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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






Yahad-In Unum

   

Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

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SALVE REGINA

24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 05:00

Voilà dans ses exemples le précis et l'abrégé de sa morale, de cette morale également ennemie de tout excès, soit de relâchement, soit de rigueur ; de cette morale qui ne ménage et ne flatte personne, mais aussi qui ne décourage et ne rebute personne ; de cette morale qui joint si bien ensemble, et toute la douceur, et toute la perfection de la loi évangélique. 

BOURDALOUE

 

 

Les évêques, dit saint Denis, sont les princes de la hiérarchie ecclésiastique ; il leur appartient donc de perfectionner les fidèles, comme les anges dans la hiérarchie céleste, perfectionnent ceux qui leur sont inférieurs. De là vient, ajoute saint Thomas, l'obligation indispensable qu'ont les évêques d'être parfaits, puisqu'il n'est pas possible, au moins dans l'ordre naturel des choses, qu'ils communiquent aux autres, par leur action, ce qu'ils n'ont pas eux-mêmes. Cette vérité, dont les exemples particuliers ne nous convainquent pas toujours, se trouve pleinement justifiée dans notre illustre prélat. Il a été choisi de Dieu pour répandre l'esprit de piété dans tout le corps de l'Eglise, et il l'a fait par trois excellents moyens : par la douceur de sa doctrine, par la douceur de sa conduite, par la douceur de ses exemples. C'est ce qui l'a élevé à un si haut rang, et placé, comme l'Agneau de Dieu, sur la sainte montagne : Et vidi, et ecce Agnus stabat supra montem Sion (Apoc, XIV, 1.).

 

La piété tire un merveilleux secours de la doctrine, mais toute doctrine n'est pas propre à la piété. Sans parler de la fausse doctrine qui séduit, de la mauvaise doctrine qui corrompt, de la doctrine profane qui enfle, il y en a d'autres qui, toutes bonnes et toutes saintes qu'elles sont, ou surpassent l'esprit par leur élévation, ou l'épuisent par leur subtilité, ou l'accablent par leur rigueur : les unes l'éclairent sans l'émouvoir ; d'autres le touchent sans l'instruire; celles-ci sont trop mystérieuses, et l'embarrassent ; celles-là trop austères, et le rebutent. Pourquoi, de tant d'éloquentes prédications et de tant de livres remplis de piété, y en a-t-il si peu qui nous l'inspirent ? C'est que la doctrine des hommes parlant et d'un esprit défectueux et d'un sens particulier, elle tient toujours des qualités de son principe, et par conséquent ne peut être ni parfaite, ni universelle ; si elle entre dans un cœur, elle en trouve un autre fermé ; pour un qui la reçoit, cent l'écoutent avec indifférence : au lieu que celle qui vient de Dieu se fait comprendre à tous, et goûter de tous : Et erunt omnes docibiles Dei (Joan., VI, 45.). Or, telle est la merveille que je découvre dans le grand et incomparable François de Sales : sa doctrine est une viande, non de la terre, mais du ciel, qui de la même substance nourrit, aussi bien que la manne, toutes sortes de personnes. Et je puis dire, sans blesser le respect que je dois à tous les autres écrivains, qu'après les saintes Ecritures, il n'y a point d'ouvrages qui aient plus entretenu la piété parmi les fidèles, que ceux de ce saint évêque. Oui, Chrétiens, les Pères ont écrit pour la défense de notre religion, les théologiens pour l'explication de nos mystères, les historiens pour conserver la tradition de l'Eglise ; ils ont tous excellé dans leur genre, et nous leur sommes à tous redevables ; mais pour former les mœurs des fidèles, et pour établir dans les âmes une solide piété, nul n'a eu le même don que l'évêque de Genève. Son introduction seule à la vie dévote, combien a-t-elle converti de pécheurs ? combien a-t-elle formé de religieux ? combien d'hommes et de femmes a-t-elle sanctifiés dans le mariage ? combien, dans tous les états, a-t-elle fait de changements admirables ? Je vous le demande, Chrétiens ; car pourquoi citer ici les souverains pontifes, les cardinaux, les princes et les rois qui lui ont donné tant d'éloges, et pourquoi rapporter un nombre presque infini de miracles que la lecture de ce livre a produits ? Vous l'avez entre les mains ; et une des marques les plus évidentes de son excellence et de son prix, c'est que dans le christianisme il soit devenu si commun. L'avez-vous jamais ouvert sans vous sentir excités à la pratique de la vertu, sans concevoir de saints désirs d'être à Dieu, sans que l'Esprit de grâce vous ait parlé intérieurement, sans que la conscience vous ait fait quelque reproche ? or, ce que vous avez éprouvé, mes chers auditeurs, est une expérience générale et la meilleure preuve que la proposition que j'ai avancée, savoir, que François, par sa doctrine, a répandu dans les cœurs l'esprit de la vraie piété.

 

Mais qu'y a-t-il donc dans cette doctrine qui la rende si universelle et si efficace ? qui fait que ni les savants n'y trouvent rien au-dessous d'eux, ni les faibles rien de trop relevé ; qu'elle convient à toutes sortes de conditions, qu'il n'y a point de tempérament qui n'en ressente l'impression ? C'est, mes Frères, cette douceur inestimable qui faisait distiller de la plume de notre saint évêque, comme des lèvres de l'Epouse, le lait et le miel : Favus distillans labia tua, mel et lac sub lingua tua (Cant., IV, 11.). Voilà ce qui a donné tant de goût pour ses ouvrages aux âmes les plus mondaines et les moins sensibles à la piété. Prenez garde, au reste ; je ne dis pas que la doctrine de François de Sales soit douce dans ses maximes. Il n'y a rien de si difficile dans la loi chrétienne qu'elle n'embrasse, mais en cela même elle est plus conforme à celle de Jésus-Christ. Le Sauveur, remarque saint Augustin, dit que son joug est doux. Jugum meum suave est (Matth., XI, 30.) : pourquoi ? parce qu'il nous impose une charge plus légère ? non sans doute : trois additions à la loi écrite, qu'il exprime en ces termes : Ego autem dico vobis (Ibid., V, 22. ), sont d'une observance plus rigoureuse que tous les anciens préceptes. Le joug du Seigneur est doux, ajoute ce Père, non point à raison de sa matière, car c'est un joug ; mais par la grâce de l'Evangile, qui nous aide à le porter. Ainsi la morale que François a enseignée, est en elle-même une morale sublime et de la plus haute perfection ; mais suivant le dessein de son Maître, il a, par fonction de ses écrits, adouci l'amertume de la croix, que Jésus-Christ avait rendue si désirable et si précieuse, en la détrempant dans son sang. Ah ! Chrétiens, si la morale de ce saint prédicateur, seulement tracée sur le papier, est encore si puissante, que ne pouvait-elle point quand elle était vivante et animée ? et lorsqu'elle partait immédiatement de ce cœur embrasé du zèle le plus pur et le plus ardent, quel feu ne devait-elle pas répandre partout ? De vous dire que François de Sales a été l'oracle de son temps, que Paris l'a admiré, que les parlements de France, par des députations honorables, l'ont recherché pour entendre sa doctrine, qu'il fut l'apôtre de la cour, ce serait peu ; et si vous savez peser les choses au poids du sanctuaire, vous l'estimerez plus sortant de ce grand monde d'admirateurs qui le suivaient en foule, et se retirant dans le désert, c'est-à-dire quittant la cour et Paris, pour consacrer les carêmes entiers aux moindres villes de son diocèse, et aimant mieux, comme Jésus-Christ, prêcher dans les bourgades, que dans Jérusalem. De là même aussi, ces bénédictions abondantes que Dieu donnait à son ministère ; de là ces soupirs que poussaient vers le ciel ses auditeurs, et ces larmes qui coulaient de leurs yeux. De là ces fruits de pénitence qu'il recueillait après ses prédications évangéliques, comme le seul tribut qu'il prétendait tirer de cet emploi : recevant les pécheurs, écoutant leurs confessions, les encourageant et les consolant, leur prescrivant des règles de vie conformes à leur état, et tout cela avec cette sage douceur qui les convainquait, et qui les attachait inviolablement à leurs devoirs. Un des souhaits de saint Fulgence était de voir saint Paul prêchant l'Evangile ; et ne vous sentez-vous pas, Chrétiens, touchés du même désir à l'égard de François de Sales ? Or il est aisé de vous satisfaire : l'évêque de Genève vit encore dans ses écrits, parce qu'il y a laissé tout son esprit : choisissez-le pour votre prédicateur ; en tout temps et en tous lieux vous pouvez l'entendre. Je n'aurai pas peu fait pour votre salut, si je puis vous engager à cette sainte pratique : et cet homme de Dieu aura la gloire de continuer, après sa mort, ce qu'il a si heureusement commencé pendant sa vie, lorsqu'il a établi la piété et le culte de Dieu par la douceur de sa doctrine.

 

Ce sujet est trop vaste, mes chers auditeurs, pour le renfermer dans un seul discours. A cette douceur de la doctrine , François joignit la douceur de la conduite dans le gouvernement des âmes ; et quel nouveau champ s'ouvre devant moi ! que dirai-je des effets merveilleux que produisit dans l'Eglise une telle direction ? Je n'en veux qu'un exemple : il est mémorable. Je parle de ce saint ordre qu'il a institué sous le titre de la Visitation de Marie. Oui, Chrétiens, c'est à la conduite de son instituteur, à cette conduite également religieuse et douce, qu'il doit sa naissance ; c'est sur cette conduite qu'il est fondé, c'est par cette conduite qu'il subsiste. Vous le savez : Dieu choisit l'illustre et vénérable dame de Chantai pour l'exécution de ce grand ouvrage, et l'adressa à François de Sales, auquel il avait inspiré le même dessein. Dès qu'elle a vu ce saint prélat, qu'elle l'a entendu, la voilà d'abord gagnée par l'attrait de sa douceur ; cette femme forte que nous avons enfin trouvée dans notre France : Mulierem fortem quis inveniet (Prov., XXXI, 10.) ? connaît bientôt que son saint directeur agit de concert avec Dieu dans cette affaire : Gustavit et vidit quia bona est negotiatio ejus : cela suffit ; et sans une plus longue délibération, elle se résout à tout entreprendre pour seconder son zèle : Manum suam misit ad fortia. Elle rompt les liens qui la tiennent attachée au monde ; elle quitte sa patrie, et va dans une autre terre planter une nouvelle vigne qui devait fructifier au centuple et se répandre de toutes parts : De fructu manuum suarum plantavit vineam. A peine a-t-elle mis la main à l'œuvre du Seigneur, qu'un nombre de saintes vierges se joignent à elle pour prendre part au travail, et pour s'enrichir de grâces et de vertus : Multœ filiœ congregaverunt divitias. Telle fut l'origine de cet ordre si florissant. Vous me demandez quelle est sa loi fondamentale ? la voici dans les paroles du Sage, au même endroit : Et lex clementiœ in lingua ejus ; une autre version porte , lex mansuetudinis : c'est la loi de douceur, cette loi extraite du cœur de François, pour être gravée dans celui de ses filles en Jésus-Christ ; car il ne fallait pas qu'une si belle vertu mourût dans sa personne : et si le double esprit du Prophète dut être transmis à un autre, il était encore plus important que l'esprit simple et doux de ce glorieux fondateur fût multiplié : Mansuetudo multiplicavit me. Il semble en effet, que dans ces excellentes lettres par où il forma ce cher troupeau dont il était le conducteur, il ne leur recommande rien autre chose que la douceur de l'esprit : cette douceur d'esprit est le sujet ordinaire de ces admirables entretiens que nous lisons, et qu'il avait avec ces âmes prédestinées : à cette douceur d'esprit il rapporte toutes les constitutions de son ordre. Pourquoi, de toutes les congrégations religieuses, celle-ci est-elle spécialement favorisée du ciel ? pourquoi, par un avantage assez rare, lorsque le temps altère tout, croît-elle sans cesse dans la perfection de son institut, au lieu d'en dégénérer ? pourquoi se remplit-elle tous les jours de tant de sujets distingués, et par la splendeur de leur naissance et par le mérite de leurs personnes ? C'est que l'esprit de François y règne, c'est qu'elle est gouvernée par sa douceur. Je ne dis pas ceci, mes très chères Sœurs, pour vous donner la préférence au-dessus de tous les ordres de l'Eglise ; vous les devez honorer, et ce sera toujours beaucoup pour vous d'être les plus humbles dans la maison de Dieu. Mais je vous le dis pour vous faire encore plus aimer cette douceur qui vous doit être si précieuse , puisque c'est l'héritage de votre père, et que vous ne la pratiquerez jamais selon ses règles, sans triompher de toutes les passions, sans acquérir toutes les vertus, et sans vous élever comme lui, jusqu'au sommet de la montagne ou de la sainteté évangélique : Et vidit, et ecce Agnus stabat supra montem Sion , et cum eo centum quadraginta quatuor millia (Apoc, XIV, 1.).

 

Quand le grand évêque de Genève, par la douceur de sa conduite et pour l'avancement de la piété, n'aurait rien fait davantage que d'établir dans le christianisme un ordre où Dieu est si parfaitement et si constamment servi, ne serait-ce pas assez, et ne trouverais-je pas en cela même l'ample matière d'un des plus solides et des plus magnifiques éloges ? Mais non, Chrétiens, Dieu a prétendu de lui, il attend aujourd'hui de moi quelque chose de plus : Dieu, dis-je, a prétendu de lui que, par la douceur de ses exemples, il fit renaître en vous l'esprit de la piété chrétienne ; et Dieu attend encore de moi qu'en vous les proposant, je contribue à une fin si importante. Oubliez, s'il est possible, tout ce j'ai dit, et regardez seulement la vie de François de Sales : c'est un des plus excellents modèles que vous puissiez imiter. Hélas ! mes chers auditeurs, où la piété en est-elle maintenant réduite ? François de Sales lui avait donné du crédit : elle régnait de son temps jusque dans la cour, où il l'avait introduite avec honneur : et présentement n'est-elle pas en quelque sorte bannie de la société des hommes ? Les libertins méprisent insolemment ses maximes, et elle passe parmi ces prétendus esprits forts pour simplicité et pour faiblesse, parce qu'elle nous fait dépendre de Dieu, et qu'elle nous assujettit à la loi de Dieu. Les grands, dont elle devait être autorisée, l'abandonnent, parce qu'elle ne peut compatir avec l'ambition et l'intérêt qui les dominent : tout le reste à peine la connaît-il, tant il est aveugle et grossier : on se contente de vivre, sans penser à vivre chrétiennement. Ce désordre n'est-il pas tel que je le dis ; et si nous avons encore quelque sentiment de religion, n'en devons-nous pas être touchés ? Mais quoi ! mes Frères, ne le corrigerons-nous point, ce désordre si déplorable ; et faisant profession de garder si exactement tous les devoirs où la vie civile nous engage, n'aurons-nous nul soin de cette belle vie qui fait toute la perfection d'un chrétien ? Ah! du moins, considérez ici le modèle que je vous présente : il vous fera voir ce que c'est que la piété ; il vous la fera non seulement estimer, mais aimer. La Providence, qui voulait nous donner François pour exemple, l'a attaché à une vie commune, afin qu'elle n'eût rien que d'imitable : il n'a point passé les mers, pour aller dans un nouveau monde chercher de l'exercice à son zèle : il est demeuré dans sa patrie, mais il y a été prophète et plus que prophète, puisqu'il en a été le salut. Voilà ce que vous pouvez faire par proportion dans vos familles, et n'y êtes-vous pas indispensablement obligés ?

 

François n'a point refusé les bénéfices de l'Eglise : il était plus nécessaire qu'il nous enseignât à les bien recevoir. Voyez s'il y est entré par des considérations humaines, et déplorez les abus et les scandales de notre siècle où ce sont des vues intéressées, des vues ambitieuses qui nous servent de vocation pour tous les états, même les plus saints. De cet exemple vous tirerez deux règles de conduite ; l'une particulière, l'autre générale : car d'abord vous apprendrez en particulier avec quel esprit vous devez approcher de l'autel du Seigneur et paraître dans son sanctuaire ; que c'est le Seigneur même qui doit vous appeler à ce sacré ministère, et non point vous qui ayez droit de vous y porter. Et, par une conséquence plus générale, vous conclurez ensuite que Dieu étant le maître de toutes les conditions, c'est à lui de les partager, à lui de vous les marquer, à lui de vous choisir, sans qu'il vous soit permis de prévenir ou d'interpréter son choix à votre gré. Si ces règles étaient fidèlement observées, nous ne verrions pas dans les bénéfices et les dignités ecclésiastiques tant de sujets qui ne s'y sont ingérés que par la faveur, que par l'intrigue, que par les voies les plus sordides et les plus basses, et nous n'aurions pas encore la douleur de voir dans le monde tant d'hommes sans mérite, sans talent, sans nulle disposition occuper les places les plus honorables et se charger des fonctions les plus importantes.

