C’est généralement sur les préaux ou sur les cours, dans des corps de logis situés au rez-de-chaussée, que s’ouvrent la pharmacie, les magasins, les celliers, les cuisines.
Celles-ci sont toujours très amples, sablées de sable jaune, très claires et baignées dans une atmosphère insupportable de chaleur. Les vases de cuivre bouillonnant sur le fourneau noir reluisent comme de la vaisselle d’or ; les marmites portatives à compartiments sont rangées sur des étagères, chacune devant une étiquette portant le nom de la salle qu’elle doit desservir. La nourriture est très saine : de la viande, du poisson frais, des légumes, du bouillon qui m’a paru savoureux.
Les malades, selon leur état sanitaire, ont une part, deux, trois et même quatre parts ; c’est là qu’on s’arrête, car c’est la pitance d’un homme bien portant. Dans les hôpitaux, comme dans les prisons, comme dans tous les grands établissements où la cuisine est située loin du lieu de distribution des vivres, où il faut monter des escaliers, traverser des corridors et diviser préalablement la nourriture avant de la donner à ceux qui l’attendent, on mange froid, ou, ce qui vaut encore moins, refroidi ; la graisse est à demi figée, la viande a perdu de sa saveur et la friture du poisson est déjà flétrie. C’est un inconvénient auquel il serait possible de remédier, en employant au transport des cantines contenant les vivres ces boites intérieurement capitonnées qu’on nomme des cuisines norvégiennes et qui facilement conservent pendant plusieurs heures aux aliments une chaleur de soixante degrés.
Autrefois on évitait ce désagrément, mais pour en créer un beaucoup plus grave. Au milieu de chaque salle s’élevait un fourneau sur lequel on faisait habituellement chauffer les tisanes et les cataplasmes ; quand l’heure des repas sonnait, il servait à raccommoder le diner : c’était le mot consacré. Sous prétexte de raccommoder le bouillon, les infirmiers, les religieuses elles-mêmes ne se gênaient guère pour faire cuire toutes sortes de ragoûts, et l’atmosphère déjà très chargée de la salle ne tardait pas à devenir intolérable. Il a fallu des années de lutte pour arriver à déraciner ce vieil abus, que les maladreries du moyen âge nous avaient légué ; encore aujourd’hui une surveillance incessante est nécessaire pour l’empêcher de se reproduire.
Quant au vin distribué aux malades, il est très bon et en quantité suffisante. Pour un homme qui est aux quatre parts de nourriture, on donne quarante-huit centilitres de vin pur, ce qui équivaut à trois grands verres ordinaires. Lorsqu’un médecin juge qu’un malade a besoin d’une nourriture spéciale, il lui suffit de faire un bon pour l’obtenir immédiatement.
Sous ce rapport, l’alimentation des opérés et des femmes en couches est toujours particulièrement recommandée et soignée.
Maxime Du Camp, Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, Revue des Deux Mondes, 1870