Quel fruit de cette première partie ?
Le voici, Chrétiens, réduit en pratique. Pour nous disposer au jugement de Dieu, respectons les jugements du monde ; car le monde
même, selon la règle de saint Paul, doit être respecté ; et il ne le mérite jamais mieux que lorsqu'il condamne nos désordres.
Mettons-nous en état, s'il est possible, de ne pas craindre sa censure ; mais souvenons-nous en même temps qu'il ne nous est point
permis de la négliger ; ou plutôt souvenons-nous qu'autant que nous avons droit de mépriser la censure du monde, dès qu'elle nous détourne de nos légitimes devoirs, autant Dieu veut-il que nous
ayons d'égard pour elle quand elle nous y attache.
Pour nous préparer au jugement de Dieu, aimons dans les jugements du monde la vérité qui nous corrige, et non pas celle qui nous
flatte ; la vérité qui nous rend humbles, et non pas celle qui nous enfle : l'une, quoique amère et fâcheuse, nous guérira, nous sauvera ; l'autre, par l'abus que nous en ferons, nous corrompra
et nous perdra.
Ne nous figurons point si aisément que le monde ait tort quand il censure notre conduite : le monde, tout décrié qu'il est, ne laisse
pas d'être équitable ; il fait justice à chacun lorsqu'il nous condamne hautement, il est difficile que nous ne soyons pas en effet condamnables.
Pour nous mettre en état de paraître au jugement de Dieu, profitons de la liberté du monde à nous juger. Regardons-la comme un moyen
que Dieu, par sa miséricorde, nous fournit pour nous maintenir dans l'ordre ; tirons-en l'avantage que nous a marqué le grand Apôtre par ces belles paroles : Sicut in die honeste
ambulemus (Rom., XIII, 13.) ; soyons irréprochables dans nos mœurs, et marchons avec bienséance, comme des gens qui marchent durant le jour, et à la vue des hommes qui les observent.
Pour nous trouver purs et sans tache au jugement de Dieu, ayons dans le monde un ami prudent et fidèle, mais en qui la prudence
n'affaiblisse point la fidélité. Choisissons-le entre mille, si nous voulons ; mais choisissons-le pour la réformation de notre vie, et non point seulement pour une vaine consolation.
Engageons-le à nous parler sans déguisement il de bonne foi. Dissuadons-le de la pensée où il pourrait être, que nous attendons de sa part une complaisance aveugle. Tâchons, au contraire, à le
bien convaincre que nous ne lui saurons jamais gré de sa complaisance ; et que quand la sincérité de son zèle irait jusques à la dureté, nous aimerons toujours mieux, après tout, sa dureté même
que sa mollesse.
Si le monde est un censeur sévère, édifions-nous de la sévérité de sa censure.
Adorons la Providence, et bénissons-la de ce que le vice n'a pas encore prévalu jusqu'à obtenir du monde qu'il lui fît grâce.
Attendons encore moins de grâce au tribunal de Dieu ; et dans cette pensée, tâchons, dès cette vie, à le toucher en notre faveur et à le fléchir. Si le monde est un censeur public, et si nous
avons tant de peine à porter cette censure publique du monde, jugeons quelle sera cette confusion universelle des réprouvés au jugement de Dieu, et ne craignons point maintenant de déposer dans
le sein d'un confesseur qui seul nous écoute, et d'effacer par la pénitence ce qui ferait notre honte dans l'assemblée générale de tous les hommes.
Car voilà, mon Dieu, les saintes règles que vous nous prescrivez : règles dont notre orgueil et notre délicatesse ne s'accommodent
pas, mais que nous inspire une humilité et une sagesse chrétienne ; règles que vos Saints ont de tout temps observées, et que nous devons suivre nous-mêmes.
Jugement du monde, premier préjugé du jugement de Dieu.
Jugement de notre propre conscience, second préjugé du jugement de Dieu, et le sujet de la seconde partie.
BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT
DERNIER
Portrait d'homme, Philippe de Champaigne, Musée du
Louvre