 

François, en acceptant la dignité épiscopale, ne nous a pas donné le même exemple de renoncement, que plusieurs autres qui ont pris la fuite et se sont cachés dans les déserts pour éviter ou un fardeau, ou un honneur qu'ils craignaient. Mais j'ose dire néanmoins qu'en cela même il a fait quelque chose de plus rare et de plus instructif pour nous : car se trouvant engagé à une Eglise pauvre et désolée dont Dieu lui avait confié le soin, jamais rien ne l'en put séparer. C'était son épouse ; et, toute défigurée qu'elle paraissait à ses yeux, il lui fut toujours fidèle : en sorte qu'il la préféra à tout ce qu'on put lui offrir de plus spécieux et de plus brillant. Un tel exemple n'a-t-il pas je ne sais quoi qui gagne le cœur ? Vous me demandez, Chrétiens, quelle application vous en pouvez faire à vos mœurs ? rien de plus juste et de plus nécessaire à une solide piété. C'est d'aimer la condition où Dieu vous a appelés, quelle qu'elle soit ; de vous y tenir, et de ne chercher rien au delà, persuadés que si vous y suivez les vues de la Providence, si vous y demeurez par l'ordre de Dieu, il n'y a point de condition où vous n'ayez tous les moyens de vous sanctifier. C'est de réprimer ces insatiables désirs qu'inspirent aux âmes mondaines ou l'envie d'avoir, ou l'envie de paraître ; formant toute votre vie sur les grandes maximes du véritable honneur, de la raison, de la foi, et n'écoutant point ces faux principes qu'on se fait dans le siècle et même dans l'Eglise, pour viser sans cesse plus haut, et pour ne mettre jamais de bornes à ses prétentions. Dès que vous saurez ainsi vous fixer, vous ne serez plus si entêtés de votre fortune, si distraits et si dissipés ; vous vous préserverez de mille écueils où l'innocence échoue ; et, plus attentifs sur vous-mêmes, vous serez plus en état de goûter Dieu, et de marcher tranquillement et avec assurance dans ses voies.

 

François, revêtu de l'épiscopat, a fait consister sa perfection dans la pratique des devoirs propres de son ministère, visitant son Eglise, tenant des synodes, conférant les ordres sacrés, instruisant les prêtres, dirigeant les consciences , prêchant la parole de Dieu, administrant les sacrements. En tout cela rien d'extraordinaire, sinon qu'il le faisait d'une manière non ordinaire, parce qu'il le faisait en saint : c'est-à-dire parce qu'il le faisait avec fidélité, descendant à tout, jusques à converser avec les pauvres, et à enseigner lui-même la doctrine chrétienne aux enfants ; parce qu'il le faisait avec assiduité, ayant ses heures, ses jours, tous ses temps marqués, et donnant à chacun ce qui lui était destiné : parce qu'il le faisait avec persévérance et sans relâche, s'élevant au-dessus de tous les dégoûts, de tous les ennuis, de toutes les humeurs, principes de ces vicissitudes et de ces changements perpétuels, qui, selon les différentes conjonctures, nous rendent si différents de nous-mêmes ; parce qu'il le faisait toujours avec une ferveur vive et animée, ne se déchargeant point sur les autres de ce qu'il pouvait lui-même porter : le premier au travail, et le dernier à le quitter ; ne comptant pour rien les fatigues passées, et ne pensant qu'à en prendre de nouvelles et qu'à recommencer : enfin, parce qu'il le faisait avec une droiture et une pureté d'intention qui relevait devant Dieu le prix de toutes choses, même des plus légères en apparence, et leur imprimait un caractère de sainteté, n'ayant en vue que Dieu, que le bon plaisir de Dieu, que l'honneur de Dieu. Ah ! Chrétiens, on se fait tant de fausses idées de la piété ! on la croit fort éloignée, lorsqu'elle est auprès de nous ; on se persuade qu'il faut sortir de son état, et abandonner tout pour la trouver ; et voilà ce qui ralentit toute notre ardeur, et ce qui nous désespère. Mais étudiez bien François de Sales ; c'est assez pour vous détromper. Vous apprendrez de lui que toute votre piété est renfermée dans votre condition et dans vos devoirs. Je dis dans vos devoirs fidèlement observés : ne manquez à rien de tout ce que demandent votre emploi, votre charge, les diverses relations que vous avez plus directement, ou avec Dieu en qualité de ministres des autels, ou avec le public en qualité de juges, ou avec des domestiques en qualité de maîtres, ou avec des enfants en qualité de pères et de mères ; avec qui que ce puisse être, et dans quelque situation que ce puisse être, embrassez tout cela, accomplissez tout cela, ne négligez pas un point de tout cela. Je dis, dans vos devoirs assidûment pratiqués : ayez dans l'ordre de votre vie certaines règles qui distribuent vos moments, qui partagent vos soins, qui arrangent vos exercices selon la nature et l'étendue de vos obligations ; tracez-les vous-mêmes, ces règles, ou, pour agir plus sûrement et plus chrétiennement, engagez un sage directeur à vous les prescrire, et faites-vous une loi inviolable de vous y soumettre. Je dis, dans vos devoirs constamment remplis : avancez toujours dans la même route sans vous détourner d'un pas; et malgré l'ennui que peut causer une longue et fatigante continuité, n'ayez pour mobiles que la raison et la foi, qui chaque jour sont les mêmes, et qui chaque jour, autant qu'il vous convient, vous appliqueront aux mêmes œuvres. Je dis, dans vos devoirs gardés avec une sainte ardeur ; non pas toujours avec une ardeur sensible, mais avec une ardeur de l'esprit, indépendante des sentiments et au-dessus de tous les obstacles. Enfin, je dis, dans vos devoirs sanctifiés par la droiture de votre intention : tellement que, dégagés de tout autre intérêt et de tout autre désir, vous ne soyez en peine que de plaire à Dieu, et ne vous proposiez que de faire la volonté de Dieu.

 

Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, ce que vous enseignera le saint directeur dont vous venez d'entendre l'éloge, et dont je voudrais que les leçons fussent gravées dans votre souvenir avec des caractères ineffaçables ; voilà dans ses exemples le précis et l'abrégé de sa morale, de cette morale également ennemie de tout excès, soit de relâchement, soit de rigueur ; de cette morale qui ne ménage et ne flatte personne, mais aussi qui ne décourage et ne rebute personne ; de cette morale qui joint si bien ensemble, et toute la douceur, et toute la perfection de la loi évangélique.

 

Vous me direz qu'on ne voit point là ni de rigoureuses pénitences à pratiquer, ni de grands efforts à soutenir : j'en conviens ; mais j'ajoute et je réponds, que c'est cela même qui en fait l'excellence et qui nous en doit donner la plus haute estime. Car c'est là que, sans qu'il paraisse beaucoup de mortifications, on a sans cesse à se mortifier ; que, sans croix en apparence, on trouve sans cesse à se crucifier ; que, sans nulle violence au dehors, il faut sans cesse se vaincre et se renoncer. Et je vous le demande en effet, Chrétiens, pour s'assujettir, comme François de Sales, à une observation exacte et fidèle, à une observation pleine et entière, à une observation constante et assidue, à une observation sainte et fervente des devoirs de chaque état, quelle attention est nécessaire ? quelle vigilance et quels retours sur soi-même ? et pour se maintenir dans cette attention et cette vigilance continuelle, de quelle fermeté a-t-on besoin, et en combien de rencontres faut-il surmonter la nature, captiver les sens, gêner l'esprit ? D'ailleurs, combien de devoirs difficiles en eux-mêmes et très onéreux ? combien qui nous exposent à mille contradictions et à mille combats ! combien dont on ne peut s'acquitter sans se faire la victime du public, la victime du bon droit, la victime de l'innocence ? combien qui demandent le plus parfait désintéressement, le sacrifice le plus généreux de toutes les inclinations, de toutes les liaisons du sang et de la chair ? Et comme tout cela se fait selon les obligations ordinaires de la condition, et n'a pas un certain faste, ni un certain brillant que la singularité donne à d'autres œuvres, quelle doit être la force et la pureté de nos sentiments, lorsque, sans nul soutien extérieur, sans nul éclat et sans nulle vue de paraître, la seule religion nous anime, la seule équité nous sert d'appui, le seul devoir nous tient lieu de tout ! Ah ! mes chers auditeurs, entrons dans cette voie, et ne craignons point qu'elle nous égare. C'est la voie la plus droite et la plus courte ; elle est ouverte à tout le monde, et François a eu la consolation d'y attirer après lui une multitude innombrable de fidèles. Si, par une dangereuse illusion, elle ne nous semble pas encore assez étroite, c'est que nous n'y avons jamais bien marché, et que nous ne la connaissons pas. Faisons-en l'épreuve ; et quand, après une épreuve solide, nous la trouverons trop large, alors il nous sera permis de chercher une autre route, et d'aspirer à une plus sublime perfection.

 

Vous cependant sur qui Dieu répandit sa lumière avec tant d'abondance, et qui nous l'avez communiquée avec tant de charité, fidèle et zélé pasteur des âmes, grand saint, recevez les honneurs solennels que vous rend aujourd'hui tout le peuple chrétien. Recevez les hommages que toute la France vous offre, comme autant de gages de sa reconnaissance (le P. Bourdaloue lit ce sermon pour la cérémonie de la canonisation de saint François de Sales). Elle sait ce qu'elle doit à vos soins, et elle tâche, dans cette cérémonie, à s'acquitter en quelque sorte auprès de vous. C'est elle qui, la première, vous avait déjà canonisé par la voix publique, et c'est elle qui vient enfin de consommer l'ouvrage de votre canonisation par la voix de l'Eglise. C'est à la requête de son roi, à l'instance de ses prélats, à la sollicitation de tout son clergé, que vous avez été proclamé saint. Il était juste qu'elle vous rendît, autant qu'elle le pouvait, devant les hommes, ce que vous lui avez donné devant Dieu. Pendant votre vie, vous avez travaillé à la sanctifier : il était juste qu'après votre mort elle travaillât à faire déclarer authentiquement et hautement votre sainteté. Recevez en particulier les hommages que je vous présente, comme membre d'une compagnie à qui l'éducation de votre jeunesse fut confiée, dans les mains de qui vous remîtes le plus précieux dépôt de votre conscience, et qui eut enfin la consolation de recueillir vos derniers soupirs, et de conduire votre bienheureuse âme dans le sein de Dieu.

 

Du reste, mes chers auditeurs, entrons tous dans l'esprit de cette solennité. Qu'est-ce que la canonisation d'un saint ? Un engagement à acquérir nous-mêmes, avec la grâce et le secours de Dieu, toute la sainteté qui nous convient. Car célébrer la canonisation d'un saint, c'est professer que la véritable gloire consiste dans la sainteté, qu'il n'y a rien de grand et de solide dans le monde que la sainteté, que toute la félicité et tout le bonheur de l'homme est attaché à la sainteté. Or, je ne puis professer tout cela sans me sentir excité fortement, et sollicité à la poursuite de la sainteté ; et je me condamne moi-même par ma propre confession, si, reconnaissant tout cela, je n'en ai pas plus de zèle pour ma sanctification. Il n'est pas nécessaire que nous soyons canonisés dans l'Eglise, comme François de Sales ; mais il est d'une nécessité absolue que nous soyons saints, par proportion, comme lui. Nous trouverons dans sa doctrine de quoi nous éclairer, dans sa conduite de quoi nous régler, dans ses exemples de quoi nous animer, et dans la gloire où il est parvenu, de quoi éternellement et pleinement nous récompenser.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA CANONISATION DE SAINT FRANÇOIS DE SALES

 

Saint François de Sales écrivant l'Introduction à la Vie

Saint François de Sales écrivant l'Introduction à La Vie Dévote, église Saint-Pierre, Vaux-Saules

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23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 17:00

Il a été l'apôtre de la Savoie, l'oracle et le prédicateur de la France, le modèle des prélats, le protecteur des intérêts de Dieu dans les cours des princes, le fléau de l'hérésie, le défenseur de la vraie religion, le père d'un ordre florissant, en un mot, l'ornement de notre siècle.

BOURDALOUE

 

 

In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum.

Dieu l'a fait saint par l'efficace de sa foi et de sa douceur. (Ecclésiastique, cap. XLV, 4.)

 

C'est la conclusion de l'éloge que l'Ecriture sainte a fait de Moïse : mais il semble qu'en faisant cet éloge, elle ait eu au même temps en vue le glorieux saint François de Sales, dont nous célébrons la fête ; et je n'aurais qu'à suivre dans le texte sacré le parallèle de ces deux grands hommes, pour satisfaire pleinement à ce que vous attendez de moi, et pour vous donner une haute estime de celui que vous honorez en cette église. Car prenez garde, s'il vous plaît : le Saint-Esprit, entreprenant soi-même de canoniser Moïse, dit que ce saint législateur eut une grâce spéciale pour être chéri de Dieu et des hommes : Dilectus Deo et hominibus (Eccles., XLV, 1.) ; que sa mémoire est en bénédiction : Cujus memoria in benedictione est ; que Dieu l'a égalé dans sa gloire aux plus grands saints : Similem illum fecit in gloria sanctorum ; que par la vertu de ses paroles il a apaisé les monstres : Et in verbis suis monstra placavit ; que le Seigneur l’a glorifié en présence des rois : Glorificavit illum in conspectu regum ; qu'il lui a confié la conduite et le gouvernement de son peuple : Et jussit illi coram populo suo ; qu'il l'a établi pour enseigner à Israël et à Jacob une loi dont la pratique doit être une source de vie : Et dedit illi legem vitœ et disciplinœ ; mais surtout qu'il l'a fait saint en considération de sa foi et de sa douceur : In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum.

 

Je vous demande, Chrétiens, si vous ne reconnaissez pas à tous ces traits le grand évêque de Genève, et si, dans le dessein que j'ai de lui en faire l'application, vous ne m'avez pas déjà prévenu ? Un saint chéri de Dieu et des hommes, un saint dont la mémoire est partout en bénédiction, un saint qui a dompté les monstres de l'hérésie et du schisme, un saint respecté et honoré des monarques de la terre, un saint qui n'est entré dans le gouvernement de l'Eglise que par l'ordre exprès de Dieu, un saint qui a instruit tout le monde chrétien des devoirs de la véritable piété, un saint instituteur et auteur de cette admirable règle qui a sanctifié tant d'épouses de Jésus-Christ, mais particulièrement un saint canonisé pour l'excellent mérite de sa douceur : In lenitale ipsius sanctum fecit illum : encore une fois, mes chers auditeurs, n'est-ce pas l'incomparable François de Sales ?

 

Arrêtons-nous là : c'est la plus juste et la plus parfaite idée que nous puissions concevoir de cet homme de Dieu. Il a été l'apôtre de la Savoie, l'oracle et le prédicateur de la France, le modèle des prélats, le protecteur des intérêts de Dieu dans les cours des princes, le fléau de l'hérésie, le défenseur de la vraie religion, le père d'un ordre florissant, en un mot, l'ornement de notre siècle : mais nous comprendrons tout cela en disant que ce fut, comme Moïse, un homme doux, et par sa douceur capable, aussi bien que Moïse, de faire des prodiges. Douceur évangélique, aimable caractère de notre saint, qui fera le sujet, non seulement de son panégyrique, mais de votre instruction et de la mienne : car à Dieu ne plaise que je sépare l'un de l'autre, ni que je prétende aujourd'hui louer ce saint évêque, uniquement pour le louer et pour l'élever ; son éloge doit être notre édification et tout ensemble notre confusion : l'édification de notre foi, et la confusion de notre lâcheté. C'est ici un saint de nos jours, et par là même plus propre à faire impression sur nos cœurs ; un saint dont les exemples encore récents ont je ne sais quoi de vif, qui nous anime et qui nous touche. Il ne s'agit donc pas de lui rendre un simple culte ; il s'agit de nous former sur lui, comme il s'est lui-même formé sur le Saint des saints, qui est Jésus-Christ ; et voilà pourquoi nous avons besoin du secours du ciel. Demandez-le par l'intercession de la Reine des vierges : Ave, Maria.

