France, en 1791, en comptait au delà de quatre-vingts qui avaient abjuré la Liturgie romaine. Elle s'était conservée seulement dans quelques diocèses des provinces d'Albi, d'Aix, d'Arles, d'Auch, de Bordeaux, de Bourges, de Cambray, d'Embrun, de Narbonne, de Tours et de Vienne. Strasbourg, qui était de la province de Mayence, l'avait gardée. Aucune province, si ce n'est celle d'Avignon, ne s'était montrée unanime à la retenir, et elle avait entièrement péri dans les métropoles de Besançon, de Lyon, de Paris, de Reims, de Sens et de Toulouse. De tous les diocèses qui, à l'époque de la bulle de saint Pie V, n'avaient pas pris le Bréviaire romain, mais avaient simplement réformé, à l'instar de ce bréviaire, leur romain-français, pas un n'avait retenu cette magnifique forme liturgique. Les novateurs avaient donc poursuivi l'élément français dans la Liturgie, avec la même rigueur qu'ils avaient déployée contre l'élément romain, parce que tous deux étaient traditionnels. Il n'y eut que l'insigne collégiale de Saint-Martin de Tours qui, donnant en cela la leçon à nos cathédrales les plus fameuses, osa réimprimer, en 1748, son beau bréviaire romain-français, et qui, seule au jour du désastre, succomba avec la gloire de n'avoir pas renié ses traditions. Nous rendons ici, avec effusion de cœur, cet hommage à cette sainte et vénérable église, et à son illustre chapitre.

 

Mais c'est assez rappeler de tristes souvenirs : puisse du moins l'innovation liturgique du XVIIIe siècle, apparaissant telle qu'elle est, dans ses motifs, dans ses auteurs, dans ses agents, être jugée de nos jours, comme elle le sera par devant tout tribunal qui voudra juger les institutions du catholicisme d'après le génie même du catholicisme !

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.    

 

11-517014

Antoine Eléonore Léon LECLERC DE JUIGNÉ (1728-1811), Archevêque de Paris

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