 

Je trouve que ce saint prélat a été choisi de Dieu pour deux fins importantes, qui ont également partagé sa vie et ses glorieux travaux : premièrement, pour combattre et détruire l'hérésie ; secondement, pour rétablir la piété chrétienne presque entièrement ruinée. Il a fait pour l'un et pour l'autre tout ce qu'on pouvait attendre d'un homme apostolique ; et il a eu des succès que nous aurions peine à croire, si les témoignages encore vivants, avec le consentement public, n'en étaient une double conviction. Mais je prétends que c'est à sa douceur que ces bénédictions du ciel doivent être singulièrement attribuées.

 

Voici donc le partage de ce discours : François, par la force de sa douceur, a triomphé de l'hérésie : c'est le premier point ; François, par l'onction de sa douceur, a rétabli la piété dans l'Eglise : c'est le second point. Tous deux feront le sujet de votre attention.

 

De dire que la Providence ait permis la propagation de l'hérésie dans le diocèse de Genève, pour donner à François de Sales une matière de triomphe, c'est une pensée, Chrétiens, qui n'est pas hors de toute vraisemblance, et qui peut absolument s'accorder avec les secrets et adorables conseils de la prédestination divine. J'aime mieux dire néanmoins (et ce sentiment est plus conforme à la conduite ordinaire du ciel), que, supposé le désastre de ces peuples voisins de la France, Dieu suscita cet homme apostolique pour être tout ensemble et leur prince et leur pasteur ; de même qu'autrefois il suscita David en faveur des Israélites :Et suscitabo pastorem unum, servum meum David; ipse erit princeps in medio eorum (Ezech., XXXIV, 24.). Vous savez en quel état se trouvait réduit ce pays infortuné, quand Dieu usa en vers lui de cette miséricorde. Genève, dont la seigneurie avait été contestée pendant plusieurs siècles entre les évêques et les Genevois, était à la fin devenue sujette de l'hérésie. Depuis soixante ans elle avait secoué le joug des puissances de la terre et du ciel, pour se soumettre à celle de l'enfer ; la religion nouvelle de Calvin s'y était retranchée comme dans son fort ; et la France avait eu au moins le bonheur de pousser ce poison hors de son sein, après l'y avoir malheureusement conçu, Dieu ne voulant pas que ce royaume très-chrétien fût le siège et le rempart de l'erreur. C'était un triste spectacle de voir tous les environs de Genève, c'est-à-dire des provinces entières, embrasées du même feu que cette ville infidèle : plus de loi, ni de prophète ; les pierres du sanctuaire étaient dispersées, les temples détruits ou profanés. Jérusalem ne fut jamais plus digne de larmes, car elle n'avait été violée que par ses ennemis : Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus (Jerem. Thren., I, 10.) ; au lieu que Genève, selon l'expression d'Isaïe, était infectée de ses propres habitants : Terra infecta est habitatoribus suis (Isa., XXIV, 5.). Eux-mêmes avaient porté les mains sur l'autel du Seigneur, pour le renverser ; eux-mêmes avaient aboli les sacrifices, et rompu l'alliance que Dieu avait faite avec leurs pères : Quia transgressi sunt leges, dissipaverunt fœdus sempiternum (Ibid., III, 5.). Or, qui réparera ces ruines ? ne faut-il pas la force d'un conquérant, pour purger cette terre de tant de monstres ? Non, il ne faut que la douceur de François de Sales.

 

Il me semble que j'entends les anges tutélaires de Genève, qui en font à Dieu la demande et le vœu public, en lui adressant ces belles paroles de l'Ecriture : Emitte Agnum, Domine, dominatorem terrœ (Ibid., XVI, 1) ; Seigneur, vous vous voyez ici désormais comme dans une terre étrangère, depuis qu'elle n'est plus de votre obéissance ; envoyez au plus tôt l'Agneau que vous avez choisi, pour la soumettre et pour y rétablir votre empire. Dieu les exauce, mes chers auditeurs : François, quoique l'aîné d'une illustre maison dont il devait être l'appui, éclairé des lumières du ciel, abandonne tous les avantages de sa naissance, renonce même à son patrimoine, pour se consacrer et pour donner ses soins à l'Eglise de Genève. Le duc de Savoie forme un dessein digne de sa piété : ce prince entreprend la conversion de ce grand diocèse, et François le seconde dans cette entreprise. Il en reçoit la mission de son évêque, qui put bien lui dire en cette rencontre ce que le Sauveur disait à ses disciples : Ecce ego mitto vos sicut agnos inter lupos (Luc, X, 3.) ; Je vous envoie comme un agneau au milieu des loups. Le Saint-Siège autorise ce choix ; et afin qu'il soit encore plus authentique, le nouvel apôtre est nommé successeur à l'évêché de Genève. Dignité qu'il ne cherche point et qu'il ne refuse point : qu'il ne cherche point, parce que c'est un titre d'honneur ; mais aussi qu'il ne refuse point, parce qu'il l'envisage comme un moyen que la Providence lui fournit, pour travailler plus efficacement à la destruction de l'hérésie. Ainsi, Chrétiens, le voilà, cet agneau choisi de Dieu pour exercer sur ces peuples égarés une domination aussi puissante que sainte. Oui, Genève lui obéira ; il est son prince, et elle relève de lui ; il est son pasteur, et elle est son troupeau ; les droits qu'il a sur elle ne souffrent point de prescription ; tant qu'elle portera le caractère du baptême, elle n'effacera jamais les marques de sa dépendance. Si les armes de la Savoie n'ont rien pu sur elle, il faut qu'elle soit vaincue par la douceur de François de Sales.

 

Il entre, mes chers auditeurs, dans cette vigne désolée, qui refleurit à sa vue pour porter bientôt des fruits de grâce ; il y marche, mais comme un géant ; autant de pas qu'il fait, autant de conquêtes. Partout il arbore l'étendard de la vraie religion ; partout on ne voit que des églises renaissantes ; partout les saints, dégradés, pour ainsi dire, et privés du culte qui leur est dû, sont rétablis dans leurs anciens titres et dans tous leurs honneurs. Chaque jour ramène de nouveaux sujets à Jésus-Christ, et chaque jour grossit la moisson que François prend soin de recueillir. Ah ! Chrétiens, que ne peut point un homme possédé de l'Esprit de Dieu, et libre des intérêts de la terre ! Vous savez combien la conversion d'une âme engagée dans l'erreur, est un ouvrage difficile ; ce retour du mensonge à la vérité, surtout dans un esprit opiniâtre, est mis au nombre des miracles, tant il est rare. Rappeler un homme du péché à la grâce, c'est beaucoup, disait Pierre de Blois ; de l'idolâtrie païenne le convertir à la connaissance d'un Dieu, c'est quelque chose de plus ; mais de l'hérésie embrassée volontairement et défendue avec obstination, le faire revenir à la créance orthodoxe et catholique, c'est une espèce de prodige. Nous avons bien vu des peuples, dit un savant historien, quitter tout d'un coup la superstition pour se soumettre à la foi chrétienne, un Xavier a de la sorte converti lui seul des millions d'âmes ; l'hérésie a eu ses décadences , tantôt par la succession des temps, comme la pélagienne, tantôt par le changement des états, comme l'arienne, quelquefois par la force des armes, comme plusieurs autres : mais que des provinces entières, sans autre secours que celui de la parole, aient été réduites d'une créance hérétique à l'obéissance de la foi, c'est ce que nous ne lisons point dans l'histoire de l'Eglise. Non, mes chers auditeurs, on ne le lisait point avant que l'homme de Dieu, François de Sales, eût opéré cette merveille : elle était réservée à nos jours, ou plutôt à sa vertu ; car il est vrai que jamais apôtre ne travailla avec de plus prompts et de plus merveilleux succès. A peine eut-il prêché dans Thonon, ville du Chablais, que plus de six cents personnes ouvrirent les yeux et renoncèrent à l'erreur qui les aveuglait. Le démon de l'hérésie fuit de toutes parts, et le zélé prédicateur de la vérité le poursuit jusque dans Genève, où ce fort armé régnait en paix ; l'enfer est confondu, ses ministres mêmes sont ébranlés ; François les gagne, et en fait des ministres de l'Evangile.

 

Dispensez-moi, Chrétiens, de vous dire en détail tous les avantages qu'eut ce saint prélat, et qu'il remporta sur l'hérésie : ce qui n'a pas épuisé sa charité, lasserait peut-être votre patience. Tout le Chablais fut étonné de se voir catholique, mais d'un élonnement bien plus heureux que celui dont le monde, selon les termes de saint Jérôme, fut autrefois surpris en se voyant arien. Genève est forcée de payer le juste tribut d'un grand nombre de ses citoyens, qui discernent enfin la voix de leur pasteur. De tous les endroits de la France l'hérésie vient lui faire hommage, et presque tous ceux de ce royaume qui pensent à leur conversion, vont chercher l'évêque de Genève ; il y dispose, par ses soins, l'un des plus grands hommes de notre siècle, le connétable de Lesdiguières ; et, pour vous faire voir que je ne dis rien qui ne soit établi sur les preuves les plus certaines, je vous prie de remarquer que ce n'est point ici un sujet dont la vérité puisse être altérée ou par l'éloignement des lieux, ou par l'antiquité des faits : je parle suivant la déposition publique et juridique des témoins les plus irréprochables ; témoins oculaires, témoins illustres, et pour leur doctrine et pour leur piété, qui nous apprennent que François de Sales, par l'ardeur de son zèle et ses glorieux travaux, gagna à l'Eglise et convertit plus de soixante-dix mille hérétiques.

 

Mais, dites-moi, Chrétiens, comment s'accomplit ce miracle ? comment François trouva le secret de dompter ces esprits rebelles ? quelles armes il opposa à l'esprit de ténèbres, et de quel charme il usa pour adoucir la fierté de l'hérésie, et pour la rendre traitable ? Ce fut un charme sans doute, mais un charme innocent que lui fournit la sagesse incréée : Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram (Matth., V, 4.). La douceur de son esprit le mit en possession de tant de cœurs ; et si vous m'en demandez la raison, je la donne en deux mots : c'est que, pour exécuter ce grand ouvrage, il fallut souffrir beaucoup, et agir de même : or, ce fut la douceur chrétienne qui lui rendit tout supportable et tout possible : tout supportable, car ce fut une douceur patiente ; tout possible, car ce fut une douceur entreprenante et agissante. D'où je conclus que c'est par cette vertu qu'il a si glorieusement triomphé de l’erreur.

 

Douceur patiente et à l'épreuve de tout. Par combien de calomnies l'enfer s'efforce-t-il de décrier son ministère ? Autant que sa réputation est entière et sainte en elle-même, autant est-elle déchirée par les ennemis de Dieu. Mais ce sont les partisans du mensonge, disait-il ; permettons-leur cette vengeance ; il y a quelque espèce de justice pour eux, et beaucoup de gloire pour nous : aimons-les, et gagnons-les à Dieu ; ils seront les premiers à nous justifier. De là ses propres calomniateurs, en l'outrageant par intérêt, l'aimaient par inclination ; cette inclination, quoique forcée, préparait la voie à François de Sales pour entrer dans ces cœurs endurcis ; et je puis dire que c'était aussi comme la grâce prévenante qui les disposait à se reconnaître et à sortir de leur égarement. Combien d'insultes a-t-il reçues, et combien sa douceur en a-t-elle remporté de signalées victoires sur ceux mêmes qui l'insultaient ? Il veut rétablir l'église de Thonon ; toute la ville se soulève contre lui ; on court aux armes ; les nouveaux convertis les prennent pour sa défense. Ah ! mes chers enfants, s'écrie-t-il en s'adressant à ses défenseurs, vous ne savez pas encore sous quelle loi vous vivez , et de quel esprit vous devez être animés ; en pensant défendre le pasteur, vous allez dissiper le troupeau. L'Eglise est fondée sur la croix, et nous ne pouvons la rebâtir sur un autre fondement : prions pour nos persécuteurs ; c'est ainsi que nous devons les combattre et nous garantir de leurs coups. Evénement merveilleux, Chrétiens ! ces paroles calment l'orage de la sédition ; François fait avec solennité l'ouverture de son église ; trois bourgades entières viennent, par leur présence et par leur soumission, la consacrer ; et sa douceur opère ce qu'on n'eût pu espérer de la violence. Seigneur, disait David, vous m'avez donné un bouclier de salut : Clypeum salutis (2 Reg., XXII, 36.) (c'était après avoir échappé à mille périls) ; cet esprit débonnaire et doux que vous m'avez inspiré ne m'a pas seulement préservé de mes ennemis, il a même multiplié le nombre de mes sujets : Mansuetudo multiplicavit me (Ibid.). N'est-ce pas François de Sales qui parle, mes chers auditeurs, ou ne pouvait-il pas parler de la sorte, lorsqu'un parti lui ayant dressé des embûches sur le chemin des Anges, il en dressa lui-même d'autres à ses assassins, mais bien différentes ? Ils venaient pour lui ôter la vie, et ils la reçurent de lui ; sa douceur les désarma, les entraîna, et sur l'heure même les arracha à l'hérésie et les éclaira. Je passe tant d'autres exemples où la douceur de notre saint évêque fut toujours victorieuse : douceur, non seulement patiente et souffrante, mais entreprenante et agissante.

 

Il l'a bien fallu, Chrétiens, pour porter les affaires de la religion au point où il les a conduites. Un sage profane s'étonnait autrefois que nos anciens prophètes se fussent trouvés si souvent dans les cours des princes, traitant et conversant avec eux. Pour des hommes du ciel, disait-il, c'était avoir beaucoup de commerce avec la terre. Oui, répond saint Jérôme ; mais ils n'en avaient que pour les affaires de Dieu ; et s'ils les eussent abandonnées, qui en eût pris soin ? L'évêque de Genève a paru dans les palais des grands ; mais comment ? comme un Elie, pour y soutenir les intérêts du Seigneur et de la vraie foi. Je puis même ajouter qu'il y a plus fait par sa douceur, que ce prophète avec son esprit de feu. On n'eût jamais pensé que ce qu'il proposa au conseil de Savoie pour l'extirpation de l'hérésie, dût être agréé : la prudence humaine s'y opposait, et le projet était trop conforme aux maximes de Dieu pour s'accorder avec la politique des hommes. Mais laissez agir François de Sales. Tandis qu'on tient conseil en la présence du duc, il en tient un autre avec Dieu même, et c'est assez ; le sentiment du saint apôtre l'emportera, l'interdit de la nouvelle secte sera publié, les ministres seront bannis, les catholiques maintenus, ceux de Genève exclus de leurs demandes ; tous ces articles arrêtés, ratifiés, exécutés. N'en soyons point surpris : c'est que Dieu, qui tenait en sa main le cœur du prince, l'a remis en celle de François ; et François, par l'impression de sa douceur, lui fait prendre tous les mouvements de son zèle.

 

Mais, ô Providence, que faites-vous ? pendant que la paix entre les couronnes de France et de Savoie favorise la guerre que cet apôtre a faite à l'hérésie, vous laissez une autre guerre s'allumer entre ces deux états, et cette guerre, portée jusque dans le sein de son Eglise, va donner la paix aux rebelles. Avez-vous donc entrepris de troubler vos propres desseins ? Non, Chrétiens ; mais elle veut faire part à la France du bien que la Savoie possédait ; et parce que ce bienheureux prélat est attaché aussi fortement à Genève qu'une intelligence à l'astre qu'elle remue, il faut que les intérêts de ce diocèse l'en séparent, afin qu'il puisse dire avec le Sauveur du monde, en quittant son troupeau : Il est à propos pour vous que je vous quitte : Expedit vobis ut ego vadam (Joan , XVI, 7.). Ce coup sans doute fut un des plus favorables pour la France. Notre invincible héros, Henri le Grand, lit bien des conquêtes sur la Savoie ; mais une des plus avantageuses fut d'attirer à sa cour cet homme de Dieu. II y est conduit par le même esprit qui conduisit Jésus-Christ au désert : l'opinion de sa sainteté, le bruit de ses merveilles préviennent les cœurs en sa faveur ; les peuples le comblent d'honneurs, et Henri, c'est-à-dire le plus grand roi qui portât alors la couronne, n'épargne rien pour lui donner toutes les marques d'une singulière estime. Cet auguste monarque, qui ne prisait que le mérite, et dont le discernement était admirable pour le connaître , découvrit d'abord dans le saint prélat d'éminentes qualités ; et, s'en expliquant un jour : Non, dit-il, je ne connais point d'homme, dans tout mon royaume, plus capable de soutenir les intérêts de la religion et ceux de l'état. Comme la ressemblance forme les liaisons, ce prince, également belliqueux et débonnaire, aima François, en qui il voyait tant de courage à combattre les ennemis de l'Eglise, et au même temps une douceur si engageante : il l'aima, dis-je, jusqu'à l'honorer de sa plus intime familiarité, n'estimant pas qu'il y eût de la disproportion, quand la majesté se trouvait d'une part et la sainteté de l'autre. Les belles espérances de fortune, dira peut-être ici quelque mondain, si ce prélat eût su profiter de son crédit, il pouvait parvenir au plus haut rang. Ce n'étaient pas seulement des espérances, mes chers auditeurs, c'étaient de la part de Henri des preuves affectives d'une bienveillance et d'une magnificence toute royale. Déjà, par son ambassadeur auprès du souverain pontife, il demandait pour François le chapeau de cardinal ; déjà il lui assurait des évêchés de son royaume le premier vacant ; déjà pour l'attacher de plus près à sa personne, il lui offrait le siège de Paris, sous le titre de coadjuteur. La fortune ne lui a donc pas manqué; mais cet homme évangélique se crut obligé, pour l'intérêt de Dieu, de manquer à une si éclatante fortune; et quelque jugement qu'en puisse faire la sagesse du siècle, si François de Sales eût usé de sa faveur suivant les vues du monde, jamais il n'eût eu dans l'estime de Henri la place qu'il y occupait, et nous ne ferions pas aujourd'hui son éloge : c'eût été un grand cardinal, et non un grand saint ; on eût parlé de lui tandis qu'il vivait encore sur la terre, mais maintenant son nom serait dans l'oubli ; au lieu que, par un renoncement si généreux et si rare, il l'a rendu immortel.

 

Ce fut, après tout, un langage bien nouveau à la cour, que celui de François de Sales. Que répondit-il à notre glorieux monarque, et que lui représenta-t-il ? qu'il était à la suite de la cour, non point pour ses propres affaires, mais pour celles de son diocèse ; qu'il serait bien condamnable s'il négligeait les unes pour avancer les autres ; que l'Eglise de Genève était son épouse, et qu'il lui serait d'autant plus fidèle, que c'était une épouse affligée, dont il devait être la consolation et le soutien ; que Dieu l'avait appelé à la conversion de sa patrie, et qu'il mourrait dans la poursuite de ce dessein ; que pour cela il avait besoin de toutes les bontés de sa Majesté, et qu'il n'en attendait nulle autre grâce. Voilà, pour m'exprimer de la sorte, comment les saints font leur cour ; voilà comment les Athanase l'ont faite auprès de Constantin, les Rémi auprès de Clovis, les Thomas auprès de Henri, roi d'Angleterre, toujours pour la gloire de Dieu et la cause de l'Eglise. Grand roi, ajouta François, Dieu vous demande trois choses : le rétablissement de la religion catholique dans le pays de Gex , main-levée de tous les bénéfices usurpés par l'hérésie, et sûreté pour les églises qu'il lui a plu édifier par mes soins. Tous ces chefs étaient importants, Chrétiens ; et je me suis trompé quand j'ai dit que François de Sales n'avait point usé de son crédit : il en eût moins fallu pour s'élever aux plus grandes dignités ; mais possédant le cœur de Henri, que ne pouvait-il pas se promettre et obtenir ? On lui dépêche toutes les expéditions nécessaires : de là il se transporte à Dijon ; il y annonce la parole de Dieu ; et, pour toute reconnaissance, il souhaite que ses lettres soient enregistrées au parlement de Bourgogne : elles le sont. Il retourne en Savoie, il les fait exécuter avec une vigueur tout apostolique : l'hérésie est déconcertée de se voir enlever le patrimoine de l'Eglise, et il triomphe de voir tout le pays de Gex reconquis à Jésus-Christ.

 

Or, encore une fois, qui fit tout cela ? La douceur agissante de notre apôtre. Tel fut le moyen qu'il mit en œuvre pour se rendre maître de tant d'esprits. Est-ce par sa doctrine qu'il persuadait ? il est vrai, c'était un des plus savants prélats de son siècle : sa profonde capacité fut admirée par les premiers hommes du monde, j'entends les cardinaux Baronius et Bellarmin ; le Saint-Siège le consulta sur les points les plus difficiles de notre religion ; il a donné cent fois le défi aux ministres de l'hérésie, et leur fuite n'était pas tant une marque de leur peu de capacité et d'érudition, puisqu'ils passaient pour les plus habiles qui fussent dans leur secte, qu'une preuve de la haute suffisance de François. Mais vous savez la belle parole du grand cardinal Du Perron : J'ai, disait-il, assez de science pour convaincre les hérétiques ; mais l'évêque de Genève a la grâce pour les convertir. Quoi donc ? était-ce une grâce de miracles, comme celle d'un saint Grégoire ? Il en a fait, Chrétiens, et de tels que les plus sévères informations n'ont servi qu'à les autoriser. Quand il n'y en aurait point d'autre, celui-ci serait le plus authentique de tous, d'avoir converti tant d'hérétiques sans miracles. Mais disons toujours, et reconnaissons que c'est sa douceur qui le rendit si habile dans l'art tout divin de gagner les âmes ; c'est elle qui lui concilia les esprits les plus indociles et les plus farouches, pour les ramener à Dieu ; c'est par elle que les hérétiques mêmes, comme Théodore de Bèze, ont été si fortement combattus, que, sans les intérêts humains qui les dominaient, elle les eût soumis ; c'est elle qui tant de fois a engagé les plus obstinés hérétiques à le choisir pour arbitre de leurs différends ; en sorte qu'on peut dire de lui ce que l'Ecriture a dit de Moïse, que ce fut le plus affable, et le plus prévenant, le plus condescendant de tous les hommes qui vivaient sur la terre : Vir mitissimus super omnes homines qui morabantur in terra (Num., XII, 3.). A quoi nous pouvons ajouter que ce fut par là même le plus efficace et le plus heureux dans les saintes entreprises, qu'il a dompté Pharaon, ou plutôt qu'il a dompté l'hérésie, plus intraitable encore que Pharaon, et qu'il a délivré le peuple de Dieu de la servitude, en le réduisant sous l'obéissance de son légitime pasteur.

 

De là, mes chers auditeurs, double instruction pour nous : l'une par rapport à la vraie foi, que François a prêchée et rétablie ; et l'autre, par rapport à la manière dont il l'a prêchée, et au moyen dont il s'est servi pour la défendre et la rétablir. Car apprenons d'abord à estimer notre foi, pour laquelle ce digne ministre du Dieu vivant a si glorieusement combattu. Cultivons-la dans nous-mêmes, comme il l'a cultivée dans les autres : gardons surtout cette importante maxime, qu'il recommandait si souvent, de faire paraître notre foi dans les moindres observances de notre religion, et particulièrement en celles dont l'hérésie a témoigné plus de mépris et plus d'horreur : car ces pratiques, disait-il, supposé les principes de notre créance, sont saintes et vénérables ; il faut donc, autant qu'il nous est possible, les maintenir, et d'autant plus les respecter en les observant, que l'erreur s'est plus attachée à les décrier en les rejetant. Plus elles sont petites, plus elles servent d'exercice à notre soumission et à notre foi : c'est bien mal travailler à la conversion des hérétiques, que d'entrer dans leurs sentiments, sous prétexte de ne retenir que les choses essentielles. Enfin, ajoutait-il, je n'ai jamais vu personne respecter et observer les points les plus légers de la discipline de l'Eglise, qui ne demeurât ferme dans la foi ; mais j'en ai bien vu de ceux qui les négligeaient, se démentir peu à peu, et tomber malheureusement dans l'incrédulité. Voilà pourquoi il faisait état de ces confréries saintement instituées dans l'Eglise, en ayant lui-même établi une sous le titre de la Croix. Plus les novateurs s'efforçaient de décréditer la pratique des vœux, plus il s'appliquait à la relever, s'étant lui-même engagé par voeu à réciter le chapelet tous les jours de sa vie. Plus ils raillaient des jeûnes et des austérités corporelles, plus il en exaltait l'usage. Plus ils se déchaînaient avec fureur contre les ordres religieux, plus il portait leurs intérêts et s'en déclarait le protecteur.

 

Mais, d'ailleurs, quelle autre leçon, que cette douceur dont il assaisonnait toutes ses paroles, tous ses discours, et dont il ne se départit jamais dans toutes les occasions où il eut à traiter avec le prochain ! En cela imitant Dieu même, qui , selon le beau mot du Sage, nous gouverne d'autant plus efficacement qu'il nous conduit doucement : Attingit a fine usque ad finem fortiter, et disponit omnia suaviter (Sap., VIII, 1.) Car, pour développer ce fonds de morale si étendu et si nécessaire dans tous les états, prenez garde, s'il vous plaît, ce n'est point par la souveraineté de son empire que notre Dieu gagne nos cœurs. Il nous fait par là dépendre de lui, mais par là il ne nous attire pas à lui. Ce n'est point par la sagesse de son entendement divin ; il peut bien nous éclairer par là, mais non pas nous toucher. Si donc il s'insinue dans nos âmes et s'il s'en rend le maître, c'est par la douceur de son esprit et de sa grâce. Ainsi, Chrétiens, ce n'est point par la hauteur et par la domination, beaucoup moins par la fierté et l'arrogance, que nous nous concilierons les cœurs de ceux avec qui nous avons à vivre, ou dont la Providence nous a chargés ; ce n'est point par nos belles qualités, ni par tous les avantages de notre esprit, mais par la douceur de notre charité. Nous avons des monstres à combattre, aussi bien que François de Sales : Placavit monstra (Eccli., XLV, 2.) les uns dans nous-mêmes, et les autres dans le prochain. Dans nous-mêmes, ce sont nos vices qui nous corrompent, nos passions qui nous dominent, l'esprit du monde, l'amour du plaisir, le libertinage, l'impiété, l'avarice, l'orgueil, l'ambition. Or, ces monstres domestiques, j'en conviens, c'est par la sévérité que nous devons les exterminer de notre cœur, et les détruire. Soyons sévères alors, et ne nous épargnons point, ne nous flattons point ; notre douceur nous serait pernicieuse, et bien loin d'étouffer nos passions, elle ne servirait qu'à les nourrir et à les fortifier. Mais il y a d'autres monstres que nous devons attaquer dans le prochain, surtout dans ceux avec qui nous avons certains rapports de supériorité, de proximité, d'amitié ; et ces monstres, par exemple, ce sont la colère de l'un, ses emportements et ses violences ; la haine de l'autre, ses animosités et ses ressentiments ; l'humeur de celui-là, ses bizarreries et ses caprices ; les désordres de celui-ci, ses habitudes criminelles et ses débauches : voilà souvent la matière de nos combats. Or, je prétends que dans ces combats vous ne pouvez espérer de vaincre que par la douceur ; vous aurez beau chercher d'autres voies, il en faudra toujours revenir à celle que l'Evangile nous a enseignée : Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram (Matth , V, 4.) ; Heureux ceux qui sont doux et pacifiques, parce qu'ils posséderont la terre, c'est-à-dire parce qu'ils se rendront maîtres des cœurs, et qu'ils les tourneront où il leur plaira. Non, tout autre moyen ne nous réussira pas ; autorité, rigueur du droit, raison, adresse de l'esprit : car les autres ne déféreront pas à nos belles pensées, et ils croiront juger des choses aussi sainement que nous. Nous dirons bien des raisons ; mais on ne prendra pas toujours pour règle notre raison : nous ferons valoir notre autorité ; mais ce ne sera souvent que pour causer de plus grandes révoltes. D'y procéder par la rigueur du droit, c'est s'engager dans des contestations éternelles, dans des examens infinis, et susciter des guerres qui ne s'éteindront jamais. Il ne reste donc que la douceur, qui gagne peu à peu, qui persuade sans dispute, et qui entraîne sans efforts. Apprenez de moi, disait le Sauveur du monde, que je suis doux et humble de cœur ; soyez-le comme moi, et vous entretiendrez le bon ordre et la paix : Discite a me quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris (Matth., XI, 29.). Je sais que pour cela il faudra prendre sur soi, compatir, excuser, dissimuler, céder, condescendre, se soumettre et s'humilier ; et de plus, je sais que tout cela est difficile. Mais voilà pourquoi je vous disais, il y a quelque temps, que la grande sévérité du christianisme consistait dans la pratique de la charité, et que c'était une illusion de la vouloir chercher hors de là, ou de prétendre la trouver sans cela.

 

Saint François de Sales s'est adonné à un continuel exercice de la douceur pour l'intérêt de la foi, et nous devons nous y attacher pour l'intérêt de la charité : car la charité ne nous doit pas être moins précieuse que la foi, et nous ne devons pas moins faire pour l'une que pour l'autre. C'est par la force de sa douceur que François a triomphé de l'hérésie ; et c'est par l'onction de sa douceur qu'il a rétabli la piété dans l'Eglise. Renouvelez, s'il vous plaît, votre attention pour cette seconde partie. 

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA CANONISATION DE SAINT FRANÇOIS DE SALES

   

Saint François de Sales convertissant deux hérétiques

Saint François de Sales convertissant deux hérétiques, Stanislas Auguste Loyer, Chambéry, Musée des Beaux-Arts

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23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 05:00

À Rome, au cimetière majeur sur la voie Nomentane, sainte Émérentienne, martyre.

Martyrologe romain

 

Le catacombe di S. Agnese

Catacombes de Sant'Agnese fuori le mura

Catéchumène, elle est morte martyre, lapidée sur la tombe de sainte Agnès dont elle était la sœur de lait. Elle a été inhumée aux côtés de Sainte Agnès, aux catacombes de la Basilique Sainte Agnès hors les Murs, bâtie sur les lieux de leur martyre : Sainte-Agnès hors les Murs à Rome se trouve au deuxième mile de la Via Nomentana.

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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 05:00

Mémoire de sainte Agnès, vierge et martyre. Au début du IVe siècle, encore jeune fille, elle offrit à Rome le témoignage suprême de la foi et consacra par le martyre la marque de sa chasteté ; car elle triompha tout ensemble et de son jeune âge et du tyran, elle acquit l’admiration générale des peuples et emporta une gloire encore plus grande auprès de Dieu. Elle fut mise au tombeau en ce jour sur la voie Nomentane. 
Martyrologe romain

 

SAINTE AGNES

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 05:00

Il y a certains temps de l'année, certaines fêtes et certains jours où la piété des peuples se réveille, et où ils donnent des marques plus sensibles de leur religion : telle est la fête que nous célébrons aujourd'hui. Il semble qu'a ce grand jour tous les cœurs se raniment ; on voit le tombeau de Geneviève entouré et comme investi de troupes innombrables de suppliants qui se relèvent sans cesse et se succèdent. Le temple qui les reçoit, cet auguste et vénérable monument de la pieuse antiquité, les peut à peine contenir. A l'entrée de cette sainte maison, il n'est point d'âmes si indifférentes qui ne se trouvent ou saisies d'une crainte respectueuse, ou remplies d'une confiance toute filiale.

BOURDALOUE

 

 

 Il est de l'honneur de Dieu que ses serviteurs soient honorés, et qu'après les avoir employés à procurer sa gloire, il prenne soin lui-même de les glorifier. C'est sur quoi le Prophète royal lui disait : Seigneur, vous savez bien rendre à vos amis ce que vous en avez reçu ; et s'ils ont eu le bonheur de vous faire connaître parmi les hommes, ils en sont bien payés par le haut degré d'élévation où vous les faites monter dans le ciel, et même par la profonde vénération où leurs noms sont sur la terre : Nimis honorificati sunt amici tui, Deus (Psal., CXXXVIII, 17.). Or, entre les saints , il semble que Dieu s'attache spécialement à élever ceux qui dans le monde se sont trouvés aux plus bas et aux derniers rangs. Les saints rois, tout rois qu'il ont été, sont moins connus et moins révérés que mille autres Saints qui sont sortis des plus viles conditions et qui ont vécu dans l'obscurité et dans l'oubli. Comme si Dieu, jusque dans l'ordre de la sainteté, se plaisait encore à humilier la grandeur du siècle, et à faire voir une prédilection particulière pour les petits : Et exaltavit humiles (Luc., I, 52.). Ainsi, pour ne me point éloigner de mon sujet, Geneviève, quoique bergère, et rien de plus, a-t-elle été jusqu'à présent honorée, et l'est-elle de nos jours par tout ce qu'il y a de plus auguste et de plus grand ; je veux dire, honorée par les princes et les rois, honorée par les évêques et les prélats de l'Eglise, honorée par les saints, enfin honorée par tous les peuples. Je ne prétends pas m'engager dans un long récit des faits que les écrivains ont recueillis ; en voici quelques-uns des plus marqués, et qui pourront me suffire : écoutez-les.

 

Honorée par les princes et les rois. L'histoire nous apprend combien Chilpéric, l'un des premiers rois de notre France, et encore païen, la respecta jusqu'à lui donner un accès libre dans son palais et au milieu de sa cour ; jusqu'à l'entretenir, à la consulter et à suivre ses conseils ; jusqu'à révoquer un arrêt porté contre des criminels qu'il voulait punir sans rémission, et dont il ne put néanmoins se défendre d'accorder la grâce aux sollicitations de Geneviève. Nous savons quel fut son crédit auprès de Clovis, combien elle contribua à la conversion de ce prince infidèle et de tout son royaume, quelles conférences elle eut sur cette importante affaire avec l'illustre Clotilde, quels moyens elle lui fournit pour l'accomplissement de ce grand dessein, et quel succès répondit à ses vœux et consomma heureusement une si sainte entreprise. On a vu, dans le cours de tous les âges suivants, nos rois eux-mêmes venir à son tombeau, et là, déposer toute la majesté royale pour fléchir les genoux en sa présence, pour lui présenter leurs hommages, pour lui adresser leurs prières, pour reconnaître son pouvoir, et pour lui soumettre en quelque sorte leur couronne et leurs états. Ô triomphe de notre religion ! les tombeaux des rois sont foulés aux pieds, et le tombeau d'une bergère est révéré comme un sanctuaire: pourquoi ? parce que Dieu veut couronner son humilité : Et exaltavit humiles.

 

Honorée par les évêques et les prélats de l'Eglise. Quelle idée en conçut saint Germain, évêque d'Auxerre, et en quels termes s'en expliqua-t-il ? Poussé par l'Esprit de Dieu, il passait en Angleterre pour y combattre l'hérésie victorieuse et triomphante, et pour y établir la grâce de Jésus-Christ contre les erreurs de Pelage ; mais sur sa route, combien s'estima-t-il heureux d'avoir trouvé Geneviève encore enfant ? Avec quelle admiration vit-il dans un âge si tendre une raison si avancée, des lumières si pures, des connaissances si justes, des inclinations si saintes, et une piété si solide et si chrétienne ? De quels éloges et de quelles bénédictions la combla-t-il ? sans égard ni à l'obscurité de sa naissance, ni à la pauvreté de sa famille, de quoi félicita-t-il les parents, et qu'annonça-t-il de la fille pour l'avenir ? Il la considéra et la recommanda comme un des plus précieux trésors que possédât la France, et un des plus riches dons que le ciel eût faits à la terre. Quels témoignages lui rendit le généreux et glorieux évêque de Troyes, saint Loup ? Quels sentiments en eut le véritable et zélé archevêque de Reims, saint Rémi, et que ne puis-je parler de tant d'autres qui, tout pasteurs des âmes qu'ils étaient, ne crurent point avilir leur ministère ni se dégrader, en lui communiquant leurs desseins, en recevant ses avis, en écoutant ses humbles et respectueuses remontrances, en entrant dans ses vues, et profitant, si je l'ose dire, de ses instructions ?

 

Honorée des saints. Je n'en veux qu'un exemple, il est mémorable, et c'est celui du fameux Siméon Stylite. Cet homme tout céleste, cet homme, miracle de son siècle par l'austérité de sa pénitence, du fond de l'Orient et du haut de cette colonne où il n'était occupé que des choses divines, aperçut l'éclatante lumière qui brillait dans l'Occident, connut tout le mérite et toute la sainteté de Geneviève, porta vers elle ses regards, la salua en esprit, et l'invoqua.

 

Enfin, honorée de tous les peuples. Où son nom ne s'est-il pas répandu, et dans quel endroit du monde chrétien n'a-t-il pas été parlé d'elle ? Elle n'était pas encore en possession de cette gloire immortelle dont elle jouit dans le séjour bienheureux, que la voix publique la mit au rang des saints, la béatifia et la canonisa. Le jugement des fidèles prévint le jugement de l'Eglise ; et l'événement nous a bien appris que la voix du peuple était dès lors la voix de Dieu même.

 

Ce n'est pas qu'elle n'ait eu des persécutions à soutenir. Dieu, qui l'avait prédestinée pour la couronner dans le ciel, lui fit éprouver sur la terre le sort de ses élus ; et plus il voulut rehausser l'éclat de son triomphe, plus il exerça sa patience et lui laissa essuyer de violents combats. Nous savons qu'il y eut un temps orageux, où ce soleil parut obscurci, où cette âme si innocente et si nette se trouva chargée des plus atroces accusations et des plus noires calomnies ; où tous les ordres ecclésiastiques et séculiers se tournèrent contre elle ; où sa vertu fut traitée d'hypocrisie et d'illusion ; où les merveilleux effets de son pouvoir auprès de Dieu furent attribués aux sortilèges et à la magie. Nous le savons ; mais aussi n'ignorons-nous pas que le soleil, sortant du nuage qui le couvrait, n'en est que plus lumineux ; et que toutes les suppositions de l'envie, toutes ses inventions contre Geneviève, ne servirent qu'à la relever, qu'à la mettre dans un plus grand jour, et à lui donner une splendeur toute nouvelle. Les évêques se firent ses apologistes ; bientôt les esprits furent détrompés ; le mensonge fut confondu, la vérité tirée des ténèbres qui l'enveloppaient, l'innocence hautement confirmée, et l'incomparable vierge, dont l'enfer avait entrepris de flétrir la mémoire, remise dans son premier lustre, et rétablie dans sa première réputation. Depuis cette victoire que remporta Geneviève, quels honneurs lui ont rendus le ciel et la terre ? le ciel, dis-je, qui nous l'a enlevée, mais afin qu'elle nous devînt, pour ainsi parler, encore plus présente par une protection continuelle ; la terre, où elle répand les saintes richesses qu'elle va puiser dans le sein de la Divinité, et qu'elle nous communique si abondamment. C'est de cette terre d'exil que nous faisons monter vers elle, et que nous lui offrons notre encens.

 

Culte le plus solennel : nous voyons pour cela toutes les sociétés de l'Eglise se réunir, les plus augustes compagnies s'assembler, tout le peuple, grands et petits, paraître en foule, et chacun se faire un devoir de contribuer par sa présence à la pompe de ces cérémonies et de ces fêtes, où, comme l'arche du Seigneur, sont portées avec tant d'appareil les précieuses reliques dont nous avons éprouvé mille fois, et dont tous les jours nous éprouvons la vertu.

 

Culte le plus universel : il y a des dévotions particulières, et propres de certaines âmes, de certains états ; celle-ci est la dévotion commune, de tout sexe, de tout âge, de toute condition.

 

Culte le plus ancien et le plus constant. Tout s'altère et tout se ralentit par le nombre des années. Des pieux exercices que nos pères pratiquaient, combien se sont abolis ou par la négligence de ceux qui leur ont succédé, ou par une prétendue force d'esprit dont on s'est piqué, ou par le dangereux penchant que nous avons à la nouveauté ? mais depuis tant de siècles on a toujours conservé, surtout dans cette ville capitale, les mêmes sentiments à l'égard de Geneviève ; ceux qui nous ont précédés nous les ont transmis ; nous les avons, et nous en ferons part à ceux qui viendront après nous, afin qu'ils les fassent eux-mêmes passer aux autres qui les suivront jusqu'à ta dernière consommation des temps. La face des choses a changé bien des fois ; mais dans les différentes situations des affaires et au milieu de toutes les révolutions, le culte dont je parle a toujours subsisté. La face des choses changera encore : car dans la vie humaine y a-t-il rien qui ne soit sujet aux vicissitudes et aux variations ? mais malgré les variations et les vicissitudes, jugeant de l'avenir par le passé, ce culte, si solidement établi et si profondément gravé dans les cœurs, subsistera. L'hérésie l'a combattu, le libertinage en a raillé ; mais tous les efforts de l'hérésie, toutes les impiétés du libertinage ne lui ont pu donner la moindre atteinte ; il s'est maintenu contre toutes les attaques, et jamais les plus violentes attaques ne l'affaibliront.

 

Culte le plus religieux : il y a certains temps de l'année, certaines fêtes et certains jours où la piété des peuples se réveille, et où ils donnent des marques plus sensibles de leur religion : telle est la fête que nous célébrons aujourd'hui. Il semble qu'a ce grand jour tous les cœurs se raniment ; on voit le tombeau de Geneviève entouré et comme investi de troupes innombrables de suppliants qui se relèvent sans cesse et se succèdent. Le temple qui les reçoit, cet auguste et vénérable monument de la pieuse antiquité, les peut à peine contenir. A l'entrée de cette sainte maison, il n'est point d'âmes si indifférentes qui ne se trouvent ou saisies d'une crainte respectueuse, ou remplies d'une confiance toute filiale. Que de sacrifices offerts au Dieu vivant ! que de vœux présentés à Geneviève ! que de cantiques récités en son honneur ! que de larmes répandues à ses pieds ! Ah ! Chrétiens, que ces sentiments de religion, si ardents et si vifs, ne sont-ils d'ailleurs aussi efficaces et aussi parfaits qu'ils le devraient être ! Mais nous en abusons, et nous les corrompons ; nous allons à Geneviève avec des cœurs tendres pour elle, et durs pour Dieu ; nous demandons à Geneviève qu'elle nous conduise au port du salut où Dieu nous appelle, et nous ne voulons pas prendre la voie que Dieu nous a marquée ; nous apportons auprès des cendres de Geneviève nos péchés pour en obtenir la rémission, et nous ne voulons ni les expier par la pénitence, ni même en interrompre le cours par la réformation de nos mœurs ; nous prétendons honorer Geneviève, sans cesser de déshonorer Dieu et de l'outrager. Comment l'entendons-nous, et par où avons-nous cru jusqu'à présent pouvoir faire une si monstrueuse alliance ?

 

Quoi qu'il en soit, vous voyez dans notre sainte l'accomplissement de cette parole du Saint-Esprit, que la mémoire du juste sera éternelle : In memoria œterna erit justus (Psal., CXI, 7.); au lieu que celle des pécheurs périra et périt en effet tous les jours : Periit memoria eorum (Ibid., IX, 7.). Tant de grands idolâtres de leur grandeur et enflés de leur fortune, étaient recherchés, respectés, redoutés sur la terre, tandis que l'humble Geneviève ne pensait qu'à y servir Dieu ; ils n'étaient attentifs qu'à leur propre gloire, et elle n'était attentive qu'à la gloire de Dieu ; ils ne travaillaient qu'à éterniser leur nom dans le monde, et elle ne travaillait qu'à y rendre le nom de Dieu plus célèbre. Qu'est-il arrivé ? Toute la grandeur des uns s'est évanouie, leur fortune dans un moment a été détruite, ils ont disparu ; et la mort en les faisant disparaître aux yeux des hommes, les a effacés de notre souvenir. Où parle-t-on d'eux ? et si l'on parle de quelques-uns, est-ce pour solenniser leurs fêtes ? est-ce pour chanter publiquement leurs louanges ? est-ce pour implorer auprès de Dieu leur secours ? est-ce pour se prosterner devant leurs tombeaux ? je dis, devant ces tombeaux abandonnés et déserts ; ces tombeaux d'où nous ne remportons qu'une triste et lugubre idée de la fragilité humaine, ces tombeaux où souvent, sans nulle réflexion à celui qu'ils couvrent de leur ombre et qu'ils tiennent enseveli dans les ténèbres, nous allons seulement vanter les ornements qui frappent notre vue, et admirer les inventions de l'art dans la matière qui les compose : voilà, grands du siècle, à quoi se termine cette fausse gloire dont vous êtes si jaloux.

 

Mais la gloire des saints, et en particulier la gloire de Geneviève, est une gloire solide et durable : sans avoir jamais cherché à briller dans le monde, elle y est plus connue et plus révérée que tous les monarques et tous les conquérants du monde. Ce n'est pas que, par rapport au monde, Dieu n'ait laissé et ne laisse encore bien des saints, après leur mort, dans l'état obscur où ils ont voulu vivre ; mais que leur importe que leurs noms soient inconnus aux hommes, lorsqu'ils sont marqués avec les caractères les plus glorieux dans le livre de vie ? leur humilité n'est-elle pas abondamment récompensée par ce poids immense d'une gloire immortelle dont ils sont comblés dans le séjour même de la gloire? C'est à cette gloire, Chrétiens, que nous devons aspirer sans cesse ; c'est à l'égard de cette gloire qu'il nous est permis de penser à nous élever, à nous pousser, à nous avancer. Travaillons-y selon les exemples et sous les auspices de l'illustre Geneviève : selon ses exemples, puisque Dieu nous la propose aujourd'hui comme notre modèle ; sous ses auspices, puisque nous l'avons choisie, et que Dieu lui-même nous l'a donnée pour notre avocate auprès de lui, et notre patronne. Imitons ses vertus, pour nous rendre dignes de sa protection, et servons-nous de sa protection, pour nous mettre en état de bien imiter ses vertus.

 

C'est ainsi que nous aurons part à ses faveurs en cette vie, et à son bonheur dans l'autre.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE 

 

Apothéose de sainte Geneviève 

Apothéose de Sainte Geneviève, Joseph-Ferdinand Lancrenon, Musée du Patit Palais, Paris

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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 05:00

La sage piété de nos pères n'a pas cru pouvoir mieux défendre et conserver cette ville capitale où nous vivons, qu'en la confiant aux soins et la mettant sous la protection de la toute-puissante et glorieuse Geneviève : ceci nous regarde, et demande une réflexion particulière. Dès le temps que la monarchie française prit naissance, Dieu lui désigna cette protectrice. Paris devint dans la suite des siècles une des plus nobles et des plus superbes villes du monde ; et s'il s'est maintenu jusqu'à présent dans cette splendeur, si, malgré les vicissitudes continuelles des choses humaines, il a subsisté et subsiste encore, si mille fois il n'a pas péri ou par le feu ou par le fer, ou par la famine ou par la contagion, ou par la sécheresse ou par l'inondation des eaux, ignorez-vous que c'est à sa bienheureuse patronne qu'il en est redevable ?

BOURDALOUE

 

 

 Je l'ai dit d'abord, Chrétiens, et je dois ici le redire : c'est le propre de Dieu de se servir d'instruments faibles, et souvent même des plus faibles, pour les plus grands ouvrages de sa puissance ; et quand Cassiodore veut faire l'éloge de cette vertu souveraine et sans bornes que nous reconnaissons en Dieu, et qui est un de ses premiers attributs, il ne croit pas en pouvoir donner une plus haute idée, que de s'écrier, en s'adressant à Jésus-Christ : Ô Seigneur ! qui peut douter que vous ne soyez un Dieu, et un Dieu tout-puissant, puisque dans votre sainte humanité, et ensuite dans la personne de vos serviteurs, vous avez rendu les faiblesses et les misères mêmes toutes puissantes ? O vere Omnipotens, qui ipsas miserias fecisti potentes ! Aussi est-ce pour cela que Dieu tant de fois a fait des coups extraordinaires, a opéré des miracles, a triomphé de ses ennemis, non par sa main, mais par la main d'une femme. Est-il question de dompter l'orgueil d'un Holopherne ? il suscite une Judith. Faut-il défaire des armées nombreuses, et les mettre en fuite ? il emploie une Débora. Veut-il sauver tout son peuple, dont on a conjuré la ruine ? il ne lui faut qu'une Esther.

 

Mais voici, Chrétiens, quelque chose de plus surprenant, et qui marque mieux la force de notre Dieu ; car, après tout, ces femmes dont nous parle l'Ecriture, et dont les faits héroïques ont été si hautement loués par le Saint-Esprit, c'étaient des femmes distinguées, des princesses même et des reines, des sujets recommandables selon le monde : Judith possédait de grands biens, Débora jugeait le peuple avec une autorité suprême, Esther se trouvait assise sur le trône. Or, dans ces conditions éminentes, une femme , toute faible qu'elle est, ne laisse pas, sans miracle, de pouvoir beaucoup, et d'être capable d'entreprendre des choses importantes. Mais qu'une bergère, telle qu'était Geneviève, pauvre, dénuée de tout, sans nom, sans crédit, sans appui, demeurant dans son état vil et méprisable, remplisse le monde du bruit de ses merveilles, exerce un empire absolu sur les corps et sur les esprits, dispose, pour ainsi dire, à son gré des puissances du ciel, commande aux puissances de la terre, fasse trembler les puissances de l'enfer, devienne la protectrice des villes et des royaumes, ah ! Chrétiens, c'est un des mystères que saint Paul a voulu nous faire connaître, lorsqu'il a dit: Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia. Et jamais cette parole de l'Apôtre s'est-elle accomplie si visiblement et si authentiquement que dans la personne de cette bienheureuse fille dont nous honorons aujourd'hui la mémoire ?

 

Car, qu'est-ce que la vie de Geneviève, sinon une suite de prodiges et d'opérations surnaturelles, que l'infidélité même est obligée de reconnaître ? Y a-t-il maladie si opiniâtre et si incurable qui n'ait cédé à l'efficacité de sa prière ? et ce don des guérisons, que le maître des Gentils assure avoir été une des grâces communes et ordinaires dans la primitive Eglise, quand et en qui a-t-il paru avec plus d'éclat ? je ne parle pas de ces guérisons secrètes, particulières, faites à la vue d'un petit nombre de témoins, et contre lesquelles un esprit incrédule croit toujours avoir droit de s'inscrire en faux ; mais je parle de ces guérisons publiques, connues, avérées, et que les ennemis mêmes de la foi n'ont pu contester. Ce miracle des ardents, dont l'Eglise de Paris conserve des monuments si certains ; cent autres aussi incontestables que celui-là, qu'il me serait aisé de produire, mais dont je n'ai garde de remplir un discours qui doit servir à votre édification, ne nous marquent-ils pas de la manière la plus sensible quel pouvoir Geneviève avait reçu de Dieu pour tous ces effets de grâces et de bonté qui sont au-dessus de la nature ? Si son corps après sa mort n'a pas prophétisé comme celui d'Elie, ne semble-t-il pas qu'il ait encore fait plus ? n'en est-il pas sorti mille fois une vertu semblable à celle qui sortait de Jésus-Christ même, ainsi que nous l'apprend l'Evangile ? n'est-il pas jusque dans le tombeau une source de vie pour tous ceux qui ont recours à cette précieuse relique ; et les esprits les moins disposés à en convenir, convaincus par leur propre expérience, ne lui ont-ils pas rendu des hommages ? témoin cette action de grâces, en forme d'éloge, qu'Erasme composa, et où il déclara si hautement que notre sainte était après Dieu sa libératrice, et qu'il ne vivait que par le bienfait de son intercession.

 

Il n'y a que pour elle-même, Chrétiens, que Geneviève n'usa jamais de ce don des miracles, qui fut un de ses plus beaux privilèges, ayant passé toute sa vie dans des infirmités continuelles, et voulant en cela se conformer au Sauveur des hommes, à qui l'on reprochait d'avoir sauvé les autres et de ne s'être pas sauvé lui-même. Mais la patience invincible qu'elle fit paraître dans tous les maux dont elle fut accablée, la joie dont elle se sentait comblée en souffrant, cette vigueur de l'esprit qui, dans un corps infirme, la mettait en état de tout entreprendre et de tout exécuter, n'était-ce pas à l'égard d'elle-même un plus grand miracle que tout ce qu'elle opérait de plus merveilleux en faveur des autres ? Et cette vertu de Dieu dont elle était revêtue, ne trouvait-elle pas de quoi éclater, ou , selon le terme de saint Paul, de quoi se perfectionner davantage dans une santé languissante, que dans un corps robuste ? Nam virtus in infirmitate perficitur ( 2 Cor., XII, 9.).

 

A ce don de guérir les corps, ajoutez un autre don mille fois plus excellent, c'est celui de guérir les âmes. Ainsi l'avait prédit le grand évêque d'Auxerre, saint Germain, en disant de Geneviève qu'elle serait un jour la cause du salut de plusieurs ; prédiction vérifiée par l'événement. Combien de pécheurs a-t-elle retirés de leurs voies corrompues, et remis dans les voies de Dieu ? Combien de païens et d'idolâtres a-t-elle éclairés dans un temps où les ténèbres de l'infidélité étaient répandues sur la terre ; et quels fruits ne produisit point son zèle dans ce royaume maintenant très chrétien, mais où l'erreur dominait alors, et était placée jusque sur le trône ? Qui sait combien d'affligés elle consolait, combien de misérables elle soutenait, combien d'ignorants elle instruisait dans ces saintes et fréquentes visites, où tour à tour elle parcourait les prisons, les hôpitaux, les cabanes des pauvres, faisant partout sentir les salutaires effets de sa charité ? Et, sans m'engager dans un détail infini, qui peut dire combien de cœurs, depuis tant de siècles, ont été touchés, pénétrés, gagnés à Dieu, et le sont tous les jours, par la puissante vertu de ses cendres que nous avons conservées, et que nous conserverons comme un des plus riches dépôts ? Vous le savez, Seigneur, vous en avez été témoin, et vous l'êtes sans cesse ; vous savez, dis-je, de quelle onction on est rempli à la vue de ce tombeau, dont vous avez fait notre espérance et notre asile ; vous savez quelles lumières on y reçoit, et quels sentiments on en remporte. Daignez, ô mon Dieu, ne tarir jamais cette source féconde de toutes les bénédictions célestes.

 

Voilà donc, Chrétiens, le miracle que nous ne pouvons assez admirer, et que je vous ai d'abord proposé : Geneviève, assez forte dans sa faiblesse pour fléchir les puissances mêmes du ciel, pour humilier les plus fières puissances de la terre, pour confondre toutes les puissances de l'enfer. Prenez garde : je dis pour fléchir les puissances mêmes du ciel, apaisant, en faveur des hommes, la colère de Dieu, détournant ses fléaux, et l'engageant à suspendre ses foudres prêtes à tomber sur nos têtes ; nous obtenant, après tant de désordres, un pardon que nous n'eussions pas osé demander pour nous-mêmes, et dont l'énormité de nos crimes nous rendait indignes ; nous ouvrant tous les trésors de la divine miséricorde, et la forçant, en quelque sorte, à nous combler de ses richesses.

 

Je dis, pour humilier les plus fières puissances de la terre : le fameux et barbare Attila en fut un exemple mémorable. Ce prince, accoutumé au sang et au carnage, marchait à la tête de la plus nombreuse armée  ; déjà l'Allemagne avait éprouvé les tristes effets de sa fureur ; déjà notre France était inondée de ce torrent impétueux, qui répandait partout devant soi la terreur, et portait le ravage et la désolation. Que lui opposer, et par où conjurer cette affreuse tempête dont tant de provinces étaient menacées ? Sera-ce par les supplications et les remontrances des plus grands hommes, qui, tour à tour, font sans cesse de nouvelles tentatives auprès de ce redoutable conquérant pour le gagner ? Mais, enflé de ses succès, il n'en devient que plus audacieux et plus intraitable. Sera-ce par les menaces et par les promesses ? Mais ses forces, jusque-là invincibles, le mettent en état de ne rien craindre ; et les plus belles promesses ne répondent point encore à son attente, et ne peuvent contenter son insatiable ambition. Sera-ce par la multitude et la valeur des combattants ? Mais tout plie en sa présence, et sur son passage il ne trouve nul obstacle qui l'arrête. Ah ! Chrétiens, l'heure néanmoins approche où ce cruel tyran doit être abattu, et toutes ses forces détruites ; ce tison fumant, pour user de cette expression d'Isaïe, sera éteint : et comment ? C'est assez pour cela de quelques larmes qui couleront des yeux de Geneviève, et qu'elle versera au pied de l'autel. Oui, ces larmes suffisent : l'ennemi se trouble, une subite frayeur le saisit, cette formidable armée est en déroute, et l'orage comme une fumée, se dissipe. Enfin, je dis, pour confondre toutes les puissances de l'enfer : avec quel empire a-t-elle commandé aux démons mêmes, avec quel respect ces esprits de ténèbres ont-ils écouté sa voix, et lui ont-ils obéi ? avec quelle honte ont-ils vu leur domination renversée, et sont-ils sortis des corps, au premier ordre qu'ils en ont reçu ? C'est de quoi nous avons les preuves certaines, et ce qui me fait reprendre avec le Docteur des nations : Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia.

 

C'est pour cela même aussi, mes chers auditeurs, vous le savez, que la sage piété de nos pères n'a pas cru pouvoir mieux défendre et conserver cette ville capitale où nous vivons, qu'en la confiant aux soins et la mettant sous la protection de la toute-puissante et glorieuse Geneviève : ceci vous regarde, et demande une réflexion particulière. Dès le temps que la monarchie française prit naissance, Dieu lui désigna cette protectrice. Paris devint dans la suite des siècles une des plus nobles et des plus superbes villes du monde ; et s'il s'est maintenu jusqu'à présent dans cette splendeur, si, malgré les vicissitudes continuelles des choses humaines, il a subsisté et subsiste encore, si mille fois il n'a pas péri ou par le feu ou par le fer, ou par la famine ou par la contagion, ou par la sécheresse ou par l'inondation des eaux, ignorez-vous que c'est à sa bienheureuse patronne qu'il en est redevable ? Après les secours qu'il en a reçus dans les plus pressantes nécessités, après qu'elle l'a si souvent préservé et des fureurs de la guerre, et de l'ardeur des flammes, et des injures de l'air, et de la stérilité des campagnes, et du débordement des fleuves, les païens auraient érigé Geneviève en divinité : mais vous, mes Frères, mieux instruits, vous vous contentez, et devez en effet vous contenter de la reconnaître pour votre bienfaitrice , de l'honorer et de l'invoquer comme votre avocate auprès du seul Dieu que vous adorez. Protection visible dont nous avons eu et dont nous avons tous les jours les plus éclatants témoignages ; protection invisible, et non moins efficace en mille rencontres sur la personne de nos rois, et sur tout le corps de l'état ; protection, (le dirai-je, mes chers auditeurs, mais n'est-il pas vrai ?) protection d'autant plus nécessaire, que l'iniquité du siècle est plus abondante, et doit plus irriter le ciel contre nous.

 

Car qu'est-ce que cette ville si nombreuse, et quel spectacle présenterais-je à vos yeux, si je vous en faisais voir toutes les abominations ? Qu'est-ce, dis-je, que Paris ? un monstrueux assemblage de tous les vices, qui croissent, qui se multiplient, qui infectent et les petits et les grands, et les pauvres et les riches ; qui profanent même ce qu'il y a de plus sacré, et qui s'établissent jusque dans la maison de Dieu. Ne tirons point le voile qui couvre en partie ces horreurs ; nous n'en connaissons déjà que trop : or, que serait-ce donc, si nous n'avions pas une médiatrice pour prendre nos intérêts auprès de Dieu, et pour arrêter ses coups ? Mais après tout, mes Frères, Dieu ne se lassera-t-il point ? la mesure de nos crimes ne se remplira-t-elle point, et ne pourra-t-il pas arriver que ce secours de Geneviève cesse enfin pour nous ? Quand les Israélites eurent oublié le Seigneur, jusques à faire des sacrifices à un veau d'or, pendant que Moïse était sur la montagne et priait pour eux, l'Ecriture nous apprend que Dieu en fit un reproche à ce législateur : Va, Moïse, lui dit-il, descends de la montagne, et tu verras le désordre de ton peuple ; car c'est ton peuple, et non plus le mien : Vade, descende, peccavit populus tuus (Exod., XXXII, 7.) Ce n'est plus mon peuple, puisqu'il a choisi un autre Dieu, et que, dans l'état de corruption où il est réduit, je ne le connais plus ; mais c'est encore le tien, puisque, tout corrompu qu'il est, tu viens intercéder et me solliciter pour lui. Va donc, et tu seras toi-même témoin de ses dérèglements et de ses excès. Tu te promettais quelque chose de sa piété et de sa religion ; mais tu connaîtras en quelle idolâtrie il est tombé depuis qu'il t'a perdu de vue : après s'être abandonné à l'intempérance, aux jeux, aux festins, à la bonne chère, après s'être plongé dans les débauches les plus impures et les plus abominables, tu verras avec quelle insolence il s'est fait une idole qu'il adore comme le Dieu d'Israël, protestant qu'il n'y a point d'autre divinité que celle-là qui l'ait pu tirer de la servitude ; voilà où en est ce peuple qui t'est si cher : Vade, dascende, peccavit populus tuus. Mais laisse-moi, Moïse, ajoute le Seigneur ; car je vois bien que c'est un peuple indocile et endurci dans son péché : Cerno quod populus iste durœ cervicis sit (Exod., XXXII, 9.) ; ne me parle donc plus en sa faveur, ne t'oppose plus au dessein que j'ai de l'exterminer et de le perdre ; tes prières me font violence : donne-moi trêve pour quelques moments, afin que ma colère éclate : Dimitti me, ut irascatur furor meus (Ibid., 10.). Je sais, Chrétiens, ce que fit Moïse ; qu'il ne se désista pas pour cela de demander grâce ; qu'il conjura Dieu de retenir encore son bras, lui remontrant qu'il y allait de sa gloire, l'intéressant par la considération d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; consentant plutôt à être effacé lui-même du livre de vie, que de voir périr ce peuple, et, par des instances si fortes, faisant enfin changer l'arrêt que la justice divine avait prononcé : mais vous savez que ce ne fut pas sans des suites bien funestes et bien terribles, puisque, outre les vingt-trois mille hommes que Moïse, pour punir ce scandale, fit passer par le fil de l'épée, de tous les autres qui se trouvèrent coupables, il n'y en eut pas un qui entra dans la terre de Chanaan.

 

Faut-il, mes chers auditeurs, que je vous explique cette figure, ou pour mieux dire, cette vérité qui ne vous convient que trop ? n'en faites-vous pas vous-mêmes l'application, et n'en découvrez-vous pas déjà tout le mystère ? Tandis que Geneviève vivait sur la terre, et qu'elle animait le peuple par sa présence et par son exemple, Paris était dans la ferveur, et l'on admirait l'innocence et la sainteté de ce petit nombre de chrétiens qui l'habitaient. Maintenant que la mort nous a ravi ce grand modèle, et que Geneviève est sur la montagne, où elle représente à Dieu nos besoins, nous nous licencions, nous nous faisons des idoles à qui nous présentons notre encens, des idoles d'or, des idoles de chair, et, comme les Israélites, nous nous disons les uns aux autres : Voilà les dieux que nous devons servir : Illi sunt dii tui (Ibid., 7.). Or, sur cela, mes chers auditeurs , le Seigneur, si indignement traité, et si justement courroucé contre nous, n'a-t-il pas le droit de dire à la sainte patronne dont vous implorez auprès de lui l'assistance, ce qu'il disait à Moïse : Vade, descende, peccavit  populus tuus ; Allez, et voyez quel est ce peuple pour qui vous employez avec tant de zèle votre crédit. Que ce soit votre peuple, j'y consens ; mais ce n'est plus le mien, car c'est un peuple idolâtre : idolâtre du monde, qu'il adore comme son Dieu ; idolâtre des faux biens du monde, dont il ne cherche qu'à se remplir par tous les moyens que lui suggère son insatiable convoitise ; idolâtre des grandeurs du monde, où ses ambitieux désirs le font sans cesse aspirer ; idolâtre des plaisirs du monde et des plus infâmes voluptés, où il demeure honteusement plongé. Pourquoi donc vous tenez-vous entre lui et moi ? pourquoi entreprenez-vous de toucher ma miséricorde, et que ne laissez-vous agir ma justice ? Dimitte me, ut irascatur furor meus. Qui doute, encore une fois, Chrétiens, que Dieu ne parle, ou ne puisse parler de le sorte à Geneviève, et qui sait si Geneviève elle-même, indignée que nous secondions si mal ses soins, ne se retirera pas ? si peut-être elle ne se tournera pas contre nous ? car les saints n'ont pas moins de zèle pour la gloire de Dieu, que pour notre salut : qui sait, dis-je, je le répète, qui sait si Geneviève de sa part, ne répondra point à Dieu : Seigneur, vous êtes juste, et tous vos jugements sont équitables ; j'ai veillé sur ce peuple que vous aviez confié à ma garde ; je vous ai mille fois offert pour lui mes vœux, et vous les avez écoutés ; mais c'est toujours un peuple infidèle, un peuple endurci ; j'en ai pris soin, et rien ne le touche, rien ne le guérit : je le remets entre vos mains, et je le livre à vos vengeances ?

 

A Dieu ne plaise, mes chers auditeurs, que nous attirions sur nous une telle malédiction ! Il y a, j'en conviens, une providence de Dieu toute spéciale sur cette ville ; mais aussi cette providence de faveur a ses bornes, qu'elle ne passe point, et hors desquelles elle ne nous suivra point. Geneviève, il est vrai, fait des miracles, mais ces miracles ne doivent point servir à fomenter vos désordres, et à vous autoriser dans votre impénitence. Dès que vous en profiterez pour vous convertir, tout ira bien, et jamais ils ne cesseront ; mais quand vous en abuserez pour pécher avec plus d'impunité, avec plus d'obstination et plus d'audace, ce seraient alors des miracles contre Dieu même ; et qui peut croire que Dieu voulût communiquer à ses saints sa toute-puissance, ou qu'ils voulussent la recevoir, pour en user contre ses propres intérêts ? Que faut-il donc faire ? Imiter la foi de sainte Geneviève, la ranimer dans nos cœurs, la réveiller, cette foi divine : avec cela, si nous ne faisons pas les mêmes miracles que Geneviève a faits, nous en ferons d'autres, c'est-à-dire nous nous convertirons, et nous rentrerons en grâce avec Dieu ; nous guérirons les maladies, non pas celles de nos corps, mais celles de nos âmes, dont les suites sont encore bien plus dangereuses et plus funestes pour nous ; nous confondrons l'enfer, et nous le surmonterons, en nous dégageant, de ses pièges et de la honteuse captivité où il nous tient asservis ; nous chasserons de notre cœur les démons qui nous possèdent, le démon de l'avarice, le démon de l'ambition, le démon de l’impureté ; nous triompherons du monde et de tous ses charmes : car voilà les miracles que Dieu exige de nous, et pour lesquels Jésus-Christ nous a promis sa grâce : Signa autem eos qui crediderint, hœc sequentur : in nomine meo dœmonia ejicient ; super œgros manus importent, et bene habebunt (Marc, XVI, 18.). Aux premiers temps de l'Eglise, tout cela s'accomplissait à la lettre, dans l'ordre de la nature : maintenant que l'Eglise n'a plus besoin de ces témoignages sensibles, tout cela peut s'accomplir en esprit, et dès aujourd'hui s'accomplira, si nous le voulons, dans l'ordre surnaturel. Sans ces miracles, ne comptons point sur la protection de Geneviève : car elle n'est point la protectrice de nos vanités et de notre luxe, de notre mollesse et de nos sensualités, de notre amour-propre et de nos passions.

 

Ah ! grande Sainte, reprenez en ce jour tout votre zèle pour notre sanctification et notre salut ; et dès ce même jour nous reprendrons les voies de notre Dieu, et nous embrasserons une vie toute nouvelle. Comme prédicateur de l'Evangile, je ne viens point ici vous demander pour mes auditeurs, des prospérités temporelles ; c'est ce qui les a perdus en mille rencontres, et ce qui achèverait de les perdre : je ne vous prie point de détourner de nous les fléaux salutaires qui peuvent nous rappeler de nos égarements et nous convertir ; l'effet de cette prière nous serait trop préjudiciable et trop funeste. Mais ce que je vous demande, et ce que doit vous demander tout chrétien éclairé des lumières de la foi, ce sont les grâces de Dieu, ces grâces purement spirituelles, ces grâces fortes et victorieuses, ces grâces propres à nous toucher, à nous avancer, à nous perfectionner. Si les afflictions et les adversités humaines nous sont pour cela nécessaires, j'ose en mon nom et au nom de toutes les âmes vraiment fidèles, vous supplier de nous les obtenir. Agissez contre nous, afin de mieux agir pour nous. Vous connaissez dans Dieu nos véritables intérêts, et nos intérêts sont bien mieux entre vos mains que dans les nôtres.

 

Cependant, Chrétiens, il nous reste à voir comment enfin la bassesse de Geneviève, pour user toujours de cette expression, a été plus honorée que toute la grandeur du monde : c'est le sujet de la troisième partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE 

 

Sainte Geneviève TREVISANI Francesco

SAINTE GENEVIEVE, Francesco Trevisani, Musée des Beaux Arts, Chambéry

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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 05:00

Dieu seul, Chrétiens, est le Père des lumières ; et une créature ne peut être véritablement éclairée, qu'autant qu'elle s'approche de Dieu, et que Dieu se communique à elle. Tel fut aussi le grand principe de l'éminente sagesse qui parut dans la conduite de l'illustre et glorieuse Geneviève.

BOURDALOUE

 

 

Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia, et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, et ea quœ non sunt, ut ea quœ sunt destrueret. 

Dieu a choisi ce qu'il y avait de plus faible dans le monde, pour confondre les forts ; et il a pris ce qu'il y avait de moins noble et de plus méprisable, même les choses qui ne sont point, pour détruire celles qui sont. (Première Epitre aux Corinthiens, chap. I, 28.)

 

Tel est, Chrétiens, l'ordre de la divine Providence, et c'est ainsi que notre Dieu prend plaisir à faire éclater sa grandeur souveraine et sa toute-puissante vertu. Si, pour opérer de grandes choses, il ne choisissait que de grands sujets, on pourrait attribuer ses merveilleux ouvrages ou à la sagesse, ou à l'opulence, ou au pouvoir et à la force des ministres qu'il y aurait employés ; mais, dit l'Apôtre des Gentils, afin que nul homme n'ait de quoi s'enfler d'une fausse gloire devant le Seigneur, ce ne sont communément ni les sages selon la chair, ni les riches, ni les puissants, ni les nobles, qu'il fait servir à l'exécution de ses desseins ; il prend, au contraire, ce qu'il y a de plus petit, pour confondre toutes les puissances humaines ; et, suivant l'expression de l'Apôtre, il va chercher jusque dans le néant ceux qu'il veut élever au-dessus de toutes les grandeurs de la terre : Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia; et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, et ea quœ non sunt, ut ea quœ sunt destrueret.

 

Pensée bien humiliante pour les uns, et bien consolante pour les autres : bien humiliante pour vous, grands du siècle ! tout cet éclat qui vous environne, cette autorité, cette élévation, cette pompe, qui vous distinguent à nos yeux, ce n'est point là ce qui attire sur vous les yeux de Dieu ; que dis-je ? c'est même, selon les règles ordinaires de sa conduite, ce qu'il rejette, quand il veut opérer, par le ministère des hommes, ses plus étonnantes merveilles ; mais au même temps, pensée bien consolante pour vous, pauvres, pour vous, que votre condition a placés aux derniers rangs, pour vous, que l'obscurité de votre origine, que la faiblesse de vos lumières rend, ce semble, incapables de tout. Prenez confiance : plus vous êtes méprisables dans l'opinion du monde, plus Dieu aime à vous glorifier, et à se glorifier lui-même en vous : infirma mundi elegit Deus. En voici, mes chers auditeurs, un bel exemple : c'est celui de l'illustre et sainte patronne dont nous solennisons la fête, et dont j'ai à faire le panégyrique. Qu'était-ce, selon le monde, que Geneviève ? Une fille simple, et dépourvue de toutes les lumières de la science, une fille faible et sans pouvoir, une bergère réduite, ou par sa naissance, ou par la chute de sa famille, au plus bas état. Mais en trois mots, qui comprennent trois grands miracles et qui vont partager d'abord ce discours, je vous ferai voir la simplicité de Geneviève plus éclairée que toute la sagesse du monde : c'est la première partie ; la faiblesse de Geneviève plus puissante que toute la force du monde : c'est la seconde partie ; et, si je puis parler de la sorte, la bassesse de Geneviève plus honorée que toute la grandeur du monde : c'est la troisième partie. Quel fonds, Chrétiens, de réflexion et de morale ! Ménageons tout le temps nécessaire pour le creuser et pour en tirer d'utiles et de salutaires leçons, après que nous aurons demandé le secours du ciel par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Dieu seul, Chrétiens, est le Père des lumières ; et une créature ne peut être véritablement éclairée, qu'autant qu'elle s'approche de Dieu, et que Dieu se communique à elle. Tel fut aussi le grand principe de l'éminente sagesse qui parut dans la conduite de l'illustre et glorieuse Geneviève. C'était une simple fille, il est vrai ; mais, par un merveilleux effet de la grâce, cette simple fille trouva le moyen de s'unir à Dieu dès l'instant qu'elle fut capable de le connaître, et Dieu réciproquement prit plaisir à répandre sur elle la plénitude de ses dons et de son esprit ; voilà ce qui a relevé sa simplicité, et ce qui lui a donné, dans l'opinion même des hommes, cet ascendant admirable au-dessus de toute la prudence du siècle.

 

Il fallait bien que Geneviève,  toute ignorante et toute grossière qu'elle était d'ailleurs, eût de hautes idées de Dieu,  puisque dès sa première jeunesse elle se dévoua à lui de la manière la plus parfaite. Ce fut peu pour elle de dépendre de Dieu comme sujette ; elle voulut lui appartenir comme épouse. Comprenant que celui qu'elle servait était un pur esprit, pour contracter avec lui une sainte alliance,  elle fit un divorce éternel avec la chair ; sachant que par un amour spécial de la virginité, il s'était fait le fils d'une vierge, elle forma, pour le concevoir dans son cœur, le dessein de demeurer vierge ; et, pour l'être avec plus de mérite, elle voulut l'être par engagement, par vœu, par une profession solennelle : car elle était dès lors instruite et bien persuadée de cette théologie de saint Paul, que quiconque se lie à Dieu devient un même esprit avec lui ; et elle n'ignorait pas qu'une vierge dans le christianisme, je dis une vierge par choix et par état, est autant élevée au-dessus du reste des fidèles, qu'une épouse de Dieu l'est au-dessus des serviteurs, ou, pour m'exprimer encore comme l'Apôtre, au-dessus des domestiques de Dieu. C'est dans ces sentiments que Geneviève voue à Dieu sa virginité, et qu'elle lui fait tout à la fois le sacrifice de son corps et de son âme, ne voulant plus disposer de l'un ni de l'autre, même légitimement ; renonçant avec joie à sa liberté, dans une chose où elle trouve un souverain bonheur à n'avoir plus de liberté ; et ajoutant aux obligations communes de son baptême celle qui devait lui tenir lieu de second baptême, puisque, selon saint Cyprien, l'obligation des vierges est une espèce de sacrement qui met dans elles le comble de la perfection au sacrement de la foi.

 

Mais admirons, mes chers auditeurs, l'ordre qu'elle observe en tout cela. Le Saint-Esprit, dans les Proverbes, dit que la simplicité des justes est la règle sûre et infaillible dont Dieu les a pourvus, pour les diriger dans leurs entreprises et dans leurs actions. Or, c'est ici que vous allez voir l'accomplissement de ces paroles de l'Ecriture : Justorum simplicitas diriget illos (Prov., XI, 3.). Geneviève formait un dessein dont les suites étaient à craindre, non seulement pour tout le cours de sa vie, mais pour son salut et sa prédestination : que fait-elle ? parce qu'elle est humble, elle ne s'en fie pas à elle-même ; et parce qu'elle est docile, elle évite cet écueil dangereux du propre sens et de l'amour propre, qui fait faire tous les jours aux sages du  monde tant de fausses démarches, et qui détourne si souvent de la voie du ciel ceux qui croient la bien connaître et y marcher. Pour ne pas s'engager même  à Dieu par un autre mouvement que celui de Dieu, Geneviève consulte les oracles par qui Dieu s'explique ; elle traite avec les prélats de l'Eglise, qui sont les  interprètes de Dieu et de ses volontés : deux grands évêques qui vivaient alors, celui d'Auxerre et celui de Troyes, passant par Nanterre, sa patrie et le lieu de sa demeure, elle va se jeter à leurs pieds, elle leur ouvre son cœur, elle écoute leurs avis ; et parce qu'elle reconnaît que c'est Dieu qui  l'appelle,  elle s'oblige à suivre une si sainte vocation : non seulement elle s'y oblige, mais elle accomplit fidèlement ce qu'elle a promis ; et quelques années d'épreuve écoulées, elle fait, entre les mains de l'évêque de Chartres, ce qu'elle avait déjà fait dans l'intérieur de son âme, je veux dire le sacré vœu d'une perpétuelle virginité ; n'agissant que par conseil, que par esprit d'obéissance, que par ce principe de soumission qui faisait souhaiter à saint Bernard d'avoir cent pasteurs pour veiller sur lui, bien loin d'affecter, comme on l'affecte souvent dans le monde, de n'en avoir aucun ; belle leçon, Chrétiens, qui nous apprend à chercher et à discerner les voies de Dieu, surtout quand il s'agit de vocation et d'état, où tous les égarements ont des conséquences si terribles, et en quelque manière si irréparables pour le salut ; instruction nécessaire pour notre siècle, où l'esprit de direction abonde, quoiqu'en même temps il soit si rare ; où tant de gens s'ingèrent d'en donner des règles, et où si peu de personnes les veulent recevoir ; où chacun a le talent de gouverner et de conduire, et où l'on en voit si peu qui aient le talent de se soumettre et d'obéir ; mais exemple plus important encore de cet attachement inviolable que nous devons avoir à la conduite de l'Eglise, hors de laquelle, comme disait saint Jérôme, nos vertus mêmes ne sont plus des vertus, la virginité n'est qu'un fantôme, le zèle qu'une illusion, et tout ce que nous faisons pour Dieu se trouve perdu et dissipé.

 

L'élément des vierges et des âmes dévouées à Jésus-Christ en qualité de ses épouses, c'est la retraite et la séparation du monde. Aussi est-ce le parti que Geneviève choisit ; car d'aimer à voir le monde et à en être vu, et prétendre cependant pouvoir répondre à Dieu de soi-même ; vouloir être de l'intrigue, entrer dans les divertissements, avoir part aux belles conversations ; et, quelque idée de piété que l'on se propose, se réserver toujours le droit d'un certain commerce avec le monde ;  en user, dis-je, de la sorte, et croire alors pouvoir garder ce trésor que nous portons dans nos corps comme dans des vases de terre, j'entends le trésor d'une pureté sans tache, c'est ce que la prudence du siècle a de tout temps présumé de faire,  mais c'est ce que la simplicité de Geneviève, plus clairvoyante et plus pénétrante, traita d'espérance chimérique, et ce qui ne lui parut pas possible. Dès le moment qu'elle fit son vœu, elle se couvrit du saint voile qui distinguait ces prédestinés et ces élus que saint Cyprien appelle la plus noble portion du troupeau de Jésus-Christ. Il ne lui fallut point de prédicateur pour renoncer à tous ces vains ornements  qui corrompent   l'innocence   des filles du siècle, et qui servent d'amorce à la cupidité et à la passion. Sans étude et sans lecture, elle connut qu'elle devait faire le sacrifice de toutes les vanités humaines. Une croix apportée du ciel  par le ministère d'un ange, et qui lui fut présentée par saint Germain, lui tint lieu désormais de tout ce que l'envie de paraître lui eût fait ambitionner, si c'eût été une fille mondaine ; et la manière simple dont elle traitait avec Dieu, sans disputer ses droits contre lui, et sans raisonner inutilement sur la rigueur du précepte, lui fit prendre des décisions plus exactes que celles de la théologie la plus sévère.

 

Or, si nous agissions, Chrétiens, dans le même esprit, c'est ainsi que nous ferions voir en nous les fruits d'une sincère et véritable réformation de mœurs : car si les prédicateurs de l'Evangile gagnent si peu à vous remontrer ces vérités importantes ; si, malgré tous leurs discours, vous demeurez encore aussi attachés à je ne sais combien d'amusements et de bagatelles du monde corrompu ; si, par exemple, on peut dire, à la honte de notre religion, que les dames chrétiennes sont maintenant plus païennes que les païennes mêmes en ce qui regarde l'immodestie et le luxe de leurs babils ; si la licence et le désordre sur nulle autres points croissent tous les jours, ce n'est, mes chers auditeurs, que parce que nous voulons nous persuader qu'il y a là-dessus un devoir du monde qui nous autorise ; ce n'est que parce que nous nous hâtions de savoir bien accorder des choses que tous les saints ont jugées incompatibles, et sauver l'essentiel du christianisme au milieu de tout ce qui le détruit ; enfin, ce n'est que parce que nous devenons ingénieux à nous aveugler nous-mêmes, et qu'au lieu de nous étudier à cette bienheureuse simplicité, qui fut toute la science de Geneviève, nous opposons à l'Esprit de Dieu, les fausses maximes d'un esprit mondain qui nous perd.

 

Que fait de plus cette sainte fille ? apprenez-le. Pour conserver le mérite de sa virginité, elle s'engage, par état et par profession de vie, aux emplois les plus bas de la charité et de l'humilité : car d'être vierge et d'être superbe, elle sait que c'est un monstre aux yeux de Dieu ; elle sait, sans que saint Augustin le lui ait appris, qu'autant qu'une vierge humble est préférable, selon l'Evangile, à une femme honnête dans le mariage, autant une femme humble dans le mariage mérite-t-elle la préférence sur une vierge orgueilleuse. C'est pour cela qu'elle s'humilie, et que, par un rare exemple de sagesse, elle se réduit à la condition de servante ; c'est pour cela qu'elle s'attache à une maîtresse fâcheuse, dont elle supporte les mauvais traitements, et à qui elle obéit avec une patience et une douceur dignes de l'admiration des anges ; et c'est par là même aussi qu'elle évite le reproche que saint Augustin faisait à une vierge chrétienne : O tu virgo Dei, nubere noluisti, quod licebat ; et extollis te, quod non licet ; Ô âme insensée ! que faites-vous.? Vous n'avez pas voulu vous allier à un époux de la terre, ce que la loi de Dieu vous permettait ; et vous vous élevez par une fausse et vaine gloire, ce que la loi ne vous permet pas.

 

Mais pourquoi Geneviève ajoute-t-elle à ses exercices d'humilité une si grande austérité de vie ? pourquoi se condamne-t-elle à des jeûnes si continuels, et fait-elle de son corps une victime de pénitence ? C'était une sainte en qui le péché n'avait jamais régné ; c'était une âme pure en qui la grâce du baptême s'était maintenue : pourquoi donc se traiter si rigoureusement elle-même ? Ah! Chrétiens, c'est un mystère que la prudence de la chair ignore, mais qu'il plut encore à Dieu de révéler à la simplicité de Geneviève. Elle était vierge : mais elle avait à préserver sa virginité du plus contagieux de tous les maux, qui est la mollesse des sens. Elle était sainte ; mais elle avait un corps naturellement corps de péché, dont elle devait faire, comme dit saint Paul, une hostie vivante. Elle était soumise à Dieu ; mais elle avait une chair rebelle qu'il fallait dompter et assujettir à l'esprit. Voilà ce qui lui fit oublier qu'elle était innocente, pour embrasser la vie d'une pénitente. Le monde ne raisonne pas ainsi ; mais je vous l'ai dit, la grande sagesse de Geneviève est de raisonner tout autrement que le monde. Le monde, quoique criminel, prétend avoir droit de vivre dans les délices ; et Geneviève, quoique juste, se fait une loi de vivre dans la pratique de la mortification. Excellente pratique, par où elle se dispose aux communications les plus sublimes qu'une créature ait peut-être jamais eues avec Dieu.

 

Nous avons peine à le comprendre , mais c'est la merveille de la grâce : une fille sans instruction et sans lettres, telle qu’était Geneviève, parle néanmoins de Dieu comme un ange du ciel. Elle ne sait rien ; et l'onction qu'elle a reçue d'en-haut lui enseigne toutes choses. Elle demeure sur la terre et dans ce lieu d'exil ; mais toute sa conversation est parmi les bienheureux et dans le séjour de la gloire. Tandis que les doctes peuvent à peine s'occuper une heure dans l'oraison, elle y passe les jours et les nuits. La vue de son troupeau, l'aspect des campagnes, tout ce qui se présente à elle lui fait connaître Dieu et l'élève à Dieu : c'est une fleur champêtre, que la main des hommes a peu cultivée ; mais qui, exposée aux rayons du soleil de justice, en tire tout cet éclat dont brillent les justes, et toute cette bonne odeur de Jésus-Christ dont parle saint Paul. Tant d'explications, de leçons, de discours, de livres, ne servent souvent qu'à nous confondre. Geneviève, sans tous ces secours, découvre ce qu'il y a dans Dieu de plus profond et de plus caché : pourquoi ? parce que notre Dieu, dit Salomon, se plaît à parler aux simples : Et cum simplicibus sermocinatio ejus (Prov., III, 32.). De là ces extases qui la ravissent hors d'elle-même, et ces visions célestes dont elle est éclairée ; ce sont des mystères impénétrables pour nous, et des secrets qu'il ne lui était pas plus permis qu'à l'Apôtre de nous révéler : Arcana verba quœ non licet homini loqui (2 Cor., XII, 4.). Grâces singulières et faveurs divines d'autant moins suspectes, que jamais elles ne produisirent dans cette âme solidement humble ni esprit d'orgueil et de suffisance, ni esprit de censure et d'une réforme outrée, ni esprit de singularité et de distinction, mais modestie et réserve, mais soumission et obéissance, mais charité et douceur, mais discrétion la plus parfaite et prudence la plus consommée. De là ce don de discerner les esprits, de démêler l'illusion et la vérité, les voies détournées et les voies droites, les fausses inspirations de l'ange de ténèbres et la vraie lumière de Dieu, en sorte que de toutes parts on accourt à elle, qu'elle est consultée comme l'oracle, et que les maîtres même les plus éclairés ne rougissent point d'être ses disciples, de recevoir ses conseils et de les suivre. De là cette confiance avec laquelle on lui donne la conduite des vierges et le soin des veuves, pour les préserver des pièges du monde, pour leur inspirer l'amour de la retraite, pour les former aux exercices de la piété chrétienne, pour les instruire de tous leurs devoirs, et pour les leur faire pratiquer. Sainte école où Dieu lui-même préside, parce que c'est, si j'ose parler de la sorte, l'école de la simplicité évangélique.

 

Mais, Chrétiens, qu'oppose le monde à cette simplicité tant recommandée dans l'Ecriture, et maintenant si peu connue dans le christianisme ? Une fausse sagesse que Dieu réprouve. On veut raffiner sur tout, et jusque sur la dévotion : on se dégoûte de ces anciennes pratiques, autrefois si vénérables parmi nos pères, et de nos jours regardées par des esprits présomptueux et remplis d'eux-mêmes, comme de frivoles amusements : on veut de nouvelles routes pour aller à Dieu, de nouvelles méthodes  pour s'entretenir avec Dieu, de nouvelles prières pour célébrer les grandeurs de Dieu : on veut qu'une prétendue raison soit la règle de toute notre perfection ; et tout ce qui peut en quelque manière se ressentir de cette candeur et de cette pieuse innocence, par où tant d'âmes avant nous se sont élevées et distinguées, on le met au rang des superstitions populaires, et on le rejette avec mépris. Toutefois, mes chers auditeurs, comment le Sage nous apprend-il à chercher Dieu ? dans la simplicité de notre cœur : In simplicitate cordis quœrite illum (Sap., I, 1.) ; de quoi Job est-il loué par l'Esprit même de Dieu ? de sa simplicité : Et erat vir ille simplex et rectus (Job, I, 1.) ; par quel moyen Daniel mérita-t-il la protection de Dieu ? par sa simplicité : Daniel in simplicitate sua libera tus est (1 Mach., II, 60.. Je sais ce que le monde en pense ; que c'est une vertu toute contraire à ses maximes, qu'il en fait le sujet ordinaire de ses railleries : mais malgré tout ce qu'en pense le monde, malgré tout ce qu'il en dit et ce qu'il en dira, il me suffit, mon Dieu, de savoir, comme votre Prophète, que vous aimez cette bienheureuse simplicité : Scio quod simplicitatem diligas (1 Paral., XXIX, 17.) ; et c'est assez pour moi que vous en connaissiez le prix : Sciat Deus simplicitatem meam (Job, XXXI, 6).

 

Voilà, mes Frères, ce qui doit nous affermir dans le droit chemin de la justice chrétienne, et ce qui nous y doit faire marcher avec assurance. Le monde parlera, le monde rira ; de faux sages viendront nous dire comme la femme de Job disait à son époux : Adhuc permanes in simplicitate tua (Ibid., II, 9.) ; Eh quoi ! vous vous arrêtez à ces bagatelles ? vous vous laissez aller à ces scrupules, et dans un siècle comme celui-ci, vous prenez garde à si peu de chose ? quelle simplicité et quelle folie ! On nous le dira ; mais nous répondrons : Oui, dans un siècle si dépravé, je m'attacherai à mon devoir, j'irai tête levée, et je ferai gloire de ma simplicité ; j'y vivrai et j'y mourrai dans cette simplicité de la foi, dans cette simplicité de l'espérance, dans cette simplicité de là charité de Dieu et de la charité du prochain, dans cette simplicité d'une conduite équitable, humble, modeste, désintéressée, sans détours, sans artifices, sans intrigues. Par là j'engagerai Dieu à me conduire lui-même ; et avec un tel guide, je ne craindrai point de m'égarer : Qui ambulat simpliciter, ambulat cunfidenter (Prov., X, 9.).

 

Voulez-vous en effet, Chrétiens, que Dieu répande sur vous ses lumières avec la même abondance qu'il les répandit sur Geneviève ? voici pour cela quatre règles que je vous propose, et que me fournit l'exemple de cette sainte vierge. Première règle : suivre le conseil de ceux que Dieu a établis dans son Eglise pour être les pasteurs de vos âmes, et pour vous diriger dans les voies du salut ; ne rien entreprendre d'important, et où votre conscience se trouve en quelque péril, sans les consulter ; aller à eux comme à la source des grâces, et les écouter comme Dieu même, leur ouvrir votre cœur, et leur exposer simplement et avec confiance vos sentiments, vos désirs, vos bonnes et vos mauvaises dispositions : prendre là-dessus leurs avis ; et, quelques vues contraires qui vous puissent survenir à l'esprit, les tenir pour suspectes et les déposer, si ce n'est que vous eussiez d'ailleurs une évidence absolue de l'erreur où l'on vous conduit et de l'égarement où l'on vous jette ; suivant une telle maxime, et la suivant de bonne foi, vous agirez sûrement ; car Dieu est fidèle, dit l'Apôtre ; et puisqu'il vous envoie à ses ministres, il est alors engagé par sa providence à les éclairer eux-mêmes, à leur inspirer ce qui vous convient, et à leur mettre pour vous dans la bouche des paroles de vie. Je vais plus loin, et, pour votre consolation, j'ose dire que si quelquefois ils se trompaient, ou Dieu ferait un miracle pour suppléer à leur défaut et pour vous redresser, ou que jamais il ne vous imputerait une illusion dont vous n'avez pas été l'auteur, et dont vous n'avez pu moralement vous préserver.

 

Seconde règle : fuir le monde et ce que vous savez être, dans le commerce du monde, ou pernicieux, ou seulement même dangereux. Je ne prétends pas que tous doivent se renfermer dans le cloître, et se cacher dans la solitude : Dieu dans le monde a ses serviteurs sur qui il fait reposer son esprit, à qui il fait entendre sa voix, et qu'il comble des trésors de sa miséricorde ; mais pour goûter ces divines communications, il faut qu'ils soient au milieu du monde sans être du monde ; c'est-à-dire, il faut qu'ils vivent séparés au moins d'un certain monde, d'un monde corrompu où le libertinage règne, d'un monde médisant où le prochain est attaqué, d'un monde volage où l'esprit se dissipe, où toute l'onction de la piété se dessèche, où l'on ne peut éviter mille scandales, légers, il est vrai, mais dont la conscience est toujours blessée : il faut que, se réduisant à la simplicité d'une vie retirée, s'éloignant du tumulte et du bruit, renonçant aux vanités et aux pompes humaines, uniquement attentifs à écouter Dieu, ils lui préparent ainsi et leurs esprits et leurs cœurs. Telle fut la prudence de Geneviève, de cette fille si simple selon le monde, mais, selon Dieu, si sage et si bien instruite des mystères de la grâce et des dispositions qu'elle demande.

 

Troisième règle : s'adonner à la pratique des bonnes œuvres, et surtout des œuvres de charité et d'humilité, en faire toute son étude, et y borner toute sa science : et, pendant que les esprits curieux s'arrêtent à raisonner sur les secrets de la prédestination divine, pendant qu'ils en disputent avec chaleur et qu'ils entrent sans cesse là-dessus en de longues et d'éternelles contestations, s'en tenir simplement, mais solidement, à cette courte décision du prince des apôtres : Quapropter, fratres, magis satagite, ut per bona opera certam vestram electionem faciatis (2 Petr., I, 10.) ; point tant de discours, mes Frères, point tant de controverses et de subtilités : vous avez la loi, pratiquez-la ; vous avez tous vos devoirs marqués, observez-les ; vous avez parmi vous des pauvres et des malades, prenez soin de les assister : soyez charitables, soyez humbles, soyez soumis, soyez patients, vigilants, fervents. C'est là tout ce qu'il vous importe de savoir, et dès que vous le saurez bien, vous en saurez plus que ne peuvent vous en apprendre, dans leurs questions curieuses et souvent peu utiles, tous les philosophes et les théologiens : pourquoi ? non seulement parce que c'est en cela qu'est renfermée toute la science du salut, mais parce que Dieu, qui se découvre aux âmes fidèles et humbles, se fera lui-même sur tout le reste votre maître, et vous donnera des connaissances où la plus sublime théologie ne peut atteindre.

 

Quatrième et dernière règle : ajouter à la pratique des bonnes œuvres l'austérité de la pénitence ; et comme votre vie, mes chers auditeurs, est déjà par elle même une pénitence continuelle, puisqu'elle est remplie de souffrances, les prendre, ces peines et ces afflictions de la vie, avec un esprit chrétien, avec un esprit soumis, en un mot, avec un esprit pénitent. Voilà par où vous purifierez votre cœur, en vous acquittant devant Dieu de toutes vos dettes : et où Dieu fait-il plus volontiers sa demeure, que dans les cœurs purs ? Ainsi, quelque dépourvus que vous puissiez être de toute autre lumière, la lumière de Dieu vous conduira, vous touchera, vous élèvera. Il ne lui faudra point de dispositions naturelles ; il ne sera point nécessaire que vous soyez de ces grands génies que le monde admire, et à qui le monde donne un si vain encens. Sans cette doctrine qui enfle ; sans être capables, par la supériorité de vos vues ou la profondeur de vos raisonnements, de pénétrer les secrets de la nature les plus cachés, d'éclaircir les questions de l'école les plus épineuses et les plus obscures, de former de hautes entreprises et de gouverner les états, vous serez capables, dans la ferveur de la prière, de recevoir les dons de Dieu, et d'avoir avec lui le commerce le plus sacré, le plus étroit, le plus sensible, le plus touchant.

 

Vous l'avez vu dans l'exemple de votre illustre patronne. Mais, si la simplicité de Geneviève a été plus éclairée que toute la sagesse du monde, je puis dire encore que sa faiblesse a été plus forte que toute la puissance du monde : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE

 

Bréviaire à l'usage de Paris

Sainte Geneviève, Bréviaire de Paris, XVIe s.

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